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Les mains dans la glaise

Les mains dans la glaise Brandw10
Lun 25 Sep - 4:58



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Il y avait bien des choses qu’il n’était pas, mais s’il était bien quelque chose, c'était prudent. Jamais il ne s’attardait dans des ruelles solitaires, sauf à se fondre lui-même dans la pénombre pour déjouer la traque de prédateur errant en quête d’une victime à détrousser. Jamais il ne restait au déclenchement d’un signe d’hostilité, annonciateur d’altercations meurtrières dans les bas-quartiers. Et jamais il n’étalerait sa fortune récente de manière inconsidérée aux yeux de tous.

Sa vie ne tenait déjà qu’à un fil. Franchement, il était inutile de rajouter une prise risque. Si ce n’est que son nouveau travail d’espion pour Reyes le poussait dans ses derniers retranchements. Espionner la famille Oystein, et surtout ceux qui s’estimaient lésés, offensés ou tout simplement jaloux de leur bonne fortune, n’avait rien de simple pour un débutant scrupuleux.

Il avait déjà exploré plusieurs pistes de bout en bout, certaines ne menant tout simplement nul part, d’autre peinant à décoller de la case départ par manque de contacts ou de moyens d’action. Il avait toutefois réussi à obtenir de petits succès ici et là pour connaître les habitudes de Prune et de son père Olivier. Ils savaient désormais comment ils étaient perçus globalement par la réputation, les rumeurs et leurs actions. Tout cela, Reyes le savait déjà.

Mais dans les bas quartiers, il commençait un peu à piétiner. La seule information saisissante qu’il ait amassée était l’identité réelle de Reyes. Rien que ce nom pourrait le faire tuer : Ekiel.

Ekiel Reyes Zadicus, le ministre des affaires étrangères de Xandrie apparaissait dans les gros titres de la gazette des Dunes. Il avait d’abord reconnu son portrait avant de parvenir à déchiffrer les caractères d’imprimerie mot à mot, usant même de son précepteur en lecture pour aborder la lecture des journaux qui l’intéressaient. Comment Ekiel avait-il pu lui confier ce sujet de recherche précis s’il n’entendait pas être démasqué ? Peut-être était-ce justement de cela qu’il s’agissait, un test !

Il avait feint l’ignorance de son mieux en se montrant évasif lorsque l’intéressé s’était invité dans son logement sans un bruit à travers la fenêtre, avant de se glisser dans ses draps…

Tout cela pour dire que le temps passait, très vite. Il ne lui restait que deux semaines pour remplir sa mission. Il n’aurait jamais le temps de débusquer les envieux et les ennemis des Oystein prêts à en découdre, ni d’épouiller la liste des nombreux prétendants. Keshâ avait besoin d’un remède de choc. La Cour des Miracles.

Il les fuyait comme la peste et le choléra. Mais les mutants et sectateurs de R., bien connus de réputation, avaient des yeux et des oreilles partout en plus de grands moyens. Peut-être pourrait-il s’attacher leurs services sans trop se compromettre ?

Le bang bang décadent de leur musique et les faisceaux lumineux tranchaient l’air brumeux de la nuit. Sous les cris et applaudissements extatiques, il ne put que faire demi-tour en voyant les airs patibulaires des videurs armés à l’entrée de l’entrepôt. Rien n’indiquait qu’on le laisserait ressortir vivant s’il parvenait à les convaincre de l’inviter. Rien n’indiquait non plus qu’il ne souhaiterait pas être déjà mort une fois qu’on l’aurait mené à eux.

Alors il se replia, pour réfléchir à une solution plus sûre. Quand il y aurait plus de lumière, moins de bruit et de monde et qu’il ne se sentirait pas pris comme un rat, peut-être qu’il trouverait le courage de revenir. Il devrait aussi penser à quoi leur offrir sans dépasser les bornes.

Le lendemain, il observa donc une gamine de douze ans acheter du crack au « bec de perroquet ». La mutante lui donnait des frissons, mais elle n’irait sans doute pas l’attaquer au milieu d’une rue achalandée. Elle lui annonça d’office son prix lorsqu’il se mit face à elle. Mais il ne voulait pas de ses cachets ou de ses poudres.
-« Je voudrais voir R. Ou en tout cas, je voudrais voir quelqu’un qui prenne des décisions dans votre organisation locale. S’il vous-plaît… »

Elle inclinait drôlement la tête pour mieux le regarder. Car ses yeux ronds étaient trop écartés. Il voyaient ses pupilles étrécies se contracter et se dilater. Comme elle ne disait rien, il finit par ajouter : « C’est pour un deal. Mais pas de drogue. Des informations. »

La femme perroquet caqueta et fit claquer sa langue épaisse en signe de réflexion. Ou alors c’était un signal lancé à de mystérieux acolytes. Quelqu’un arriva derrière lui sans qu’il l’ait remarqué pour lui barrer la retraite. Le mutant gorille lui indiqua qu’il allait être fouillé un peu à l’écart et chatouillé pour vérifier que ce ne soit pas un agent de police.

On ne lui faisait pas bien confiance, la police sait recruter parmi la faune des rues pour creuser les réseaux criminels. S’il faisait couleur locale, ce serait aux sergents de décider quoi faire de lui. Condoléances s’il s'avérait policier. Il arriva sous escorte à l’entrepôt de la veille où régnaient les souillures et décombres de fête. Des créatures mugissantes partiellement dévêtues se tortillaient au sol. L’une d’elle tenta d’agripper sa cheville.

