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[Requête] Excavation du passé de Doulek (Arno)

[Requête] Excavation du passé de Doulek (Arno) Brandw10
Ven 8 Mar - 2:51


Excavation du passé de Doulek

Arno Dalmesca


De tous les lieux d’exercice de ses talents, c’était encore devant l’écritoire que lady Ellendrine Brightwidge-Dalmesca était la plus affûtée. En dépit de sa blessure au bras, sur laquelle Seraphah Von Arendt avait fait un bon travail de médecine de guerre, elle s’était assise avec sa plume d’oie dès son arrivée dans l’hôtel particulier des Dalmesca à Aramila, non loin du Concile.

L’archaïsme de l’encre liquide bue par le parchemin donnait une grâce à l’exercice de calligraphie qui confinait au sacré. Si elle ne se rendait que peu souvent aux cérémonies religieuses des Temples, la notable honnorait sa nation en y déversant savoir et idées. Le rituel consistait ici à purifier le sel de l’outrage qui avait été fait à la souveraineté d’Aramila par un ambassadeur de l’Alliance un peu trop zélé qui, pour un peu, l’aurait presque brutalisée de s’être élevée pour défendre la prise de décision de sa nation sur des événements survenue sur son propre sol.

Quelques passages volés mentionnaient : « Il est tout de même extraordinaire de force et d’oubli pour l’Alliance de flouer l’une des deux nations restantes qui maintiennent un semblant de squelette à une carcasse bien affaiblie sur la scène internationale… », Epistopoli et Opale faisant en grande partie bande à part depuis bien des années. Elle soulignait également : « le risque inutile auquel avaient été exposé un grand nombre de citoyens d’Aramila, ville capitale, dans le transfert d’une terroriste ayant occasionné des destructions massives dans la capitale voisine le jour même, sans que les moyens de sécurité adéquats ne soit déployés ». Qu’auraient-ils fait si elle était une portebrume d’autodestruction ?

En conséquence de quoi, elle concluait en demandant au Concile et aux archevêques en tant que témoin de confiance, que les autorités nationales prennent toute la mesure du camouflet et du mépris pour la sécurité aramilane, afin d’en tirer les conséquences sur la considération de l’Alliance à leur égard. Elle laissait entrevoir la possibilité de limoger ou sanctionner l’ambassadeur en question. Ou, à défaut, de faire sentir à Panoptès les conséquences d’un scénario où Aramila retirerait son soutien aux forces de l’Alliance, qui n’en serait de plus une de facto.

Il s’avéra que le Concile était d’accord pour rapatrier Yodicaëlle à Opale pour son interrogatoire. L’avis avait été émis depuis la capitale Opaline, puisque la plupart du personnel politique d’envergure avait convergé vers la réunion internationale. Mais Ellendrine insista sur une politique délétère du fait accompli, qui ne seyait pas une institution internationale dépourvue d’autorité exécutive. Le signal envoyé envers les témoins étrangers, dont un Sapiarque Epistote et d’autres personnes peu recommandables, peut-être même issues du monde criminel, est que l’on pouvait flouer leur nation sans vergogne : sans encourir son courroux.

Ses missives envoyées, Ellendrine se reposa quelques jours de ce long périple dans le désert. Son esprit était cependant déjà en train de penser à l’après. Ce n’était pas par hasard si l’inconscient de la terroriste, sur le point de s’étioler dans les Limbes, l’avait conduit à Doulek. Il fallait investiguer tant que la piste était chaude, avant que d’éventuels complices du XIIIème Cercle ne dispersent les indices pertinents.

L’archéologue parvint à joindre brièvement son époux grâce aux moyens expresses déployés pour les tractations au sujet de Yodicaëlle. Pietro l’informa succinctement du décès de l’archevêque d’Etyr, lui témoignant son respect, avant de préciser qu’il était un candidat actif à son remplacement. Inutile d’en dire plus pour qu’Ellendrine imagine sa fébrilité, après tant d’années attendues pour saisir ce type d’opportunité d’ascension politique. Il lui parut évident qu’elle pouvait pousser son avantage en demandant son soutien et sa protection durant l’investigation sur le passé de Doulek. Si les forces d’Etyr parvenaient à obtenir des informations grâce à son soutien, cela ne ferait que renforcer son aura et son influence politique à Aramila. Le poste lui serait acquis d’office lors de la prochaine élection.

Une douzaine de soldats de la garde sacrée furent attitrés à son voyage vers Doulek. Parce qu’elle avait besoin de pouvoir faire confiance à quelqu’un sur place, elle envoya quelqu’un chercher son beau-frère, avant qu’Arno ne s’évapore comme à son habitude. Elle lui témoigna son empressement à le sentir auprès d’elle dans ces moments critiques pour leur clan et leur faction.

A peine eut-elle enlacé ses enfants, que déjà, le convoi sécuritaire était sur le départ à la tombée du jour dans le désert. Elle chevauchait son tamanain aux côtés de Farouk aux portes de la ville, cernée par une escorte armée, dont au moins deux Sentinelles émérites.

Alors que le disque orangé du soleil s’enflammait en rasant les dunes du ponant, elle jeta un dernier regard en arrière, en rabattant le voile qui flotta devant son visage dans un souffle de vent. La silhouette d’Arno se détacha entre les bâtiments.
-« Je suis contente que tu te joignes à moi, mon frère. » se permit-t-elle de l’appeler avec affection, pour lui signifier toute sa reconnaissance. Ils n’avaient jamais eu la chance de mieux se connaître pour devenir si familier. Ellendrine elle-même n’était pas versée dans les grandes déclarations. Les tragédies avaient néanmoins l’avantage de permettre de resserrer les rangs, alors que les familles sentaient le sol vaciller sous leurs pieds. Famille par alliance ou pas, c’est toute la famille qu’elle avait, celle sur laquelle elle pouvait compter.

-« Sans toi, j’aurais sans doute perdu la vie, comme tant d’autres dans la mer de sang de cet attentat. J’ai perdu l’esprit en voyant ma sœur rendre l’âme. Gloire à Phtelior pour ton courage. » Les expressions religieuses n'étaient pas totalement dans ses croyances. Elles étaient pourtant emplies de sincérité, davantage preuve d'amour et de respect pour la sensibilité de ceux auxquels elle s'adressait.

