Light
Dark
Bas/Haut

Les mains dans la glaise

Les mains dans la glaise Brandw10
Lun 25 Sep - 4:58



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Il y avait bien des choses qu’il n’était pas, mais s’il était bien quelque chose, c'était prudent. Jamais il ne s’attardait dans des ruelles solitaires, sauf à se fondre lui-même dans la pénombre pour déjouer la traque de prédateur errant en quête d’une victime à détrousser. Jamais il ne restait au déclenchement d’un signe d’hostilité, annonciateur d’altercations meurtrières dans les bas-quartiers. Et jamais il n’étalerait sa fortune récente de manière inconsidérée aux yeux de tous.

Sa vie ne tenait déjà qu’à un fil. Franchement, il était inutile de rajouter une prise risque. Si ce n’est que son nouveau travail d’espion pour Reyes le poussait dans ses derniers retranchements. Espionner la famille Oystein, et surtout ceux qui s’estimaient lésés, offensés ou tout simplement jaloux de leur bonne fortune, n’avait rien de simple pour un débutant scrupuleux.

Il avait déjà exploré plusieurs pistes de bout en bout, certaines ne menant tout simplement nul part, d’autre peinant à décoller de la case départ par manque de contacts ou de moyens d’action. Il avait toutefois réussi à obtenir de petits succès ici et là pour connaître les habitudes de Prune et de son père Olivier. Ils savaient désormais comment ils étaient perçus globalement par la réputation, les rumeurs et leurs actions. Tout cela, Reyes le savait déjà.

Mais dans les bas quartiers, il commençait un peu à piétiner. La seule information saisissante qu’il ait amassée était l’identité réelle de Reyes. Rien que ce nom pourrait le faire tuer : Ekiel.

Ekiel Reyes Zadicus, le ministre des affaires étrangères de Xandrie apparaissait dans les gros titres de la gazette des Dunes. Il avait d’abord reconnu son portrait avant de parvenir à déchiffrer les caractères d’imprimerie mot à mot, usant même de son précepteur en lecture pour aborder la lecture des journaux qui l’intéressaient. Comment Ekiel avait-il pu lui confier ce sujet de recherche précis s’il n’entendait pas être démasqué ? Peut-être était-ce justement de cela qu’il s’agissait, un test !

Il avait feint l’ignorance de son mieux en se montrant évasif lorsque l’intéressé s’était invité dans son logement sans un bruit à travers la fenêtre, avant de se glisser dans ses draps…

Tout cela pour dire que le temps passait, très vite. Il ne lui restait que deux semaines pour remplir sa mission. Il n’aurait jamais le temps de débusquer les envieux et les ennemis des Oystein prêts à en découdre, ni d’épouiller la liste des nombreux prétendants. Keshâ avait besoin d’un remède de choc. La Cour des Miracles.

Il les fuyait comme la peste et le choléra. Mais les mutants et sectateurs de R., bien connus de réputation, avaient des yeux et des oreilles partout en plus de grands moyens. Peut-être pourrait-il s’attacher leurs services sans trop se compromettre ?

Le bang bang décadent de leur musique et les faisceaux lumineux tranchaient l’air brumeux de la nuit. Sous les cris et applaudissements extatiques, il ne put que faire demi-tour en voyant les airs patibulaires des videurs armés à l’entrée de l’entrepôt. Rien n’indiquait qu’on le laisserait ressortir vivant s’il parvenait à les convaincre de l’inviter. Rien n’indiquait non plus qu’il ne souhaiterait pas être déjà mort une fois qu’on l’aurait mené à eux.

Alors il se replia, pour réfléchir à une solution plus sûre. Quand il y aurait plus de lumière, moins de bruit et de monde et qu’il ne se sentirait pas pris comme un rat, peut-être qu’il trouverait le courage de revenir. Il devrait aussi penser à quoi leur offrir sans dépasser les bornes.

Le lendemain, il observa donc une gamine de douze ans acheter du crack au « bec de perroquet ». La mutante lui donnait des frissons, mais elle n’irait sans doute pas l’attaquer au milieu d’une rue achalandée. Elle lui annonça d’office son prix lorsqu’il se mit face à elle. Mais il ne voulait pas de ses cachets ou de ses poudres.
-« Je voudrais voir R. Ou en tout cas, je voudrais voir quelqu’un qui prenne des décisions dans votre organisation locale. S’il vous-plaît… »

Elle inclinait drôlement la tête pour mieux le regarder. Car ses yeux ronds étaient trop écartés. Il voyaient ses pupilles étrécies se contracter et se dilater. Comme elle ne disait rien, il finit par ajouter : « C’est pour un deal. Mais pas de drogue. Des informations. »

La femme perroquet caqueta et fit claquer sa langue épaisse en signe de réflexion. Ou alors c’était un signal lancé à de mystérieux acolytes. Quelqu’un arriva derrière lui sans qu’il l’ait remarqué pour lui barrer la retraite. Le mutant gorille lui indiqua qu’il allait être fouillé un peu à l’écart et chatouillé pour vérifier que ce ne soit pas un agent de police.

On ne lui faisait pas bien confiance, la police sait recruter parmi la faune des rues pour creuser les réseaux criminels. S’il faisait couleur locale, ce serait aux sergents de décider quoi faire de lui. Condoléances s’il s'avérait policier. Il arriva sous escorte à l’entrepôt de la veille où régnaient les souillures et décombres de fête. Des créatures mugissantes partiellement dévêtues se tortillaient au sol. L’une d’elle tenta d’agripper sa cheville.

L’appréhension ne faisait que monter. Seule échappatoire possible, les potions de vélocité et d’invisibilité qui étaient soigneusement rangées dans son holster de taille sous sa ceinture et qu’on lui avait laissées. Il n’arrivait pas encore à décider si son action était totalement censée ou complètement stupide. De fait, il avait montré être capable du pire : embarquer sur un navire pirate et se faire prendre, comme du meilleur. Enfin... certainement.
Lun 25 Sep - 20:09
La Cour des Miracles c'est un conte de fée. Un conte de fée rempli de magie et de mort. Des créatures fantasques font la teuf toute leur vie durant puis crèvent le sourire aux lèvres ; le sourire les quitte jamais et même au-delà de la mort ou même quand j'utilise leur corps comme pâte à modeler pour sculpter du non-sens, leur âme reste collée à moi et reste béatement heureuse.

On est affalés sur nos canapés, dans ce qui fut les locaux de la direction il n'y a pas si longtemps. J'ai retrouvé la casquette et la veste du boss de cet entrepôt, d'ailleurs, je les ai enfilées à un moment de la soirée, lequel moment ? je saurais pas te dire. Tout semble suspendu. Les grandes fenêtres derrière nous sont brisées en mille morceaux, comme tout le reste. Et à force de tout casser, je crains que nous ayons aussi brisé l'espace-temps. Alors le temps s'écoule pas normalement ici. Une seconde devient une heure, une heure devient un siècle, un siècle devient une seconde.

Des symboles ésotériques peints au Myste ou au sang ou dans un mélange des deux. Y en a partout, sur le sol, les murs et sur nos corps aussi. Ils dessinent des motifs élégants, évoquant les fluctuations de la Brume selon le modèle mathématique classique associé à la physique de notre monde. C'est Ulric, un de mes bons potes du 13ème Cercle, qui les a dessinés partout tout au long de la nuit.

Et c'est d'une banalité affligeante, mais ces équations et ces fractales délirantes sont marrantes à voir danser autour de nous, lorsqu'on a des décigrammes de substances mystiques dans le sang qui font gigoter les lumières et les sons.

Stain, mon ami scarabée, me mate fixement. Il hurle en silence, se décompose en pâtés de chair, il est en train de se dissoudre dans les airs dans ce qui ressemble à une féroce agonie existentielle.

- Stain. Tout va bien ?
- Stain est pas là. Parti depuis deux heures.
- Non, il était là y a trois secondes. Il vient de se désintégrer sous mes yeux. Je sens encore l'odeur résiduelle de son âme puante
- Ah. J'en sais rien, R. T'as raison, peut-être. Peut-être pas. Hum... Ecoute moi bien, R. J'ai à peine la force de lever mon cul, mais je vais le faire, pour toi.


Ulric se lève péniblement en laissant craquer son long dos voûté. Ses bandages s'effilochent, laissant pointer quelques uns de ses organes internes.

Ulric:

Il s'accroupit devant moi et se plonge dans mes mirettes.

- Episto' finira comme Dainsbourg, mon frère, je l'ai vu cette nuit en regardant la Brume dans les yeux. On brisera les os de chaque epistote et on en sucera la moelle, ainsi soit-il.
- L'aiguille a bientôt terminé un tour complet ; que je complète, au douzième coup, nous les déchirerons tous puis nous les ferons renaître sous des formes plus colorées, j'explique calmement, en souriant.
- Ainsi soit-il, ainsi soit-il, il répond en claquant des dents.

Vilaine éclate de rire. Elle est assise à côté de moi sur le canap', c'est mon assistante de laboratoire. Mi-araignée mi-libellule, elle commence à s'agiter, elle bourdonne en ricanant bruyamment. Elle est comme ça Vilaine, elle est drôle et bon public ! C'est l'assistante idéale pour qui veut faire des sciences ou des sacrifices en s'amusant.

Causer de génocides entre potes, c'est toujours un bon délire de fin de soirée. Je suis dans une humeur massacrante, dans le bon sens du terme (mais existe-t-il seulement un mauvais sens au massacre ?). Ma fête s'est magnifiquement déroulée, et je me suis fait tout un tas de nouveaux amis. Certains n'ont même pas encore conscience d'être devenus mes amis mais ils ne tarderont pas à le savoir.

Cette fête est un peu spéciale : elle était petite déjà, petit comité d'une vingtaine de foufous. Mais surtout elle a été sponsorisée par mes chers et tendres collaborateurs du 13ème Cercle ! Tandis que mes mutants se déhanchaient comme à leur habitude sur un dancefloor parsemé de débris de verre et de lignes de brotaïne verte de Dain ; moi, Ulric, Vilaine, Stain, et quelques autres huluberlus bien sentis, nous étions au labo à faire toutes sortes d'offrandes à la Brume, en recherche de réactions, en recherche de contacts avec ces Yeux qui nous observent depuis les univers astraux non-baryoniques.

Le résultat fut terrible ! Nous en avons appris davantage sur la nature des Yeux-qui-veillent et avons, en partie, réduits nos cerveaux en poudre que nous avons sniffé pour les réintégrer. J'ai aussi peins un tableau vivant, dont l'odeur atroce hante encore mes narines.

