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De par les vents, la voie des dunes

De par les vents, la voie des dunes Brandw10
Mer 13 Sep - 21:19
Comme un grain de sable dans le désert
Les dunes comme des vagues, le soleil à l’horizon




Ils étaient loins, les bois denses. Loins, les feuilles vertes couvertes de rosées. Le cri des macaos un lointain souvenirs, le goût des mangues sauvages un triste vestige au bout de sa langue. Maintenant il ne restait que la mémoire, des échos tordus de sa naissance qui n’avait pourtant pas quelques mois.
Disparu. Paru. Paria. Lö avançait entre les dunes, un fétu dans le vent.

Le chemin avait été long depuis Aramila. Si elle se retournait assez vite, tournait la tête assez rapidement, elle pouvait presque voir les remparts de la cité-four dans le coin de sa vision, comme un vieux fantôme qui la poursuivait jusqu’au confin du désert. C’est qu’elle était persistante, Aramila. Une vraie guerrière, qui t’attrape, et t’essort. Elle avait vu un jour deux debouts comme elle, des gens qui lui ressemblaient, au bord de la rivière, tremper des gros morceaux de tissu dans l’eau avant de les tordre dans tous les sens. Oui, elle se sentait comme ça, Lö. Peut-être qu’elle aussi était un gros morceau de tissue et qu’elle attendait simplement qu’on vienne la tordre dans tous les sens.

Aramila avait presque réussi. La poussant jusqu’aux confins de sa patience, même si c’était encore dur de comprendre pourquoi elle était restée si longtemps dans la ville, alors que celle-ci n’était rien d’autre qu’une étuve étouffante. Partout, elle captait des émotions en pagaille, grosses comme elle, lourdes, grasses, de la joie extatique, de la crainte, de l’amour, de la haine… Elles venaient s’entasser sur ses petites épaules déjà pas bien épaisses, et bientôt l’hespéride s’était réfugiée dans les bas quartiers pour respirer un peu. Là, l'espoire était petit, discret. Pas beaucoup d’émotions à vivre, la vie y a été plus douce. Mais sa jungle lui manquait. Elle n’était pas à sa place. Elle voulait les arbres qui touchent le ciel, les feuilles plus grandes qu’elle, les fruits à chaque branche, la vie.
Sa fuite avait été spontanée, sauvage. Rien emporter à part de l’eau, quelques vivres. Chasser.

Puis le sable. Rien que le sable. Son visage était à moitié cachée par la grande cape de jute qu’elle portrait à bout de bras, à moitié maintenue par des liens mal noués - en quatre mois sur cette terre, elle n’avait pas encore appris à faire ses lacets correctement. Ni à avoir un goût vestimentaire avancé. Le vent soulevait parfois le tissu pour révéler une chemise d’homme bien trop grande pour elle, qui flottait aussi dans le vent, laissant parfois saillir le contour d’une hanche osseuse ou d’une épaule dégarnie.
Elle n’avait plus d’eau depuis bientôt une journée; Et les émotions lointaines de son coeur lui soufflait que comme le jaguar tue sans réfléchir, elle pourrait bien tuer pour de l’eau.

Les dunes comme des vagues, le soleil à l’horizon… Puis il y eut… Quelque chose. Un bout de blanc qui court au loin. Puis un rien de vert. Puis c’est tout le désert qui avait pris vie, dans une explosion de couleurs. Avec plus de temps, elle apprendrait qu’il s’agissait d’une oasis marchande, un relais dont se servaient les caravaniers et les courageux habitants des dunes pour vivre plus paisiblement. Pais pour elle, c’était une épiphanie. Grisée par les émotions qui lui parvenaient par vagues nerveuses, la soif qui lui tournait la tête, elle hâta le pas pour parvenir à ce mirage. Dés qu’elle le pu, elle plongea la tête la première dans l’abreuvoir des bêtes pour y boire tout ce qu’elle pu - après tout, si elles le pouvaient, pourquoi pas elle?

Le lieu… Partout, des debouts. Des grands, des petits. Ils ne ressentaient pas tous de la même façon: un petit groupe plus loin semblait la craindre et elle ressentit leur peur, qui crispa son ventre plein d’eau en lui faisant faire des bruits de grenouille. Là bas, une debout était inondée de joie devant un grand debout aux cheveux hirsutes. La fatigue. L’épuisement. L’excitation. Lö perçoit. Elle perçoit tout. Et ça lui fait mal au crâne.

Plus loin… Elle voulait voir les fleurs, les buissons qui ressemblaient plus à de gros cactus aux branches tressées. Là, c’était plus doux. En s’asseyant entre les plans, elle regarde les alentours, et qu’on arrive à nouveau dans de petites maisons montées sur de grands cercles qui tournent. En tendant l’oreille, elle entend des mots. Aravane? On en descend. On y monte. On part… On part! Partir! Se hissant sur ses jambes, elle tituba un instant avant de se glisser hors de la vue du petit groupe qui se formait déjà autour d’un nouvel arrivage. Ils se parlaient, parlaient forts. Et pendant qu’ils parlaient, elle se faufile derrière le convoi pour observer les petites roulottes. Grands… Vaste. Oui, il y avait assez de place pour elle! Elle pourra partir. Loin, dans le vert. Le vert.
Lö escalada comme elle le pu, se laissant tomber dans la caravane, avec au loin les échos tordus de sa naissance, la forêt. Aravane pourrait l’y emmener, c’est sûr.


Dernière édition par Lö le Ven 15 Sep - 12:07, édité 1 fois
Jeu 14 Sep - 12:35
La caravane va repartir, nous atteindrons la prochaine halte avant la nuit.

Je passais une dernière fois le tissu humide sur mon cou, mêlant l’eau claire à la crasse du désert que j’espérais faire partir. N’allez pas croire que je rêve d’un bain, mais il est vrai que s’il y avait bien quelque chose que j’échangerai dans le désert, c’est cette chaleur accablante.

Le soleil est l’ennemi, on peut essayer de se défendre comme je le faisais avec des étoffes larges et du change caché dans une jarre au frais, mais c’est un combat déséquilibré, perdu d’avance, une course contre le temps avant que la chaleur ne gagne.

Si je n’avais jamais été un admirateur du désert, je ne pouvais pas en dénier la beauté, assis comme nous l’étions dans cette oasis, les ondulations de sable laissé par le vent sur les dunes apportent un relief merveilleux. Les grands espaces, là où les villes vous protègent, elles enferment aussi votre vision entre quatre remparts.

Bien, j’arrive chef.


Je me redressais et m’assurais que les bêtes avaient suffisamment bu, que les gourdes étaient pleines pour assurer cette dernière étape du jour.

Je n’en étais pas à mon premier voyage dans ces dunes, aussi la force de l’habitude me permettait d’être un compagnon au moins utile dans le convoi. Seul un noyau dur devait nous accompagner jusqu’à destination pour moi et le colis que je transportais. Pas d’épices ou autre marchandise cette fois. À Aramila, mon nom était encore mal vu par certains. J’avançais donc sous l’une de mes couvertures nécessitant le moins de préparation pour cette fois… Et éviter d’attirer les soupçons sur un jeune marchand allant régulièrement dans toutes les grandes villes.

Ainsi, le jeune Podrick, recommandé par un autre caravanier au chef de ce convoi, l’avait rejoint en tant que palefrenier suite à la malheureuse maladie de l’habituel préposé. Un garçon simple, un peu limité. Tout n’était pas parfait, mais je connaissais assez les animaux et le fonctionnement des caravanes pour ne pas faire d’impairs autres que ceux qu’un novice ferait.

Je rejoignais le reste du convoi, disparate. Il n’était pas immense, mais avançait à bonne allure. La nouvelle de la réunion au sommet à Opale attirait les curieux et badauds de tout Uhr, non pas qu’ils aient un rôle à jouer, quoique, mais les lieux de pouvoir, là où les décisions se prennent, attirent irrémédiablement.

Je sentais le sable chaud sous mes pieds alors que mes bottes s’enfonçaient dans celui-ci, la nuit et sa fraîcheur seront la bienvenue. J’arrivais au milieu de la réunion de mi-journée. Le chef de cette caravane adorait cette sensation d’autorité, qu’il écoutait les recommandations de ses gardes ou des autres chefs d’attelage, mais à la fin, la décision lui revenait toujours.

“... en contournant par l’est on mettra peut-être une heure de plus, mais c’est faisable dans la pénombre et nous aurons plus frais qu’en avançant en plein soleil.
- Non, nous irons par l’ouest, coupons au plus court.”


Il entendait, mais n’écoutait pas. Je voyais bien son regard amusé, il toussa calmement, pour attirer l’attention sur lui. Le torse gonflé, il faisait mine de réfléchir avant que sa lourde voix ne sorte de sa gorge clamant à ce simili conseil et aux autres participants de la caravane.

Le plus court, c’est tout droit sur la dune. C’est par là que nous irons.

Sur l'arête de la dune donc, la décision était prise. Irrévocable. Certains protestèrent, mais rapidement la machine se remet en marche, huilée par les jours déjà passés ensemble et les voyages que le groupe auquel je m’étais greffé avait déjà faits.

Torin, Alf, on avance en formation pointe de flèche, vous prenez les côtés. Daroco, tu pars en éclaireur devant point toutes les heures jusqu'à l'arrivée. Gaffe aux Yeaarks. Ned tu tournes, t’assures que tout ce petit monde suive et que ça jacte pas trop.... et toi Pod, tu fais pareil avec les bestiaux et tu fermes la marche. Dare!


Il souriait, prenant la tête de ce convoi. Je me tournais vers les montures qui avaient été mises au repos après cette première étape, souriant chaleureusement au passage aux voyageurs qui nous accompagnaient. Quelques nouvelles têtes arrivaient de l’oasis. Ils allaient prendre le pli de cette caravane, son rythme, ses pulsations, comme tout le monde. J’attachais solidement les cordes à la dernière voiture, celle qui comptait toutes les affaires du groupe encadrant. Assurant que les bêtes avaient assez de jeu pour ne pas se gêner les unes les autres, je donnais une petite tape amicale à l’encolure de l’un des Tamanains.