Son regard digne et plein d’humanité s’ombragea un moment à l’évocation de ce souvenir bien trop cuisant. Il lui avait fallu abandonner la dépouille de Darya dans les Limbes et s’imposer à ses funérailles symboliques contre l’avis d’Amal Brightwidge, son frère ennemi. Ses jours étaient désormais comptés à Opale, sans une prudence maximale contre les tentatives d’empoisonnement ou d’assassinat.

Malgré ses préoccupations, elle n’oubliait pas la douleur spirituelle dues aux convulsions des révélations sur la mort de Demephor. Peu de personnes étaient informées en dehors des cercles supérieurs, mais la nouvelle finirait éventuellement par se diffuser à l’ensemble de la société pour arracher larmes et cris d’horreur. Un séisme religieux à portée sociale et politique attendait Aramila, qui aurait besoin de personnalités fortes pour absorber le choc et, elle l’espérait, moderniser une partie de ses doctrines.

Il était temps de quitter Aramila, sauf à courir le risque que des sbires du Cercle les prennent en filature. Elle tourna le dos aux tours et leurs dômes dorés étincelant bordant les temples et fit avancer son tamanain, qui la fit dodeliner sur son dos. Jamais elle ne permettrait que le sort d’Opale ne soit imposé à Aramila. Ils devaient réussir, pour débusquer les vermines du Cercle dans leur terrier et protéger l’Arbre-Dieu. Si sa mission de vie n’était pas claire, elle choisissait désormais de s’attacher à cette quête pour le bien de tous les Urhois, prête à y dédier les connaissances qu’elle avait mis toute une vie à accumuler.


Dernière édition par Ellendrine Brightwige le Mer 1 Mai - 5:12, édité 4 fois
Dim 17 Mar - 20:54

Excavation du passé de Doulek

Ellendrine & Arno



Il était temps que nous nous remettions en route n’est-ce pas ? J’aurais beaucoup donné pour pouvoir rester encore un peu à la ferme, à panser mes plaies aussi bien mentales que physiques. Là où nous étions au bout du monde, rien n’avait vraiment d’importance et, même si mon lit était moins confortable que celui que je pouvais avoir à Opale, au moins avait-il la décence de ne pas se dérober comme le sol de la Grande Place. Je n’y étais pas retourné, Eustache n’y était pas retourné en tout cas. Mais déjà d’autres nouvelles venaient, ce soleil savait où me trouver. Il n’aurait pas fait le déplacement lui-même bien sûr, trop occupé à rassembler ses propres forces. Une missive m’attendait, même pour mère qui lisait peu ou les petits, l’écriture fine et le mot lapidaire ni trompait. L’aîné reprenait les commandes sur ma vie.

Arno, je sais que tu as ramené Ellendrine, merci. J’avais froncé les sourcils au fil de la lecture, les remerciements m’étonnaient vraiment de sa part. La suite devait lui faire retrouver la raison. Pas besoin d’user de sa persuasion même à distance pour m’engager dans la suite. Va savoir s’il y avait influence ou s’il était dans la confidence, mais il me donnait une excuse parfaite pour mener à bien ma mission. Je connais ma femme, je sais qu’elle va vouloir retourner à Doulek. Je veux que tu y ailles aussi pour continuer de la protéger en mon absence. Je vais avoir du travail pour changer les choses à mon retour. J’ai besoin de toi pour me sortir ça de la tête.

Rarement Pietro avait été aussi clair. Ce qu’il savait sur moi, il avait du l’apprendre d’une quelconque façon, certains confrères avaient beaucoup moins à se cacher, travaillant de concerts avec des grands pontes. Je ne doutais pas que mon grand frère avait réussi à tirer les vers du nez à qui de droit. Néanmoins, il ne se servait pas de cette carte comme il l’avait fait à Opale. Il jouait une carte qu’il savait fonctionné. Je relevais les yeux faces aux trois visages aux traits fins si similaires aux siens, si loin des miens. J’aurais donné beaucoup pour eux et par extension Ellendrine faisait partie de ce giron familial. C’est tout ce qui me restait si les Douze venaient à tomber.

Demephor…

Difficile de ne pas penser à lui, un mortel parmi tant d’autres… Les onze autres marchent-ils aussi parmis nous ? Peuvent-ils aimer ? Peuvent-ils haïr ? Comment naissent-ils C’était beaucoup trop à penser. Moi qui n’avait finalement jamais été aussi zélote que d’autres, je me retrouvais à croire d’autant plus en eux maintenant qu’ils s'ancraient dans le réel. Je repliais le courrier avant de le jeter dans l'âtre. Pas de place au sentimentalisme, ni aux traces écrites. Le sablier devait être retourné maintenant et le destin se mettre en marche.

Le lendemain, je me retrouvais à nouveau à Aramila sur la demande de l’intéressée. À chaque fois j’évitais ce lieu où mes pas m’amenaient autant que possible. Non pas qu’il avait mauvaise réputation, loin de là, mais c’était pour moi un coin que j’évitais autant que possible. La demeure de Pietro était exactement comme elle devait être. Ni trop riche pour ne pas montrer un matérialisme trop présent, ni trop pauvre pour quand même montrer qu’il savait entretenir sa famille. Une douzaine de gardes poireautaient devant la demeure alors que le maître de maison était encore absent.

Ellendrine finit par sortir de la demeure du Tribun. Je nouais un turban sur ma tête et attrapais mon paquetage pour suivre le convoi de loin, le porteur du message ayant rempli sa mission je le laissais partir vers d’autres demandes de clients plus ou moins fortunés. La troupe s’avança jusqu’à l’une des portes du désert et je leur avait emboîté le pas, enfin nous quittions cette ville arriérée. Je tapais sur ma tête par réflexe, comme pour punir les pensées parasitaires d’Eustache. Je finis par me présenter à ma belle-soeur, son aide de camp que j’avais déjà pu observé et son convoi. Elle m’accueillit chaleureusement et je m’en trouvais un peu gêné. Je ne pus qu'acquiescer pour la remercier pour ses mots, essayant de lui renvoyer un "ma soeur". Malheureusement, je ne voyais que les Limbes en la regardant, comme si nous étions renvoyés et que nous tenions à y rester.

... Phtelior pour ton courage.” Le nom de la figure du Roi me ramena, berger guidant son troupeau. Je sentais à nouveau toute la pesanteur de la tâche, que notre mission intéressait ceux qui bougeaient les pièces. Pietro, l’Oasis, Aramila, Uhr, nous étions sur les traces de quelque chose de clairement plus grand que ce que le destin aurait dû mettre dans la vie d’un pauvre marchand. Le marchand est loin Arno, tu sais à qui tu dois laisser la place maintenant, l’Oasis te l’a bien dit.