L’appréhension ne faisait que monter. Seule échappatoire possible, les potions de vélocité et d’invisibilité qui étaient soigneusement rangées dans son holster de taille sous sa ceinture et qu’on lui avait laissées. Il n’arrivait pas encore à décider si son action était totalement censée ou complètement stupide. De fait, il avait montré être capable du pire : embarquer sur un navire pirate et se faire prendre, comme du meilleur. Enfin... certainement.
Lun 25 Sep - 20:09
La Cour des Miracles c'est un conte de fée. Un conte de fée rempli de magie et de mort. Des créatures fantasques font la teuf toute leur vie durant puis crèvent le sourire aux lèvres ; le sourire les quitte jamais et même au-delà de la mort ou même quand j'utilise leur corps comme pâte à modeler pour sculpter du non-sens, leur âme reste collée à moi et reste béatement heureuse.

On est affalés sur nos canapés, dans ce qui fut les locaux de la direction il n'y a pas si longtemps. J'ai retrouvé la casquette et la veste du boss de cet entrepôt, d'ailleurs, je les ai enfilées à un moment de la soirée, lequel moment ? je saurais pas te dire. Tout semble suspendu. Les grandes fenêtres derrière nous sont brisées en mille morceaux, comme tout le reste. Et à force de tout casser, je crains que nous ayons aussi brisé l'espace-temps. Alors le temps s'écoule pas normalement ici. Une seconde devient une heure, une heure devient un siècle, un siècle devient une seconde.

Des symboles ésotériques peints au Myste ou au sang ou dans un mélange des deux. Y en a partout, sur le sol, les murs et sur nos corps aussi. Ils dessinent des motifs élégants, évoquant les fluctuations de la Brume selon le modèle mathématique classique associé à la physique de notre monde. C'est Ulric, un de mes bons potes du 13ème Cercle, qui les a dessinés partout tout au long de la nuit.

Et c'est d'une banalité affligeante, mais ces équations et ces fractales délirantes sont marrantes à voir danser autour de nous, lorsqu'on a des décigrammes de substances mystiques dans le sang qui font gigoter les lumières et les sons.

Stain, mon ami scarabée, me mate fixement. Il hurle en silence, se décompose en pâtés de chair, il est en train de se dissoudre dans les airs dans ce qui ressemble à une féroce agonie existentielle.

- Stain. Tout va bien ?
- Stain est pas là. Parti depuis deux heures.
- Non, il était là y a trois secondes. Il vient de se désintégrer sous mes yeux. Je sens encore l'odeur résiduelle de son âme puante
- Ah. J'en sais rien, R. T'as raison, peut-être. Peut-être pas. Hum... Ecoute moi bien, R. J'ai à peine la force de lever mon cul, mais je vais le faire, pour toi.


Ulric se lève péniblement en laissant craquer son long dos voûté. Ses bandages s'effilochent, laissant pointer quelques uns de ses organes internes.

Ulric:

Il s'accroupit devant moi et se plonge dans mes mirettes.

- Episto' finira comme Dainsbourg, mon frère, je l'ai vu cette nuit en regardant la Brume dans les yeux. On brisera les os de chaque epistote et on en sucera la moelle, ainsi soit-il.
- L'aiguille a bientôt terminé un tour complet ; que je complète, au douzième coup, nous les déchirerons tous puis nous les ferons renaître sous des formes plus colorées, j'explique calmement, en souriant.
- Ainsi soit-il, ainsi soit-il, il répond en claquant des dents.

Vilaine éclate de rire. Elle est assise à côté de moi sur le canap', c'est mon assistante de laboratoire. Mi-araignée mi-libellule, elle commence à s'agiter, elle bourdonne en ricanant bruyamment. Elle est comme ça Vilaine, elle est drôle et bon public ! C'est l'assistante idéale pour qui veut faire des sciences ou des sacrifices en s'amusant.

Causer de génocides entre potes, c'est toujours un bon délire de fin de soirée. Je suis dans une humeur massacrante, dans le bon sens du terme (mais existe-t-il seulement un mauvais sens au massacre ?). Ma fête s'est magnifiquement déroulée, et je me suis fait tout un tas de nouveaux amis. Certains n'ont même pas encore conscience d'être devenus mes amis mais ils ne tarderont pas à le savoir.

Cette fête est un peu spéciale : elle était petite déjà, petit comité d'une vingtaine de foufous. Mais surtout elle a été sponsorisée par mes chers et tendres collaborateurs du 13ème Cercle ! Tandis que mes mutants se déhanchaient comme à leur habitude sur un dancefloor parsemé de débris de verre et de lignes de brotaïne verte de Dain ; moi, Ulric, Vilaine, Stain, et quelques autres huluberlus bien sentis, nous étions au labo à faire toutes sortes d'offrandes à la Brume, en recherche de réactions, en recherche de contacts avec ces Yeux qui nous observent depuis les univers astraux non-baryoniques.

Le résultat fut terrible ! Nous en avons appris davantage sur la nature des Yeux-qui-veillent et avons, en partie, réduits nos cerveaux en poudre que nous avons sniffé pour les réintégrer. J'ai aussi peins un tableau vivant, dont l'odeur atroce hante encore mes narines.

Quelle horrible fête ! C'était maléfique à souhait, si beau et perturbant !

- Quelqu'un te demande, R.

Vilaine me parle. Elle n'est plus à côté de moi sur le canap', elle s'est levée et est maintenant à l'entrée, me fixant de ses huit yeux torves. Derrière elle y a Bec le perroquet. Wouah, tout ça s'est passé très vite ! J'ai du avoir une absence ! Je t'avais prévenu : le temps ne fonctionne plus très bien par ici.

