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Fuite essentielle - Post Yfe

Fuite essentielle - Post Yfe Brandw10
Mer 3 Jan - 0:51

Le retour tant attendu à la capitale, lieu tumultueux pour cet homme dont les origines restaient encore mystérieuses. Mais pour la première fois, Artémis apprécia le retour en ces lieux. Arriver à Opale mettait un trait définitif à leur mission dans la tour d’Yfe. Ils avaient survécu à cet enfer et pourraient recommencer leur vie.

Joie de courte durée quand il aperçut les dégâts subis dans la capitale. Au loin, il aperçut Reno, manifestement fort éprouvé par ce qu’il avait vécu. Mais surtout, il y avait d’autres soldats qui les attendaient. Tous avaient des comptes à rendre à leur nation, à leurs chefs. Le vagabond, lui, n’avait personne à qui faire un rapport. Par ailleurs, ses yeux s’écarquillèrent en croisant ceux de Jessamy, peut à l’aise avec la situation. Il se rappela sa prime. Si les soldats mettaient la main dessus, même si elle était proche de l’Alliance, on tenterait de lui mettre les attentats sur le dos. Ceux à bord ignoraient tous ce qu’il s’était passé sur Opale durant leur absence, mais connaissant l’Homme, les raccourcis pour accuser les nouveaux arrivants seraient nombreux.

Usé, à bout de force, le Portebrume tenta de mobiliser ses dernières forces pour réfléchir. Jeremiah ne craignait rien et rapporterait précisément tout ce qu’il s’était passé, même l’existence du cristal d’Omniscience et de ses pouvoirs. Nemeth, aussi bonne manipulatrice religieuse qu’elle était, s’en sortirait sans encombre. Lëwen et Kêsha, en bons epistoliens, érudits et bons élèves, devraient eux aussi s’en sortir sans encombre. Quant à Ryker, c’est le parfait patrouilleur, son rapport sera certainement parfait et ravira son employeur. Restaient un pauvre vagabond assez louche et une mutante primée. L’un pouvait compter sur Réno, maître de la guilde des Aventuriers, qui pouvait éventuellement le sauver d’un interrogatoire mal tourné.

Tandis que le zeppelin survola la ville en flamme, préparant ainsi sa phase descendante, Artémis se leva de son fauteuil s’installer aux côtés de Jessamy. L’avantage était que peu osaient s’approcher d’elle, certainement en raison de son parcours et de ce qu’elle était, la laissant souvent à l’écart des autres. Il s’installa sans piper mot au début, puis son regard perçant se dirigea vers celle qu’il considérait comme son amie.

« La situation est désastreuse en bas. Nous avons quitté un enfer pour en retrouver un autre. Sur la terre ferme, des hommes nous attendrons pour nous interroger, c’est quasiment certain. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ici, mais le lien avec le Régent et notre expédition est relativement évidente. Nous sommes des suspects. Parmi ces suspects se trouvent un coupable de premier choix. »

Il était inutile de préciser qu’il faisait mention d’elle.

« On doit rapidement trouver un moyen de t’exfiltrer. Dans quelques minutes, nous serons entre les mains de ces braves soldats qui nous attendent avec impatience. J’en frissonne d’avance. », fit-il en esquissant un léger sourire qui n’eut rien de sympathique.

Il regarda droit devant lui, plus précisément en direction d’un des hublots, duquel on pouvait apercevoir un pégase au pelage noir voler aux alentours du zeppelin. Une idée émargea alors de l’esprit de l’homme aux cheveux de suie. Cette fois-ci, ce fut avec un sourire espiègle qu’il se retourna vers la mutante.