Je réajustais aussi mon tissu sur le visage, voilant ma face pour n’offrir que deux yeux d’aigle derrière des verres teintés. J’englobais le désert dans sa totalité alors que nous laissions la ville derrière nous. Mül avançait tranquillement, c’était toujours une sensation terrible, celle d’avoir le sentiment d’une urgence qui devait se marier à la lenteur d'un convoi dans le désert. Le temps serait long, peut-être l’occasion d’en apprendre plus sur ma belle-sœur. Je n’étais pas bien sûr que nos objectifs étaient les mêmes dans cette expédition, mais nous nous devions de découvrir le fin mot de l’histoire. Nous en avions besoin et si par la même occasion nous pouvions porter un nouveau coup au Treizième Cercle, c’était du bonus. L’un des miens était déjà en route, il nous avait précédé de plusieurs jours. Le matin et le soir nous avancions, le midi nous nous cachions du soleil dans les rares oasis que nous trouvions, la nuit nous dormions ou je prenais le temps pour discuter avec Ellendrine de la marche à suivre. Il était étrange de se sentir ainsi, dans une sorte de simili état-major sous les tentes.

Le désert devint peu à peu moins aride et violent, des bosquets brûlés bientôt remplacés par des palmiers. Les oasis devenaient de plus en plus nombreuses jusqu’à ce que nous ne pouvions que nous résoudre à ne plus appeler ça des oasis, mais bien la Jungle. Nous voilà donc presque arrivés alors que le crépuscule tombait. “Reposons-nous ici ce soir, demain nous serons à Doulek.” annonçais-je. Etrange sensation qu’avait été ce voyage, celui de revenir sur nos pas après le convoi aller, de revenir à l’épicentre de la catastrophe.

Car pour tous, la catastrophe était au nord-est à Opale. Pour moi, nous nous en approchions.

Lun 18 Mar - 7:16


Excavation du passé de Doulek

Arno Dalmesca



Il était ardu de lire l’ombrage dans le regard de l’aristocrate, si tant est qu’il existât, après le silence d’Arno. Sa dignité s’exprimait toujours à travers un visage équanime au milieu de cette escorte et de ce paysage solennel. Les Limbes l’habitaient toujours, elle aussi. Pour ce que cela pouvait vouloir dire.

La dame était traitée avec déférence par les soldats emprunts de chevalerie, qui lui offraient un semblant de pudeur dans les haltes poussiéreuses. On ne devinait sa peau diaphane qu’aux contours de ses yeux verts perçants le voilage blanc qui la gardait de la morsure du soleil.

Du poids de la chaleur, elle était néanmoins abritée par la magnificence de son cristal de tempérance. Les heures chaudes constituaient son temps d’étude privilégié, alors qu’elle essayait de délaisser ses ouvrages la soirée afin de mieux cerner la personnalité de son beau-frère. Il n’était en rien pareil au portrait que lui avait dépeint son époux. Elle s’en était douté, mais évitait soigneusement de mettre du sel sur les blessures des querelles fraternelles. Le témoignage d'un excès de sollicitude pouvait devenir poison. Elle savait combien les meilleures intentions pouvaient éloigner de l’Isthe.

Enfin, quand ils parvinrent aux abord de la végétation dense de la jungle de Doulek, un souffle d’humidité les embauma, presque étouffant, avant de charrier sa fraîcheur une fois sous le couvert d’une canopée, encore peu dense. Ils montèrent un ultime campement avant d’atteindre leur cible. Ce serait le moment où jamais de se restaurer avant d’affronter les vérités de Doulek le lendemain.

Elle rompit le pain avec Farouk. Les hommes furent surpris de voir la noble dame rabattre son voile blanc en leur présence et s’asseoir à leurs côtés pour partager leurs histoires et raconter certaines des siennes. Si elle n’alla pas jusqu’à jouer aux dés avec eux, c’était assez pour les étonner.

Allant auprès d’Arno, elle s’adressa à lui à voix-basse.

-« Tu ne t’exprimes pas beaucoup de manière générale sur ce que tu ressens. Je respecte cela. Mais si quelque chose te trouble, tu peux avoir confiance en mon silence, je sais écouter. Pietro ne sait pas tout ce que je pense. C’est dans notre accord et il en sera toujours ainsi. Après tout, bien peu nombreux ont vécu ce qui nous est arrivé ensemble. Même Farouk ne comprend pas ma désorientation.  »

Après leur conversation, l’archéologue partit se coucher. Elle était toujours d’avis que rien de grand ne pouvait être accompli en étant épuisé et préférait ménager ses efforts dans la durée. Quelques chants rigolards s’élevèrent après le départ de la dame, sans la déranger dans son sommeil. Au contraire, ces manifestations joyeuses des gardes se faisaient ronronnement rassurant à son oreille et elle s’abandonna bientôt à une noirceur réconfortante dans la grande tente.

Un tintement la tira de sa torpeur. Un gémissement de la théière en laiton. Une de ses paupières se souleva péniblement dans la nuit. Ellendrine se força à reprendre conscience de son environnement dans la pénombre. Le bruit assourdissant des insectes et les râles apeurant de singes araignées se répondant peuplaient la forêt, bien loin du calme du désert. Néanmoins, aucun animal de semblait présent dans la tente et sa théière grinçait toujours en se balançant. Sa main chercha instinctivement son nascent de chronomancie.

Quand ses doigts se refermèrent sur le manche de bois du lance-pierre, une ombre se jeta abruptement sur elle. Trahie uniquement par l’éclat de la lame en forme de vague, Ellendrine eut juste le temps de lever les bras pour se défendre et éviter un premier coup de poignard, qui lacéra la toile de la tente à son chevet.

L’assaillant était voilé et entièrement vêtu de noir. Mu par l’agilité d’un démon, il l’enfourcha pour tenter de l’occire. Elle plaça une manœuvre désespérée en frappant l’Ombre entre les côtes du manche de son nascent. Ce n’était pas véritablement l’usage prévu pour cette arme de jet, mais elle parvint à activer le pouvoir temporel qu’il renfermait au détriment de l’assassin. Et à se saisir grâce au ralentissement occasioné chez l’adversaire d’un oreiller en guise de bouclier. Un nouveau coup de poignard meurtrier fut ainsi évité. Un cri aurait pu l’aider, mais aucune aide ne parviendrait à temps malgré la magie temporelle. Aussi mordit-elle jusqu’au sang le poignet de l’Ombre, qui n’avait toujours pas le bonus de l’initiative. Dans son élan, elle réussit à faire basculer l'Ombre à terre, avant de s’engouffrer par la brèche ouverte dans la toile de tente tête la première.