Me hissant sur le banc de l’attelage, je sifflais entre mes dents pour mettre en mouvement la queue du convoi au rythme du reste.
Ven 15 Sep - 12:07
Le souffle est chaud sur le sable aride
Sous la silice, le temps coule lentement.
Peut-être va-t-il rejoindre en bas les rivières

Un bruit de tissu, le murmure du vent. Une petite goutte perlante sur un front pâle qui finit par tomber entre deux clavicules. Péniblement, elle ouvre un oeil. Puis deux. Ils se posent sur un monticule de sacs de toiles de taille diverse et variée - des grands à l’allure cotonneuse, de petits remplis d’objets anguleux qui leur donnaient l’aspects de jouets pour enfant. Sagement assise entre deux barriques, Lö reprenait doucement conscience. Quand s’était-elle endormie? Quand est-ce que le sommeil l’avait cueillie pour l’emmener loin de cette chaleur étouffante?

Une chose était certaine, elle n’avait pas froid. L’hespéride dégagea presque immédiatement le voile de sa tête, libérant au passage une crinière flamboyante de boucles sauvages, certaines maculées de grains de sable que le désert avait jeté sur elle - sans doute ressemblait-elle trop à une dune, aussi. La chaleur de l’aravane était lourde, l’air rare. Ou alors était-ce le désert qui l’était plus encore, et elle se retrouvait à présent dans une prison dorée qui la protégeait des rayons dardents. Dans un cas comme dans l’autre, la curiosité et la faim commençait à lui tirailler les entrailles. C’était un nouveau monde… Tout petit, certes. Mais un nouveau monde, quoiqu’il en soit.

Comme l’aurait fait une souris, elle ne bougea pas tout de suite. Silencieuse, subtile, elle tendit un bras puis l’autre pour se pousser du sol - elle parvint à étouffer le bruit de ses pieds sur le sol rigide, mais pas son aspiration brusque quand elle se retrouva accroupie au milieu des objets. Le sol n’était pas du.
Ou alors… Si?
Non, il bougeait. Il était mou.
Il n’était pas mou… Il.
Il partait sur le côté. Comme elle sur l’eau. Comme le nénuphar sur les vagues.
Il tanguait.
Non, c’était tout qui tanguait. L’aravane bougeait.

Ses yeux s’écarquillèrent brusquement, chaque fibre de son corps se gainant doucement pour se maintenir en position et lutter contre l’inertie qui luttait contre ses gestes. L’aravane toute entière était en mouvement. Dés qu’elle le pu, elle porta ses deux mains sur ses lèvres - c’était comme si… Oui, c’était comme si elle volait, mais portée sur un support! Comme les oiseaux, sauf que, contrairement à eux, elle le faisait depuis l’intérieur d’un cube sur roues.

Comme les petits debouts qu’elle avait vu courir après un chaton à Aramila, elle se précipita sur le fond de l’aravane, renversant au passage une caisse pleine de bouteilles épaisses - qui échappèrent miraculeusement à la mort - pour pousser d’un grand coup les rideaux de tissue qui la séparaient de la vue. Face à elle: des dunes et des dunes, par dizaine, qui avançaient comme un troupeau au gré des vents. En réalité, c’est elle qui avançait. Enfin, pas vraiment. Ses pieds n’avançaient pas, et elle savourait secrètement ce miracle de pouvoir se déplacer, mais par sur ses jambes. L'espoir fit naître le rouge sous ses joues: peut-être que l’aravane l’amenait vraiment à sa maison.

En croisant ses bras sous elle, Lö se laissa choir contre le rebord de l’engin, se perdant un peu sur l’horizon, savourant l’instant, tellement grisée qu’elle ne remarqua pas l’autre. Le calme qui battait non loin. Pas le sien, non. Quelque chose de faible, de silencieux.Comparée au poids de sa joie, il était plutôt discret - plutôt tranquille, un battement sage et concentré. Mais si il n’avait pas remarqué le tintamarre venant de sa caravane, l’hespéride aurait fini par le sentir - une émotion complexe qui domine celle des bêtes de l'attelage, qui finalement ne ressentaient qu’une usure unanime et une bête paix.
Maintenant, elle était en alerte, Lö. Les yeux tournés vers l’autre côté de l’aravane, elle observait. Elle regardait. Elle redoutait. Redoutait le debout qui partageait sa monture inconsciente. Et en même temps, elle brûlait encore d’une inextinguible curiosité, qui séparait son coeur en deux.  

Le vent souffla fort, faisant rouler les bouteilles sur le sol sablonneux. Comme une dune, Lö se fit poussière, espérant secrètement que le souffle de la brise couvrirait des bruits impossibles à étouffer. Silence.
Sam 16 Sep - 10:36
C’était pour moi un moment de détente, pas d’autre obligation que de conduire cet attelage qui, il faut bien l’avouer, avançait déjà dans la bonne direction et le bon rythme à la force de l’habitude. Le paysage pouvait bien changer, les dunes se mouvoir, les astres tourner, ils iraient toujours droit dans la ligne de mire que le golgoth traçait. Tout droit.

Je marquais le temps qui passe par les allées et venues de Daroka à l’avant. Une fois, deux fois, trois fois, l’éclaireur venait faire son rapport. Concis. Tout ce qu’attendait le chef de la caravane, est-ce qu’on peut continuer par là ? Doit-on ajuster ? Des éléments particuliers à prendre en compte au-delà de la prochaine dune ? Et il adaptait la route, ajustant de quelques degrés sa pointe de flèche parce qu’ils s’étaient un peu déportés sur l’est. Pestant d’avoir perdu une dizaine de minutes ainsi.

Je devinais les échanges plus que je ne les entendais, me basant sur les gestes qu’ils échangeaient à l’avant. J’étais plus parasité par les bruits des animaux et du convoi en général. Les roues qui font crisser le sable, qui le tassent, qui créent des ornières devant moi. L’ensemble n’était pas l’un de ces immenses convois, mais il y avait toujours des choses à glaner de ce que les marchands pouvaient se dire dans ce genre de situation. Ils venaient de loin ou de près, ils n’avaient pas la même histoire, mais ils avaient la même avidité pour les rumeurs et les informations. Je soupçonnais d’ailleurs qu’ils aient été à la base de ce qu’est l’Ordre aujourd’hui, des colporteurs d’histoire, des spectateurs du monde qui ont commencé à agir.

Les histoires par rapport à l’infiltration ratée du Concile commençaient à peine à être remplacées par d’autres rumeurs locales. Je réajustais machinalement le tissu qui protégeait ma tête et mes cheveux en continuant d’écouter.

“... C’est quand même étrange, en même temps que la reconquête de Dainsbourg, beaucoup de coïncidences…”

Un bruit sourd derrière moi, sans doute une caisse qui était mal fixée, ce serait pour ma pomme très certainement, mais il serait toujours temps de réparer ça une fois arrivée au prochain camp.

“... S’tu veux mon avis, c’t’encore un coup de ces gars-là, les Kobolistes, t’en a entendu parlé?
- Vaguement.
- Faut qu’tu passes à Aramila, ils sont de plus en plus nombreux à s’afficher, ça fait jaser en haut lieu à c’qu’on dit.”



Je n’avais pas eu de raisons particulières de retourner à Aramila depuis l’incident si ce n’est pour amener les récoltes prêtes sur les quais que des navires marchands étaient ravis de l'acheter à bas prix. Ça me permettait de continuer à faire tourner l’affaire et à éviter de m'attarder dans cette ville où les regards et les messes basses allaient bon train.

On approchait d’une nouvelle dune, plus imposante celle-ci. Le convoi ralentissait devant moi alors que les Tamanains commençaient leur ascension. Je buvais une gorgée d’eau tiède, le vent se levait, je voyais des ondulations beaucoup plus rapides se former à notre gauche. J’aurais sorti les lunettes, récupérées habilement sur une précédente infiltration, réussie cette fois, mais elles auraient fait tache pour Podrick. Pas tant pour le bénéfice certain qu’elles pourraient m’apporter, mais plutôt pour la protection de mes yeux. Enfin, à quoi bon voir tout autour le sable à perte de vue. Je resserre mon écharpe sur mon visage. J’avais aussi appris que le sable est vicieux, insidieux. Je voyais à travers une fente de tissu à présent, Ned approchait, amusé de me voir ainsi. Il entendit ma voix étouffée.

Le vent se lève chef…

J’appelais tout le monde chef, c’était plus simple que retenir des prénoms inutiles et tout le monde en semblait ravi. J’entendais encore des bruits sourds alors que, ça y est, nous montions. Je soupçonnais des choses de rouler librement à l’arrière et je voulais éviter qu’on me reproche d’avoir perdu quoi que ce soit. Si l’encadrement était franc et de plutôt bonne condition, ça n’en restait pas moins des rustres où la sentence physique était le plus souvent la norme.

Tu peux juste tenir les rênes? Je dois aller vérifier quelque chose derrière.


Il devait s’imaginer que j’avais un besoin quelconque à assouvir à l'abri des regards. Il hocha la tête face au simple Podrick et attrapa les rênes, menant les bêtes depuis sa propre monture. Je descendais la marche lestement et mon pied entier s’enfonça dans le sable chaud qui venait de se faire déposer. J’attendais là, que la caravane passe devant moi pour minimiser les efforts. Je voyais les bêtes derrière, circonspectes, est-ce qu’on allait devoir retourner au labeur ? Non mes belles, pas encore, pas aujourd’hui. Je voyais ensuite des rideaux claquer au vent. J’avais raison sur ce point, les bourrasques arrivaient. J’étais aussi sûr de les avoir bien liés les uns aux autres.

Enfin, je vis apparaître un feu roux au milieu des rideaux et des tissus. Surprise.

Oh
Sam 16 Sep - 23:40
Quel mystère traverse son regard?
Un secret comme un nuage occulte ses prunelles.



Oh.

Comme un ricochet. Un petit caillou sur l’eau, qui effleure sa surface avant de tomber au fond du lac. Oh, c’était le son de la découverte, de la confrontation. Oh, c’était tout ce qu’elle redoutait, et en même temps, qu’elle voulait plus que tout.
Le bruit de la surprise. Elle pouvait la sentir par vagues brusques et dirigées. Comme le tonnerre qui gronde, ou les premières gouttes de pluie. Elle lui tombait dessus, un peu pour elle aussi, tout aussi surprise de tomber face à un regard, un regard distant, tout emmitouflé dans une couche de tissu.