Quelle horrible fête ! C'était maléfique à souhait, si beau et perturbant !

- Quelqu'un te demande, R.

Vilaine me parle. Elle n'est plus à côté de moi sur le canap', elle s'est levée et est maintenant à l'entrée, me fixant de ses huit yeux torves. Derrière elle y a Bec le perroquet. Wouah, tout ça s'est passé très vite ! J'ai du avoir une absence ! Je t'avais prévenu : le temps ne fonctionne plus très bien par ici.

- Tector et Bec ont ramassé quelqu'un qui veut te poser des questions, Vilaine explique.
- C'est un flic. En fin de soirée, c'est toujours un flic. Fous-le dans une cuve, je verrai ça plus tard
- Nan, c'est pas un flic apparemment. Les copains lui ont secoué les puces un peu, il est tout seul et a pas de matos sur lui, juste quelques potions. Il veut échanger des infos de j'sais pas quoi. J'ai rien compris.
- Quelles infos ?
- Je sais pas, j'ai dis. Je fais rentrer alors ? Même si on... sait pas qui c'est ?
- Oui, fais donc rentrer le comique. Je me languis d'entendre les farces qu'il vient nous raconter
- Cool. Je vais nous faire un thé. Il te reste des infusions hurlantes de pure terreur ?
- Non.
- Je vais improviser un thé avec ce que je trouverai dans la cuisine. Je dis à Bec de faire rentrer le mec au passage.
- Fais donc ça, c'est parfait. Comme à ton habitude, tu nous régales de tes bonnes idées, mon amie


Vilaine se barre, en sautillant joyeusement par-dessus le corps d'un gros poulet crocodile endormi par terre devant la porte, j'ai aucune idée de qui est ce mec et de pourquoi c'est un poulet crocodile, probablement est-il devenu un poulet crocodile durant la nuit ?

Ulric lui, il me juge d'un air consterné, même s'il est invisible je vois ses bandelettes se plier comme sil fonçait les sourcils ! C'est un coincé Ulric, un sociopathe timide qu'aime pas trop les invités surprises.

- C'est un ennemi, il affirme, il vient te soutirer des infos sur nous, ou il vient te tuer. Au moindre geste suspect, j'attaque.

Je soupire par mes naseaux. Quel bout-en-train celui-là. Il voit le mal partout, ce pauvre homme.

Tector, le gros gorille velu, ramène la fameuse bestiole...

Tector me regarde, je le regarde, il me regarde, il baisse les yeux. Il sait pas s'il vient de faire une ENORME boulette, en ramenant ce type devant moi, c'est pour ça, il est inquiet. Bouge pas Tector, on va vite le savoir, si t'as fais une drôle de boulette et si tu vas recevoir une fessée à cause de ça.

Concernant la bestiole.

C'est juste un humain, maigrelet, blond, il paie pas de mine. Y aurait pas grand chose à tirer de ce corps si je voulais me servir de sa chair pour sculpter, ça serait une toute petite statue ! Il est comme une tâche de banalité crasseuse dans ma rétine remplie de jolies couleurs. C'est quoi ces bêtises, roh la la, c'est qu'un gosse ou quoi ? Je le regarde, il me regarde, je le regarde, y a un silence qui gonfle la salle. Il a l'air intrigué par la déco, ou terrifié, je sais pas trop. Il a des émotions ?

Je me frotte férocement les mirettes et tousse en hennissant comme un vieux canasson cancéreux et éjecte une grande glaire jaune sur mon canap'. Ok ! Alors :

Soit il doit avoir des petites astuces magiques qu'il va dégainer d'une minute à l'autre pour essayer de me buter,
soit il vient vraiment en paix, seul, désarmé, et ça ça présage de couilles disproportionnées par rapport à son petit corps.
Moi j'aime les deux options !

- Mon copain pense que tu es un ennemi venu me nuire, je fixe le petit blondinet, affichant mon plus large sourire, celui qui se propage jusque dans mes oreilles.
Mais moi je crois que tu es un ami venu me faire rire.
Qui es-tu ?
Sam 7 Oct - 4:41



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Le voilà dans l’antre de la Bête. R., de son doux nom mutin prononcé aux enfants des gueules exotiques de ses affidés faisait chavirer les cœurs… au bord des lèvres. Sa tête immense se fendait la poire, posée de manière grotesque sur un corps sculptural dans un improbable assemblage de pièces de ménagerie, qu’un dieu ivre avait sans doute ramassées dans le noir en cherchant la clef pour réparer son tour de potier. De mains sournoisement habiles, il avait façonné cette chimère digne des légendes urbaines d’Epistopoli, pour déchaîner les rumeurs scabreuses sur les miracles d’illumination dont sa Cour était capable.

A présent qu’il contemplait ses dévoués peinturlurés, il n’était pas si fier de lui. Les obsédants motifs moirés de leurs corps se perdaient dans la folie des arabesques peints sur les murs des bureaux délabrés. Ils semblaient déstructurer l’esprit à leur simple vue. Et l’unité de leur ivresse était si palpable qu’elle suffisait à faire reculer la raison aux portes de l’édifice.

Keshâ se tient  au centre d’une arène défiant sa santé mentale. Entre cette horrible femme araignée, cette momie en bandelettes et ce… ce quoi exactement, ce poussin-alligator ? Décidément, ça ne pouvait pas être une si bonne idée que d’être venu de son plein gré chez les fous. Il commençait à penser qu’il devait l’être un peu lui aussi pour cette même raison. Trop tard. L’immanquable R. trônant vautré au milieu de son "majestueux" canapé braque son attention sur lui. Keshâ ne rêverait que de dérober son regard, de laisser ses mèches gris cendré noyer ses yeux derrière un rideau d’ombre.

Mais ce genre de bonhomme aime ça. Et il n’a pas trop envie de commencer par l’émoustiller. Aussi est-il captif de ce jeu de regard frontal. Brille le noir d’encre des yeux de R. Indéchiffrable de pensées foisonnantes ou vaseuses. Il ignore de son mieux l’horrible morve sortie de ses naseaux, sa gorge se resserrant imperceptiblement.

Il sent leur présence à tous autour de lui, de manière palpable et poignante. Il ne peut esquisser un seul geste sans qu’ils s’animent de toutes leurs pinces, leurs ailes et leur animalité. Il finit par répondre à Ratamahatta :

« Je ne suis en rien un ennemi. Au pire, nous devons être indifférents. Au mieux… nous pouvons peut-être nous apporter quelque chose. Vous avez sans doute beaucoup d’ennemis. Je comprends donc que vous ne soyez pas habitués à une simple visite de quartier.»

Sa cautèle était mystérieuse, semblant déployer des rouages d’éloquence. La vérité est que dans ce jeu de sang froid dans lequel il s’était lancé, son esprit s’était replié au fin fond de ses méninges en position de fœtus. Flottant dans le vide sans savoir quel mot succéderait au précédent. Son improvisation mènerait-elle quelque part?

La partie de lui qui restait lucide avait envie de hurler et se concentrait fiévreusement pour trouver une issue à cette conversation qui ne le fasse pas massacrer.

-« Je, …. Je suis Keshâ. "
commença-t-il dans une affirmation poussive. "En fait, je ne suis pas quelqu’un de très important. Sauf que j’ai un travail à faire. Quelque chose qui tombe un peu dans votre spécialité. Et j’espère moi aussi à ma manière pouvoir vous donner quelques informations d’intérêt. »

Sa vie dépendait maintenant des réactions imprévisibles de camés aux yeux vitreux un lendemain de fête, dont la seule vision affolait ses sens. Il était un peu hors de son corps, sous un calme apparent, l’adrénaline pulsait  dans son sang. Il se voyait un peu comme une marionnette qu’un autre actionnerait depuis les coulisses de ce théâtre bariolée emprunt d’irréalité.
-« Des deux choix que vous me donnez… je préfère encore vous faire rire. »

Le sourire démesuré de R. semblait ne pouvoir que s’agrandir à l’infini, jusqu’à l’engloutir dans le néant. Un silence gênant peuplait l’espace entre ses syllabes. C’est sans doute l’unique raison pour laquelle il trouvait le courage de continuait à parler devant ces squatteurs allumés. Il ne voulait pas laisser le silence résonner autour de lui, comme un goulet qui l’étranglerait.

Rien ne permettait d'affirmer qu’ils voudraient vraiment l’entendre. Peut-être ne l’avait-on fait entrer qu’en guise de distraction. Et ça allait mal finir. Qui pouvait dire si les choix de ce gang étaient régis par la logique ? Il n’y avait qu’à voir ce qu’ils s’infligeaient, par leur apparence ou à se mettre dans des états pareils.

Quoi qu’il en soit, si on lui prêtait oreille, il ferait mieux de se montrer intéressant. Pour cela, il avait essayé de préparer le terrain en menant une petite enquête éclair sur les commerces de R et leurs réseaux. De ce qu’il avait compris, la police était un problème pour eux, la base, mais ils y avaient aussi leurs entrées. A partir de là, il espérait pouvoir entamer une forme de négociation.


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Mer 15 Nov - 4:50, édité 2 fois
Jeu 12 Oct - 18:28
Ce type t'ennuie, t'endort et tu te réveilles 48 heures plus tard avec des fourmis dans les jambes et dans le cul. Tu es soporifique Kesha mais la bonne nouvelle c'est que ça se guérit et qu'il y a ici tout plein de toubibs prêts à te proposer des prescriptions. Sa silhouette, pourtant humanoïde, de distord et se restructure au plus longtemps je le contemple, son corps se dissout brutalement dans une indécente iridescence puis se reconfigure en concept fractal puis revient dans la forme initiale ennuyeuse. C'est bon signe ça veut dire qu'il sera aisé de le changer, c'est bon signe c'est le Myste qui voit le Kesha à travers mes pupilles et qui veut l'embrasser.

- Assieds-toi.
Sur un canapé, par terre, dans les airs, n'importe où


Plus je le regarde, plus je vois le champ des possibles qui s'étend derrière lui ; je me contrefous bien de ce qu'il raconte, tu penses bien, j'étais ailleurs pendant qu'il blablatait MAIS il m'a tout l'air d'être une toile vierge ! Et après une nuit aussi foldingo, catapulté que j'étais dans les univers macabres situés sous le tapis de la réalité, tu te doutes que j'ai des tonnes d'inspiration nécrosée à exhumer.