Vêtue de sa robe de nuit blanche, sa toison rousse offerte au vent, elle se retourna sur le spectacle d’un camp pris en embuscade alors que des cris d’égorgés s’élevaient. Farouk était à demi nu à terre, aux prises avec deux Ombres. Il n’avait pas eu l’occasion de se saisir de sa mitrailleuse, sans doute surpris au lit comme elle l’avait été. L’ancienne Sentinelle méditait toujours plus qu’elle ne dormait. Sa contre-attaque avait sans doute sonné l’alerte et sauvé la vie de plusieurs Aramilans ce soir.

Partie s’abriter derrière un rempart de fortune pour fuir son poursuivant, l’archéologue voyait son ami ensanglanté sur le point d’être embroché. Elle n’aurait que le temps de crier son désespoir et sa rage pour assister à son trépas face à un ennemi en surnombre, au milieu d’autres scènes d’affrontements.
-« Lâches ! » gronda l’aristocrate.

Un éclair fendit l’air, au moment ou l’assassin s’apprêtait à porter le coup fatal. Une onde électrique s’attacha au métal et fit grésiller les nerfs et claquer les dents de l’Ombre de manière perceptible jusqu’à produire une odeur de grillé. L’autre Ombre prit la fuite au moment où la Sentinelle électrique reprenait forme humaine. Elle tendit une main à Farouk, qui ramassa une hallebarde pour reprendre le combat. Assurément, c’étaient les hommes du Cercle qui les encerclaient.

Eux aussi étaient dotés de pouvoirs pour certains d’entre eux. L’archéologue reconnut la silhouette d’Arno, acculé entre les cordages d’une tente par d’autres assassins. Le jeune Dalmesca tenait sa défense au couteau et retournait les éléments du décor à son avantage. Cependant, il n’avait aucune chance de prévaloir sur celui de ses opposant dont les ongles d'obsidienne luisaient à la lueur du feu de camp. Sa belle-soeur ne pouvait le savoir, mais les pouvoirs de ses cristaux venaient d'être neutralisés au toucher d'un portebrume d'abrogation.

Sans un regard autour d’elle, elle tenta tout ce qui était en son pouvoir pour aider Arno et visa l’Ombre aux ongles cristallisées du premier caillou qu’elle put ramasser dans le noir. Ce n’était pas une tireuse d’élite, mais en ce moment décisif, elle retint son souffle et sa main ne trembla pas. L’ombre qui s’était saisie du couteau d’Arno entre les doigts cristallisés et s’apprêtait à lancer ceux de l’autre main sur sa trachée fut frappée par le minuscule projectile chargée de chronomancie ; c’était une ouverture inespérée pour le jeune Dalmesca, car le corps de l’Ombre faisait rempart à la deuxième qui s’en prenait à lui.



Dernière édition par Ellendrine Brightwige le Mer 1 Mai - 5:29, édité 4 fois
Lun 18 Mar - 11:40

Excavation du passé de Doulek

Ellendrine & Arno



Le danger face à moi, la mort avait un visage d’ombre. Plusieurs jours dans le désert, à ne rien croiser d’autre que de paisibles caravanes, avaient eu raison de la vigilance des Gardes. De ma vigilance aussi moi qui voulait profiter d’un repos mérité avant d’attaquer le plus dur. C’était là qu’ils en avaient profité, sans doute sur leurs terres, pour attaquer dans la nuit. La situation était critique, j’étais déjà haletant, des striures sur les bras alors que je tentais d’esquiver ou de repousser les coups du forçat.

Celui derrière en riait presque, me voyant m’échiner à leur balancer ce que je trouvais autour de moi quand j’avais vu qu’aucun de mes outils ne fonctionnait. Vous aimez vraiment ça, hein ? Décider qui peut faire joujou avec les pouvoir ou non. Une nouvelle poussée dans les cordes et voilà votre serviteur acculé. ça aurait pu être la fin si notre vindicatif révolutionnaire n’avait pas pris le relai dans cette situation dangereuse. Lucas et la lueur violente dans mon regard de rapace…

Et ben, c’était pire que je pensais, t’aurais pu faire gaffe Arno, dans quelle situation tu me mets. Pas le temps de tergiverser que déjà le bourrin me charge. Ça doit être bien pratique de pouvoir se faire monter des griffes comme ça. T’avais pas besoin de me piquer mon couteau pour autant. Tu permets ? Mais… T’es vachement lent en fait ! Voilà j’en étais sûr que ça allait passer à travers cette planche. Une fois le tranchant passé et qu’on revient sur la peau, ça coince. T’as l’air idiot mon pauvre. C’est le moment d’en profiter, vous voyez les artistes ? C’est pas vous qui pourriez faire ça, il fallait composer avec le corps frêle, agile et peu endurant d’Arno, merci à lui d’avoir pris les coups jusque là. J’ai l’esprit clair, et surtout, ils ne s’attendaient pas à ça. S'acharnant toujours dans la seconde avec son bras coincé dans le bois, mon coude vient heurter sa tempe. T’as pas eu le temps de réagir mon vieux ? Plus vite Lucas, plus vite, soit efficace. Rien ne compte autour, c’est que toi et eux. Il était sonné, son pote arrivait. Il fallait finir le travail. Je te reprends ma lame, tu veux bien ? Voilà ! Ne sois pas triste pour autant, tu voulais m’attaquer où déjà ? Ah oui, la monnaie de ta pièce, j’imagine. Pas le temps d’essuyer le sang qui avait pulsé de sa gorge. Je souffle, c’est déjà beaucoup pour toi Arno hein ? Il en reste un, qui était bien content de pouvoir rester en arrière. Saleté de mage. Oh non, ne fuit pas enfin, tu vas quand même pas appeler à l’aide après ça ? Ton copain se vide de son sang en plus. Est-ce que je vise toujours aussi bien ? Le couteau vole, le couteau se plante dans la jambe. Je grimace, j’aurais préféré un coup net. Je fais avec pourtant. Je me traine couvert de sang, du mien, de celui à terre, d’autres autour. Que faire, c’est lui que je chasse. Patte folle. C’est lent, encore plus lent que le macchabée agrippé à sa planche. Pour deux pas que je fais, il en fait un au milieu du chaos. Je le rattrape quand il trébuche. Neuf pas dans sa fuite. Sourire sauvage sur le visage, une proie facile. Il tenta de hurler avec que j’explose sa glotte. Un relent de vomi dans un bouillon de sang. Il s’étouffe. Un regain d’énergie pour la bête que j’étais. Deux contre un, ça suffisait pas. Ramenez-vous les coureuses, je vais vous faire danser moi. Le souffle court, la vision trouble, la misère.