Quoi faire. Que faire.  

“- Oh.” Le son s’échappa de ses lèvres à elle, aussi. Comme un ricochet. Sauf que le sien ne rebondit pas sur la surface, et tomba entre eux comme une pierre.

A son tour, son cœur se remplit de surprise. Elle s’était même reculée à sa vue lorsque celui-ci s'était approché, que sa silhouette s’était dessinée dans les grands rideaux charriés par le vent. Il aurait pu être un avatar du désert, abrité par sa coiffure étrange.
Qui était-il? Un debout, sans aucun doute. Mais contrairement aux autres, elle ne pouvait distinguer que ses yeux - ils étaient loin, loin derrière les remparts protecteurs qui entouraient tout son crâne. Cela allait à l’encontre de ses croyances, pourtant. Elle avait bien vu que pour survivre, il fallait d’abord respirer. Que le nez puisse humer l’odeur du monde, que la bouche puisse soupirer quand vient la tristesse. Lui n’avait rien de libre, tout était caché. Dans le tissu, dans les rideaux, dans le vent.

Devait-elle fuir? Elle se revoyait dans la jungle, des lunes plus tôt, face aux jaguars, aux macaques: en la voyant, tous avaient le même réflexe dans la surprise: la fuite. Ses yeux firent rapidement le tour de l’aravane. Son sang aurait pu bouillir tant il s’était brusquement rempli d’adrénaline, comme si tout criait le danger imminent. Mais elle était coincée. Entre quatre murs de bois, entre quatre planches, le fond bouché et de l’autre côté, le désert. Et là, elle n’avait pas envie d’y aller. Y rejeter son corps tout neuf, ses pieds ouverts, ses paumes brûlées, sa peau foncée. Non, elle était mieux dans cette aravane.

Rapidement, le debout eut de nouveau toute son attention. Il ne semblait pas particulièrement méchant, ou agressif. Il ne montrait pas ses dents, ni ses mains. A Aramila, elle avait vu toute sorte de debouts. Certains qui s’affrontaient comme des singes lors que la lune avait annoncée la nuit, aux dernières lueurs du jour. D’autres s’enlaçaient comme les koalas sur les branches. D’autres se contentaient d’échanger des mots - souvent compliqués - et d’y répondre avec d’autres, toujours plus compliqués, et finalement, au bout d’un échange de ces paroles, de ce langage qu’ils se lançaient au visage, ils repartaient satisfaits.
Les mots… Comment disaient-ils déjà? Une… Une… Une versation! Oui. Elle devait faire une versation. Ou était-ce le logue? Une condilogue? Ses souvenirs des rues pavés et des mots échangés mais peu compris lui revenaient en tête. Peu de pratique, peu de recul, et elle aurait pu se noyer en quelques mots dans un verre d’eau.

Avait-il seulement une bouche? Prudente, elle s’approcha de ce mystère au visage bandé. Elle portait elle aussi du tissu, partout. Mais pourquoi en avait-il sur le visage? En s’approchant de lui, elle remarqua quelque chose. Une autre émotion, plus usuelle, plus paisible. Il y avait quelqu’un d’autre, dehors, avec les animaux. L’hespéride était prise de cours. En face à face, elle pouvait avoir un condilogue, mais si il y avait deux debouts… La créature commençait à peine à comprendre le concept d’avantage numérique quand elle se hissa comme elle le pu sur ses genoux à nue, au milieu des bouteilles voguant libres, et elle-même tanguant comme elles à chaque caprice du sable avec la sensation d’un mot de travers signera sa perte.

Lö.” Elle posa sa main à plat sur son diaphragme, murmurant son nom dans l’espoir d’entamer une versation. Mais elle commençait par la fin de l’histoire, mettant le début au bout et la salutation, non sans la forme, au dernier wagon. “Bon-grand jour.” Elle dessina avec sa main un salut, qui ressemblait plus à un croissant de lune qu’à l’habituel secouage de paume qu’on s’échange de loin. Le mot… Qu’est-ce que c’était ce mot déjà? Elle l’avait sur le bout de la langue, le mot des mains tendues et des poignets, le mot que cet enfant lui avait murmuré dans la rue. “Ami?” Ses yeux s’étaient creusés de craintes, cherchant ceux au travers des bandelettes, ignorant tout le visage qu’il n’y avait pas autour. Si les choses tournaient mal, elle savait qu’elle pourrait tenter la fuite mais…
Oh.
Mer 20 Sep - 11:43
Pas d'agressivité, j’étais un peu tendu par la surprise, mais aucune attaque ne venait. Elle réagissait comme moi, par surprise. Fallait-il qu’elle pense pouvoir faire la route clandestinement jusqu’à Opale ? Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, les passagers clandestins de ce type il y en avait toujours tant les mouvements et arrêts des caravanes sont nombreux. Ils profitent de la protection du groupe en se faisant discret, grappillant quelques vivres et disparaissant dans la nuit.

Mais elle n’était pas de ce genre-là. Là où ceux pris la main dans le sac pouvaient se montrer violents, elle affichait aussi un air surpris, comme si elle ne s’attendait pas à cette éventualité. Elle était surprise, elle avait peur, son visage trahissait bien trop la tempête qui s'agitait dans sa tête. Elle paraissait… Innocente, comme si tout était trop neuf, trop nouveau pour elle, comme une situation qu’elle n’avait jamais vécue.

Elle était jeune, elle était une anomalie. Fagotée comme elle était, c’était un miracle qu’elle a pu même atteindre notre convoi. Au milieu des toiles et des tissus qu’elle portait, au milieu des bouteilles renversées qui se déplaçaient comme des vagues dans cette caravane au mouvement lent, elle s’approchait de moi. Je dus faire quelques pas également, j’étais resté confus en la découvrant, c’était un Tamanain qui me sortit de mon état en me mettant un léger coup de tête. Avance humain, personne ne t’attendra.

Quelques mots, quelques gestes peu assurés. Lö…

Ami ? Non ma petite, ce serait trop simple, mais je comprends ton intention. Voyons si on peut être amis comme tu dis, voyons si on peut être utile l’un à l’autre. Le voyage est encore long, faisons passer le temps, vivons ça comme une nouvelle expérience. Je hochais la tête, retirant le voile devant ma bouche. Il fallait créer de la connexion. J’affichais un sourire feint, imitant les gestes qu’elle avait dues elle-même voir et qu’elle tentait de reproduire. Main sur le torse.

Podrick. Ami!

Pieux mensonge, j’évitais de sortir de mon rôle, quel aurait été l’intérêt ? Je marchais au rythme de la caravane, l’ombre salvatrice me protégeant en ce milieu d’après-midi. Les bourrasques se renforcent, des nuages se forment, une course contre la montre s’était engagée, je le sentais car je devais allonger mes pas. Le risque de se retrouver coincé dans le sable.

Attends, je reviens.


Parler simple, ses mèches sauvages, son phrasé, sa posture traduisait quelqu’un qui n’avait pas une grande expérience de la civilisation. Enfant sauvage certainement, comment avait-elle tenu jusque-là ? Chance ou destin, que sais-je ? Je remettais rapidement ma protection devant mon visage, utilisant le véhicule comme un barrage, je luttais pour revenir à l’avant. Ned commençait à regarder vers l’horizon lui aussi, se protégeant comme il pouvait. Je l’alpaguais.

C’est le bordel à l’arrière chef, y a des bouteilles partout, faut que je m’occupe de nettoyer.

Il grogna, est-ce que c’était vraiment la priorité ? La formation se resserrait autour de nous, formant plus un losange qu’une flèche. Le chef continuait d’imprimer la cadence, vétéran du fait, il savait qu’il devait continuer à avancer, imprimer un mouvement, ne pas rester statique au risque de s’enliser.

Y a les bouteilles de vin opalin que le chef adore, t’imagines si ça casse ? Pas bon pas bon...
- Ouais, pas beau à voir, vas-y.”



Il siffla, indiquant un changement de plan à l’arrière. Fini la balade au milieu des caravanes, on avance et on imprime le rythme à l’arrière pour que le convoi ne s’étire pas. Je revenais vers l’incongruité, le grain de sable dans l’engrenage en retirant à nouveau le tissu devant mon visage. Lö.

Je suis là, pas de panique. Je monte.


Joignant le geste à la parole, j'attrapais le bord du véhicule et rejoignais lestement l’intruse. La fine protection de bois était suffisante pour préserver cette retraite, seuls les sifflements entre les planches et les bandes de tissus à l’arrière laissaient présager des bourrasques. Je lui laissais le temps de s’habituer à ma présence, comme on l’aurait fait avec un petit animal. Je commençais à ramasser les bouteilles qui continuaient de s’entrechoquer, je faisais ma vie.

Qu’est-ce qui t’amène ici, Lö?


Il fallait que je pose ces questions, comprendre qui elle était, même ce qu’elle était, ce qu’elle faisait là. Et est-ce qu’elle pourrait m’être utile à quelque chose ?
Sam 23 Sep - 19:13
Le zéphyr se lève, soulève le sable du désert.
La tempête approche… Bientôt hurlera le vent.

Elle n’était plus capable d’entendre autre chose que le bruit des toiles qui s’agitent contre les rebords de l’aravane. Comme les ailes des oiseaux, le frappement du tissu battait l’air chaud du désert, et abritait sa voix tant que possible - du moins, elle l’espérait. Sous le soleil brûlant, tout prenait un air d’ennemi. Tout était dangereux. Tout était nocif. Et elle était méfiance.
Elle le fixait avait une intensité rare, tant il lui semblait que sa vie ne dansait plus que sur un horizon maigre. Trois, quatres… Les secondes passaient. Et l’intrus - quel intrus? C’était elle, l’intrus, mais elle ne le comprenait pas encore - reculait toujours un peu plus. C’est l’une des bêtes qui le poussa de nouveau vers elle. Elle priait. Qui? Uhr? Tohorâ? Le soleil? A quiconque pourrait l’entendre et réussir à la comprendre, sans doute.