Ulric est crispé sur son canap'. Je t'avais prévenu que le gars était timide. Dès qu'il voit une nouvelle tête, il sait pas s'il doit être gentil avec ou essayer de la décapiter. Problématique classique du 13ème Cercle, ben oui. Pour l'instant, on va le laisser tranquillou dans son coin avec son anxiété sociale. S'il a envie de l'ouvrir ou de péter un plomb c'est pas moi qui l'en empêcherait. Mais tant qu'il est dans cet état, il va me laisser sonder ce petit bonhomme pour voir ce que je pourrais bien en foutre.

Tu me donnes un petit bonhomme un lendemain de fête, forcément ça mérite réflexion.

Vilaine se ramène avec une grosse théière remplie, la théière siffle et chante un air de jazz, me demande pas pourquoi, je crois que ce truc est hanté depuis le premier jour où je l'ai ramassé dans ce temple envahi par la Brume. Vilaine balance quatre bols sur la table puis s'affaire aussitôt à les remplir à ras bord,

Le thé est jaune, un jaune très vif ; à mi-chemin entre l'or liquide et la pisse, et dégage un chatoyant arôme. Rien que le fumet me transporte loin d'Episto, loin dans les dunes mortes d'Aramila, là où pousse le muflier des sables, le même dont les bédouins se gavent pour oublier leur solitude, car il est capable, si bien préparé, de réduire les cerveaux en épais câbles que l'on branche ensuite au réseau d'âmes perché au-dessus de nous dans l'astral.

- Je reconnais cette odeur, je dis simplement à Vilaine en souriant. Elle me regarde et réprime un fou rire. Elle sert un bol entier de thé à Keshou.
- Alors, qu'est-ce qu'il raconte ? elle demande
- Kesha m'amène de petites infos, je réponds
- Ah ! C'est chic de sa part.

Vilaine traîne dans le coin depuis une ou deux éternités, elle sait très bien comme tout cela risque de finir. Pour ça qu'elle lutte pour ne pas éclater de rire, ça la foutrait mal devant notre invité. Si R a un invité, il fait tout pour le mettre à l'aise, c'est la base. Je déploie des trésors d'hospitalité pour placer mes invités dans les MEILLEURES conditions possibles. La Cour n'est rien de moins que la maison la plus accueillante de l'univers ! D'ailleurs, je pense que si un jour quelqu'un doute de l'hospitalité de la Cour, je le bute puis me suicide ensuite ! Heureusement ça n'arrivera jamais, car nous sommes irréprochables.

- Es-tu pressé, Kesha ? J'espère que tu ne l'es pas. T'es là depuis trois ou quatre heures ? J'adore déjà ta compagnie.

J'ai du mal à localiser Kesha dans le temps et dans l'espace. Je crois qu'il est assis sur le canapé laissé vide par Vilaine. Mais Vilaine a fini de servir le thé, alors elle se jette à côté de Kesha, l'étudiant de près comme s'il était un extraterrestre chié par l'espace noir, et mon amie araignée semble peiner à comprendre toute l'étendue de cette imposante normalité.

- Bien. T'es encore un mystère Kesha.
Va falloir qu'on te dissèque gentiment tous ensemble.
Dis nous tout. Qui es-tu ? Qu'aimes-tu ? Comment tu vibres ? Comment tu supportes cette petite vie minable que tu sembles mener ?
C'est ce que je lui demande, de ma voix douce, celle qu'est un parfum enjoliveur pour les oreilles.

Crocopoulet rentre en boitant dans la pièce, voyant qu'on cause il essaye de se faire tout petit. Je l'invite à venir s'affaler pépère à mes côtés. Bec et Tector sont encore plantés devant la porte, à pas trop comprendre où je veux en venir. C'est parce qu'ils sont nouveaux alors ils ont pas les réflexes. J'en ai rien à foutre d'eux, ils peuvent rester, bien sûr. Y a pas mal de monde non ? Le Kesha se retrouve fantastiquement bien entouré ce soir. Y a que des gens biens, de merveilleuses âmes, des cadavres en sursis, validés par R et validés par la Brume.

Plus y a de fous, plus on rit. Y a jamais assez de fous, jamais assez de rire. Plus de fous. Plus de rire. Une infinité de fous conduira à une blague hilarante dont la chute est la fin de l'univers.
Dim 15 Oct - 1:30



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Le ton sans réplique de l’âne-paon ne laisse pas trop de place à la contestation. Pas question, cela dit, qu’aller s’effondrer dans un de ces vieux canapés où l’on doit s’enfoncer sans pouvoir s’en relever.  D'expérience, ils doivent en plus être infestés de vermine : punaises de lit, gale, puces... La pièce est trop surpeuplée à son goût. Et les regards embrumés sont posés sur lui. D’un bout de botte, il écarte les tessons de bouteilles fracassées qui lui barrent la route et s’assoit à même le tapis, au centre d’un cercle bleu-violet, peint de cette substance exotique qu’il prend bien peine de ne pas toucher ; à la fois pour ne pas tâcher ses habits neufs et par sécurité.

Le jeune homme a éminemment conscience d’être vulnérable entouré par tous ces mutants à la solde de R. A choisir, il préfère encore pouvoir se redresser un clin d’œil et se mouvoir dans toutes les directions. Aussi est-il agenouillé, les fesses posées sur ses talons, les orteils engagés en contact avec le sol. D’apparence passive, c’est l’eau qui dort.

Le regard chassieux et la suggestion bizarre de s’asseoir dans les airs laissent penser qu’il n’est pas très frais. C’est assez inquiétant en soi quand on a déjà entendu quelques rumeurs sur ses exubérances. Ses yeux à lui ne quittent plus R., mais il observe en réalité de son mieux ses acolytes à l’aide de sa vision périphérique et de ses autres sens, notamment celui qui est recouvert de bandelettes et qui a l’air beaucoup plus nerveux que les autres.

La femme araignée revient en présentant une vision absurde, mélange de cauchemar et de service parfait, ajouté au loufoque de cette théière qui… chante. C’est à se demander si les produits qui imbibent le tapis autour de lui n’émettent pas de dangereuses inhalations de drogues dont il serait déjà infecté. Quel que puisse être la composition de ce breuvage, il est certains qu’il n’en boira pas. Quand bien même celui-ci serait offert avec la meilleure des intentions.

Toute cette bande et cet endroit accroissent son inconfort à chaque minute. La simple vue de certains défie l’entendement et le rapproche du dérangement mental. Il tente de se rappeler la raison de sa visite. Car on n’a rien sans rien.
C’est ça, il amène de petites infos. Et il entend repartir lui aussi avec de petites infos. Indemne.

La femme-araignée le colle bien trop pour que ce soit supportable. Keshâ fait de son mieux pour ne pas réagir, quand l’une de ses pattes déplace le bord de son veston et qu’il devine son reflet dans ses yeux surnuméraires au noir d’encre.

R. reprend l’initiative de la conversation en dissipant ce silence pesant. Si l’on fait abstraction des anomalies physiques des malfrats et de leur déconnexion avec le réel, ces questions ressemble à l’interrogatoire sur un ton se voulant nonchalant qu’il a déjà pu subir quelques fois de la part d’un caïd mal luné. Il sait que ces questions douces peuvent vite dégénérer sur un caprice du chef ou un malentendu.

De fait, il ne tient pas du tout à être disséqué.

En même temps, la tournure des questions de R. est franchement bizarre. Qu’est-ce qu’il aime ? Comment il vibre ? Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ! En même temps, on dirait qu’il l’insulte.

-« Je suis un vagabond. Mon travail est d’enquêter sur la famille Oystein… du reste, j’aime ma liberté, mon espace, je vibre… je ne sais pas trop ce que vous voulez dire. »

Il hésite un instant. Cela ne lui plaît pas de révéler ce qui lui tient à cœur. Mais ils ont l’air totalement allumés et s’ils ne jouent pas leur jeu, cela risque de leur déplaire et de les ennuyer et il n’a pas envie de savoir comment ils réagiraient
« Eh bien, figurez-vous que… je chante. Cela met tout de suite plus de couleur dans le monde. Mais je ne suis pas sûr que ça vous intéresse… »

Il tente de rester sérieux, malgré la précarité ridicule de sa situation et la voix caressante de l’animal qui semble se prendre pour une forme de divin charmeur. La neutralité de son expression ne résiste pas au balai du poulet-crocodile, qui le laisse effaré. Au moins, le perroquet et le gorille ont l’air de partager son appréhension haletante de ne pas trop savoir ce qui va survenir. Mais ils bloquent bel et bien l’entrée. Il commence à se dire que c’est définitivement la pire idée de son existence et qu’à choisir une potion, il aurait dû aller pour celle de robustesse.

-« A ce que je vois, la danse et le maniement du pinceaux ont l’air d’être vos moyens d’expression. M’en veuillez pas m’sieurs dame. Je n’avale rien qui n’obéisse pas à un régime alimentaire stricte. Ma maladie ne l’autorise pas. J’apprécie néanmoins l’intention et votre accueil. »

Quand il les scrute, les mutants ont l’air pour la plupart franchement indifférent à sa présence, voire ne la remarquent pas du tout. Mais un claquement de doigts de R. et leurs petites oreilles pointues se dresseraient sans doute avec vélocité pour répondre à ses ordres.
-« Êtes-vous ouverts à ce que nous échangions des informations, oui ou non ? »

La tournure sonnait plus abrupte qu’il ne l’aurait voulu. En temps normal, il ne s’exprimerait jamais de manière aussi frontale. Mais, même s’il se donnait beaucoup de mal pour ne pas crisper ses mains sur ses genoux, il était tendu et il avait peur que les esprits vaporeux des fêtards ne saisissent pas des phrases trop alambiquées. Au moindre mot de trop, on allait bifurquer dans des royaumes insoupçonnés.
Dim 5 Nov - 16:51
- Oystein !

Crocopoulet, ce débile, s'agite à côté de moi comme s'il était une marionnette de viande possédée par la Brume ! Il gueule en me cassant les oreilles et ses cris rebondissent sous mon crâne et se glissent dans mes tripes, faut qu'il arrête ça, je lui adresse un regard bien VILAIN de mes deux grands yeux torves -il le capte pas et continue de baver.

- OYSTEIN !

En gigotant hystériquement, il me fout au passage un grand coup de coude dans le museau. Vilaine se plie de rire, tandis que de mes naseaux ruissellent d'une morve rouge fluorescente.