« Il existe peut-être une solution. »

Ven 5 Jan - 13:17

Sa main griffue se pose sur l’encadrure du hublot ; le verre froid contre sa peau lui rappelle qu’elle ne rêve pas.
Opale fume.
Opale est éventrée et les miasmes sulfureux de ses viscères mises à nu se mêlent aux nuages.
Jessamy s’est détournée de ses camarades, l’étrange rictus reflété par la fenêtre. Elle devine l’horreur qui gangrène ses camarades. La stupeur de voir la grande cité, si certaine de son impunité et de sa grandeur, défigurée par… par quoi ? Quel être, quelle chose pourrait creuser une telle plaie ?
Qui doit-elle féliciter ?

Un frisson naît de son ventre pour remonter dans son échine. Voir Opale souffrir lui inspire une joie féroce, et une terreur primale. La mutante retient un rire nerveux. Elle sait comment réagissent les monstres blessés. Elle sait qui sera mordu le premier. Le Régent disparu, Amir en pièces dans son tombeau de métal, Jessamy n’a plus d’espoir de s’attirer les faveurs des autres cités. Opale aura besoin d’un coupable. Un rejeton renégat sur lequel déverser toute sa colère. Elle déglutit. Pense aux mots sages et prudents de sa mentor. Frissonne. Tandis que le zeppelin débute son atterrissage, elle a l’impression d’assister à sa propre chute.

Aux côtés de la fille bâtarde de la cité aux Mille Lumières, une ombre se glisse. Artémis est le seul qui comprenne. Nous avons quitté un enfer pour en retrouver un autre. Elle-même n’aurait pas mieux dit. Lui aussi a deviné qui serait la créature sacrifiée, celle que l’on accusera des plaies pour mieux les panser. Ici, elle n’est qu’un matricule. Un cobaye évadé, une pauvre petite chose ingrate qui devrait sagement revenir dans le giron de la Science au lieu de se rebeller.

Son visage inquiet se tourne vers Artémis. Son pouce caresse le bec de sa canne tandis que, bouche bée, elle l’écoute parler d’évasion. Alors qu’une bourse pleine d’Astras l’attend sur le tarmac, le Loup blanc si taciturne préfère y renoncer. D’autres, dans cette pièce, n’auraient peut-être pas hésité à l’emprisonner. Qu’importe ce qu’ils ont pu vivre à la tour d’Yfe : leur serment a condamné leurs souvenirs au secret.

Suivant le regard fauve du chasseur, Jessamy aperçoit, elle aussi, la silhouette du pégase à la robe de nuit fendre le ciel. Ses prunelles oscillent entre l’apparition et l’homme au visage rayonnant. D’une voix blanche, elle articule :

« Ne me dis pas que… »

Sa lèvre inférieure tremble légèrement. Elle se souvient l’avoir entendu évoquer « Ablette », une présence qui devait l’attendre près de la tour d’Yfe. Serait-ce elle, cette amie qui les poursuit sans relâche, comme rattachée à Artémis ? Est-ce vraiment lui, d’ordinaire si réservé, qui lui suggère une échappée aussi rocambolesque ?

La ville et ses flammes se rapprochent.
Jessamy pourrait presque entendre ses cris.
Pas le temps de paniquer, ni de s’interroger sur cette soudaine générosité. Elle ne crachera pas sur une tentative d’arracher à nouveau sa liberté. Visage fermé, elle répond :

« D’accord. Dis-moi ce que je dois faire. »

Lun 8 Jan - 21:40

Jessamy semblait également consciente de sa situation. Atterrir et se rendre à Opale était synonyme de condamnation, au pire de mort, au mieux d’emprisonnement. La tuer semblait quasiment impossible, mais comme ils avaient trouvé le moyen de tuer le Reclus, ils trouveraient le moyen de neutraliser son sort d’immortalité. Artémis eut un léger frisson en imaginant les nombreuses décennies que pourraient passer son amie à subir des tortures inhumaines. L'Homme et sa cruauté... Dans le regard de la mutante, si beaucoup n’y lurent rien, le vagabond y vit des remerciements et une envie de s’en sortir.