Soudain, il défit le voile qui lui abritait le visage, et elle se sendit compte qu’il était comme elle. Comme tous les debouts. Son sang ne fit qu’un tour, et elle se sentit brusquement soulagée de découvrir que sous ces yeux bleus se cachaient un nez ordinaire et une bouche ordinaire, similaires aux siens mais un peu différents. Il avait une peau claire, très pâle qui semblait trancher avec l’or des dunes. Il se détachait du ciel avec aisance, sauf ses prunelles - elles auraient pu se confondre à merveille si ce n’était pour les nuages qui le sillonnaient. Son soulagement ne fit que s’épaissir quand il répéta le même geste qu’elle en posant la main sur son torse et en énonçant son nom. Là, son souffle se libéra doucement, piégé depuis de longues secondes entre ses lèvres pincées.

Pod-Ric. Podr’ic. Podrick. Le son était incisif, rocailleux. Abrupte. Curieusement, elle se dit qu’un nom pareil n’allait pas avec des yeux comme ça. Il aurait mérité un nom plus doux, comme le ciel. Peut-être la nature ne le lui avait-elle pas révélé?
Elle n’eut pas encore le temps de le lui dire qu’il disparaissait déjà, la laissant à la merci du silence, et du battement d’ailes de l’aravane.
Podrick. Il semblait… Amical. Podrick. En tout cas, il n’était pas menaçant. C’était déjà ça, elle n’aurait pas à s’enfuir. L’idée de pouvoir rester dans l’aravane lui plaisait. Pod. Mais… Quelque chose clochait. Pas d’émotions. Pas de joie. Rick. Pas de sympathie dans les sentiments qu’elle captait. Podrick. Curiosité. Oui, c’était tout.

Des voix à l’extérieur, et Lö se demandait si elle n’était pas tombée dans un piège. Si tout ceci n’était qu’une diversion pour aller ramener d’autres debouts? Comme le font les loups dans les méandres de la jungle? L’hespéride s’était recroquevillée et cachée derrière une caisse, ne laissant dépasser qu’un œil de temps à autre pour surveiller les alentours.
Quand Podrick réapparut.

Ouf. Il était seul. Et rien ne venait derrière lui. Sous le bruit inlassable du vent, elle l’observa se hisser à son tour dans l'habitacle, rejoignant l’abri qu’elle s’était approprié à grand renfort de discrétion, de secrets et de silence. Il était grand, Podrick. Lö pouvait le voir depuis l’arrière de sa caisse. Bien une tête, voir deux. Mais il ne faisait pas peur; au contraire, il dégageait une forme de tranquillité et de calme qui la poussait à sortir lentement de sa cachette.
Et là, comme on jette un cadeau, il lui lança une phrase. Amène? Qu’est-ce qui amène Lö… Elle eut l’air interloquée, dévisageant le debout qui pourtant se concentrait sur le sol. Heureusement, car il ne verrait pas son expression perdue en regardant les bouteilles tanguer au rythme de leur convoi. Amener, c’est venir. Et elle venait d’Aramila. Lö, qu’est-ce qu’il t’amène?

Les mots dansaient sur le bout de sa langue - elle n’en connaissait que peu, une petite poignée bien insipide par rapport à tous les mots du monde. Et même si elle les choisissait avec soin, ils n’étaient pas assez grands pour tout contenir. Aujourd’hui, si on lui demandait, elle soufflait son histoire en trois mots. En un souffle, des jours étaient contenus. Podrick ne lui accordait pas un regard, et curieusement, elle trouvait cela rassurant. Elle captait bien quelques sentiments diffus, mais calmes, rien de trop fort ou de trop étouffant. La curiosité peut-être qui l’éclaboussait comme des embruns diffuts. Et derrière elle, il y avait les animaux qui ruminant doucement les mêmes pensées, mais dont elle percevait la nervosité croissante.

Je suis Lö.” Répéta-t-elle. Je suis, elle commençait à comprendre. Je suis, c’est moi. “Je suis pas Aramilla, partir, vers loin. Vers maison.” En poursuivant, elle se mit à tordre ses doigts et ses mains pour former des symboles qu’elle voulait clairs. “Maison est forêt..” Doucement, elle se mit à mimer les oiseaux en collant entre elles ses mains ouvertes. Le loup. Le lapin. Elle posait ses mains pour décrire la jungle et ses merveilles, pour redonner vie à la nature, sa reine, qu’elle avait lâchement abandonné. Partir. Aujourd’hui, ce mot faisait si mal. “Partir à maison, aravane?

Les mots étaient si petits… Comme les bouteilles qui roulaient, des contenants figés mais dont l’intérieur était plus précieux. Elle se cramponnait à ses mots fermement, les tenants dans ses paumes, les mimant quand sa voix ne suivait pas. Mais ce qu’elle voulait apprendre. Ouvrir les bouteilles, les remplir de tous les mots du monde pour pouvoir faire comme les debouts et raconter son histoire sans avoir à chercher des mots, des gestes, des phrases. Tout serait plus simple.

Une brise souleva sa crinière, fit rouler une bouteille contre sa cheville.

Aide?” Elle lui tendit la bouteille, lui qui semblait les vouloir. “Qui est Podrick?” Sa voix l’avait trouvé, lui.

Un souffle. Dehors, les dunes retenaient le leur. L’anxiété des bêtes grimpaient, montaient jusqu’à atteindre le coeur de Lö. Le désert commençait à gronder. “Dehors. Souffle… Animal a peur”. Elle regarda doucement vers le lointain. Oui, le cœur des tamanains chaviraient, comme la caravane. Les voiles battaient leurs ailes, toujours un peu plus fort.
Mer 11 Oct - 9:36
Une sauvageonne, voilà ce que j’en pensais. Que ce soit par son phrasé, son allure ou sa candeur innocente, elle n’avait pas encore été polie par ce monde et par ces vices. Un diamant brut. Je n’étais personne pour lui fermer ce désir de découverte, je n’étais personne non plus pour le lui faire regretter.

Si elle vivait dans la foret, nous allions en direction de l’une d’entre elles, celle de l’Arbre Dieu dans laquelle nous ne ferions pas étape, mais la longerions sans doute uniquement pour éviter toutes les terribles histoires liés à ce lieu. En partie des légendes et des rumeurs si vous voulez mon avis, un arbre est un arbre à la fin. Mais une poche de Brume, c’était autre chose.

“Nous allons vers une maison, mais je ne sais pas si c’est ta maison, ton foyer.”

Est-ce qu’elle saisissait la nuance entre maison et foyer ? Pour moi, il était impossible qu’elle ait fait la route depuis cette forêt jusqu’à Aramila, traversant le désert seule et, si elle était montée clandestinement dans cette caravane, je l’imaginais mal avoir déjà fait cette expérience avant. Sauf à être tombée sur une bonne patte comme Podrick.

Je me tournais vers elle et vers la dernière bouteille qui alla s’échoir à ses pieds. Les gestes qu’elle mimait, les attitudes qu’elle prenait, elle venait de la jungle et donc chacun tour de roue l’éloignait de chez elle. Une aide bienvenue, une main tendue avec la dernière bouteille que je saisis.

“Merci Lö.”

Le compte y était, je m’assurais que cette fois-ci elles étaient bien arrimés dans une caisse posée au sol. Qui avait fait le choix de mettre des bouteilles fragiles en hauteur dans cet équilibre précaire ? S’il y avait bien une chose que je devais garder de mon père, c’était son côté maniaque quand il s’agissait de logistique. Chaque espace doit être comblé et chaque chose doit être à sa place dans un convoi. Pour les trouver facilement et pour les trouver en bon état en arrivant.

La question suivante me laissait perplexe. Qui est Podrick ? Un jeune palefrenier pas bien malin ? Un garçon des rues d’Aramila a qui les marchands avaient laissé sa chance ? Un dur au mal qui apprenait par l’exemple ? Non, une énième couche de verni, un autre maquillage, un autre alias. Un fantôme qui disparaîtrait aussi sûrement que les autres. Combien y en avait-il eu depuis ces dernières années ? Combien en avais-je créé ? Combien m’avaient été donnés ? Tantôt valet d’une sous branche des 7 familles, tantôt aide de camp dans la Guilde des Bâtisseurs, tantôt graine de rébellion à Renon. à la fin et derrière toutes ces couches et bien d’autres, qui restait-il ? Qui est Podrick ? Ce n’est pas moi, mais la même question peut se poser à l’infini: Qui est Lucas ? Qui est Eustache ? Qui est Piotr ? Qui est Arno ?

“Podrick n’est personne…”

J’avais un sourire triste. Si elle savait par ces quelques mots innocents, envoyés dans un moment où je ne m’y attendais pas le maelstrom d’idées qu’il y avait eu dans ma tête. Heureusement, le désert me redonna une contenance. Le vent se lève et Lö le voit bien aussi ou plutôt elle le sent, la tension qui monte de l’instinct animal. Elle y est bien plus sensible que moi.

Hespéride.

Le mot s’échoue dans ma tête, voilà ce qu’elle était, une sauvageonne Hespéride. Les pièces du puzzle faisaient ainsi un ensemble cohérent, qui me convenait par son harmonie. Une zone d’ombre éclaircie, une autre arrivée directement, plus réelle, plus brute. Un bruit de cor venait de l’avant du convoi. Une ultime saccade, un arrêt. Le sablier était retourné, ils avaient peu de temps.

La voix de Ned porta à travers le bois du dossier.

“Pod, vient m’aider, tu sais ce qu’on a à faire !”

Oui, même si pour Podrick ça aurait pu être flou si on ne lui avait pas rabâché 100 fois, Arno savait quoi faire. Si tempète de sable il y a, chaque encadrant à une mission. Sécuriser le convoi, sécuriser les bêtes, sécuriser les marchandises, sécuriser les gens. Dans cet ordre là. Je remettais directement mon voile sur le visage, Lö devait comprendre seule ce que ça voulait dire. Restez ici, se cacher. On réglera ce problème de voyageur clandestin plus tard.

Je sautais hors de l’abris et le sable venait commencer à frapper le tissu. On était pas encore au cœur, mais les prémices étaient de mauvaise augure. Ned avait déjà disparu prestement, chacun devait se faire confiance car le temps était compté. Je faisais avancer les bêtes sur le côté protégé des caravanes, la disposition changée doucement pour que la pointe de flèche fasse face au vent, le coupant en deux. J’amenais les bêtes sur cette dernière ligne de défense de fortune, les attachant une à une aux caravanes qui les protégeaient du vent et qu’elles soutiendraient de leur poids.