- SALAUDS ! Vous avez détruit ma vie ! Vous...
- Quelle vie ? je demande poliment, une fois.
- Viré ! Du jour au lendemain ! Les huissiers à ma porte une semaine plus tard ! Mon fils... Mon... fils... ?
- Quelle vie ? je redemande poliment une fois de trop ! Mon ton commence à se corser, je le choppe par le bec et le force à se plonger dans l'un de mes yeux. Il y perçoit mon impatience et redevient aussitôt sage comme une image.
- Euh. Je sais plus, R. J'ai... oublié... ?
- C'est bizarre, mon Crocopoulet. T'es né cette nuit non ? Et tu prétends avoir des souvenirs de ton ancienne incarnation ? J'aurais bâclé le boulot et oublié de visiter ton cerveau pour y dévorer tes souvenirs ? Quel SAGOUIN je suis.
- N-Non R. J-Je me souviens de rien ! Tout est flou, je te jure !
- Tu m'as envoyé un coude dans le pif. Si j'étais pas vanné, j'aurais pu très mal le prendre. Aujourd'hui je trouve ça drôle mais demain, j'aurais froncé les sourcils et t'aurait expédié illico presto dans le non-monde. Fais gaffe d'accord ?

Il s'enfonce dans le canap' tout penaud en marmonnant des excuses. Il regarde ses mains, puis ses jambes, puis son ventre, et affiche une expression de terreur répugnante. Crocopoulet vient tout juste de déchirer, avec mon aide, le fin voile de la réalité, il fait ses premiers pas dans mon rêve. Il y a toujours cette première prise de conscience horrifiée avec bave et larmes. Ensuite vient l'euphorie qui perdure jusqu'au décès. Après le décès t'as alors d'autres transformations et ce petit manège ne s'arrête jamais, INSUPPORTABLE. Je sais de quoi je parle, je suis moi-même mort une bonne trentaine de fois et chaque fois mon énergie revient s'agglutiner dans la même mélodie entêtante.

Alors euh ! Revenons-en au... Kesha, un modèle typique d'animal humain qu'on fabrique en chaîne dans les maternités epistotes. Je me tourne vers lui et essaye de me souvenir de ce qu'il vient de me baver.

Y a que des fragments de mémoire éclatés, TOTALEMENT inintéressants. Ce petit morceau de viande m'agace. ENNUYEUX. Ben alors, ben oui ! Cette nuit je me suis entretenu avec les Yeux de la Brume et je sens que ses Réponses me rampent encore sous la moelle cérébrale, rongeant pensées et sentiments. Parler business alors que mon esprit est pas encore sorti de l'espace noir situé dans les Fissures ? Insister et insister et insister et te croire à la maison alors que t'as même pas un corps transgressif qui donne envie d'être admiré et manipulé ?

Tu sais j'aime vraiment pas le ton que tu prends avec moi Kesha ! Tu as d'énormes couilles, c'est clair, mais les testicules se ratatinent bien vite lorsqu'elles sont coupées et plongées dans du formol. Tu t'invites, tu te jettes dans mon canap, tu forces le business et tu ignores le thé de mon amiga ? Comment crois-tu que je vais réagir ? Peut-être en t'arrachant la peau et te transformant en paillasson original qui hurle si quelqu'un rentre chez bibi sans s'essuyer les godasses ? Eh c'est une riche idée ça j'en ai pas encore...

- Je vais ! Je vais...
- Rien du tout, Ulrich-chou. Repose ça et bois ton thé tranquillou d'accord, va pas me péter une veine !


Ulrich aussi ben forcément il est un peu agacé et inquiet, il a sorti un surin d'on ne sait où (il en a des centaines dans son calebute) et mire Kesha d'un air méchant depuis sous ses bandages, maintenant ce sauvage s'empare d'un bol de thé jaune qu'il gobe cul-sec en en foutant partout sur sa chemise (c'est un peu rigolo on dirait qu'il prend une douche dorée).

- Ok ! Alors :
En fait je me fous de tes infos Kéké'. J'ai surtout la dalle pour tout t'avouer
Nous sommes de beaux prédateurs affamés. Si tu veux nous dompter, commence par nous nourrir.
T'as dis que tu chantais. Et si tu nous piaillais une jolie berceuse ?


Il a pas le choix ce petit coco va devoir nous régaler d'un sacré banger s'il veut sortir d'ici entier. Un air surpris pointe sur ce visage cireux, t'as aucune idée des lois qui régissent mon petit univers, tu te crois chez les baryoniques ou quoi ? La moindre des choses, quand on change de dimension, c'est de se renseigner sur la physique qui régit ta destination.

- CHANTE.
Si ta voix me ravit, je te promets de t'ouvrir toutes les portes que tu veux.


La scène est à toi. Sitôt que j'ai ordonné le divertissement, tous les regards, curieux, hostiles, amusés, se braquent sur toi.
Mer 15 Nov - 6:00



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


AMBIANCE

Keshâ au pays des merveilles. C’est ainsi qu’il devrait décrire cette dégustation de thé et de biscuits salés entre gens charmants. Ils pourraient fonder un collectif d’artistes Epistote underground. Du moins, dans un futur proche, c’est ainsi qu’il y repenserait avec ironie, après avoir découvert l’issue de son roman noir « Ministre Ekiel et Tueur Akesh » et été catapulté hors de la carte de l’enclave dans les entrailles d’une tour sans fenêtres infestée de son pire cauchemar : les Jiangshi.

Il repensera alors avec tendresse, à ce philosophe sagace, R., chantre de la beauté, qui l’aura tant préparé à ouvrir les berges de son esprit à de nouveaux possibles. Il est cerné entre Tector, Vilaine, R., Ulric, Stain et croco-poulet. Ce dernier se fait remarquer en hurlant lorsque Keshâ tente de recentrer la discussion autour de ce qui l’amène. Le spectacle est à la fois énervant et désolant, bien que la remontrance de R. semble donner une teinte angoissante à ce débordement.

Le jeune homme en vient presque à être désolé pour lui quand il frappe son chef en plein visage. L’araignée-libellule a l’air de savourer le dérapage. Keshâ, lui, sent les choses tourner au vinaigre, pour le croco-poulet, comme pour lui dans peu de temps. La substance mollasse de couleur totalement écœurante qui s’échappe des naseaux de R. achève de lui couper l’envie d’exister. A dire vrai, c’est peut-être la diversion rafraîchissante qu’il attendait pour prendre la clé des champs ?

Mais il n’a pas besoin de lever une oreille pour sentir le regard frénétique aux pupilles tremblantes d’Ulric lui percutait la tempe. Il se jettera sur lui au moindre geste superflu. Aussi n’est-il que statue non vivante tentant d’effacer sa présence face à la misérable scène. Un sentiment de pitié semé d’abjection le dévore. R. ce monstre ! En plus de découper un pauvre citoyen déshérité d’Epistopoli et de le contraindre à vivre comme une chimère grotesque… il, il, il mutile les esprits, fait d’eux des servants, les plonge dans sa secte jusqu’au cou. C’est bien pire que la mort, bien pire que les cages du Magistère, bien pire que la Brume elle-même et tous les Jiangshi de la terre !

Son estomac se rétracte dans son œsophage. Par chance, il n’avait rien avalé. La mort serait le plus beau cadeau qu’il puisse offrir à cette âme infortunée pour abréger ses tourments au lieu de vivre mutilé de tout son être. La mort serait aussi le plus beau cadeau que l’on puisse offrir à Epistopoli. La mort de R., ce dément ! Ce n’est hélas pas de sa main qu’elle pourrait venir. Elle tremble encore d’avoir planté sa dague dans le ventre de Mathieu, ce pauvre orphelin, lors du duel judiciaire pirate. La loi du sang! La loi du sang! entend-t-il encore tonner aux franges de son esprit aliéné.

Le regard faussement calme de l’âne-paon le couve d’une lueur folâtre qu’il perçoit comme malveillante. Il arrête pourtant l’homme invisible qui semble survolté, presque la bave aux lèvres, telle qu’on peut se l’imaginer au lieu de la voir. Cette espèce de malade était prêt à l’embraucher, d’une manière totalement décalée et gratuite. Même un gang n’aurait pas réagi ainsi à ce stade. Mais, dans la salle, il sait encore de qui émane le véritable danger. Bien pire qu’une estafilade dans les tripes ou sur son doux visage, cette gueule ricaneuse serait prête à lui mettre un cou de dindon et une queue de baleine en lui retirant le peu de souvenirs heureux qu’il lui resterait de son enfance.

Le déferlement de liquide jaunâtre sur les bandages du taré va du côté rassurant de la situation. Ça a l’air de calmer tout le monde. Sans doute un psychotrope nébuleux ouvrant le portail d’autres univers enchantés.

Nous y sommes enfin : les menaces. La demande de R. peut-elle être autre chose qu’un piège ou une humiliation ? Lui donnera-t-il quoi que ce soit. Sophisme. Maintenant, le garçon n’est même plus en attente de réponses, mais seulement d’une issue de secours hors de cet asile d’aliénés. Ils veulent une berceuse ? Soit. Son seul regret, s’il pouvait en avoir conscience, est de ne jamais avoir entendu parler du cristal d’inertie.

En attendant, il va falloir donner le change. La musique adoucit les mœurs, la plupart du temps. Il va devoir doublement faire oublier le coup dans le pif donné par croco-poulet, son insubordination et apparemment sa propre impolitesse. Poussant sur ses orteils, il se relève souplement, pivote en lenteur pour toiser son auditoire : un scarabée, une araignée-libellule, un gorille, un âne-paon, un débile invisible et un croco-poulet. C’est qu’on pourrait les voir comme un public chiadé du ghetto avec leurs chemises ouvertes et des accessoires bling-bling, au milieu de leurs canap’ et des verres brisés.

R. se fout sans doute du supplice que ça représente pour lui de chanter devant des inconnus, dont un au moins ne rêve que de l’éviscérer. Mais puisqu’il faut gagner du temps, il va s’efforcer de leur désarticuler les fractales. Qui sait? Dans les vapeurs sirupeuses de leur thé pouacre, peut-être que sa voix et sa carrure seront améliorées de quelques effets spéciaux.

Chant précieux 42 : Les failles de l’air.

Il carre les épaules, s’ancre dans ses talons, laisse son regard porter dans les verrières fracassées, avant de glisser dans les reflets lumineux des éclats brisés au sol capturant son attention. Sa voix s’élève, douce, comme un souffle. Ce n’est certainement pas le genre de musique à laquelle ils sont habitués. Il n’espère même pas qu’elle leur plaise. Ne sont-ils pas adeptes de ces percussions répétées et violentes à fendre les tympans jusqu’à perdre le sens de l’existence ?