Il se rapprocha discrètement d’elle pour être certain de ne pas être entendu des autres. S'il pouvait avoir confiance en quelques-uns, ce n’était pas le cas de tous. Jeremiah, par exemple, n’hésiterait pas à vendre la mèche. Non parce qu’il était méchant, mais simplement parce qu’il était voué à servir Opale comme un animal domestique. L’appellation exacte était plutôt par « patriotisme ».

« Tu vas te rendre dans le sas d’évacuation, seule. Dans quelques minutes, je dirais aux autres que ta disparition m’inquiète et que je vais vérifier si tout va bien. De là, tu actionneras le bouton d’urgence, tu m’attaqueras pour rendre la scène authentique et tu sauteras. Je sifflerai Ablette qui te récupèrera en plein vol. »

Il esquissa un léger sourire.

« En temps normal, c’est moi qu’elle récupère en plein vol. Mais rassure-toi, elle a confiance en moi, alors quand je la siffle, elle sait que j’ai besoin de ses services. Logiquement, elle te ramènera directement dans mon repère, à l’abri des regards indiscrets. Quand tu y seras, fais comme chez toi. C’est assez rudimentaire, mais tu y trouveras le nécessaire. Je t’enverrai Œil-De-Nuit pour veiller à ce que rien ne t’arrive et ça me fera une connexion avec toi. »

C’était à la fois l’option la plus dangereuse et la plus sûre à la fois. Si Jessamy posait un pied à terre, c’en était probablement fini pour elle. Si elle parvenait à se réceptionner sur Ablette, sa liberté serait quasiment certaine. A moins qu’une troupe de Drake survolât les alentours, mais ils n’en avaient pas vu pour l’heure. Concernant Œil-De-Nuit, c’était simplement pour l’accompagner dans sa fatigue. Sinon, le vagabond savait pertinemment que la mutante recherchée n’avait pas besoin d’aide pour se défendre. Elle avait survécu à bien pire que quelques bêtes dans une forêt en-dehors de la Brume.

« Si cela te convient, je te laisse t’en aller. », fit-il en maintenant les bras croisés. « Et Jess’. Fais mine d’être songeuse, perdue dans tes réflexions, hein. »

Artémis n’était pas le meilleur des metteurs en scène, il avait un certain sens pratique de ce que devait représenter une comédie. Il ne montra rien pour ne pas transmettre ses angoisses, mais il n’était pas des plus rassurés pour son amie. En cas d’échec, c’était la dernière qu’il pourrait lui adresser la parole. Il resta stoïque, le regard toujours fiché en direction du pégase qui s’amusait autour du zeppelin.

Ven 19 Jan - 19:25

Docile, Jessamy écoute. Chaque syllabe, chaque directive s’imprime avec précision dans son crâne et la réalité lui paraît pourtant intangible. Elle regarde Ablette s’ébrouer dans son terrain de jeu, et un soupçon de jalousie lui pince le cœur. Avoir échoué à la doter du même pouvoir, voilà qui vaudrait bien au Magistère d’être éventré et brûlé. Et si elle fait confiance à la jument ailée pour la réceptionner au signal de son cavalier, son ventre se serre à la simple idée de sauter dans le vide, à des centaines de mètres d’altitude. La mutante n’imagine pas dans quel état elle serait si elle s’écrasait. Et n’a pas vraiment envie de savoir si le cristal saurait recoller les morceaux. Nourrir la terre lui semble toujours plus enviable que de finir dans une cage aux murs froids, mais elle n’y est pas encore prête.

Seules ses lèvres bougent pour réponse. Elle aurait bien envie de hocher la tête ou de sourire au petit nom, mais elle sait ses expressions scrutées. La moindre promiscuité pourrait mettre en péril son échappée.

« Bien sûr. Après tout, mon cerveau tordu de mutante est en train d’imaginer un plan d’évasion spectaculaire. », fait-elle.

Son regard croise celui du chasseur dans le reflet du hublot.