La consigne une fois la mission faite ? Abritez vous où vous pouvez. vous n’avez pas le temps de regarder pour les autres. Vous devez avoir confiance. Je montais à nouveau dans la caravane où se trouvait Lö, le cœur battant d’une légère appréhension.

Et maintenant, il fallait attendre le blast.
Mar 17 Oct - 14:57
Humble est celui qui admire la nature. Poupée de cire face aux hurlements.
Le sable brisant épouse la forme des vents.
Humble est celui qui admire la nature.

La bouteille quitta sa main, avec elle un poids de sa poitrine, et la rigidité de ses lèvres qui s’étirèrent en un sourire heureux. Podrick avait l’air bienveillant, concentré, loin des debouts d’Aramilla qu’elle avait regardé en cachette plus que de face, fuyant les mouvements brusques et les voix tonitruantes de la ville. Lui était plus silencieux. Plus abrité. Plus… humble. Pas comme le soleil au milieu du ciel, il brillait comme la lune dans la nuit. Lö l’observait depuis son rempart. Il n’était pas comme tout le monde. Il n’était pas bruyant. C’était étrange, il n’était pas…
Son coeur était troué. Ses émotions tamisées en tombaient goutte à goutte, mais elles devenaient ainsi invisibles et opaques aux siennes.

Elle l’observa de longues secondes, étonnée par ses propres émotions qui découlaient directement des siennes. Elle regardait ses gestes précis, rangeant les bouteilles avec précaution pour choisir méticuleusement une place. Et quand elle lui demanda qui il était, là… Elle sentit quelque chose. Une réaction plus vive, plus complexe, plus troublée. Plus riche. Les émotions se percutant comme les grains de sable qui commençaient à se soulever sous le vent. C’était surprenant, mais elle ne bougea pas. Quand il lui répondit, elle ne bougea pas. Mais son ventre s’éventra de surprise, et d’une tristesse imposée et perçue.

Son monde s’ébranla un peu.

Lö était simple. L’eau, le souffle, un ventre bien rempli, et elle parcourait le monde. Tout était simple. Tout était franc.
Mais là.
Non, ce n’était pas simple. Personne? Podrick était personne? Mais il était bien là. Non? Et personne, c’est le vide. C’est rien. Personne, c’est quand la personne n’est pas là. Ou plutôt, qu’on ne peut pas lui donner un nom. Et Podrick, il avait un nom, non? Elle essaya de chercher une réponse sur son visage, mais il lui présenta à la place un sourire amer, un peu cassé, un peu fatigué, qui n’avait plus rien à voir avec la joie mais qui à la place pinça son ventre avec aigreur.
Le sourire, c’était la joie, non? Et là, il n’y avait aucune joie. Lö était simple. Mais pas les contradictions.

Dehors, la brise devenait furieuse. Le désert se réveillait avec force, commençait à tordre les vents dans une grande cavalcade. La détresse des animaux qui tractaient l’aravane se faisait plus net, beaucoup plus franche, et avec elle, la détresse des debouts. En grandissant, elle les percevait avec plus de netteté, maintenant.
Le désert se gonflait comme un poumon. Et bientôt, il allait crier.

La voix du second debout retentit avec vigueur à l’extérieur, et bientôt, Podrick était de nouveau disparu après avoir replacé le tissu sur son visage. Quelque chose de grave arrivait, il fallait s’abriter.
Son abri à elle, c’était l’aravane. Maintenant que le désert grouillait, il fallait se contenter de cette grande boîte plutôt que de risquer sa colère. Etrangement, cela créa en elle une vague d’excitation, comme si elle allait assister à un spectacle rare, être le témoin d’un grand évènement. Avec expectative, elle se risque à se rapprocher du bord, à jeter un coup d’oeil dans le désert. Pour l’instant, rien n’indiquait l’arrivée prochaine d’un problème hormis le vent qui se levait. Mais elle faisait confiance en Podrick: pas bouger.

Pendant son absence, elle avait regagné sa cachette derrière quelques caisses, s’abritant comme elle le pouvait sous la hauteur des contenants, luttant avec la panique qu’elle ressentait de toute part. Parfois bienvenues, parfois indigestes, les émotions aliens se frayaient toujours un chemin vers elle, pour le meilleur ou pour le pire. Si dans ses premiers jours elle n’avait fait qu'embrasser chacune d’entre elle, aujourd’hui elle se surprenait à pouvoir faire la part des choses, reconnaître ce qui découlait des autres, et ce qui coulait de Lö.
En se faisant son appartement de fortune, elle avait trouvé une petite boîte ajourée dans laquelle se trouvaient quelques pâtes de fruit - l’odeur allait droit vers ses narines avec entêtement, la distrayant juste ce qu’il fallait pour qu’elle cède immédiatement à l’envie et à la faim. Elle en avala une d’un coup, surprise par le sucre qui la réveilla brusquement, et prit le temps d’en goûter proprement une deuxième.

Un bruit, un souffle: la lumière, une ombre. Elle se retourna, la bouche encore pleine: Podrick était de nouveau dans l’encadrement de l’aravane, mais cette fois-ci, Lö n’avait plus la surprise - mais se retrouvait curieusement rassurée de le voir revenu. Comme un compagnon d’infortune. Mais elle ne trouva pas le mot pour l’accueillir. Unvenu? Grand jour? Rien ne venait. Rien, sauf un sourire. Elle lui laissa la place pour qu’il s’installe comme il le souhaitait. Quelque chose émanait de lui - l’incertitude?

Le silence. Elle sentait l’appréhension; L’attente. Ce n’était pas les siennes. Ou peut-être que oui? Elle s’était assise face à lui, poussant d’une main la petite boîte entre eux. Il avait peut-être faim? Ou peut-être était-ce le désert qui lui faisait…

Podrick peur?

Dehors, le vent devenait de plus en plus franc. Les rafales frappaient les caravanes avec une force vengeresse, mais ce n’était encore que les prémices de l’attaque. Le mur n’était pas encore là, la lumière les couvait encore, même si elle se faisait de plus en plus lointaine, de plus en plus timide. Le bruit du tissu malmené avait rapidement fait de remplir tout l’habitacle, comme une valse impromptue qui n’avait ni rythme ni forme, qu’un battement féroce et terrifiant. Il fallait se rendre à l’évidence.

Lö peur aussi…” Elle s’était approchée de Podrick, sans pour autant s’imposer, assise au sol dans une demie-détente. Elle avait l’habitude de la jungle, de la nature sauvage où seul l’instinct prime, et tant de vies disparaissent pour un faux mouvement. Elle avait pourtant confiance en Podrick, mais sentait au fond de ses tripes son attente, et sans trop savoir comment, elle voulait aider. “Mais aller bien, dehors pas tout le temps. Dehors, passer.

Un sourire tranquille illumina son visage paisible, sous ses mèches de feu qui apportaient un rien de chaleur dans l’obscurité de la tempête. Ses lèvres craquelées par la soif et la fatigue semblaient craquer dans le geste, mais il était sincère et prévenant.
Les mots qu’il avait prononcés rebondissaient dans son crâne, engourdi par la famine et le bruit du vent. Podrick, personne. Podrick personne. Comment on pouvait être personne? On ne pouvait pas, être personne, c’est qu’on n’existe pas, c’est ça?

Podrick pas personne.” Le murmure franchit ses lèvres doucement, tranché immédiatement par le bruit du vent, la houle qui fauchait chaque bribe de son. Mais elle l’avait surtout murmuré pour elle. Elle ne pouvait pas y croire, il était bien là, dans un corps comme le sien, soufflant comme le sien. “Podrick pas personne.” Dit-elle avec plus de conviction, cette fois-ci. “Podrick ami.

Sa logique était bancale, mais pour elle, elle était implacable. Il existait face à elle, alors il ne pouvait pas - n’était pas - rien.

Et le poumon éclata.

Dans une secousse sauvage, l’aravane trembla violemment, manquant de se renverser d’un coup, en balayant d’un geste une partie des caisses qu’elle avait empilées. Le soleil fut avalé brusquement, gobé d’une traite par un ennemi avide, un mur de sable qui venait d’avaler et l’astre, et le convoi, maintenant enfermé dans la tempête. Le bruit des grains qui percutent le bois se substitua au bruit du vent, remplissant leurs oreilles de percussions bruyantes et chaotiques, comme si chacun d’entre eux avait la force d’une balle et qu’il n’en faudrait qu’un pour perforer la cloison. Ils étaient dans la tempête, maintenant. Et dans l’obscurité la plus totale.

Par un réflexe animal, Lö était recroquevillé à l’impact, enroulant sa tête dans ses bras. Ce n’était peut-être pas un spectacle excitant, finalement. Pour l’instant, l’aravane était debout. Mais pour combien de temps? Son ventre se creusait, la peure dans ses veines comme un poison. Mais elle était née de la tempête, pourquoi celle-ci était si terrifiante? Pour la première fois, elle se sentait faible face à ses propres émotions.

Et Podrick? Podrick vivant? Lö ferma les yeux.

Humble est celui qui admire la nature.
Mer 8 Nov - 19:29
Les derniers instants d’accalmie. Je le savais, il n’y avait plus rien à faire, qu’attendre et prier. Je me surprenais à réciter des psaumes mentalement, pour la bonne fortune et les bons voyages. C’était une épreuve qui nous attendait, mais comme toute, elle nous rendra plus fort, plus dur au mal.

Ou elle emportera mon château et mes fondations.

Je prenais une pâte de fruits dans la main, la portais à ma bouche et sentais chaque grain de sucre craquer sous ma dent. Grain de sucre, grain de sable, les bruits qui emplissaient mes oreilles à mâchouiller la gourmandise n’étaient qu’un présage de ceux que nous allions de plus en plus entendre dans les minutes qui suivront.

Je continuais à sourire, retrouvant une constance, un sourire plus sûr, pour rassurer ce nouvel être. Si j’avais peur ? J’ai déjà eu peur et une image fugace de cachot apparue, mes doigts me picotèrent mais ça finit par passer. Là, c’était le sable, la nature et les dieux.

Et je n’avais pas peur d’eux, la peur venait des hommes et de ce qui se cachait dans la Malice.