Le Chant s’élève. Lent, immuable, de cette langue que lui-même ne sait plus parler et qui précède les âges Urhois. Aucun mot ne semble se détacher de ces voyelles et ses consonnes fortement frappé, à part peut-être « Cryst Magnus », de dialecte différent. Il y a cette mélancolie tragique et cette accusation pleine de colère dans ce son qui roule, s’enroule et se disperse dans l’air. Il a choisi cet air qui lui semble propice à la transe. Sa voix semble se dédoubler. Elle devient diphonique. Plus basse et profonde que sa silhouette ne laisse deviner.

Un tambour serait bienvenu pour frapper les esprits embués collés aux carreaux de leurs sclérotiques rougies. A défaut, son talon frappe le sol fortement. Une fois. Deux fois. Tac. Tac. TAC TAC TAC ! Il Plus qu’un bruit, c’est une cavalcade qu’il espère essaimer dans leurs cerveaux effilochés dans les profondeurs du myste. Il est loin de se douter que certains, il y a fort longtemps, s’étaient fait une maîtrise à travers ce chant de l’art de fendre la roche et d’ouvrir des portails à même le vent.

Attendant le couperet fatidique, durant un bref instant de grâce, perdu dans son monde à faire voyager les autres, Keshâ se rend plus tout à fait compte qu'il est là. Un écho, un vide, le silence répercute l'onde avant de mourir à son tour. Combien de temps s'est écoulé? Cinq minutes, une heure? On dirait qu'on l'a laissé vivre pour terminer sa chanson.
Sam 9 Déc - 18:49
- Oh. C'est fini

Serais bien incapable de t'expliquer comment je me suis retrouvé là, grand écart sur la table du salon, la nuque retournée à 180° la langue pendante et le corps repeint entièrement de spirales de myste, j'ai été emporté par une bourrasque qui m'a jeté contre les murs de ma propre boîte cranienne, des sons sont venus s'enfoncer dans mon cul et se sont servis de moi comme d'une marionnette de viande,
j'ai dansé tout simplement. Kesha m'a fait danser
Habituellement, seuls les accords alogiques découlant des vibrations de la Brume parviennent à me faire danser aussi bien.

- C'était bien. Très très bien, Kêsha
Quelle. Quelle beauté et quelle RAYONNANTE sérénade tu m'as servi. J'ai bronzé sous ta violente lumière
que je bafouille et puis je réinsère mes jolis membres dans leurs articulations respectives, relevant lourdement ce corps REMPLI à ras bord d'extase, mais l'une de mes chevilles n'était pas correctement remboîtée et je me fracasse en manquant de peu de m'ouvrir le crâne sur un coin de table ce qui admettons-le aurait été une fin de parcours tordante.

- Amusant comment un petit corps banal et ennuyeux peut planquer un si fabuleux trésor !

Faudrait lui chiper ses cordes vocales discrétos et les installer sur l'un de mes violons magiques, juste pour tester, mais j'aurais trop peur de lui abîmer durant le processus. Non faut garder l'ensemble du Kesha : nous travaillerons tout d'abord son enveloppe, ensuite viendra le raffinement de son esprit, et là nous obtiendrons enfin un violon vivant incroyablement sexy. Tout ce potentiel m'excite incroyablement, les idées fusent, et mon corps meurtri par la danse est habité par une savoureuse douleur

- ... Ça va les copains ?

Vilaine explose de rire, puis applaudit de tout son coeur. Que c'est rare de la voir aussi sincèrement enthousiaste ! Elle était roulée en boule contre un mur, elle a aussi a du danser, ses mandibules frétillent et laissent s'échapper une cascade de salive dorée ; et ses petites pattes s'agitent chaotiquement, probablement s'est-elle comme moi désarticulée en dansant. Comme moi, elle se contente pas d'écouter la musique mais la laisse pénétrer jusqu'à son génome. Quand ton ADN devient une partition de musique alors l'arrêt de la mélodie signifie la fin de ta putain de vie et Vilaine, même si actuellement elle n'est pas morte, reste dans un sale état, épileptique et crispée en train de remuer dans sa bave.

Ulrich ? Lui est en pleurs, chialant comme une madeleine, chialant comme une petite pute, que c'est rare de le voir aussi sincèrement touché ! Dirait-on que ça lui a rappelé certains moments de son enfance tourmentée, que la mélancolie et la colère c'est finalement un duo avec qui il a l'habitude de vagabonder, et que cette éruption d'émotions a incinéré ce qui lui restait de cerveau pour ce soir. Kesha a pris mon Ulrich et l'a tout simplement broyé. Félicitations !

Crocopoulet est... il mordille joyeusement mon canapé, je crois même qu'il en a déjà graillé une partie. J'ai aucune foutue idée de ce qu'il branle. Crocopoulet est un vrai dégénéré, un fou, un taré, je me demande ce qui m'a pris de l'inviter ici !

Bec est impressionnée mais elle mire Kesha d'un air inquiet c'est quoi son problème ? Que croit-elle que je vais lui faire ? Qui est-elle pour oser être inquiète au milieu d'un tel bain de BONHEUR ? Prends donc exemple sur l'amour qui émane de Tector, pas encore tout à fait sorti de sa transe, qui continue à danser dans le vide en slip, un air serein gravé dans sa grosse gueule de gorille.

Quelle TEUF c'était en tout cas ! Quel régal. Quel Kesha !
Soyons sérieux,

- Tu m'as fais oublier la raison de ta présence ici mais je crois que me rappeler qu'elle était parfaitement stupide et inintéressante
Soyons sérieux.
Tes cordes vocales doivent être le morceau de viande le plus précieux d'Epistopoli


Une nouvelle fois je tente de me relever et manque de me déchirer un oeil en glissant pas loin du surin d'Ulrich dont la lame plantée dans la table dépasse par dessus. Oulala mais c'est dangereux ce truc là hein quelqu'un pourrait se blesser !

- R peut sublimer ton talent et transformer ton existence
R peut t'embarquer dans son équipage, amener ton âme avec lui explorer des océans horriblement beaux,
R peut exaucer tes voeux les plus DÉMENTS, donner corps à tes fantasmes les plus ridicules
R est perché sur un soyeux nuage rose et il t'es redevable pour cette formidable fin de soirée que tu es venu lui offrir

Soyons sérieux.
Redemande moi ce que tu souhaites. Mais fais preuve d'UN PEU PLUS d'imagination cette fois-ci


Au plus je te regarde, Kesha, au plus je vois ton futur, je vois les milliers de formes différentes que tu pourrais prendre, si tu restes ici ne serait-ce qu'un jour de plus, Kesha t'es à un tournant, que t'en aies conscience ou non, que tu le veuilles ou non, tu m'as tapé dans l'oeil, tu m'as crevé les tympans de la manière la plus douce qui soit, tu m'as rendu addict à ta voix. Quand tu croises par hasard un si curieux phénomène, il est indécent de le laisser repartir. Je vais m'accaparer ces cordes vocales et construire un instrument qui nous aidera à gagner les faveurs de la Brume, ainsi qu'à passer des nuits fofolles.

Sois mon violon, Kesha !
Jeu 21 Déc - 17:03



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


S’il existait un dieu, celui-ci avait inspiré à Keshâ’rem de clore ses paupières pour être au contact de son émotion et éviter de se laisser intimider durant son chant. On aurait pu l’attaquer, mais au moins ne se laissa-t-il pas troublé par la plus grande partie de la… euh… chorégraphie débridée au sabot de Ratamahatta. Le tableau final suffisait à lui seul à figer son regard dans une interdiction stupéfaite. Au moins, le canasson avait l’air content. C’était une bonne chose. Pas vrai ? Pas vrai ?? Allo?!

R. avait l’air transporté, débordant d’une joie aux bouffées délirantes d’avoir dansé. Keshâ se demandait de son côté si ça allait vraiment ou s’il n’était plus assez en contact avec son corps pour sentir d’éventuelles ruptures ligamentaires. Comme Ratamahatta y allait. Il savait parler aux hommes et aux musiciens. Une violente lumière! Pour un peu, il y aurait de quoi être séduit.
-« Formidable. C’est vrai que vous avez une mine radieuse ! Cramée, même. »

Entre compliment et attaque, il se contenta de sourire, il commençait à savoir qu’il ne fallait pas se réjouir trop vite avec ce personnage charismatique à la folie aussi ravageuse que les marées.
-« Et oui ! Quand on croit avoir tout vu, la vie nous surprend… ». Humour pince sans rire, comme s’il remerciait pour cette gracieuse décoration.

Il se tourne alors vers la foule hallucinée de spectateurs. Tous avaient l’air, disons, stone, à son arrivée. Mais à présent, ils ont l’air hors-zone, défaits, caput. Même l’espèce de bandelette sur pattes a l’air recroquevillée dans son monde intérieur et pleure au lieu de le menacer. Quant à l’araignée, elle offre un spectacle rebutant de pattes qui gigottent et d’un torrent de salive laquée. Toujours figé dans un sourire sous les éloges, Keshâ a seulement envie de partir en courant.

Peut-être est-il temps de consacrer davantage son cerveau à cette option pendant que le charme opère encore sur la foule des opiumés. Pour être honnête, le chanteur n’espérait pas vraiment être apprécié pour sa prestation. Tout au plus a-t-il obtempéré pour ne pas froisser la secte et gagner un peu de temps. A bien y regarder, le gorille n’est pas encore alerte, seul le perroquet et R. ont l’air à peu près lucides et capables de l’arrêter s’il tentait une sortie maintenant.

En effet, son enquête passe définitivement après sa sécurité. Le cerveau à voile et à vapeur du mutant est un entonnoir qui ramène inéluctablement vers le fait de le faire rester parmi eux. Le vocabulaire employé ne fait que lui hérisser le poil. « Morceau de viande ». D’un désintérêt absolu, il est passé aux antipodes vers une convoitise malsaine pour sa voix.
-« C’est vrai, mieux vaut ne plus parler de ces bêtises. »

Après que l’âne a manqué de s’embrocher -dommage ! – pour la seconde fois de la soirée, il lui offre un laïus commercial tout à fait enjôleur, digne d’une grande représentation liturgique et théâtrale. On peut comprendre l’attrait de son discours. Pour des personnes auxquelles la vie n’a rien laissé. Pas de famille. Pas d’amis. Pas d’espoir. Il serait facile de se laisser illuminer sans ses ombres recluses, les moins aimées, les moins considérées… s’il n’était pas notoire que la Cour des Miracles était un groupe dangereux et que leur apparence ne rebutait pas constamment les sens pour rappeler à un peu de sang-froid.