C’était trop, il en avait fait trop. Explosion de violence au cœur du chaos, le révolutionnaire avait utilisé tout ce qui nous restait d’énergie. Hébété, j’émergeais de ma torpeur dans un tourbillon de sang et de vomi. C’était pas beau à voir, mais il avait fait sa part, une menace éliminée et un mage en moins. C’était la Garde Sacrée autour, malgré la surprise, ils devaient pouvoir donner le change assez longtemps. Ellendrine… Où était-elle ? Je passais ma manche sur mon visage, ne faisait qu’étaler un peu plus les résidus organiques, mais dégageant mes yeux. Pupilles de saphir au milieu de l’écarlate, elle était là, en duo avec son garde du corps dans un coin où l’affrontement avait déjà tourné à notre avantage.

Je devais disparaître un moment, distraire, reprendre mon souffle. Il ne me restait déjà pas grand-chose sur quoi m’appuyer. Le tube que je gardais à ma ceinture devait faire son office. Le cuivre se réchauffait au contact de ma paume. D’abord une odeur de soufre et puis la mise en marche, la fumée s’échappait du Nascent. D’abord fine, puis plus épaisse, je répandais un véritable nuage sur le campement transformé en champ de bataille. Il fallait se cacher maintenant, profiter de la surprise des uns et des autres. Puis frapper, frapper encore.

Je fuyais la fumée, me réfugiant derrière un arbre. Un air lourd et humide, mais au moins n’était-il pas chargé des relents des corps et de la fumée. Les affrontements continuaient dans le silence oppressant de la jungle. Un pic de violence parmi tant d’autres dans ces lieux, le bruit du fer et des pas, celui des cris de rage et des derniers soupirs. Était-ce vraiment mieux que là-bas ? Je n’avais pas vu que je serais encore le couteau dans ma main. Lame de fortune empruntée, la prise était si ferme que mes jointures en avaient blanchi. Il me fallait y retourner, je ne pouvais dans ce genre de cas que compter sur moi pour faire la différence, une goutte d’eau dans l’océan, un grain de sable dans le désert. Si je n’étais pas là, en restait-il autant un désert ? Allez, Arno, relève-toi maintenant. Tu n’en auras jamais fait assez, tu m’entends ? Jusqu’à la dernière goutte tu vas te donner. Jusqu’à ce que le dernier grain de sable tombe dans le sablier.

Parce que c’est ce que tu es au fond.

Déjà la fumée commence à disparaître par endroit. L’air lourd avait eu le mérite de la stabiliser plus que ce que j’imaginais. Les foyers du feu de camp et des torches étaient depuis longtemps répandus à terre, mais aussi malheureusement sur certaines toiles de tente. L’incendie couvait. Embrasons-nous.

Des yeux, je cherchais les silhouettes noires qui s’étaient abattues sur nous, pas celles dans la mêlée. Les autres, celles qui se cachaient entre les ombres et les arbres.  J’avais une ouverture et j’avais un talent. Je sais me faire discret, voyez-vous et, dans une embuscade comme ça, personne ne s’attend à voir une menace fondre par l’arrière. Plus ombre encore que les ombres, je suis les pistes. Lucas est un chasseur violent appréciant autant que faire un affrontement frontal rapide et brutal, votre serviteur est plus du genre vicieux, à chercher  à attraper sa proie quand elle ne s’y attendait pas. Une première cape à l’orée du camp, devant un arbuste. En un clin d’œil je suis sur lui.

Où est votre chef ? le menaçais-je avec le couteau sous la gorge. Il fait un coup d’œil sur sa droite et je tranche dans le tas. On est jamais sûr de ce qu’ils peuvent faire, je préfère éviter le risque, continuer à suivre la piste.

Pas à pas.
Mer 1 Mai - 6:15


Excavation du passé de Doulek

Arno Dalmesca


La bataille se poursuivait dans le noir. Orgie de cris et de percussions métalliques. L’archéologue ne savait où regarder. Tout juste s’était-elle saisie du sabre recourbé d’une sentinelle qui gisait à terre.
-« Ellendrine !! » hurla la voix de Farouk.

Elle se tourna vers lui, mais c’est d’un tout autre danger qu’il voulait la prévenir. L’Ombre arriva en sautant à travers les flammes d’un brasero, portant directement un coup vertical. Par réflexe, elle porta son arme devant son front et tint fermement se garde. Le choc du métal se répercuta durement dans ses articulations. Elle battit en retraite et manqua de perdre l’équilibre tandis que l’ennemi portait un nouveau coup, l’affaiblissant encore et encore. Tous ses os étaient ébranlés par la force des frappes qui la harcelaient.

La dernière lui ôta l’arme des mains. Et elle bascula par-dessus un cadavre, sans cesser de reculer dans les hautes herbes. La silhouette se tenait au-dessus d’elle, menaçante. Dans l’éclair de sa mise à mort, elle eut la certitude que c’était le même homme qui se trouvait dans sa tente un peu plus tôt, déterminé à en finir à tout prix avec elle.

Le sabre s’érigea comme un aigle prêt à fondre sur elle, quand un javelin perfora la poitrine de l’assassin. Il s’écroula en renversant un braséro. Les braises commencèrent à enflammer une tente, où d’autres hommes continuaient à se battre. Dans la hâte, elle se redressa, ramassa le sabre et courut vers Farouk. C’était lui le lanceur de javelin.

A sa gauche, Farouk, à sa droite, Fianir, l’homme-foudre. D’autres Gardes Sacrés se resserraient dos-à-dos pour reformer une ligne de défense. Si les assaillants leur avaient infligé de lourdes pertes par traîtrise, ils reprenaient maintenant le dessus. L’incendie gagnait en importance en se propageant à une autre tente à cause d’une silhouette enflammée qui partit s’y réfugier en hurlant comme un damné. Dans un ultime assaut, une Ombre tenta de se jeter sur les sabres aramilans.  Elle ne réussit qu’à rencontrer la hallebarde de Farouk, lequel souleva le corps et fit levier pour le catapulter par-dessus leurs lignes.