« C’est normal d’avoir peur Lö, mais tu as raison, la tempête finit toujours par se calmer.»

Comment expliquer à cette flamme d’innocence ce qui s’était caché dans le craquèlement. J’avais fauté et en même temps, j’étais assez apaisé. Elle ne pouvait pas représenter une menace quelconque, je croquais machinalement dans une autre pâte de fruit, plus acide, addictif. Impossible de trouver des mots simples.

« Podrick est un ami, mais Pod…»

Et le coup de semonce arriva. Brutale, violente, la mise en bouche avait fait son œuvre, le plat de résistance était là. Secoués de toute part, attaqués sans répit par le sable insidieux. Il n’y avait plus de lumière, plus que le hurlement des éléments au-dessus de celui des bêtes, au-dessus de celui d’autres abris en train de disparaître. Projeté en arrière, je heurtais dans la douleur l’une des caisses dans mon dos.

Serre les dents Podrick, t’en as connu d’autre, ça pulse par à-coups, mais c’est rien d’insupportable et surtout, tu n’es pas seul. T’auras tout le temps de faire vérifier ton dos plus tard. Ça pulsait toujours et je sentais le poisseux se mêler au lin, dans la tourmente, je sentais aussi un goût de fer dans ma bouche. Ma tête tournait et je passais ma manche sur mes lèvres craquelées par le soleil et qui se remplissait peu à peu d’un rouge magma. Je crachais un mélange de salive et de sang.

Lö était toujours là, proche, je devinais sa forme au sol plus que je ne la voyais réellement, recroquevillé et laissant le moins d’ouvertures possibles. Hermétique à tout, fermée au monde.

« Tu es toujours là ?»

Reste éveillé Arno, car sombrer c’est finir. C’est un parcours de santé par rapport à ce que tu as vécu. Que resterait de toi de toute façon ? Qu’est-ce qu’on en dirait ? Juste un énième pion perdu dans une partie de fou.

Non, je ne serais pas juste une pièce, je suis un rouage, je compte et on a encore besoin de moi.

Les images sont fugaces, la maison, mère, les petits, Pietro… Comment feraient-il sans moi ? C’était peut-être utopique mais même lui aurait besoin de moi un jour. Pour l’instant, c’était l’Hespéride que je pouvais aider. J’essuyais ma main sur mon voile et la cherchais à tâtons. Je ne pouvais pas appaiser la tempête dehors, je n’étais qu’un mortel, mais j’avais le pouvoir d’apaiser celle dans cette caravane, d’en faire un foyer.

J’étais mauvais pour ça, je le savais car, du peu que je savais de ce qu’était un foyer, on l’avait construit autour de moi, avant de me forcer à faire un choix. L’Ordre n’en est pas un, Etyr ne l’est plus. A moi de construire, sans doute pas très bien, un peu maladroit, d’abord doucement, je commençais à chanter. Des chants surtout religieux, car c’est ce que je connaissais le mieux, c’est là que ma famille se réunissait vraiment, une fois par mois. Cette caravane sera donc ma chapelle de fortune et ma voix affrontera celle de la tempête.

Les mots étaient hachés et, s’ils étaient audibles pour sûr, faisaient-ils réellement sens ? Je n’avais pas la réponse tant le souvenir de cette tempête pouvait être brumeux aujourd’hui, mais en tout cas, je me rappelais surtout la ferveur que j’y mettais, les cantiques s’adressant surtout à Raphalos. Superstitieux, j’espérais que la Mère m’entendrait et nous protégerait.
Mar 14 Nov - 19:53
Dans la cathédrale des sables dansant,
les chants des pèlerins atteignent plus vite les cieux

Comme un corps rabattu sur les dunes, alourdi, écroulé, la tête tombée la première dans le sable, la tempête s’était abattue sur eux et sur tout le convoi, dans un coup qui avait fait trembler leur abri de fortune, celle des bêtes, et tout le désert avec eux. Comme si une rivière rageait sous leur pied, et tout le ciel s'effondrait sur leur crâne humble tourné vers les éons. Le monde s’était arrêté dans un craquement sournois, celui du bois dans l’édifice, des roues qui craquent, des bêtes qui gémissent, protégées au mieux des caprices du sable.

La peur. La peur comme une main tendue, la peur comme une caresse froide et nerveuse tout le long de son dos, la peur comme les vis qui resserrent l’étau. La peur comme les poils qui se dressent, comme les muscles qui se tendent, la peur dans la bile au fond de la gorge serrée, dans le frisson, la sueur froid, les mains qui se vide du sang qui court jusqu’au coeur - qu’est-ce qu’une main, qu’est-ce qu’un pied devant les organes? - dans le poul qui s’accélère. La peur dans les veines. La peur dans les murs.

La peur dans Podrick. La douleur qu’elle sent se tendre comme une épaisse corde rouge - le bruit de l’homme qui bouge, se heurte, souffre en silence. Puis sa voix dans le sable. Sa voix dans le hurlement du vent et du désert. Sa voix comme un phare - curieux? Elle n’avait personne, Lö. Elle avait sa jungle, mais elle lui avait tourné le dos. Et là, elle voulait lui répondre, à Ami.
Ses dents se crispèrent. Il avait mal, luttait de son côté. Mais elle avait peur.

Une giffle du vent. Toute l’aravane tremble. Des caisses tombent dans un vacarme qu’elle perçoit comme bien plus fort que réellement. Elle se braque, se gaine. Fusionne avec le sol pour ne plus ressentir. Respire la poussière - les planches ont une odeur de mélasse et de terre, celle foulée par milles pieds, milles pattes, transportés dans tous les coins du monde. Sa couleur change. Podrick a changé. Dans la pénombre d’une nuit sans lune, étouffés par le ciel rouge imbibé de sable, elle ose lever un oeil face à ces sentiments contraires. Podrick a changé de couleur: il est couleur courage.

Sa douleur est devenue bravoure. Un entêtement teinté d’un acharnement fiévreux. Celui qui face au combat regarde la bête dans les yeux. Sa voix brise le silence - une voix un peu tremblante, qui cherche son chemin mais s’élève comme les brises pour retrouver quelque chose de plus haut. Elle aime cette couleur, douce, radieuse. Lö se détend enfin. Doucement. Chaque muscle libère une tension trop longtemps maintenue, elle est endolorie, ankylosée. Sa voix prend du galbe. De l’endurance. Une ténacité qui la fait fendre le vent avec plus d’assurance.
C’était si beau.

Jolie.” Elle murmurait doucement, le visage contre le sol, cherchant le chant dans les gifles du vent et l’émotion en pagaille du dehors. “Jolie mélodie…

C’était une prière. Une prière pour tendre les fils des mortels vers les dieux. Une bouteille jetée à l’invisible, un secret soufflé à l’oreille transcendante des créateurs. Le chant qui unit tout le monde, Podrick, Lö, les animaux, le sable, le reste du convoi, le monde entier.
Elle la ramenait dans le temple qu’elle avait quitté avant de se mettre sur les routes à la recherche de sa maison. En écoutant le caravanier chanter, elle revoyait Atahara, elle écoutait ses grands discours qu’elle ne comprenait pas, mais dont elle comprenait la sagesse.

Jeune.
Naïve.
Elle ne comprenait pas les prières, les mots compliqués. Mais elle voyait ce qu’il y avait derrière. L'intention cachée derrière les sons et les syllabes hachées par le vent. Quelle créature, quelle être insondable voulait-il atteindre?
Il chantait pour le désert, pour lui. Dans chaque mot, elle sentait son acharnement. Et pour toute réponse, elle fredonna avec lui. Sans mots. Sans phrases. Sans savoir à qui elle chantait. Quel dieu elle atteindrait. Elle chanta avec lui, pendant de longues minutes durant.
Et quand dans son esprit, la peur s’était dissipée, que si le ciel était toujours rouge, le sien était bleu, elle finit par se relever, s’approcher, tranquille, souriante même. La tête pleine de notes et de chansons éternelles, peut-être sous l’oreille d’un dieu.

Grand merci, Podrick.” Elle osa lever une main timide, mais sûre, vers le debout qui avait chassé la tempête de l’aravane. “Apprendre à Lö, mélodie?” Lentement, ses doigts se posèrent - où? - sur son épaule. Humide? Mouillé? “Podrick?” Ce n’était pas de l’eau.

Blessure. Douleur. Podrick? Dehors, c’était encore la rage. Ses entrailles se tendirent.

Malade? Blessure?” Elle se releva brusquement, droite sur ses jambes tremblantes, comme si le vent soufflait sur elle. Chercher de l' aide, dès que possible.
Mar 19 Déc - 17:00
La bulle de chaleur n’éclata pas, que ce soit le vent, le sable ou la peur, elle tenait bon. Je la sentais grossir, en même temps que le murmure de ma camarade d’infortune ne se mêle à mes chants fiévreux. Elle grossissait, elle épousait les planches de fortune de la caravane, comme pour la soutenir, comme pour la renforcer. Nous tiendrons bon Lö, ce n’est pas une tempête ainsi qui m’arrêtera et toi non plus. Illusion ou réalité ? Est-ce que le sifflement diminuait ? C’était encore trop ténu pour en être sûr, j’imaginais bien le pic derrière nous, ce genre de tempête, de cri dans le désert, c’est loin d’être comme un ouragan sur la mer. C’est un mur qui vous fonce dessus, une montagne, au lieu d’un tourbillon. Alors… Oui, il y a de quoi éprouver de l’espoir, que le calme revienne, que je puisse aller voir l’étendue des dégâts dehors. 

Mais pas encore, restons encore à l’abri de ce foyer à construire, le ciel est encore sombre, je devine plus que je ne vois la petite flamme que représente Lö. Je sens ces doigts qui touchent mon épaule alors qu’elle remercie. Pour quoi exactement ? J’aurais attendu dans l’angoisse de toute façon, pas une première fois, mais ça ne veut pas dire que j’appréciais l’expérience ou que je courrais après. Une décharge dans l’omoplate, je retenais un cri en mordant mes lèvres. L’air s’échappa de mes narines, au moins, je ne sentais pas le sang prendre ce chemin, ma gorge et mon ventre avaient échappé au pire. C’était mineur, mais ça n’en était pas moins douloureux. Je m’éloignais de la chaleur de l’Hespéride, protégeant mon dos, la protégeant de la douleur. J’étais un roc, fendu peut-être, mais un roc quand même.