« La prochaine fois qu’on se croise, bouche-toi bien les oreilles. »

L’imposante présence d’Artémis s’éloigne, et à nouveau, Jessamy se retrouve seule avec ses pensées. Il n’est pas difficile pour la mutante d’être aux abois : ses phalanges contractées sur sa canne, elle pince les lèvres, n’ayant d’yeux que pour l’extérieur. Tendue, elle a tout l’air d’une prisonnière en sursis. Elle frissonne en repensant au Reclus, à ce à quoi il avait été réduit après des années de solitude. Son cristal porté en héritage, elle refuse néanmoins d’emprunter son chemin.

La créature fait volte-face, puis se penche sur son paquetage. La force violacée de la spatiokinésie s’active dans sa dextre alors qu’elle s’en empare, aspirant son sac et tout son contenu, pour le mettre dans une poche intérieure de son manteau d’hiver. Son vêtement sous le bras, elle se dit qu’elle pourrait avoir l’air suspecte ou tout-à-fait ordinaire selon celui qui la regarde : dans tous les cas, comme quelqu’un qui ne laisserait pas ses affaires à la merci de tous. Un mercenaire pourrait comprendre cela, mais d’autres pourraient y voir une fuyarde. Il fallait faire vite.

« Je vais au petit coin. », lâche-t-elle avant de disparaître dans les couloirs du zeppelin.

❖❖❖


Son manteau sur le dos, canne à la main, Jessamy attend.
Dans le sas de secours, les vibrations de l’engin se font plus fortes sous ses pieds, se répercutant dans tout son corps. Les portes qu’elle s’apprête à s’ouvrir semblent la menacer dans son dos.
Ses paupières se ferment tandis qu’elle se concentre sur sa respiration. Inspire. Expire. L’air s’injecte dans ses poumons pour mieux s’enfuir. Sa main libre, moite, se colle contre le mur, juste à côté du levier d’activation. Ses cordes vocales la démangent.
Prêtes à frapper.

Mar 23 Jan - 14:54

Alors que Jessamy se retira, le vagabond resta installé sur son fauteuil, le regard face au hublot. Il regardait son pégase virevoltait, danser à travers les nuages, songeur. Ablette comprendrait-elle que Jessamy devrait être secourue ? La mutante avait tendance à effrayer les inconnus aux premiers abords. Le pégase était craintif de son côté. Ce sera pour lui l’occasion de tester la confiance que lui portait son compagnon. Si le Portebrume n’ignorait pas que son amie portait le cristal divin d’immortalité, il ignorait cependant s’il lui permettait de résister à une chute de plusieurs miles. D’ailleurs, y survivrait-il lui-même ? Il n’osait l’imaginer.

Après un temps qu’il estima suffisant, l’homme aux cheveux d’albâtre décida qu’il était temps.

« Ces mutants… Tss. Se croit-elle seule à avoir besoin d’évacuer ses déchets ? », pesta-t-il d’un regard noir. « Je vais voir ce qu’elle fabrique. », fit-il sans vraiment attendre de réponse de ses camarades.

Dans cette partie du vaisseau, on pouvait réaliser à quel point la vie de chacun ne tenait à rien. Les vibrations y étaient bien plus importantes, la ferraille grinçait énormément, à sa demander comment l’ensemble tenait. Au bout de ce couloir, un espace un plus large dans lequel se trouvait le sas de secours. En son sein, Artémis y trouva sa vieille amie, attendant patiemment sa venue. Sans perdre un seul instant, le Portebrume appuya sur le bouton d’urgence, déclenchant une horrible alarme, mais surtout l’ouverture du sas. Le zeppelin vibra davantage encore et le vent s’engouffra violemment dans l’appareil. La mutante et le vagabond durent s’accrocher à des lanières pour ne pas être emporté. Artémis siffla un bon coup.

« Quand tu seras sur son dos, chante-lui Une nuit au pays des Nains. Elle s’apaisera. »

Un moment silencieux, suspendu à travers le temps. Des échanges de regards. De l’inquiétude.

« Il est temps, Jess’. », coupa finalement Artémis.