Ce paysage aux lueurs vacillantes mêlait le bleu de la nuit à l’orangé des flammes. Quand la fumée se démultiplia en quantité anormale, le spectacle d'apocalypse fut complet. Les cris des Ombres se succédaient, fauchées une à une par un infiltré – notre cher caravanier.

Aux lueurs de l’aube, c’était l’heure du bilan. Sur une quinzaine d’hommes, sept avaient trouvé la mort. En plus d’Ellendrine, Farouk, Arno et Fianir, il restait Debra, la portebrume de nyctalopie que rien n’aurait pu surpasser à cette heure de la nuit et seulement trois autres gardes sacrés. Farouk souffrait de blessures légères mais ne se plaignait pas. Tous avaient perdu trop de compagnons. La dragée était amère. Mais l’on ne comptait plus les corps d’assassins vêtus de noir empilés près du feu. Une vingtaine, au bas mot. Il avait parfois été difficile de compter les morceaux. D’autres avaient pris la fuite.
Personne n’avait envie de parler en premier. Alors, Ellendrine finit par se dévouer.

-« Je sais que vous avez tous perdus des frères et sœurs d’armes cette nuit. Soignons nos blessures. Faisons les rituels funéraires et les prières pour les honorer et demander aux Douze de les accueillir aux portes de l’Isthe. Et avançons.
D’autres pourraient revenir. Doulek n’est plus très loin. »


Elle avait rassemblé sa chevelure emmêlée en un chignon lâche, tenu par une bande de tissus déchirée. Nul ne se formalisait de la transparence de sa tenue poisseuse sur le champs de bataille. Chacun en était encore à cautériser ses plaies et à tenter de récupérer ce qui pouvait l’être : armes et provisions. Des deux tentes qui avaient fini en cendres, aucune n’était celle d’Ellendrine, fort heureusement. Elle contenait une documentation précieuse concernant ce qu’elle avait pu rassembler au sujet du XIIIème Cercle, de Doulek et de l’Arbre-Dieu.

Après avoir fait ce qu’elle pouvait pour sa toilette et mangé quelques dattes, elle demanda à un Arno pâle comme la mort :
-« Est-ce que tout va bien, Arno ?... je sais que tu es un homme fait et qu’on te doit beaucoup pour cette bataille… mais tu as l’air vraiment ailleurs. »
En ce qui la concernait, elle n'était pas indemne. Elle se massait en permanence les poignets et les articulations de ses épaules lui cuisaient. D'ailleurs, elle avait serré (inutilement) si fort son sabre qu'elle peinait à ouvrir complètement sa main. Des muscles minuscules dont elle ignorait l'existence entre son pouce et son index étaient aussi durs que des aiguilles. Quant à ses genoux, ils n'arrêtaient pas de flageoler.

Le soleil commençait à se lever sur la canopée. Depuis longtemps les bruits de la jungle s’étaient ranimés. Le chant des oiseaux redonnait un peu de gaité suite au drame, convoyant les survivants jusqu’aux portes de Doulek.

Comme si leur arrivée avait été annoncée après cette nuit fracassante, des gardes les attendaient en colonnes aux portes de la ville.

-« Nous sommes les envoyés du tribun d’Etyr. Nous savons que l’archevêque de Doulek n’est pas encore rentré d’Opale. Aussi, moi, Ellendrine Brightwidge-Dalmesca, demande audience à son Sénéchal. Notre groupe vient d’être attaqué dans la jungle. Nous en appelons à votre hospitalité pour recevoir des soins et le logis… »
Jeu 2 Mai - 18:19

Excavation du passé de Doulek

Ellendrine & Arno



Vas-y tranche, tranche encore, baisse-toi. Miséricorde, c’est ça qui se passe, mais qu’est-ce que vous nous faites faire ? T’occupes mon mignon, on le soutient ! Mais tu vois bien qu’il est à bout ? La faute à qui espèce d’idiot ? Combien de fois on t’a dit que tu nous foutais à bout ? C’était quand même mieux quand vous fermiez vos clapets et que vous en preniez plein les mirettes non ? ça vous plait pas ce sentiment qu’enfin on pousse ce corps à son plein potentiel ? Pas vraiment non…

ça tourne, ça vire, mais il fallait bien se rendre à l’évidence. Si chef il y avait, même dans le lot ils ne savaient pas où il se trouvait en ce moment. Je dois avouer que je ne savais pas très bien où j’étais moi-même. J’orbitais autour du campement, élagant ce qu’il y avait à élaguer, poussé dans mon élan par les autres. J’avançais à l’instinct, des années d’entrainement encore fraîches dans ma tête, une lame toujours aiguisée. Ce n’était pas là que je me sentais le mieux, mais personne ne s'intéresse à ça. Mon royaume pour un lit et un verre, je vous en prie. Tu l’auras si tu nous sors de là crétin.

Aucun répit, aucun instant pour réellement reprendre son souffle maintenant, tu t’étais lancé là-dedans alors que t’aurais pu rester planqué derrière ton arbre après ton tour de force. à toi de t’en sortir maintenant… Toujours à vouloir bien faire, se faire bien voir, c’est là notre faiblesse.

Incroyable comme un maelstrom mental pouvait pourtant permettre aux gestes d’être d’une précision à la justesse folle. Le corps humain, quelle douce mécanique. Ce n’est qu’une fois qu’il ne restait du son que dans ma caboche que je réalisais. Le silence, troublé uniquement par le crépitement d’un feu non maîtrisé. Une tente quelconque, sans doute la mienne, dans laquelle de toute façon je n’avais rien entreposé de précieux.

Le silence donc et l’odeur de mort que même la plus épaisse des fumées ne saurait couvrir. Je titubais dans la lumière, me rattrapant autant que faire se peut à un tronc d’arbre. Quelques lames se tournèrent vers moi avant que Debra ne leur indique mon identité. Sans doute la seule à pouvoir reconnaitre votre serviteur à cette heure entre chien et loup, surtout quand ce dernier à plus du loup carmin que de l’agneau blanc. On souffle Arno, c’est bien, bon outil.

Je n’en demandais pas plus, dans un relent affreux, j’expulsais derrière l’arbre qui supportait mon poids. Était-ce un morceau de chair qui tombait dans la bile ? Bon sang Lucas… Aux grands mots… Personne ne vint contempler mon oeuvre, celle-ci, où la précédente, intérieurement je les en remerciais. Même si des regards entendus pouvaient laisser deviner que certains parmi les plus expérimentés restant n’étaient pas dupes. Je ne pouvais pas réapparaitre comme une fleur alors que l'on retrouvait les corps de certains de nos ennemis dans mon sillage.