- Tector et Bec ont ramassé quelqu'un qui veut te poser des questions, Vilaine explique.
- C'est un flic. En fin de soirée, c'est toujours un flic. Fous-le dans une cuve, je verrai ça plus tard
- Nan, c'est pas un flic apparemment. Les copains lui ont secoué les puces un peu, il est tout seul et a pas de matos sur lui, juste quelques potions. Il veut échanger des infos de j'sais pas quoi. J'ai rien compris.
- Quelles infos ?
- Je sais pas, j'ai dis. Je fais rentrer alors ? Même si on... sait pas qui c'est ?
- Oui, fais donc rentrer le comique. Je me languis d'entendre les farces qu'il vient nous raconter
- Cool. Je vais nous faire un thé. Il te reste des infusions hurlantes de pure terreur ?
- Non.
- Je vais improviser un thé avec ce que je trouverai dans la cuisine. Je dis à Bec de faire rentrer le mec au passage.
- Fais donc ça, c'est parfait. Comme à ton habitude, tu nous régales de tes bonnes idées, mon amie


Vilaine se barre, en sautillant joyeusement par-dessus le corps d'un gros poulet crocodile endormi par terre devant la porte, j'ai aucune idée de qui est ce mec et de pourquoi c'est un poulet crocodile, probablement est-il devenu un poulet crocodile durant la nuit ?

Ulric lui, il me juge d'un air consterné, même s'il est invisible je vois ses bandelettes se plier comme sil fonçait les sourcils ! C'est un coincé Ulric, un sociopathe timide qu'aime pas trop les invités surprises.

- C'est un ennemi, il affirme, il vient te soutirer des infos sur nous, ou il vient te tuer. Au moindre geste suspect, j'attaque.

Je soupire par mes naseaux. Quel bout-en-train celui-là. Il voit le mal partout, ce pauvre homme.

Tector, le gros gorille velu, ramène la fameuse bestiole...

Tector me regarde, je le regarde, il me regarde, il baisse les yeux. Il sait pas s'il vient de faire une ENORME boulette, en ramenant ce type devant moi, c'est pour ça, il est inquiet. Bouge pas Tector, on va vite le savoir, si t'as fais une drôle de boulette et si tu vas recevoir une fessée à cause de ça.

Concernant la bestiole.

C'est juste un humain, maigrelet, blond, il paie pas de mine. Y aurait pas grand chose à tirer de ce corps si je voulais me servir de sa chair pour sculpter, ça serait une toute petite statue ! Il est comme une tâche de banalité crasseuse dans ma rétine remplie de jolies couleurs. C'est quoi ces bêtises, roh la la, c'est qu'un gosse ou quoi ? Je le regarde, il me regarde, je le regarde, y a un silence qui gonfle la salle. Il a l'air intrigué par la déco, ou terrifié, je sais pas trop. Il a des émotions ?

Je me frotte férocement les mirettes et tousse en hennissant comme un vieux canasson cancéreux et éjecte une grande glaire jaune sur mon canap'. Ok ! Alors :

Soit il doit avoir des petites astuces magiques qu'il va dégainer d'une minute à l'autre pour essayer de me buter,
soit il vient vraiment en paix, seul, désarmé, et ça ça présage de couilles disproportionnées par rapport à son petit corps.
Moi j'aime les deux options !

- Mon copain pense que tu es un ennemi venu me nuire, je fixe le petit blondinet, affichant mon plus large sourire, celui qui se propage jusque dans mes oreilles.
Mais moi je crois que tu es un ami venu me faire rire.
Qui es-tu ?
Sam 7 Oct - 4:41



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Le voilà dans l’antre de la Bête. R., de son doux nom mutin prononcé aux enfants des gueules exotiques de ses affidés faisait chavirer les cœurs… au bord des lèvres. Sa tête immense se fendait la poire, posée de manière grotesque sur un corps sculptural dans un improbable assemblage de pièces de ménagerie, qu’un dieu ivre avait sans doute ramassées dans le noir en cherchant la clef pour réparer son tour de potier. De mains sournoisement habiles, il avait façonné cette chimère digne des légendes urbaines d’Epistopoli, pour déchaîner les rumeurs scabreuses sur les miracles d’illumination dont sa Cour était capable.

A présent qu’il contemplait ses dévoués peinturlurés, il n’était pas si fier de lui. Les obsédants motifs moirés de leurs corps se perdaient dans la folie des arabesques peints sur les murs des bureaux délabrés. Ils semblaient déstructurer l’esprit à leur simple vue. Et l’unité de leur ivresse était si palpable qu’elle suffisait à faire reculer la raison aux portes de l’édifice.

Keshâ se tient  au centre d’une arène défiant sa santé mentale. Entre cette horrible femme araignée, cette momie en bandelettes et ce… ce quoi exactement, ce poussin-alligator ? Décidément, ça ne pouvait pas être une si bonne idée que d’être venu de son plein gré chez les fous. Il commençait à penser qu’il devait l’être un peu lui aussi pour cette même raison. Trop tard. L’immanquable R. trônant vautré au milieu de son "majestueux" canapé braque son attention sur lui. Keshâ ne rêverait que de dérober son regard, de laisser ses mèches gris cendré noyer ses yeux derrière un rideau d’ombre.