Ne t’en fais pas Lö, che n’est rien… Je… Ch’en ai vu d’autres!”

Pas la peine de paniquer, il n’y avait rien à faire, sinon attendre. À moins que… Cette caravane était celle transportant le plus de marchandises importantes pour le chef après tout. Il y avait peut-être moyen de faire passer le mal là-dedans. Réfléchis Arno, de quoi tu as besoin dans ce genre de situation.

Vapapule, cataplasme, bandache… Lunalych ? Non aucune chance…

J’énumérais à demi-mot ce qui me passait par la tête, fièvre ou fatigue qui me tombait dessus soudainement ? Qu’est-ce que vous voulez que j’en sache ! Lö veut aider je le sens, mais le désert n’est pas de cet avis… Fille de la jungle, il y a peut-être quand même un coup à jouer. Je me redresse, les yeux plissés et passant une main sur mon front moite. Nettoyer, éviter que les fibres de lin ne se mélangent au reste. Anesthésier ma bouche pour que ça cicatrise plus vite et que je retrouve une diction correcte. Je pense que c’est ce qui m’angoissait le plus, perdre mon seul réel talent pour me mettre dans la peau d’un autre. Je ne pouvais pas jouer que des rôles avec un cheveu sur la langue vous comprenez ? 

Lö, toi qui viens de la forêt, est-che que tu connais les plantes qu’il y avait autour de toi ? Che penche qu’il doit y avoir une trouche de choin ou quelque chose du chenre, avec des plantes séchées… Des bandes de tichus… Tu me dis si tu le vois ?


Deux paires d’yeux même dans la pénombre valent toujours mieux qu’une. Oui, il devait y avoir de quoi faire dans le coin, ça m’apprendra à ne pas prévoir de réserves pour ce genre de situation. Devoir compter sur la prévoyance d’un chef de caravane, c’était un comble. Le gars était peut-être bourru, fonceur, têtu, ça n’en était pas moins quelqu’un qui avait des dizaines d’histoires à raconter aux marchands au coin du feu. Moyen de se faire connaître et de promouvoir sa compagnie, certes, mais même si seulement la moitié était vraie, il en avait vu assez pour être prévoyant. J’approchais du fond de la caravane, évitant soigneusement les caisses de vin bien harnaché. Si j’étais lui, où est-ce que j’aurais mis ça ? Ah là peut-être, une odeur d’onguent légère. Mes doigts tremblent et touchent différents pots. Je fais sauter un couvercle et hume le tout… Du baume pour mettre sur les blessures des dromadaires et Tamanain ? Ça sentait au moins un peu le cicatrisant et l’odeur camphrée me faisait imaginer que ça devait au moins un peu nettoyer… Faute de grives, on mange des merles. Je faisais tomber la manche de ma veste pour mieux appréhender la blessure de mon dos. La douleur, lancinante, pulsait depuis un point seul. Au moins c’est localisé. J’essayais tant bien que mal d' étaler de la pâte, mais chaque contorsion m’arrachait un souffle douloureux.

Je détestais cette sensation qui me ramenait à bien plus jeune, à un Arno alité dépendant des autres. C’était gênant, c’était être faible.

Lö, décholé de te demander cha, est-ce que tu peux m’aider ?

Elle semblait s'inquiéter sincèrement, et je ne voulais pas voir ma situation empirer alors que nous avions encore un temps à tenir. Je sentais bien que la situation la choquait, il faut que je tienne. Il faut que tu tiennes Arno, t’auras tout le temps de te voir Podrick se reposait une fois que le désert se sera calmé, que sa voix se sera apaisée. Jusque là qu’est-ce que tu disais tu disais ? Tu es un roc, bien que fendu. Tu es un roc.
Lun 1 Jan - 14:10
Esprit du désert, esprit du vent
Tu files par la voie des dunes

Douleur, douleur, douleur. L’aravane était une cocotte fumante au milieu des sables, une étuve où s’élevait la vapeur, celle de la fièvre naissante et des blessures. Elle nageait à même le courant Lö, consciente que Podrick avait mal, que le temps était compté, que dehors il n’y avait rien, rien pour lui ni pour elle, qu’il faudrait faire avec les moyens du bord. Etait-ce les bêtes qui pleuraient en silence ainsi sous le vent? Ou était-ce elle qui secouait l’air à la recherche de. Mais de quoi, au juste?
Heureusement, ils s’étaient cachés dans une véritable caverne d’Ali Baba, un coffre au trésor où elle ondulait comme un serpent. Entre les coffres, les bouteilles, les coffrets. Autant de puzzle pour elle qui n’avait connu que sable, boue et bois. Qu’est-ce qu’une serrure dans la jungle?

Mais Podrick souffrait - oh oui, une douleur qui prenait tout l’espace, tissée de doute, tissé d’urgence, autant de gouttes d’acide qui venait ronger la bravoure en dessous. Aurait-elle était plus éveillée qu’elle aurait pu comprendre, mettre les bons mots, trouver le bon remède. Trop jeune, trop fraîche. Lö recherche. Comme les renards, elle déblaye, pose devant lui ce qu’elle trouve - plantes séchées - quelle cruauté! - potions, boisson, habit. Elle a bien retourné toutes les valises des passagers quand il finit par trouver ce qu’il lui faut.
Il gémit dans la pénombre - elle ressent la douleur - non, pas la douleur en elle-même. Plutôt l’inconfort qu’elle créait.

Quand il demande de l’aide, elle s’approche, penaude. Peu certaine de comprendre, mais les gestes parlent d’eux-même. Dans son dos, une tâche sombre dont elle ne voit pas la couleur. A son tour, elle attrape l’onguent, se rappelant de sa hanche, de sa cicatrice, de comment Kai-Medire l’avait aidé. Etait-ce quelque chose de normal? Que deux debouts s’aident ainsi? Ses doigts s’agitaient autour de la blessure, mais à chaque poussée sa réaction, à chaque geste une autre douleur. Elle y allait aussi doucement qu’elle le pouvait. Elle sentait la fièvre, mais comme de petits insectes, elle sentait avant tout les émotions qui escaladait ses doigts comme le feraient des fourmis. Bientôt, la patte recouvrait le trou noir.

Dormir.” A son tour, ses doigts brûlaient. Jour, nuit, année? Le sable hurlait encore. Pour combien de temps.

Sablier cassé; Lö fixe la blessure, son œuvre. Il avait besoin de repos. Elle l’avait compris, dans sa courte vie: il n’y a rien que la nuit ne peut emporter.

***

Dans la pénombre, elle gardait les yeux ouverts, grande chouette, hibou perdu, effrayée par la promiscuité, aliénée par la cabane de bois, mais à l’abri des crocs du vent. Ses mains avaient séché - elle avait aidé, oui. Mais comme un goudron épais, elle n’arrivait pas à se débarrasser de l’essentiel. Sous sa peau, les émotions grouillaient encore, piquantes comme des fourmis. Etait-ce les siennes, ou celle de Podrick? Celles du désert?
Dans son coin, elle essayait de temps en temps de vérifier qu’il respirait encore; elle distinguer ses épaules s’ouvrir dans l’obscurité, un mouvement entravé mais régulier. Rassurant.
Rassurée.

L’aravane s’était tu. C’était peut-être maintenant le bon moment. l’hespéride fomenter, alerte. La menace grandissante de la proximité, le piège de bois, les autres coeurs qu’elle sentait battre non loin. Esprit de paranoïa grossit, comme un prédateur tapis dans l’ombre dont elle sent les yeux. Podrick dormait encore, c’était le moment où jamais. La souris se redressa sur la pointe de ses pieds, évita les bouteilles, les caisses, à tâtons dans la lumière bleue et les ténèbres nocturnes.
Foyer de sable, de dune. Sa cathédrale pouvait aussi bien être son tombeau. Sa survie primait, oui? Roc fendu, mais roc quand même, Podrick était aussi rassurant qu’il n’était glissant. Sous la tempête, tout glissait, emporté par la pluie. Animal discret, pourrais-tu toi aussi étre avalé par l’orage? Elle atteignit les voiles, poussa dessus. Le désert face à elle.

Les animaux étaient silence. Tout le monde était silence. Et au dessus de son crâne, le ciel, silence aussi, lui réservait un silence qu’elle n’aurait jamais pensé possible. Comme un collier aux milles diamants, les étoiles se déployaient de toutes parts, petits astres lointains, d’est en ouest comme si la terre n’était plus rien. Au loin, la lueur d’un jour naissant et menaçant de sa couleur orangé. Quelque chose fendait le désert sur l’horizon, la silhouette d’un lugrin qui faisait trembler le sol. Elle tomba dans le sable. Elle aurait pu fuir.
Brusquement, elle fit volte-face, repassant sa figure rousse dans l’aravane, discrète, penaude.

Podrick.” Murmurait-elle. Distante; loin. Mais pour la première fois de ces mois d’errance, elle avait quelque chose à partager. “Podrick, grand jour.

Elle tira sur sa manche, espérant le tirer du sommeil. Et aussitôt qu’elle pu croiser son regard, la souris se faufiler de nouveau hors de l’aravane dans le souffle frais du désert. “Venir, Podrick.” Elle ignorait encore pourquoi elle chuchotait. Mais elle voulait qu’il voit. Qu’il lève les yeux vers le ciel, qu’il croise les astres.

Le bras tendu, elle indiquait le désert. Elle pointait le ciel du doigt, mais dans le ciel, il y avait des étoiles, tant d’étoiles, un océan entier, un chapelet infini qui scintillait triomphalement dans la nuit silencieuse. Elle montrait un astre, ou peut-être entre les astres, le vide dans la dentelle des nébuleuses, ou le tissu qui brode les galaxies entières. Les dunes n’étaient plus qu’un champ régulier et bleu sous une mer scintillante et immuable. Peut-être que c’était sa réponse à la question qu’il lui avait posée. Ce qu’elle voyait, c’était ça.
Podrick était une énigme compliquée. Son esprit était compliqué, Lö sentait à travers mais sans bien le comprendre. Et à ses questions, elle ne pouvait se contenter que de réponses simples. De petites choses. De petits rien.