Mais l’heure n’était pas aux questionnements, l’heure était aux comptes. On ramena les corps des lâches, joli carton si vous voulez mon avis, mais nous avions trop perdu dans la bataille. Le fait que, même par surprise, la Garde Sacrée ait pu se faire malmener ainsi était un problème. Pietro ne nous aurait pas envoyé avec des peintres. J’observais plus en détail les survivants, ils m’intéressaient plus que les corps à vrai dire. Une taupe parmi nous ? Ou quelqu’un au courant de notre itinéraire à la perfection ? Va savoir. Les mots d’Ellendrine me tirèrent de ma paranoïa naissante.

Que la Flamme éclaire votre route, que Keladron vous montre le chemin.

J'ai voulu aider à enterrer les corps ensuite, c’est au moment de saisir une pelle que je m’aperçus que mon épaule avait un angle étrange. Je sollicitais Fianir qui, avec une douceur toute aramilanne, me fit l’honneur de la remettre en place dans un craquement sinistre. Un mouvement maladroit, mais au moins pouvais-je à nouveau utiliser ce bras. Quelques coupures superficielles, des griffures de ronces et de mains, je m’en sortais plutôt bien une fois la couche de saleté sanguine vaguement nettoyée.

J’aurais tout donné pour une journée de repos, mais nous devions continuer. C’est à ce moment que la femme de Pietro vint me cueillir, dans cette fatigue lasse qui ne me quittait plus depuis des jours. Ainsi, elle aussi se doutait de mon “œuvre” dans la mêlée. Autant ne rien dire, n’étais-je pas le frère bourru et à moitié crétin après tout ? Le bouffon qui servait de marionnette au grandissime tribun d’Etyr ? Peut-être devrais-tu lui parler ? Elle y était avec nous, elle a laissé quelqu’un là-bas. Elle comprendra ! Non mais ça va pas la tête ? Qu’est-ce que vous voulez lui dire ? Non c’est pas la joie en ce moment, j’entends des voix, des voix qui ont décidé qu’elles étaient moi, qu’elles feraient mieux au commande ? Et si nous retournions à pieds joints dans les Limbes ? Ou mieux, qu’on laisser l’autre bourrin nous requinquer un peu à coup de biture, de bagarre de rue ou de passes avec des filles de petite vertue ? C’est certain qu’on serait mieux chez toi dans ton placard opalin à attendre qu’un énième docteur vienne demander service au tien. Et pourquoi pas simplement retourner à la mine, pas de réflexion à av…

SILENCE.


Troublé, je ne savais pas quoi dire, honnêtement, ça m'a pris un peu trop de temps à mon goût pour remonter le fil de la conversation, ces parasites attaquaient ce que j’avais de plus précieux avec leurs pourparlers incessants. Tout va… bien, j’ai vu pire. Disons que j'espérais un peu plus de calme après… Vous savez quoi, justifiais-je. Vous devriez manger quelque chose de plus consistant, vous allez calancher sinon. J’indiquais les dattes d’un mouvement de tête, le sucre c’est réconfortant, mais ça ne suffirait pas à effacer les affrontements d’une nuit écourtée. On s’enferme dans le silence donc ? Oui.

Nous étions tous marqués, petite troupe famélique à laquelle on avait arraché des membres. On sentait les formations moins précises, plus bricolées que vraiment maîtrisées. Je n’arrivais pas à m’enlever de la tête qu’il y avait un serpent parmi nous. La troupe finit par arriver à Doulek, être reçu par toute une compagnie avait presque quelque chose de comique, si ça ne voulait pas dire que nous avions été annoncées. Nous revoilà donc au centre des intrigues, là où nous étions revenus de là-bas. J’étais sur le qui-vive, déjà à la fin du trajet sur la jungle, mais encore plus ici. J’avais cherché à fuir cette ville aussi rapidement que possible la dernière fois. Je ne savais pas à quel point elle pouvait être gangrenée par nos ennemis. D’un regard fatigué, je détaillais le détachement envoyé à notre rencontre. Oeil pour oeil, je reconnaissais un éclat émeraude sous un casque, discret positionnement de la main dans un salut secret. Retrouvons-nous plus tard mon ami.

Aux demandes d’Ellendrine, les gardes ne furent que moyennement surpris, sans doute que quelques rumeurs d’un affrontement avait déjà réussi à atteindre les lieux ? Comment ? A moins que nous soyons finalement dans les temps par rapport à l’agenda prévu. On ne pouvait pas faire mine de ne pas entendre la demande de la compagne d’un Tribun. Les hommes de Doulek se mirent en action, nous indiquant une taverne dans laquelle nous pourrions trouver le gîte et le couvert. Pour ceux avec des blessures un peu plus sérieuses, la base de l’Escadrille dans la ville serait le plus indiquée.

J'atterris dans ce groupe-là, séparé des échanges qu’Ellendrine, Farouk et les moins amochés auraient de leur audience avec le responsable local. Je retrouvais dans ce simili hôpital de campagne l'œil vert du triton que j’avais croisé. Que m'avait dit l’Oasis déjà ?

J’espère que les nuits ici sont douces.
- Autant que les jours sont bleus.”


J’étais en présence d’un confrère, mais je savais que ce n’était pas celui qui était arrivé ici avant nous. Celui-ci était un autre sbire de mon Maître, je coursais celui d’une autre branche. Le triton profita de ce moment seul à seul pour bander mes plaies. Certaines paraissaient plus profondes que ce que j’avais bien voulu croire jusque-là. A voix basse, nous échangions, sur la situation locale, sur ce fruit gangrené que je m’imaginais. Il avait une vision plus douce, certes le ver était là, mais on savait où, ce n’était qu’une question de temps.