Mais ce genre de bonhomme aime ça. Et il n’a pas trop envie de commencer par l’émoustiller. Aussi est-il captif de ce jeu de regard frontal. Brille le noir d’encre des yeux de R. Indéchiffrable de pensées foisonnantes ou vaseuses. Il ignore de son mieux l’horrible morve sortie de ses naseaux, sa gorge se resserrant imperceptiblement.

Il sent leur présence à tous autour de lui, de manière palpable et poignante. Il ne peut esquisser un seul geste sans qu’ils s’animent de toutes leurs pinces, leurs ailes et leur animalité. Il finit par répondre à Ratamahatta :

« Je ne suis en rien un ennemi. Au pire, nous devons être indifférents. Au mieux… nous pouvons peut-être nous apporter quelque chose. Vous avez sans doute beaucoup d’ennemis. Je comprends donc que vous ne soyez pas habitués à une simple visite de quartier.»

Sa cautèle était mystérieuse, semblant déployer des rouages d’éloquence. La vérité est que dans ce jeu de sang froid dans lequel il s’était lancé, son esprit s’était replié au fin fond de ses méninges en position de fœtus. Flottant dans le vide sans savoir quel mot succéderait au précédent. Son improvisation mènerait-elle quelque part?

La partie de lui qui restait lucide avait envie de hurler et se concentrait fiévreusement pour trouver une issue à cette conversation qui ne le fasse pas massacrer.

-« Je, …. Je suis Keshâ. "
commença-t-il dans une affirmation poussive. "En fait, je ne suis pas quelqu’un de très important. Sauf que j’ai un travail à faire. Quelque chose qui tombe un peu dans votre spécialité. Et j’espère moi aussi à ma manière pouvoir vous donner quelques informations d’intérêt. »

Sa vie dépendait maintenant des réactions imprévisibles de camés aux yeux vitreux un lendemain de fête, dont la seule vision affolait ses sens. Il était un peu hors de son corps, sous un calme apparent, l’adrénaline pulsait  dans son sang. Il se voyait un peu comme une marionnette qu’un autre actionnerait depuis les coulisses de ce théâtre bariolée emprunt d’irréalité.
-« Des deux choix que vous me donnez… je préfère encore vous faire rire. »

Le sourire démesuré de R. semblait ne pouvoir que s’agrandir à l’infini, jusqu’à l’engloutir dans le néant. Un silence gênant peuplait l’espace entre ses syllabes. C’est sans doute l’unique raison pour laquelle il trouvait le courage de continuait à parler devant ces squatteurs allumés. Il ne voulait pas laisser le silence résonner autour de lui, comme un goulet qui l’étranglerait.

Rien ne permettait d'affirmer qu’ils voudraient vraiment l’entendre. Peut-être ne l’avait-on fait entrer qu’en guise de distraction. Et ça allait mal finir. Qui pouvait dire si les choix de ce gang étaient régis par la logique ? Il n’y avait qu’à voir ce qu’ils s’infligeaient, par leur apparence ou à se mettre dans des états pareils.

Quoi qu’il en soit, si on lui prêtait oreille, il ferait mieux de se montrer intéressant. Pour cela, il avait essayé de préparer le terrain en menant une petite enquête éclair sur les commerces de R et leurs réseaux. De ce qu’il avait compris, la police était un problème pour eux, la base, mais ils y avaient aussi leurs entrées. A partir de là, il espérait pouvoir entamer une forme de négociation.


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Mer 15 Nov - 4:50, édité 2 fois
Jeu 12 Oct - 18:28
Ce type t'ennuie, t'endort et tu te réveilles 48 heures plus tard avec des fourmis dans les jambes et dans le cul. Tu es soporifique Kesha mais la bonne nouvelle c'est que ça se guérit et qu'il y a ici tout plein de toubibs prêts à te proposer des prescriptions. Sa silhouette, pourtant humanoïde, de distord et se restructure au plus longtemps je le contemple, son corps se dissout brutalement dans une indécente iridescence puis se reconfigure en concept fractal puis revient dans la forme initiale ennuyeuse. C'est bon signe ça veut dire qu'il sera aisé de le changer, c'est bon signe c'est le Myste qui voit le Kesha à travers mes pupilles et qui veut l'embrasser.

- Assieds-toi.
Sur un canapé, par terre, dans les airs, n'importe où


Plus je le regarde, plus je vois le champ des possibles qui s'étend derrière lui ; je me contrefous bien de ce qu'il raconte, tu penses bien, j'étais ailleurs pendant qu'il blablatait MAIS il m'a tout l'air d'être une toile vierge ! Et après une nuit aussi foldingo, catapulté que j'étais dans les univers macabres situés sous le tapis de la réalité, tu te doutes que j'ai des tonnes d'inspiration nécrosée à exhumer.

Ulric est crispé sur son canap'. Je t'avais prévenu que le gars était timide. Dès qu'il voit une nouvelle tête, il sait pas s'il doit être gentil avec ou essayer de la décapiter. Problématique classique du 13ème Cercle, ben oui. Pour l'instant, on va le laisser tranquillou dans son coin avec son anxiété sociale. S'il a envie de l'ouvrir ou de péter un plomb c'est pas moi qui l'en empêcherait. Mais tant qu'il est dans cet état, il va me laisser sonder ce petit bonhomme pour voir ce que je pourrais bien en foutre.

Tu me donnes un petit bonhomme un lendemain de fête, forcément ça mérite réflexion.