A sa grande surprise, la tirade n’est pas que baratin. R. semble sincèrement heureux de la chanson qu’il lui a offerte et entend donc finalement accéder à sa requête. Le personnage se moque du fond mais insiste lourdement pour être diverti par la forme. Une exigence qui le sort de ses habitudes, mais allons, faisons un petit effort…

-« Je vais réfléchir à ces paroles qui m’honorent ! Elles bouleversent tant de certitudes en moi… ... comme si je n'avais pas tout compris jusqu'ici... il va me falloir du temps pour m'en remettre et répondre … j’ai plein de fantasmes et de beauté à voir dans ce monde. » dit-il en espérant que cela sonne comme un retour que R. aurait envie d’entendre sans trop l’emballer dans l’immédiat.

Sérieux ? Sérieux. Soyons sérieux donc.

« Eh bien… il y a cet ami qui A-DORE s’amuser. Il voudrait organiser une fête d’enfer. Non que dis-je, une ORGIE de bonheurs impis ! Il a invité tout son petit carnet d’adresse mondain. Même les sapiarques. Sous leurs toges, ils ont plein de vilains petits secrets sacripans ! Et donc, mon poto… tombe pour une lady… miss Prune Oystein ! Alors la miss est un peu prudasse, quoi ! Elle aime se faire désirer. »

Alors qu’il parle sur un ton beaucoup plus populaire et maniéré, ses ongles s’enfoncent profondément dans sa paume jusqu’à y laisser des marques. Le prix d’un calme apparent face au prédateur qui rôde sous des rires badins. Le personnage est clairement instable et pourrait changer d’attitude à tout moment. Il prie pour qu’Ekiel ait dit vrai et qu’un homme de l’ombre le suive depuis des semaines, prêt à intervenir en cas de pépin : depuis le plafond, en rappel, ou même en faisant exploser le sol, s’il le faut. Il se raccroche fébrilement à la pensée qu’au moins le groupe de siphonnés n'a plus l'air hostile à sa présence et qu’un brin de respect musical les empêchera de le blesser juste pour s’amuser.

Il ouvre les bras et agite ses mains pour illustrer l’émotion de ses propos, manquant de trembler des genoux. Même ses expressions sont paradoxales, entre crispations excessives de peur d'être percé à jour et enthousiasme christique névrosé : « Alors, parce que mon pote voudrait ken ! Il voudrait savoir qui elle aime bien, pour les inviter aussi. MAIIISS… il ne veut pas inviter ses concurrents directs, tous ces sombres connards qui ont pour désir secret de la marier. Il veut même les FONCEDE à la première occasion. Donc on voudrait un peu tous leurs noms, leurs adresses, leurs occupations, , leur cabas, tout ça tout ça quoi… puis aussi tous les pinoufs qui pourraient en vouloir à sa famille. Juste parce que mon poto, il a un grand cœur comme ça… » Il trace un cœur démesuré autour de lui, manquant la syncope tant il se sent outrancier. ""L'AMOUR", c'est sacré. Toi aussi, tu aimes l'amour, Bec?" dit-il en l'impliquant du doigt.

« Et il voudrait pas buter des innocents, mais seulement ceux qui veulent gâcher la Fête… parce qu'il est comme ça, l'man. Voilà… c’tout ! »

Keshâ se sent tellement à côté qu’il en rougit. De sincérité, s'entend! Mais son imitation de survie du parler machouillard des pirates des airs lui a déjà sauvé la mise une fois. Peut-être que ses élucubrations extraverties de tuffeur embrumé ne seront pas si offensantes ? A-t-il réussi la deuxième prise de l'audition de la Cour des Miracle?

Aller, quoi. Entre amis, la confiance, ça se gagne ! Un pt’it service de rien et place à la musique et aux violons !


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Jeu 29 Fév - 17:56, édité 1 fois
Ven 19 Jan - 14:23
C'est drôle, on dirait qu'une seconde personnalité a subitement remplacée la première chiante qu'était rentrée initialement dans ma maison, peut-être parce que braire comme un dieu le recâble ou je ne sais quoi ça peut arriver chez certains artistes, moi-même lorsque je mets les mains dans la glaise organique de mes protégés pour leur sculpter une toute nouvelle enveloppe, je sens deux, trois âmes supplémentaires qui s'arrachent mon cerveau, effet secondaire de la Brume, ma Muse, qui te transforme en baisodrome pour esprits errants.

Je le mate avec grand intérêt parce que je crois qu'il se fout de ma gueule MAIS en même temps il est super divertissant et ça c'est des points en faveur de l'issue où j'en fais pas un violon "violon", mais plus un violon avec une bouche et des yeux capable de raconter des blagues entre deux concertos. Je sens, évidemment, qu'il n'est pas pressé que j'ajoute ma touche très personnelle à son corps et à son esprit. Mais rares ils sont, ceux qui sont prêts dès le jour 1 à devenir l'une de mes oeuvres, et pourtant une fois que c'est fait, une fois que je leur ai fait goûté un morceau de paradis, ils finissent leurs assiettes les larmes aux yeux, euphoriques et reconnaissants. Et tu me remercieras bientôt toi aussi, Kesha ! Tu me prieras même de t'améliorer au-delà de la perfection ; de te fignoler, de t'ajouter deux-trois froufrous par ci par là.

Bec écarquille les mirettes quand le violon l'alpague, avant même qu'elle réponde je lui dame le pion parce que je suis scandalisé, fronçant les sourcils je tape du poing sur le canap,

- C'est une question insultante ça tout le monde adore l'Amour ici c'est évident
C'est codé en dur dans tout nos cerveaux depuis une centaine d'éternités.
Et quand ça l'est pas, je m'arrange pour que ça le devienne vite, quitte à concevoir des éternités artificielles
Je-Je-Je-


Ma tirade se fait interrompre par de putrides effluves
Ca pue le croco humide, un fumet marécageux qui s'invite au milieu des douces flagrances stagnantes dans mes naseaux. Car il est à côté de moi, debout, dévisage Kesha, ruisselle d'une sueur huileuse jaune que j'aurais envie de verser dans l'eau de mes pâtes.

- OYSTEEEEIN ! OYSTEIIIIIIN !

Un fusible de Crocopoulet a encore grillé dans sa caboche. Là tu vois c'est ni fait ni à faire, pour qu'il se rappelle aussi nettement de ses traumas d'antan c'est que la purge de sa mémoire a du se faire à l'arrache entre deux grosses défonces et que R a travaillé comme un cochon et que R est un vrai petit porc parfois quand il s'y met oh la la je sens ma queue tire-bouchonner !

Ma formidable intuition me murmure que tout s'agence merveilleusement bien. Un reliquat des exactions des Osytein se tient là et mire de ses gros yeux vitreux un chasseur d'Oystein -n'en dis pas plus, je vous déclare mari et... mari... ? Est-ce que Crocopoulet avait un pénis déjà ?

- Veinard qu'il est le petit Keshou tombe exactement sur ce qu'il lui faut en se pointant chez bibi, uniquement équipé de ses grandes couilles et de ses tendres cordes vocales. Je t'ai dis que j'étais apte à réaliser tes voeux les plus foufous et aujourd'hui, j'ai daigné aligner les astres pour ta petite voix, alors je me lève sur mes deux guibolles en courbant chaque articulation de mon corps, me glisse derrière Crocopoulet et pose mes petites mains sur ses larges épaules trapues et collantes. Je lui jette un regard complice en coin qu'il ne me rend pas il se contente de fixer Kesha en versant quelques larmichettes de croco, je lui en essuie une en frottant mon doigt mutin sur sa grosse joue.

Miam miam. Ses larmes ont un goût chimique, je les sens denses en vitamines occultes. J'aimerais qu'il chiale encore plus pour vider ses glandes lacrymales et tout boire ; mais ce ne serait pas très très courtois vis-à-vis de mon invité, qui doit crever de soif après une si longue sérénade !

- Crocopoulet fut un proche collaborateur des Oystein et on dirait que même s'il est devenu sacrément con, il en a gardé tout plein de souvenirs encore bien frais. Je te prête Crocopoulet. Tu peux lui sucer autant de souvenirs que tu veux.
Mais prends garde ! Une fois que tu auras bien papoté avec lui, il retourne dare-dare dans sa cuve.


Avant même que Kesha ne rouvre son clapet, voilà Vilaine qui, dans un violent frisson, vient de reprendre le contrôle de son corps pétri d'extase ; et me bourdonne dessus depuis son coin, sur un ton accusateur :

- ... Tu veux lui donner Crocopoulet ?
- Je lui prête j'ai dis
- Mais j'avais pas fini le boulot !
- Ah ! C'est toi qui a bossé dessus ?
- Ben oui !
- Je croyais que c'était moi mais que je m'en souvenais pas ! Cela explique pourquoi il est torché comme ça, le pauvre
- Ben tu as oublié de renouveler le stock d'encens entropiques ! J'ai du le stabiliser avec les moyens du bord.
- Oh. J'admets que c'est un peu de ma faute, on va pas se disputer pour des bêtises après un si joli concerto
- Non ! C'est vrai. Mais si Kesha casse mon Crocopoulet ça va barder, j'avais mis tant de coeur dans ce projet !
- Bien compris Keshou ? On te prête Croco mais ne nous le pète pas sinon ouh la la on sera pas contents


Que j'avertis Kesha sur un ton de pote, t'inquiètes pas tout est ok entre nous Kéké j'ai une entière confiance en toi. Faudra juste que t'oublies pas de poser tes cordes vocales ici avant de repartir. Je souris à mon futur violon. Mon large sourire fend mon visage jusqu'aux creux de mes oreilles, oreilles qui se dressent et ondulent de joie en constatant ainsi mes gencives et ma dentition les envahir.
Ulrich ? Ulrich t'es où ? Oh bah avec Bec il est. Ils se font des confidences ces deux-là devant la porte d'entrée, dans les ombres mouvantes de nos néons magentas. C'est bon Croco ? Je peux te laisser tout seul avec Kéké ? Tu vas pas essayer de le croquer ou te remettre à manger le mobilier ou à faire quoique ce soit de trop gênant ? Ok alors j'y vais, Papa a du boulot dirait-on.