Un temps qui avait valu la mort à plusieurs Gardes sur la route, était-ce vraiment nécessaire ? Apparemment oui, quelques sacrifices ne pouvaient être évités. On ne fait pas d'omelettes sans casser d’oeufs. Je ricanais parfois, attendant de savoir quand on comptait m’utiliser dans cette cuisine infernale. La suite ? Je ne vais pas vous faire l’affront de vous l’expliquer tout de suite, mais vous vous en doutez. Le temple du père de Yodicaëlle Sarnegrave était devenu la clé de tout après la disparition de celui-ci. Si réponses il devait y avoir, elles seraient là, jusqu’à ce que le Treizième Cercle les déplace… Ou jusqu’à ce qu’un autre Caravanier ne mette la main dessus…

Jeu 2 Mai - 20:04


Excavation du passé de Doulek

Arno Dalmesca


Ellendrine possédait de nombreuses qualités. Mais elle n’aurait su détecter un éventuel traître ou gérer les questions de sécurité. Elle se savait néanmoins bien entourée, ne serait-ce que par Arno et Farouk, des hommes de sa « famille », qui feraient tout pour protéger l’essentiel. Ce lien idéalisé la rendait d’autant plus vulnérable au souci qu’elle pouvait se faire pour eux. L’espace d’un éclair, elle avait vu leurs deux vies défiler devant ses yeux, en plus de la sienne. Chacun avait dû lutter pour réclamer son droit à voir le prochain lever de soleil. Il aurait été bien prétentieux de croire que l’on pouvait empêcher un drame d’arriver aux autres membres de la compagnie.

Encore commotionnée, elle fit ce qu’elle faisait toujours. Rester forte. Pour ne pas s’effondrer, arque boutée sur sa foi, sur sa quête, sur ses idéaux. Et sa solitude. Devant les hommes, elle montrait un visage grave, communiait dans le deuil, reprenant le voile, pour donner un sens à l’horreur de la cruauté humaine. Plus qu’ébranlée, elle aurait voulu pouvoir se sentir vraiment utile. Après avoir entraîné les Aramilans dans un guet-apens du Cercle, la fébrilité la gagnait. Et si ces quêtes ne débouchaient que sur une impasse ? Si tous ces hommes s’étaient sacrifiés en vain ?

Alors, face à son beau-frère, qui était de la génération d’après, elle aurait voulu pouvoir jouer le rôle de la confidente sur laquelle s’appuyer. Il était déstabilisé après son voyage dans les Limbes. Comment pourrait-il ne pas l’être. Elle le savait. Elle y était !

Il n’offrit qu’une façade bourrue. Les hommes font souvent cela, n’est-ce pas ? Au fond, elle aurait aussi voulu pouvoir réussir à s’ouvrir. Ce n’était pas son fort. A Farouk non plus. Et de cette relation indéfinissable d’amitié, elle restait cependant l’employeuse.

Elle se contenta de prendre le conseil d’Arno en prenant une galette de sorgho fourrée aux légumes, avant que la fournaise de les avale sur la route…

Doulek les accueillit comme les frères qu’ils étaient. Aramilans. La diligence pour les guider aux commodités était à la hauteur de leur rang. Assez vite leur groupe amaigri se retrouva scindé en unités encore plus petites alors que les blessés partaient du côté de l’Escadrille et que le reste était dirigé vers l’auberge locale. C’était l’occasion fugace d’apprécier la beauté de ce pays, Doulek la Verte. Quelques lianes s’invitaient sporadiquement entre les bâtiments, dès que les rangs des habitations se desserraient. La promenade aurait pu être particulièrement agréable en passant sous les cahutes étagés et les guirlandes de drapeaux. Le tout embrassé par les fraîcheur végétale qui manquait tant à la ville capitale.

La fatigue et la tension se lisaient sur les traits. Fianir, Debra, Farouk et Ellendrine suivaient la procession de gardes et d’enfants curieux jusqu’à l’auberge, où elle eut la surprise de voir le Sénéchal la cueillir de salutations courtoises. Imrad Khadirov était un homme musclé et de grande stature. Son allure sévère était compensée par une hospitalité ronde et généreuse.
-« Dame Ellendrine. Ce serait une honte de vous laisser à l’auberge en compagnie des hommes et des dromadaires. Acceptez de venir loger dans ma demeure. »

Après une brève considération pour l’audience de leur échange, elle tenta de refuser poliment.
-« Sénéchal Khadirov, votre hospitalité vous honore. Je souperai avec plaisir avec votre famille. Mais je ne suis pas femme difficile. La belle suite de l’auberge me suffira. »

Comme il insistait, elle ne voulait pas le voir prendre ombrage de son refus, ni étirer cet échange de bagatelles devant le public. Elle accepta. Mais sous le regard oblique de Farouk, elle comprit qu’il n’accepterait pas de l’abandonner et annonça clairement la couleur. Après ce qui venait d’arriver, peu importe le quand dira-t-on, son garde du corps dormirait au pied de son lit s’il le fallait.

Les heures suivantes furent consacrées au repos et à la toilette. L’abrasivité du sable sur la peau et les restes de sang séché furent nettoyés, parfumés d’onguents à la rose et à la vapapule. Le Sénéchal avait demandé aux domestiques de lui faire monter des seaux d’eau pour son bain… Quand elle vit la robe très raffinée en dentelle semi-transparente tissée de perles blanches, elle abandonna ses guenilles d’archéologue dans le coffre clouté.

La famille Khadirov se composait d’une épouse délicieuse, mais pas très portée sur les sujets qui fâchent et de trois beaux enfants bruns, dont deux très turbulents se voyaient déjà couler des navires epistotes comme corsaires. Ellendrine avait insisté pour que Farouk trouve sa place à ses côtés et non à la table des domestiques, ce qui avait jeté un léger froid. Ce genre de demande étant des plus inhabituelles. Imrad fini par venir la questionner habilement sur les remugles d’Opales et des Limbes. La soirée prit donc un tour beaucoup plus sérieux, mais sans incident majeur. Si ce n’est qu’Eridya, la femme d’Imrad sembla lui lancer une pique sur ses croyances hérétiques. Ou alors la critique portait-elle sur le fait qu’elle ne démente pas avec assez de véhémence les accusations portant sur son hérésie présumée ?

Ces procès d’intention la gonflait copieusement. C’est dans ces instants là qu’elle faisait ressortir son blindage Brightwidge. Mais on en revint à ce qui l’intéressait :
-« Merci de m’ouvrir les portes votre maison et pour ce repas réconfortant après l’attaque du Cercle… cette parenthèse ne doit pas nous faire oublier notre objectif vital pour la nation. J’aimerais visiter le Temple de Doulek. Nous avons des indices laissant penser que la terroriste Yodicaëlle Sarnegrave a un lien avec son passé. »

Impossible de feindre la légèreté après avoir associé leur cité et le terrorisme. Elle avait mis les pieds dans le plat. Les enfants furent envoyés au lit et le dessert expédié en toute cordialité. De toute façon, Farouk et Ellendrine était trop épuisés pour tenir plus longtemps les mondanités.