Vilaine se ramène avec une grosse théière remplie, la théière siffle et chante un air de jazz, me demande pas pourquoi, je crois que ce truc est hanté depuis le premier jour où je l'ai ramassé dans ce temple envahi par la Brume. Vilaine balance quatre bols sur la table puis s'affaire aussitôt à les remplir à ras bord,

Le thé est jaune, un jaune très vif ; à mi-chemin entre l'or liquide et la pisse, et dégage un chatoyant arôme. Rien que le fumet me transporte loin d'Episto, loin dans les dunes mortes d'Aramila, là où pousse le muflier des sables, le même dont les bédouins se gavent pour oublier leur solitude, car il est capable, si bien préparé, de réduire les cerveaux en épais câbles que l'on branche ensuite au réseau d'âmes perché au-dessus de nous dans l'astral.

- Je reconnais cette odeur, je dis simplement à Vilaine en souriant. Elle me regarde et réprime un fou rire. Elle sert un bol entier de thé à Keshou.
- Alors, qu'est-ce qu'il raconte ? elle demande
- Kesha m'amène de petites infos, je réponds
- Ah ! C'est chic de sa part.

Vilaine traîne dans le coin depuis une ou deux éternités, elle sait très bien comme tout cela risque de finir. Pour ça qu'elle lutte pour ne pas éclater de rire, ça la foutrait mal devant notre invité. Si R a un invité, il fait tout pour le mettre à l'aise, c'est la base. Je déploie des trésors d'hospitalité pour placer mes invités dans les MEILLEURES conditions possibles. La Cour n'est rien de moins que la maison la plus accueillante de l'univers ! D'ailleurs, je pense que si un jour quelqu'un doute de l'hospitalité de la Cour, je le bute puis me suicide ensuite ! Heureusement ça n'arrivera jamais, car nous sommes irréprochables.

- Es-tu pressé, Kesha ? J'espère que tu ne l'es pas. T'es là depuis trois ou quatre heures ? J'adore déjà ta compagnie.

J'ai du mal à localiser Kesha dans le temps et dans l'espace. Je crois qu'il est assis sur le canapé laissé vide par Vilaine. Mais Vilaine a fini de servir le thé, alors elle se jette à côté de Kesha, l'étudiant de près comme s'il était un extraterrestre chié par l'espace noir, et mon amie araignée semble peiner à comprendre toute l'étendue de cette imposante normalité.

- Bien. T'es encore un mystère Kesha.
Va falloir qu'on te dissèque gentiment tous ensemble.
Dis nous tout. Qui es-tu ? Qu'aimes-tu ? Comment tu vibres ? Comment tu supportes cette petite vie minable que tu sembles mener ?
C'est ce que je lui demande, de ma voix douce, celle qu'est un parfum enjoliveur pour les oreilles.

Crocopoulet rentre en boitant dans la pièce, voyant qu'on cause il essaye de se faire tout petit. Je l'invite à venir s'affaler pépère à mes côtés. Bec et Tector sont encore plantés devant la porte, à pas trop comprendre où je veux en venir. C'est parce qu'ils sont nouveaux alors ils ont pas les réflexes. J'en ai rien à foutre d'eux, ils peuvent rester, bien sûr. Y a pas mal de monde non ? Le Kesha se retrouve fantastiquement bien entouré ce soir. Y a que des gens biens, de merveilleuses âmes, des cadavres en sursis, validés par R et validés par la Brume.

Plus y a de fous, plus on rit. Y a jamais assez de fous, jamais assez de rire. Plus de fous. Plus de rire. Une infinité de fous conduira à une blague hilarante dont la chute est la fin de l'univers.
Dim 15 Oct - 1:30



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


Le ton sans réplique de l’âne-paon ne laisse pas trop de place à la contestation. Pas question, cela dit, qu’aller s’effondrer dans un de ces vieux canapés où l’on doit s’enfoncer sans pouvoir s’en relever.  D'expérience, ils doivent en plus être infestés de vermine : punaises de lit, gale, puces... La pièce est trop surpeuplée à son goût. Et les regards embrumés sont posés sur lui. D’un bout de botte, il écarte les tessons de bouteilles fracassées qui lui barrent la route et s’assoit à même le tapis, au centre d’un cercle bleu-violet, peint de cette substance exotique qu’il prend bien peine de ne pas toucher ; à la fois pour ne pas tâcher ses habits neufs et par sécurité.

Le jeune homme a éminemment conscience d’être vulnérable entouré par tous ces mutants à la solde de R. A choisir, il préfère encore pouvoir se redresser un clin d’œil et se mouvoir dans toutes les directions. Aussi est-il agenouillé, les fesses posées sur ses talons, les orteils engagés en contact avec le sol. D’apparence passive, c’est l’eau qui dort.

Le regard chassieux et la suggestion bizarre de s’asseoir dans les airs laissent penser qu’il n’est pas très frais. C’est assez inquiétant en soi quand on a déjà entendu quelques rumeurs sur ses exubérances. Ses yeux à lui ne quittent plus R., mais il observe en réalité de son mieux ses acolytes à l’aide de sa vision périphérique et de ses autres sens, notamment celui qui est recouvert de bandelettes et qui a l’air beaucoup plus nerveux que les autres.

La femme araignée revient en présentant une vision absurde, mélange de cauchemar et de service parfait, ajouté au loufoque de cette théière qui… chante. C’est à se demander si les produits qui imbibent le tapis autour de lui n’émettent pas de dangereuses inhalations de drogues dont il serait déjà infecté. Quel que puisse être la composition de ce breuvage, il est certains qu’il n’en boira pas. Quand bien même celui-ci serait offert avec la meilleure des intentions.