Il lâcha la lanière et se protégea les oreilles avec ses deux mains. Il ferma même les yeux. L’instant suivant, un choc, un assourdissement, puis de l’étourdissement. Du sang dans ses mains. Même en les protégeant, ses tympans ont été touchés par cette attaque. Rien d’irréparable, chuchota le Nebula. Jessamy, elle, avait tout bonnement disparu. Rassuré, le Portebrume esquissa un sourire malgré l’affreuse douleurs qui le tiraillait. D’ici quelques minutes, tout ira bien mieux pour lui, mais qu’en était-il de la mutante ? Ablette l’avait-elle réceptionnée ?

Sam 9 Mar - 14:01

Le métal du zeppelin grince en rythme sous les pas qui se rapprochent. Les entrailles de la mutante se serrent. Elle s’accroche comme elle peut à la paroi du vaisseau, les jambes légèrement pliées. Chaque vibration se répercute dans ses os et lui fait claquer des dents. Subir les borborygmes du monstre pour qu’il la recrache aux mains de sa génitrice, ou s’échapper de son ventre en tombant dans le vide ?
Sa mâchoire se contracte.
À choisir, l’une des deux options la fera mourir libre.

Des ombres de l’enclave, jaillit la silhouette robuste et grisâtre d’Artémis. Sa main ferme ouvre sans sommation les portes derrière elle, qui coulissent dans un grincement déchirant. Le vent glacé s’engouffre dans le sas et tente de la happer comme l’on attrape un insecte. Sur ses yeux pleurant à cause du froid, ses paupières se referment violemment. Sa respiration s’accélère. Le visage giflé par ses cheveux, les plumes dressées, le myocarde tambourinant à ses tempes, Jessamy s’accroche au regard fauve et déterminé de son complice. Elle fait tout pour ne pas regarder en arrière, vers la présence qui la tire de ses grandes mains froides.

Sifflement. La mutante comprend qu’il appelle Ablette, avant de s’adresser à elle. Sa tête acquiesce mollement, alors qu’elle se remémore la chanson apprise aux comptoirs de Xandrie, dans les troquets poisseux où se retrouvent rebelles, chiendent et laissés pour compte.

Pendant un instant, elle se sent reliée par un dialogue silencieux à Artémis. Ses phalanges percluses par le froid peinent à lutter contre le froid, et elle sent la peur lui comprimer la cage thoracique. Les lèvres du chasseur se desserrent une dernière fois. Il est temps.

Jessamy inspire un grand coup. Ses poumons se gonflent du vent glacé et sauvage, du chant viscéral des sœurs carnassières. Sa gueule s’ouvre en grand, poignards en éventails, et à la face de son ami elle hurle toute sa terreur. Le cri porte en lui la force d’un essaim de Banshees ; sa mâchoire endolorie recrache un souffle corrosif. De son poitrail, une centaine de battements d’ailes à la finesse d’un rasoir se libère en lui étrillant la gorge. Le cri des Banshees est plainte sépulcrale, annonce de mort faite chant, de la bouche des survivantes aux traits de fantôme. Artémis n’aurait pu y survivre sans son avertissement.

Sa bouche se ferme dans un claquement. Ses épaules s’affaissent. Son cœur s’apaise. Ses phalanges se déplient, et le vide l’emporte.

Les yeux fermés, elle sent son corps brinquebalé par le vent. Elle imagine les pointes menaçantes des maisons d’Opale se rapprocher à toute vitesse. Ferme les yeux plus fort.
Soudain, un choc. Son corps couché contre un autre.
C’est chaud. Doux.
Ses yeux se rouvrent et ne voient que noirceur.
La crinière d’Ablette lui fouette le visage, tandis qu’elle s’est accrochée comme par réflexe à son encolure. Son regard dévie vers l’une de ses ailes, dont les plumes glissent avec aisance sur le courant. La joie explose dans sa poitrine.