Pod! Toujours en vie?! On va repartir!” La voix de Ned raisonna sur le convoi. “Rien de cassé?”  

Un autre debout. Un autre vivant. Fuir. L’hespéride se retourna vers le désert - le rien c’est mieux que tout, peut-être. Elle pouvait courir et passer la dune, là, elle survivrait peut-être. Mais quelque part, elle voulait voir plus. Plus de ciel, plus de lieux. Faisant volte-face, elle se précipita de nouveau dans l’aravane. Cachée sous un drap. Derrière une caisse. Le voyage allait reprendre.
Dim 7 Jan - 18:58
Podrick.

Oui, j’entendais le nom, il fallait que je m’y accroche. Depuis combien de temps étais-je dans cet état ? À me soucier uniquement de tenir une respiration de plus. Constitution chétive qu’ils disaient, qu’est-ce que j’y pouvais ? Je n’étais pas de ces aventuriers qui arborent des cicatrices de vieilles blessures comme autant de trophées. En avoir, ça signifie être en vie pour eux et potentiellement mort en face. Je me satisfaisais d’être relativement épargné. Mes blessures sont ailleurs alors quand c’est le corps qui prend. Il prend plus.

Accroche-toi Arno, pas besoin de t’épandre, pas besoin de raconter tes histoires d’enfance isolée, de trahison et de disgrâce, ça n'intéressait personne. Concentre-toi sur ton souffle. Repose-toi, c’est tout ce que tu peux faire. J’avais senti la main hésitante de l’Hespéride, elle avait fouillé aussi, elle avait aidé et continuait de le faire. Maintenant il fallait dormir, dormir et espérer un lendemain meilleur. Quelle vaste blague que de disparaître là, ci-gît Arno Dalmesca, abattu par la tempête, abattu par une caisse, abattu par la fièvre. Risible, impossible. Une inspiration après l’autre, comme une nouvelle cicatrice, un nouveau trophée à rapporter d’un combat invisible. Je jure que Keladron était là, mon errance sur cette terre n’était pas finie, avance encore petit homme, le jour se lève.

Podrick, grand jour.

Je grogne en me redressant alors qu’on tire sur ma manche. Mes yeux enfumés s’ouvrent devant une flamme rousse, devant Lö. La fatigue est toujours là, les sommeils fiévreux sont toujours les pires et je parlais d'expérience. Le bruit n’était plus, le silence était tout. Et avec lui, la nuit. Elle tendait le fin voile qui nous avait protégés de la tempête, dans la pénombre, il tenait encore à peu de chose. Je me redressais péniblement pour la rejoindre, la mystérieuse, la chuchoteuse. Comme si elle voulait me partager un secret fou. Alors je compris.

Les étoiles se reflétaient dans ses yeux, le soleil naissant dessinait le relief de son visage. La nature, même au cœur du désert, lui disait bonjour. Le spectacle était grandiose, les astres se montraient, eux qui avaient réussi à percer la tempête, à calmer le cri du désert. Ils nous montraient la voie maintenant. Dans cet instant suspendu, comme une récompense. Vous avez survécu à la colère du désert, nous vous observons, nous vous félicitons semblaient-elles me dire. Encore un délire fiévreux si vous voulez mon avis, je leur transposais mon sentiment de victoire. Nous n’avions rien fait à part attendre et ne pas rompre. Certains auraient vu dans cette nuit l’aventure d’une vie qu’ils raconteront à leurs enfants et petits enfants au coin du feu. Comment la bouche du désert s'était ouverte pour tenter de les engloutir. Les autres l’auraient oublié dès les blessures pansés, dès les comptes faits.

Ned m’alpagua, ramenant du réel dans cette pause contemplative. Au revoir Arno, un nouveau jour se lève Podrick. La bouche pâteuse, je sentais une grosseur dans la langue là où je m’étais mordu. Au moins le sang ne coulait plus de ma bouche.

Non, j’ai un peu morflé, une caisse m'est tombée dessus, grognais-je en sortant de la caravane, rien de grave.

Lö n’avait pas demandé son reste, j’avais surpris son regard de panique avant qu’elle reparte se cacher au fond de la caravane. Je mis l’index devant la bouche, lui intimant le silence. Je te couvre petit flamme. J’avançais vers Ned à la hauteur des bêtes, observant celles-ci. Les dégâts étaient mineurs, je voyais une patte foulée d’un Tamanain qui avait dû paniquer, s’empêtrer dans son attache. Les autres avaient l’air fatigué, mais sans blessures apparentes. Tant mieux, pensais-je en souriant, on pourrait reprendre la route après un peu de repos.

“D’autres dégâts à déplorer ?
- Non, à part cette maudite caisse, le reste était bien fixé, y avait des pâtes de fruits dedans, bonnes à jeter… Les bouteilles du chef vont bien par contre!" dis-je avec un grand sourire malin.

Ned me donna une petite tape sur l’épaule qui me fit serrer les dents, en le faisant rire. Les gardes de caravanes pouvaient être un peu rudes, un peu fripouilles, mais c’était aussi leur marque de sympathie. J’étais la première personne qu’il venait voir dans son état des lieux, les bêtes d’abord, les marchandises ensuite, les hommes enfin. C’était une logique froide, mais une logique nécessaire.

J’assurais mon travail de palefrenier, quand il finit par revenir vers moi. Nous allions nous remettre en route jusqu’à l’oasis pour nous y reposer plus tranquillement. Nous n’avions pas encore le temps de panser nos blessures, c’était comme ça dans le désert. Marche ou crève. J’acquiesçais alors qu’il s’éloignait avec des bêtes fraîches. J’en profitais pour parler comme à moi-même en m’installant à ma place.

On reprend la route petite flamme, je suis désolé…

Car je savais en mon âme et conscience, que je n’étais pas en train de la ramener vers chez elle. Je sifflais les dromadaires pour les faire repartir, la lente marche se fit, le monde se remit en ordre après ce moment hors du temps. Je ne pouvais pas grand-chose pour elle, j’avais peu de pouvoir. Je me sentais pourtant lié à cet avatar de l’innocence. Peut-être une épreuve des Douze ? Peut-être simplement un peu de bonté dans mon coeur. Je ne sais pas encore comment mais, après avoir affronté ensemble la colère du désert, la voix des dunes, je t’aiderai, Lö.
Mer 17 Jan - 10:40
On reprend la route petite flamme.”

Sagement assise dans l’aravane, elle avait compris le sens de ces mots. Ils étaient toujours trop durs, trop compliqués. Mais comme si le sable les avait polis, lissés, la voix de Podrick leur avait donné du sens. Reprendre la route - mais quelle laroute? Une laroute vers la maison? Une laroute lointaine?
Les mots tournaient encore dans le creux de sa tête alors que le sommeil s’approchait à pas de loup au-dessus de ses paupières, bercée par les émotions distantes et émerveillées de tout ce qu’il y avait autour d’elle. Comme un cocon, l’aravane devenait un nouveau berceau où ricochet l’espoir d’un jour nouveau, la liesse de repartir, la crainte d’affronter de nouveau pareil hurlement du désert.

Dans toutes ces gouttes d’émotions, elle tenait la gloire de Podrick dans le creux de sa paume comme une longue ficelle - si elle avait pu, elle aurait joué avec du bout de ses doigts, en faisant un joli nœud pour le garder longtemps. La gloire… Celle des survivants, celle des vainqueurs. La fierté qui ouvre grand le souffle et permet de regarder le désert les yeux dans les yeux. Puzzle compliqué, Podrick. Mais sous le voile qui abritait son visage, ses émotions restaient honnêtes.
Un puzzle n’est-il pas fait pour être reconstitué? Défait, refait, défait, refait… Eh, Lö, peux-tu seulement défaire les choses? Tu n’arrives déjà pas à la comprendre.

Mais n’est-ce pas mieux, parfois? Ne pas comprendre. Se contenter de ce qu’on a.

Sa tête était lourde contre le bois, les boucles rousses à moitié tombées devant ses yeux. Les étoiles avaient disparu, remplacées par des piles désordonnées de vêtements, de fioles, d’objets, tout ce qu’elle avait arraché aux caisses encore éventrées sur le sol, un vrai massacre, une scène de crime aux yeux des civilisés. Mais au fond de son cœur, c’était encore les nébuleuses, et la gloire sur les dunes du désert. Maintenant, partir.

Elle n’avait connu que jungle et désert, et comme un rythme qui définirait les prochains jours de route où passeraient mille paysages de plus. Mille gouttes de pluie, mille dunes, mille bois, mille laroutes. Mille nuits couvertes d’étoiles. Une carte qui se déploie, elle découvrait sans cesse de nouveaux paysages. Les frontières de ce monde devaient être plus lointaines qu’elle n’aurait pu l’imaginer.

Le mouvement des roues dans le sable, l’ardeur des tamanins finirent par l’endormir, Lö, énième caisse, énième objet à transporter dans cette longue procession. Suivre laroute jusqu’à demain.

Comme un compas, Lö comprit vite que la maison était derrière elle, et que l’aravane ne l’y emmenait pas. Le monde est vaste, compliqué, mais quelque part, il est aussi beau. Se contenter du voyage, se contenter des heures, se contenter de peu. Elle entendait les voix distantes, les histoires qui semblaient pénibles, et parfois, parfois, elle voyait une lueur triste dans un regard bleu. Défait, refait… Baume au coeur, coeur fermé. Puzzle compliqué. Ficelle noué - la gloire dans la paume de ta main. Qui est Podrick? Un jour peut-être, le puzzle serait moins compliqué.

Mais la route ne te révèlera jamais ce mystère. A la place, tu vois, tu observes, tu découvres le monde des chemins qui t’emmènera vers la fatalité.
Bientôt tout changerait. Bientôt ce serait Opale. Bientôt ce serait le sang, la panique, la mort. Mais il y aurait toujours le désert, les étoiles et le vent.

Esprits indociles, âmes sauvages
Sur les chemins et les terrains brisés
Tous se retrouvent entre deux mirages
Sur les chemins de sable, nature indomptée

A coeur ballotté par les courants
Âme lourde teintée d’infortune
File de part les vents, suis la voie des dunes
Jusqu’à ce que tes doutes soient réduits au néant