Toute cette bande et cet endroit accroissent son inconfort à chaque minute. La simple vue de certains défie l’entendement et le rapproche du dérangement mental. Il tente de se rappeler la raison de sa visite. Car on n’a rien sans rien.
C’est ça, il amène de petites infos. Et il entend repartir lui aussi avec de petites infos. Indemne.

La femme-araignée le colle bien trop pour que ce soit supportable. Keshâ fait de son mieux pour ne pas réagir, quand l’une de ses pattes déplace le bord de son veston et qu’il devine son reflet dans ses yeux surnuméraires au noir d’encre.

R. reprend l’initiative de la conversation en dissipant ce silence pesant. Si l’on fait abstraction des anomalies physiques des malfrats et de leur déconnexion avec le réel, ces questions ressemble à l’interrogatoire sur un ton se voulant nonchalant qu’il a déjà pu subir quelques fois de la part d’un caïd mal luné. Il sait que ces questions douces peuvent vite dégénérer sur un caprice du chef ou un malentendu.

De fait, il ne tient pas du tout à être disséqué.

En même temps, la tournure des questions de R. est franchement bizarre. Qu’est-ce qu’il aime ? Comment il vibre ? Qu’est-ce que ça peut bien lui faire ! En même temps, on dirait qu’il l’insulte.

-« Je suis un vagabond. Mon travail est d’enquêter sur la famille Oystein… du reste, j’aime ma liberté, mon espace, je vibre… je ne sais pas trop ce que vous voulez dire. »

Il hésite un instant. Cela ne lui plaît pas de révéler ce qui lui tient à cœur. Mais ils ont l’air totalement allumés et s’ils ne jouent pas leur jeu, cela risque de leur déplaire et de les ennuyer et il n’a pas envie de savoir comment ils réagiraient
« Eh bien, figurez-vous que… je chante. Cela met tout de suite plus de couleur dans le monde. Mais je ne suis pas sûr que ça vous intéresse… »

Il tente de rester sérieux, malgré la précarité ridicule de sa situation et la voix caressante de l’animal qui semble se prendre pour une forme de divin charmeur. La neutralité de son expression ne résiste pas au balai du poulet-crocodile, qui le laisse effaré. Au moins, le perroquet et le gorille ont l’air de partager son appréhension haletante de ne pas trop savoir ce qui va survenir. Mais ils bloquent bel et bien l’entrée. Il commence à se dire que c’est définitivement la pire idée de son existence et qu’à choisir une potion, il aurait dû aller pour celle de robustesse.

-« A ce que je vois, la danse et le maniement du pinceaux ont l’air d’être vos moyens d’expression. M’en veuillez pas m’sieurs dame. Je n’avale rien qui n’obéisse pas à un régime alimentaire stricte. Ma maladie ne l’autorise pas. J’apprécie néanmoins l’intention et votre accueil. »

Quand il les scrute, les mutants ont l’air pour la plupart franchement indifférent à sa présence, voire ne la remarquent pas du tout. Mais un claquement de doigts de R. et leurs petites oreilles pointues se dresseraient sans doute avec vélocité pour répondre à ses ordres.
-« Êtes-vous ouverts à ce que nous échangions des informations, oui ou non ? »

La tournure sonnait plus abrupte qu’il ne l’aurait voulu. En temps normal, il ne s’exprimerait jamais de manière aussi frontale. Mais, même s’il se donnait beaucoup de mal pour ne pas crisper ses mains sur ses genoux, il était tendu et il avait peur que les esprits vaporeux des fêtards ne saisissent pas des phrases trop alambiquées. Au moindre mot de trop, on allait bifurquer dans des royaumes insoupçonnés.
Dim 5 Nov - 16:51
- Oystein !

Crocopoulet, ce débile, s'agite à côté de moi comme s'il était une marionnette de viande possédée par la Brume ! Il gueule en me cassant les oreilles et ses cris rebondissent sous mon crâne et se glissent dans mes tripes, faut qu'il arrête ça, je lui adresse un regard bien VILAIN de mes deux grands yeux torves -il le capte pas et continue de baver.

- OYSTEIN !

En gigotant hystériquement, il me fout au passage un grand coup de coude dans le museau. Vilaine se plie de rire, tandis que de mes naseaux ruissellent d'une morve rouge fluorescente.

- SALAUDS ! Vous avez détruit ma vie ! Vous...
- Quelle vie ? je demande poliment, une fois.
- Viré ! Du jour au lendemain ! Les huissiers à ma porte une semaine plus tard ! Mon fils... Mon... fils... ?
- Quelle vie ? je redemande poliment une fois de trop ! Mon ton commence à se corser, je le choppe par le bec et le force à se plonger dans l'un de mes yeux. Il y perçoit mon impatience et redevient aussitôt sage comme une image.
- Euh. Je sais plus, R. J'ai... oublié... ?
- C'est bizarre, mon Crocopoulet. T'es né cette nuit non ? Et tu prétends avoir des souvenirs de ton ancienne incarnation ? J'aurais bâclé le boulot et oublié de visiter ton cerveau pour y dévorer tes souvenirs ? Quel SAGOUIN je suis.
- N-Non R. J-Je me souviens de rien ! Tout est flou, je te jure !
- Tu m'as envoyé un coude dans le pif. Si j'étais pas vanné, j'aurais pu très mal le prendre. Aujourd'hui je trouve ça drôle mais demain, j'aurais froncé les sourcils et t'aurait expédié illico presto dans le non-monde. Fais gaffe d'accord ?