« J’y crois pas ! On a réussi ! »

Qu’elle s’écrie, avant d’être secouée dans un rire incontrôlable. Le caquètement fait s’ébrouer la jument, qui manque de désarçonner sa cavalière. Le souffle un instant coupé, Jessamy s’agrippe à ses crins. Aussi serviable qu’elle soit, Ablette doit peu goûter la présence inconnue sur son dos. Les pieds appuyés contre ses flancs, la mutante se couche sur son encolure, et ses lèvres s’entrouvrent pour lui chanter sa mélodie préférée.

❖❖❖


Les sabots d’Ablette se posent avec douceur dans la poussière. Jessamy se maintient comme elle peut en s’accrochant à sa crinière, son assiette mise à mal par le roulement des muscles du dos de sa monture. Le duo se retrouve bientôt encerclé par la forêt opalienne. La mutante lève le museau vers les cieux déchiquetés par les cimes. Réalise à peine ce qu’il vient de se passer. Elle se sent flotter, emportée par l’allure paisible de la jument.

Bientôt, Ablette s’arrête devant une cavité qu’elle devine être l’entrée du repaire d’Artémis. Les restes d’un feu de camp trahissent la présence humaine. S’allonge pour que Jessamy descende de son dos sans encombre. Appuyée sur sa canne, elle soupire de soulagement lorsque ses pieds retrouvent le sol. Ses jambes tremblent, pourtant. Elle inspire, inhalant le musc de l’équidé, mélangé aux odeurs de la sylve. Bien loin du vacarme mécanique du zeppelin. Plus loin encore de la tour d’Yfe et de son cimetière sans fin.

Sa lèvre inférieure frémit. Jessamy se tourne alors vers Ablette pour lui enlacer l’encolure, avant de poser le front contre son chanfrein.

« Merci. », souffle-t-elle.

À petits pas, elle fait volte-face et se glisse entre les pierres.

Dim 31 Mar - 13:13

Suite à l’ouverture du sas et l’écho provoqué par l’attaque de Jessamy, des membres du personnel de bord arrivèrent tout haletant, afin s’enquérir du problème survenu. Ils trouvèrent Artémis allongé au sol, les oreilles légèrement ensanglantées. Heureusement, les pouvoirs octroyées par sa Nebula permirent de soigner ses petits problèmes auditifs et de recouvrer la vue. Après un léger regard sur l’extérieur, un officier de bord referma le sas et un autre aida le vagabond à se relever. Ils l’emmenèrent auprès du reste de la bande qui, plus ou moins curieux, attendaient des explications. L’homme aux cheveux d’albâtre cessa de feindre son mal-être et se détourner de l’aide de l’homme qui l’aider à tenir debout. Les explications, donc.

« Jessamy semblait troublée depuis le départ de la tour. J’ai essayé le mystère derrière cet état, comme je la connais depuis quelques temps. Hélas, absolument n’en est ressorti. », fit-il en baissant la tête, feignant un grand désespoir. « Alors, quand elle me dit vouloir faire ses besoins, je craignais le pire, surtout après de longues minutes sans nouvelle de sa part. C’est pourquoi j’ai disparu à mon tour. Lorsque je l’ai retrouvée, il était déjà trop tard. Le sas était ouvert et il m’a aussitôt attaquée avant de sauter dans le vide. Je n’ai pas pu voir ce qu’il était advenu de sa personne. Quant à savoir les motifs de cette fuite désespérée, j’y ai réfléchi quelques instants et c’est finalement assez évident. Opale a mis une prime sur sa tête. »

Ils en restèrent là. Les raisons de sa fuite furent évidentes et si Artémis avait été complice d’une quelconque façon, ils s’en moquèrent. Quand on sortait d’une expérience comme celle qu’ils venaient de vivre, sans forcément devenir de grands amis, un certain respect et une certaine fidélité s’instaurait. Tous devaient être d’accord pour que Jessamy s’envolât loin de ses bourreaux. Sauf Jeremiah. Après tout, elle avait aussi pleinement contribué à la réussite de cette mission. Réussite, certes discutable, mais ils étaient – presque – tous en vie. Rassuré, l’homme au sang-froid inébranlable qui, jusqu’à présent, semblait porter le poids du monde sur ses épaules, s’écrasa contre le fauteuil et se délesta de toute pression.