Mon sourire se dissipe, redevenons sérieux, recollectons les bribes de lucidité qui font de R un sacré filou mais également un bon patron. Avec Ulrich et Bec y a Cyclope, l'un de mes fidèles chien de chasse, ce clébard-là n'a qu'un seul oeil, mais si tu savais tout ce qu'il sait faire avec, t'en serais raide jaloux.
Mes trois amigos affichent des mines inquiètes, lorsque je m'approche d'eux, Ulrich vide tout de suite son sac

- Cyclope a aperçu un intrus rôder chez nous.

Voilà ! Enfin, mon sourire réapparaît, et je sens l'excitation gicler partout contre les parois intérieures de mon crâne. Je commençais à en avoir marre, être lucide deux minutes c'est tellement éreintant.

- Excellent. Dis m'en plus !
Jeu 29 Fév - 19:02



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Sans avoir pris de drogues pour entrer en état modifié de conscience, le pauvre humain se sent funambule au milieu d’un rêve absurde dont la survie dépend d’un équilibre aux règles confuses… et changeantes. Il ploie sous le regard insistant de l’âne bigarré en se demandant s’il regrette son stratagème ou si c’était au contraire la meilleure chose à faire. Son attention n'a pas l'air de meilleure fortune que son dédain. Seule l'inexistence doit pouvoir protéger de ce panégyriste de la folie.

A-t-il ruiné ses gains en parlant d’amour à Bec ? Il en est à se demander si l’offense relève de la posture comique ou de la plus grande gravité, quand le crocodile dévie l’attention de R. et…. Ah ! Dégeu. C’est quoi cette tronche fixatrice ?! On dirait qu’il veut… quoi ? M’embrasser ou me manger ?

Il suppure une substance pouacre et lustrée qu’il vaut mieux ne pas trop scruter ni sentir. Pauvre créature. Qui étais-tu jadis ? Et comment as-tu atterri ici ?

A en suivre les explications du zélateur sur le comportement de la chimère, ses couilles et ses cordes vocales sont tombées sur un témoin direct des agissements de la famille qui intéresse Ekiel, ce qui est finalement un fabuleux concours de circonstances. Il suffit juste d’être prêt à prendre le thé avec une pestilence brisée après être passée au mixeur de la secte. On lui a dit de se salir les mains, de remuer ciel et terre jusqu’à la dernière pierre, de faire ce qu’il fallait, tout ce qui serait nécessaire, pour trouver les informations demandées. C’est ça ou la rue et l’oppression.

Alors,  « croco-poulet », nous y voilà. Monsieur Loyal coordonne l’arène de ce cirque on ne peut plus sérieux où sous couleur d’absurdité on parle de vrais sujets.

-« C’est parfait. Je n’en espérais pas tant, ni si vite. » hoche-t-il de la tête en exagérant légèrement pour que son corps exprime sa pleine reconnaissance, se parant d’un sourire guilleret pour ne pas altérer l’atmosphère de joie locale. Même si lui se sent tendu comme un arc.

Il avait en effet grand soif. Et plus que tout hâte de se carapater hors de ce terrier malsain avant d’y prendre racines. S’il ne rebondit pas par une question sur l’idée de renvoyer ce pauvre hère dans « sa cuve », cela ne peut rien présager de bon.

Trop tard pour lui, malheureusement. Il a de la compassion pour chacun, mais pense à ses fesses en premier.

Vilaine s’est réveillée. Une chance de moins de réussir à s’enfuir de force, on imagine. Mais on va dans son sens, pour le moment. Il se demandera plus tard si cela vaut le coup d’investiguer sur la définition « d’encens entropique » ou si certains des composants en pénurie ont assez de la valeur pour essayer d’en faire commerce avec de tels illuminés.

-« Oui. Tout est clair. » parvient-il à articuler. Il reprend à l’adresse de Vilaine :« Je vais juste lui poser quelques questions. Si ça ne va pas, on arrêtera là. »

Inutile de préciser qu’il n’avait envie de se placer dans le scénario du « on ne sera pas contents, oulalah ». Pendant ce temps, sa vision périphérique essaye de suivre le moindre mouvement. Il s’inquiète de voir que l’homme bandelette s’est lui aussi remis de sa transe et qu’il converse à voix basse avec le perroquet. Et un nouveau mutant. Comme s’il n’y en avait pas assez pour le réjouir. Il s’inquiète aussi de se trouver trop à proximité physique de crocopoulet, qui semble être une victime, mais non moins instable et dangereuse de par ses traits physiques redoutables de reptile.

Keshâ ignore combien de temps il a devant lui avant que la situation ne se retourne à nouveau comme un gant selon les péripéties folles du gang. Ledit Cyclope accapare R. Aucune idée de ce qu’ils racontent. Cela ne doit pas le concerner. Comment cela pourrait-il le concerner. Cette histoire de garde du corps était sans doute une fable visant à le rassurer. Si ce n’est pas le cas, il ne sait rien du sexe, des mensurations ni même de la race de l’individu concerné. Triton, strigoï, golem ou humain ? Amélioré ou sans pouvoirs ? Impliqué ou basiquement professionnel.

Comme dit, c’est sa chance. Alors, il profite des larmes de lucidité de crocopoulet pour briser la glace.

-« Bon crocopoulet, euh… je ne sais pas, on pourrait commencer à parler de ce dont tu as envie… si tu veux bien, tu pourrais me raconter quelques choses à propos de ton ancienne vie. Que sais-tu d’importants sur les activités de la famille Oystein ? Ils t'ont fait du tord? Ils ont des ennemis? » articula-t-il avec douceur comme s'il manipulait un tube à essai rempli de nitroglycérine.

Il est objectivement très difficile de se sentir crédible tout en étant terrifié et en contradiction comique avec l’image pathétique qu'offre le mutant déchu. Au-delà de son apparence ravagée, ses traits semblent exprimer une sincère affliction et des billes de souvenirs antagonistes semblent entrer en percussion dans ses interfaces synaptiques. Au mieux de ses moyens, il instaure prudemment une certaine proximité avec le mutant, recherchant une connexion directe avec son esprit en faisant abstraction de ses relents méphitiques. S'il s'en sentait capable, il poserait une main réconfortante sur son avant-bras. Keshâ se promet de choisir soigneusement ses mots pour ne pas lui faire perdre pieds au moment où ils seraient enfin en train de toucher au but.

Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour s’en sortir ? C’était encore plus simple de sucer pour réussir.


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Ven 26 Avr - 15:33, édité 1 fois
Ven 19 Avr - 13:46
- C'est des mecs de Zegema, R. On a perdu contact avec les potes de dehors. J'pense qu'ils veulent ta peau et croient que c'est le moment opportun pour tenter leur chance. Je suggère de...
- ... de les tuer ? Pauvre fou ! Nous n'avons pas la puissance de feu !
- ... de nous barrer ? Y a des caves et des accès aux égouts, on peut se tirer d'ici et...
- Utiliser la magie pour les plonger dans mon cauchemar ? La magie NOIRE ? Est-ce bien raisonnable ?
- Euh...


Je m'approche de l'un des murs du couloir. Une grande fresque post-moderne y est dépeinte, dans un rouge vif truculent. Elle dégouline sur les bords, ce qui suggère que l'auteur était un peu sagouin, mais spontané ; elle représente un combat entre deux créatures visqueuses, entre un humain à douze têtes et un asticot géant. L'inspiration est évidente : ça dépeint un affrontement typique entre une grappe humaine du onzième plan et Erzal'Ghul, le dévoreur d'espace-temps. C'est joli mais ça pue.

- C'est peint avec du sang. Qui a fait ça ?
- Toi, R. T'as eu des visions hier soir et tu voulais leur donner forme.
- J'ai peins avec mon sang ! Mais j'ai douze ans ou quoi ? C'est la crise d'adolescence ici ça y est ? Faut pas me laisser faire des trucs aussi fadasses, Ulrich. T'aurais du m'assommer, ou me tuer
- D'accord. Je te tuerai la prochaine fois.


Mon téton gauche luit d'une lueur rouge ! Car j'y ai incrusté mon cristal d'animation et que j'y injecte un peu de mon âme. J'applique mon toucher divin sur le street art, il se décolle de son mur et découvre la troisième dimension dans un concerto de sons de succion. La grappe humaine d'abord, Erzal'Ghul ensuite, tout deux nés de mon propre sang, ils sont mes fistons consanguins dégénérés, que j'ai engendré et me baisant moi-même.

Ils gémissent en se rendant compte qu'ils vivent, puis se tournent l'air étonné vers leur papa.

- Faites pas les surpris, vous savez déjà pourquoi vous avez été convoqués

Bien sûr qu'ils le savent, mon cristal leur a dit. Ils se mettent à courir dans le couloir, affamés de viande de gangster ! Ils les occuperont le temps que mes collègues dégainent leurs meilleurs flingues et sécurisent les issues de secours.

Comme ils ont constaté que j'avais cessé de sourire et que je m'étais paré de mon air le plus sérieux de tous, celui avec les yeux méchants ; ils ont pris conscience de la gravité de la situation. Tector et Bec ont déjà ramené à mes pieds une malle remplie de flingues et d'explosifs, dans laquelle viennent se servir tous les copains.

Des copains il en sort de partout, des couloirs, des bouches d'aération, de sous le tapis ;

- Ils n'ont aucune idée de ce que cela signifie, une attaque contre le Treizième Cercle. Lorsqu'ils découvriront leurs nouveaux-nés écorchés dans leur berceau, ils comprendront, Ulrich explique, tremblotant en serrant son poignard fort contre son coeur. Je le sens à la fois excité, terrifié, et défoncé jusqu'à la moelle ! C'est comme ça que je t'aime, Ulrich, et si t'étais pas si prude je t'aurais déjà fais un énorme bisou sur la bouche, avec la langue.

Quant à Vilaine, elle se frotte ses nombreux yeux avec ses nombreuses pattes, en soupirant et en gémissant. Ben oui la descente est pas facile je sens bien qu'on est tous un peu dans les vapes. La réalité vient de nous coller une grosse baffe. Mais quand faut y aller faut y aller hein ! Allez zou au boulot. Après on partagera tous un calumet maudit d'Ivayar et on atterrira tranquillou. Pensez au calumet ça vous motivera à rester en vie !

***

D'abord, Crocopoulet te fixe quelques secondes comme s'il n'avait absolument rien capté à ce que tu lui avais dis. Ensuite apparaissent de grosses perles de sueur entre ses écailles, puis, il t'attrape par le col. C'est subit, brutal, mais il n'a aucune force. Tu pourrais t'extirper de son emprise par un simple pas sur le côté.