Il s'enfonce dans le canap' tout penaud en marmonnant des excuses. Il regarde ses mains, puis ses jambes, puis son ventre, et affiche une expression de terreur répugnante. Crocopoulet vient tout juste de déchirer, avec mon aide, le fin voile de la réalité, il fait ses premiers pas dans mon rêve. Il y a toujours cette première prise de conscience horrifiée avec bave et larmes. Ensuite vient l'euphorie qui perdure jusqu'au décès. Après le décès t'as alors d'autres transformations et ce petit manège ne s'arrête jamais, INSUPPORTABLE. Je sais de quoi je parle, je suis moi-même mort une bonne trentaine de fois et chaque fois mon énergie revient s'agglutiner dans la même mélodie entêtante.

Alors euh ! Revenons-en au... Kesha, un modèle typique d'animal humain qu'on fabrique en chaîne dans les maternités epistotes. Je me tourne vers lui et essaye de me souvenir de ce qu'il vient de me baver.

Y a que des fragments de mémoire éclatés, TOTALEMENT inintéressants. Ce petit morceau de viande m'agace. ENNUYEUX. Ben alors, ben oui ! Cette nuit je me suis entretenu avec les Yeux de la Brume et je sens que ses Réponses me rampent encore sous la moelle cérébrale, rongeant pensées et sentiments. Parler business alors que mon esprit est pas encore sorti de l'espace noir situé dans les Fissures ? Insister et insister et insister et te croire à la maison alors que t'as même pas un corps transgressif qui donne envie d'être admiré et manipulé ?

Tu sais j'aime vraiment pas le ton que tu prends avec moi Kesha ! Tu as d'énormes couilles, c'est clair, mais les testicules se ratatinent bien vite lorsqu'elles sont coupées et plongées dans du formol. Tu t'invites, tu te jettes dans mon canap, tu forces le business et tu ignores le thé de mon amiga ? Comment crois-tu que je vais réagir ? Peut-être en t'arrachant la peau et te transformant en paillasson original qui hurle si quelqu'un rentre chez bibi sans s'essuyer les godasses ? Eh c'est une riche idée ça j'en ai pas encore...

- Je vais ! Je vais...
- Rien du tout, Ulrich-chou. Repose ça et bois ton thé tranquillou d'accord, va pas me péter une veine !


Ulrich aussi ben forcément il est un peu agacé et inquiet, il a sorti un surin d'on ne sait où (il en a des centaines dans son calebute) et mire Kesha d'un air méchant depuis sous ses bandages, maintenant ce sauvage s'empare d'un bol de thé jaune qu'il gobe cul-sec en en foutant partout sur sa chemise (c'est un peu rigolo on dirait qu'il prend une douche dorée).

- Ok ! Alors :
En fait je me fous de tes infos Kéké'. J'ai surtout la dalle pour tout t'avouer
Nous sommes de beaux prédateurs affamés. Si tu veux nous dompter, commence par nous nourrir.
T'as dis que tu chantais. Et si tu nous piaillais une jolie berceuse ?


Il a pas le choix ce petit coco va devoir nous régaler d'un sacré banger s'il veut sortir d'ici entier. Un air surpris pointe sur ce visage cireux, t'as aucune idée des lois qui régissent mon petit univers, tu te crois chez les baryoniques ou quoi ? La moindre des choses, quand on change de dimension, c'est de se renseigner sur la physique qui régit ta destination.

- CHANTE.
Si ta voix me ravit, je te promets de t'ouvrir toutes les portes que tu veux.


La scène est à toi. Sitôt que j'ai ordonné le divertissement, tous les regards, curieux, hostiles, amusés, se braquent sur toi.
Mer 15 Nov - 6:00



Les mains dans la glaise

Ft. Ratamahatta


AMBIANCE

Keshâ au pays des merveilles. C’est ainsi qu’il devrait décrire cette dégustation de thé et de biscuits salés entre gens charmants. Ils pourraient fonder un collectif d’artistes Epistote underground. Du moins, dans un futur proche, c’est ainsi qu’il y repenserait avec ironie, après avoir découvert l’issue de son roman noir « Ministre Ekiel et Tueur Akesh » et été catapulté hors de la carte de l’enclave dans les entrailles d’une tour sans fenêtres infestée de son pire cauchemar : les Jiangshi.

Il repensera alors avec tendresse, à ce philosophe sagace, R., chantre de la beauté, qui l’aura tant préparé à ouvrir les berges de son esprit à de nouveaux possibles. Il est cerné entre Tector, Vilaine, R., Ulric, Stain et croco-poulet. Ce dernier se fait remarquer en hurlant lorsque Keshâ tente de recentrer la discussion autour de ce qui l’amène. Le spectacle est à la fois énervant et désolant, bien que la remontrance de R. semble donner une teinte angoissante à ce débordement.

Le jeune homme en vient presque à être désolé pour lui quand il frappe son chef en plein visage. L’araignée-libellule a l’air de savourer le dérapage. Keshâ, lui, sent les choses tourner au vinaigre, pour le croco-poulet, comme pour lui dans peu de temps. La substance mollasse de couleur totalement écœurante qui s’échappe des naseaux de R. achève de lui couper l’envie d’exister. A dire vrai, c’est peut-être la diversion rafraîchissante qu’il attendait pour prendre la clé des champs ?

Mais il n’a pas besoin de lever une oreille pour sentir le regard frénétique aux pupilles tremblantes d’Ulric lui percutait la tempe. Il se jettera sur lui au moindre geste superflu. Aussi n’est-il que statue non vivante tentant d’effacer sa présence face à la misérable scène. Un sentiment de pitié semé d’abjection le dévore. R. ce monstre ! En plus de découper un pauvre citoyen déshérité d’Epistopoli et de le contraindre à vivre comme une chimère grotesque… il, il, il mutile les esprits, fait d’eux des servants, les plonge dans sa secte jusqu’au cou. C’est bien pire que la mort, bien pire que les cages du Magistère, bien pire que la Brume elle-même et tous les Jiangshi de la terre !