Le zeppelin entama alors sa phase d’atterrissage. Sur place, il en était absolument certain, une horde de soldats les accueilleraient pour les mener vers des chambres, pour se reposer officiellement, mais pour ensuite les interroger officieusement. Artémis ne bossait pour personne, si ce n’est pour lui-même et la préservation de ce monde. Cette quête de la haute dangerosité, contrairement à d’autres plus tranquilles, ne lui rapporta rien. Il n’avait de compte à tenir à personne. Reno Callaghn, maître de la Guilde des Aventuriers, le savait pertinemment.

L’atterrissage se déroula sans encombre. Comme prévu, des soldats les aidèrent à descendre, à porter leurs maigres bagages. Mais Artémis resta en arrière. « Je ne vous accompagnerai pas, camarades. Nos routes se séparent ici-même. Pour le moment, du moins, car nous sommes amenés à nous retrouver en des terres plus hostiles encore. », fit-il en laissant planer un sous-entendu lourd de sens. Un des soldats lui ordonna malgré tout, de manière assez maladroite, de les suivre. Constatant, non sans crainte, que le vagabond ne bougea pas d’un iota, il se décida d’aller le chercher lui-même. Alors, les cheveux de suie d’Artémis se mirent à vibrer et des canines se firent plus présentes que d’ordinaire. « Approchez encore un peu, officier, et je vous promets que vous ne reverrez pas votre famille à l’aube. », lâcha le Change-Peau d’un ton sanglant.

« Allons, allons. Laissez-le partir, officier. Je m’engage personnellement à recueillir le rapport de cet homme. Ne le tentez pas. Il ne fera qu’une bouchée de votre personne, comme l’ensemble des personnes ici présentes. Vous n’imaginez probablement ce qu’ils ont traversé pour s’en sortir. », lança une voix des plus familière, celle de Reno, qui avait probablement senti qu’une situation pareille allait se produire.

Artémis lui adressa un regard avant de disparaître dans la faune locale. Quelques instants plus tard, un pégase noir fut aperçu dans les hauteurs pour s’enfoncer davantage dans la forêt. « Bravo, ma douce. », lui dit-il en caressant son encolure. « Tu as sauvé une âme innocente. » Et ainsi, ils volèrent face à un magnifique lever de soleil, dansant au gré du léger vent du nord. Ablette se mit alors à repiquer vers le cœur de la forêt, avant de finalement délicatement se poser à l’entrée de sa grotte. En prenant soin de ne pas être vu au jour, Artémis sentait que son ami se tenait à l’ombre, très proche de l’entrée pour observer son arrivée.

« Tu es ici en sécurité, Jess’. Pour le moment du moins. Vu les dégâts observés dans la capitale, je ne pense qu’une recherche sera lancée de sitôt. Ils doivent sécuriser les lieux et commencer la reconstruction des bâtiments. Personne n’a été épargné… »

Il s’approcha de la mutante. Ablette brouta de l’herbe non loin d’eux, enfin libre de faire ce qu’elle voulait. Comme souvent, le Change-Peau matérialisa son esprit animal, Œil-De-Nuit, qui était un parfait détecteur de danger. Ainsi, il pouvait entièrement se détendre. Il invoqua Vilain, son Yearrk, pour chasser aux côtés du canidé. Maintenant tranquilles, les deux partenaires pouvaient converser le plus librement possible. Le vagabond proposa un en-cas en attendant les récoltes de la chasse pour le déjeuner. « Comme je te le disais, tu es ici en sécurité et la bienvenue. Si un danger approchait, on aurait largement le temps de le voir arriver et d’anticiper ta fuite. Vient alors ma question : que prévois-tu de faire à présent ? »