- Sors moi d'ici ! Sors moi d'ici !

Tu distingues une lueur dans ses yeux reptiliens. Pour la première fois il paraît humain -presque humain. Il semble faire des efforts démesurés pour rester cohérent mais se livre à toi ;

- Les Oystein c'est un t-truc. Mais ici c'est pire encore ! Sors moi. SORS MOI DE LA.

J'ai été ouvrier puis ingénieur pour les Oystein. Ils m'ont viré quand j'ai rejoins le syndicat. Le syndicat est puissant, mais dans la Basse Ville, ils doivent composer avec tous les tarés du coin, alors ils sont toujours en recherche d'appui et d'informations. Avec eux c'est facile de négocier, ils ont pris les Oystein en grippe. Ils les attaquent légalement et montent aussi des opés de sabotage dans leurs usines. Tu connais le syndicat ? Tu veux des contacts du syndicat ?
Alors SORS M-MOI DE LA.


Il surveille que personne ne revienne dans la salle, des ombres non-humaines s'agitent dans le couloir dehors. On entend des flingues s'armer, ainsi que des vibrations plus occultes, émanant de cristaux qu'on excite.

- P-Pitié ! qu'il ajoute, puis il te prend dans ses bras avant de refondre en larmes. Son fumet marécageux t'imprègne. Au moins une dernière fois je voudrais revoir mon fils !
Il sent comme si quelqu'un venait de lui enfoncer la tête dans les chiottes.
Il est gluant et son étreinte laisse de grandes traces verdâtres sur tes vêtements.
L'étreinte se fait plutôt longue et inconfortable, bon gré mal gré tu es un peu forcé de le réconforter si tu veux qu'il te lâche un jour...

Soudain le long museau de R vient vous murmurer aux oreilles,

- Ça y est c'est déjà le coup de foudre ?

Crocopoulet bondit de surprise, te lâche enfin, puis part se casser la gueule sur le canapé en piaillant de panique. D'une voix douce et apaisante, Ratamahatta t'offre un rapide topo de la situation.

- Navré de t'interrompre mon Keshou, mais j'ai des invités surprises
Comme toi ils veulent me rencontrer mais eux c'est pas pour pousser la chansonnette !
Respecte les consignes du personnel et rejoins calmement les issues de secours


R t'invite poliment à le suivre, tandis qu'une escorte de mutants lourdement armés s'entasse devant la porte.
On entend une rafale dehors, sous la grande fenêtre.

- Tout va bien, quelques enfants qui font éclater des pétards, ajoute R avec un clin d'oeil.

Rude matinée en perspective. Ah, Epistopoli se réveille du bon pied !
Ven 26 Avr - 23:48



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Le navire est en bon chemin pour son naufrage final. Même s’il est accaparé par la complainte de crocopoulet et sa proximité repoussante, Keshâ’rem reçoit les ondes de tension des acolytes. Des messes-basses. On dirait qu’on est sous attaque. « On » ? Ils sont sous attaque. L’orphelin va se retrouver entre feux croisés. Le voilà dans de beaux draps. Encore plus. Mais comme il est déjà fichu, c’est peut-être sa chance de s’éclipser. Ou de se faire oublier sur le rebord du muret comme un pot de confiture. Dans la débâcle, ils auront mieux à faire que de le poursuivre mordicus.

Soudain, un attroupement autour d’un mur. Il ne voit pas bien. Mais un horrible bruit de succion laisse place à une scène défiant la salubrité de son imagination. Il ne comprend tout simplement pas ce que ses yeux regardent. Les murs semblent ondoyer, se déformer. Le voici témoin pour la première fois de l’utilisation aussi explicite d’un cristal des plus exotiques.

Les mots échangés flottent quelques instants autour de lui sans autre signifiance que le babillage d’un nourrisson en colère. Son point focal est dirigé vers l’abomination à douze têtes et le corps gras et visqueux du ver géant. Définitivement, c’est assez. Il est temps de conclure. Alors qu’il dépense un point de sa jauge de volonté, il sent que la folie n’est pas loin de ceindre son esprit.
- "Sors moi d'ici ! Sors moi d'ici !"

Le visage zoomé de la triste chimère surgit devant lui en l’agrippant par le bras. Le jeune homme manque de partir à la renverse. Sans doute que son corps astral se trouve déjà quelques mètres en arrière, là où son corps a échoué à s’envoler.

Son esprit peine à absorber le message de croco-poulet. Il est trop abasourdi, sous le choc. Mais, derrière cette situation, il perçoit une vague d’émotion suppliante. La rétine du mutant est trop humaine pour ignorer son appel. Bien consciente de l’horreur de sa situation. Le vagabond ne doute pas un instant que ce soit pire ici que n’importe où ailleurs…

De son mieux, il s’accroche à ses paroles. Même si l’énergie de crocopoulet lui rentre un peu dedans. Un ingénieur. Un syndicat? Le syndicat met des bâtons dans les roues des Oystein par des moyens juridiques. Ah. Et des sabotages aussi, apparemment ?

A nouveau, crocopoulet le malmène de ses suppliques et de ses grimaces, ce qui tend plutôt à le figer dans un encéphalogramme plat. Un étrange no man’s land a été ouvert autour d’eux alors que les suivants de R. semblent fomenter une embuscade et que l’assaut se prépare depuis la rue.

Sans qu’il ait le temps d’analyser correctement la situation – qui lui semble plus que désespérée pour le mutant – celui-ci le prend en otage dans un câlin puant. Tout son être s’électrise statiquement pour fuir cette proximité contre-nature. L’odeur lui soulève l’estomac, presque jusqu’à la régurgitation. Ses traits se crispent malgré lui en une grimace cocasse, que l’intéressé ne peut heureusement pas voir.

Et ses vêtements ! Ses vêtements tout neufs ! Il va en avoir pour une fortune en pressing. Sera-t-il seulement possible de rattraper les dégâts ? Ou bien vaudra-t-il mieux tout brûler par précaution en cas de radiations ?

La dernière phrase de l’ancien ingénieur fraye malgré tout à travers les méandres de son esprit. Il surmonte la tétanie. En tant qu’orphelin, il n’est pas insensible à la supplique d’un père si prompt à dire adieu à son fils. Lui-même n’a pas eu le temps de comprendre ce qui se passait le jour où sa famille a été massacrée sous ses yeux, laissant juste le temps à son père de lui carrer un reliquaire dans les bras et de lui crier de courir sans jamais se retourner.

Les bras surpuissants du crocodile pourraient presque l’étouffer. Prenant sur lui, il déploie son bras en veillant à ne toucher le dos de crocopoulet qu’avec sa paume de main. Elle reste collée. Alors qu’il tente de lui tapoter le dos, un filet gluant s’étire entre les écailles et sa peau. Il réitère.

-« C’est d’accord. Je vais faire tout ce que je peux pour t’aider. Si tu m’aides en échange. J’aurais aimé pouvoir dire au revoir à mon père, jadis. »

Tel un mauvais génie, le museau de Rattamahata point à son oreille. Le corps de Keshâ’rem se pétrifie autant que celui de crocopoulet gesticule. Il hoche de la tête comme un automate. Son corps est de fait passé en pilotage automatique. Tout juste sa main fouette-t-elle l’air vers le sol pour éjecter le filet de mucus légué par le mutant.

Tous se retrouvent devant une porte. Bien sûr, Keshâ n’a aucune envie d’être de leur côté alors qu’un gang armé s’apprête à leur tomber dessus. Il doit trouver un moyen de rester légèrement en retrait et attendre le bon moment pour divaguer. Ils doivent. S’il lui est possible d’emporter ce pauvre bougre sur ses pas.

Du regard, il glisse lentement de biais sans détourner la tête. R. est proche, tout en anticipation de ce qui se trame dehors. Il finit par voir crocopoulet ; lequel se bouffe les doigts d’inquiétude. Enfin, le mutant le remarque. La petite lueur qu’il a perçu plus tôt est vacillante mais semble toujours allumée dans sa détermination à revoir son fils. Du menton, il pointe une direction vers un couloir à demi effondré.

Avec lenteur, le jeune homme esquisse un imperceptible pas en arrière. Pas même un demi ou un quart de pas. Une ombre de centimètre. Il réitère. A tout moment, il s’attend à sentir une pattasse de gorille lui saisir l’épaule. De premières rafales déferlent sur les fenêtres hautes et saupoudrent leur position d’un déluge de verre. L’agitation grandit. Un mutant balance un cocktail Molotov dehors via une fissure dans le mur. Un autre projette de l’acide à partir de son propre corps…

L’effervescence gagne soudain tout le monde. Dedans, dehors. C’est le bordel. Un pas en arrière. La porte de l’issue de secours s’ouvre à la volée. Le gang s’apprête à tenter une percée.

Il hésite.
C’est pourtant maintenant ou jamais.

La fenêtre de liberté se referme à une vitesse vertigineuse. Trop tard. R. se retourne pour le regarder… à ce moment explose une grenade.

Keshâ se sent assourdi, projeté. Des débris volent. Dans la confusion la plus totale, des coups de feu démultiplient les offensives. Des gens courent et crient. C’est crocopoulet qui le saisit par le bras pour le relever d’autorité et l’entraîner dans la direction opposée aux affrontements, vers un tunnel étiolé.

Il court machinalement. Ses jambes pensent à sa place, comme elles l’ont déjà bien souvent fait.

-« Par ici ! Il faut se dépêcher ! S’ils nous attrapent, mieux vaut choisir la mort ! » lui crie le mutant.

Le vagabond tente de refaire surface au milieu des explosions de poussières et de gravats. Sa vigilance se porte au sol juché de nombreux objets coupants. Il se baisse et se cale derrière un bloc de béton usé, avant de progresser à quatre pattes en suivant crocopoulet. Un regard en arrière qu'il n'a pu réfréner lui assure qu’ils ne sont pas suivis. Le chaos ambiant ne facilite pas la recherche de quiconque. Désormais, le gros de l’action semble se déporter dans la rue, où l’on tire à l’arme lourde. Un cri suintant lui hérisse le poil. Cela ressemble… au couinement d’un ver géant ??

Etaient-ils au bout de leur peine ? Où iraient-il - après - en compagnie de ce pauvre hère ? Le mutant tiendrait-il parole en le rencardant avec le Syndicat ? Et qu’adviendrait-il de crocopoulet s’il parvenait à dire au revoir à son fils sans que celui-ci ne s’enfuie en hurlant ?

C’est bien triste, mais la mort lui paraissait être encore l’option la plus miséricordieuse.