Son estomac se rétracte dans son œsophage. Par chance, il n’avait rien avalé. La mort serait le plus beau cadeau qu’il puisse offrir à cette âme infortunée pour abréger ses tourments au lieu de vivre mutilé de tout son être. La mort serait aussi le plus beau cadeau que l’on puisse offrir à Epistopoli. La mort de R., ce dément ! Ce n’est hélas pas de sa main qu’elle pourrait venir. Elle tremble encore d’avoir planté sa dague dans le ventre de Mathieu, ce pauvre orphelin, lors du duel judiciaire pirate. La loi du sang! La loi du sang! entend-t-il encore tonner aux franges de son esprit aliéné.

Le regard faussement calme de l’âne-paon le couve d’une lueur folâtre qu’il perçoit comme malveillante. Il arrête pourtant l’homme invisible qui semble survolté, presque la bave aux lèvres, telle qu’on peut se l’imaginer au lieu de la voir. Cette espèce de malade était prêt à l’embraucher, d’une manière totalement décalée et gratuite. Même un gang n’aurait pas réagi ainsi à ce stade. Mais, dans la salle, il sait encore de qui émane le véritable danger. Bien pire qu’une estafilade dans les tripes ou sur son doux visage, cette gueule ricaneuse serait prête à lui mettre un cou de dindon et une queue de baleine en lui retirant le peu de souvenirs heureux qu’il lui resterait de son enfance.

Le déferlement de liquide jaunâtre sur les bandages du taré va du côté rassurant de la situation. Ça a l’air de calmer tout le monde. Sans doute un psychotrope nébuleux ouvrant le portail d’autres univers enchantés.

Nous y sommes enfin : les menaces. La demande de R. peut-elle être autre chose qu’un piège ou une humiliation ? Lui donnera-t-il quoi que ce soit. Sophisme. Maintenant, le garçon n’est même plus en attente de réponses, mais seulement d’une issue de secours hors de cet asile d’aliénés. Ils veulent une berceuse ? Soit. Son seul regret, s’il pouvait en avoir conscience, est de ne jamais avoir entendu parler du cristal d’inertie.

En attendant, il va falloir donner le change. La musique adoucit les mœurs, la plupart du temps. Il va devoir doublement faire oublier le coup dans le pif donné par croco-poulet, son insubordination et apparemment sa propre impolitesse. Poussant sur ses orteils, il se relève souplement, pivote en lenteur pour toiser son auditoire : un scarabée, une araignée-libellule, un gorille, un âne-paon, un débile invisible et un croco-poulet. C’est qu’on pourrait les voir comme un public chiadé du ghetto avec leurs chemises ouvertes et des accessoires bling-bling, au milieu de leurs canap’ et des verres brisés.

R. se fout sans doute du supplice que ça représente pour lui de chanter devant des inconnus, dont un au moins ne rêve que de l’éviscérer. Mais puisqu’il faut gagner du temps, il va s’efforcer de leur désarticuler les fractales. Qui sait? Dans les vapeurs sirupeuses de leur thé pouacre, peut-être que sa voix et sa carrure seront améliorées de quelques effets spéciaux.

Chant précieux 42 : Les failles de l’air.

Il carre les épaules, s’ancre dans ses talons, laisse son regard porter dans les verrières fracassées, avant de glisser dans les reflets lumineux des éclats brisés au sol capturant son attention. Sa voix s’élève, douce, comme un souffle. Ce n’est certainement pas le genre de musique à laquelle ils sont habitués. Il n’espère même pas qu’elle leur plaise. Ne sont-ils pas adeptes de ces percussions répétées et violentes à fendre les tympans jusqu’à perdre le sens de l’existence ?

Le Chant s’élève. Lent, immuable, de cette langue que lui-même ne sait plus parler et qui précède les âges Urhois. Aucun mot ne semble se détacher de ces voyelles et ses consonnes fortement frappé, à part peut-être « Cryst Magnus », de dialecte différent. Il y a cette mélancolie tragique et cette accusation pleine de colère dans ce son qui roule, s’enroule et se disperse dans l’air. Il a choisi cet air qui lui semble propice à la transe. Sa voix semble se dédoubler. Elle devient diphonique. Plus basse et profonde que sa silhouette ne laisse deviner.

Un tambour serait bienvenu pour frapper les esprits embués collés aux carreaux de leurs sclérotiques rougies. A défaut, son talon frappe le sol fortement. Une fois. Deux fois. Tac. Tac. TAC TAC TAC ! Il Plus qu’un bruit, c’est une cavalcade qu’il espère essaimer dans leurs cerveaux effilochés dans les profondeurs du myste. Il est loin de se douter que certains, il y a fort longtemps, s’étaient fait une maîtrise à travers ce chant de l’art de fendre la roche et d’ouvrir des portails à même le vent.

Attendant le couperet fatidique, durant un bref instant de grâce, perdu dans son monde à faire voyager les autres, Keshâ se rend plus tout à fait compte qu'il est là. Un écho, un vide, le silence répercute l'onde avant de mourir à son tour. Combien de temps s'est écoulé? Cinq minutes, une heure? On dirait qu'on l'a laissé vivre pour terminer sa chanson.