Light
Dark
Bas/Haut

De par les vents, la voie des dunes

De par les vents, la voie des dunes Brandw10
Mer 13 Sep - 21:19
Comme un grain de sable dans le désert
Les dunes comme des vagues, le soleil à l’horizon




Ils étaient loins, les bois denses. Loins, les feuilles vertes couvertes de rosées. Le cri des macaos un lointain souvenirs, le goût des mangues sauvages un triste vestige au bout de sa langue. Maintenant il ne restait que la mémoire, des échos tordus de sa naissance qui n’avait pourtant pas quelques mois.
Disparu. Paru. Paria. Lö avançait entre les dunes, un fétu dans le vent.

Le chemin avait été long depuis Aramila. Si elle se retournait assez vite, tournait la tête assez rapidement, elle pouvait presque voir les remparts de la cité-four dans le coin de sa vision, comme un vieux fantôme qui la poursuivait jusqu’au confin du désert. C’est qu’elle était persistante, Aramila. Une vraie guerrière, qui t’attrape, et t’essort. Elle avait vu un jour deux debouts comme elle, des gens qui lui ressemblaient, au bord de la rivière, tremper des gros morceaux de tissu dans l’eau avant de les tordre dans tous les sens. Oui, elle se sentait comme ça, Lö. Peut-être qu’elle aussi était un gros morceau de tissue et qu’elle attendait simplement qu’on vienne la tordre dans tous les sens.

Aramila avait presque réussi. La poussant jusqu’aux confins de sa patience, même si c’était encore dur de comprendre pourquoi elle était restée si longtemps dans la ville, alors que celle-ci n’était rien d’autre qu’une étuve étouffante. Partout, elle captait des émotions en pagaille, grosses comme elle, lourdes, grasses, de la joie extatique, de la crainte, de l’amour, de la haine… Elles venaient s’entasser sur ses petites épaules déjà pas bien épaisses, et bientôt l’hespéride s’était réfugiée dans les bas quartiers pour respirer un peu. Là, l'espoire était petit, discret. Pas beaucoup d’émotions à vivre, la vie y a été plus douce. Mais sa jungle lui manquait. Elle n’était pas à sa place. Elle voulait les arbres qui touchent le ciel, les feuilles plus grandes qu’elle, les fruits à chaque branche, la vie.
Sa fuite avait été spontanée, sauvage. Rien emporter à part de l’eau, quelques vivres. Chasser.

Puis le sable. Rien que le sable. Son visage était à moitié cachée par la grande cape de jute qu’elle portrait à bout de bras, à moitié maintenue par des liens mal noués - en quatre mois sur cette terre, elle n’avait pas encore appris à faire ses lacets correctement. Ni à avoir un goût vestimentaire avancé. Le vent soulevait parfois le tissu pour révéler une chemise d’homme bien trop grande pour elle, qui flottait aussi dans le vent, laissant parfois saillir le contour d’une hanche osseuse ou d’une épaule dégarnie.
Elle n’avait plus d’eau depuis bientôt une journée; Et les émotions lointaines de son coeur lui soufflait que comme le jaguar tue sans réfléchir, elle pourrait bien tuer pour de l’eau.

Les dunes comme des vagues, le soleil à l’horizon… Puis il y eut… Quelque chose. Un bout de blanc qui court au loin. Puis un rien de vert. Puis c’est tout le désert qui avait pris vie, dans une explosion de couleurs. Avec plus de temps, elle apprendrait qu’il s’agissait d’une oasis marchande, un relais dont se servaient les caravaniers et les courageux habitants des dunes pour vivre plus paisiblement. Pais pour elle, c’était une épiphanie. Grisée par les émotions qui lui parvenaient par vagues nerveuses, la soif qui lui tournait la tête, elle hâta le pas pour parvenir à ce mirage. Dés qu’elle le pu, elle plongea la tête la première dans l’abreuvoir des bêtes pour y boire tout ce qu’elle pu - après tout, si elles le pouvaient, pourquoi pas elle?

Le lieu… Partout, des debouts. Des grands, des petits. Ils ne ressentaient pas tous de la même façon: un petit groupe plus loin semblait la craindre et elle ressentit leur peur, qui crispa son ventre plein d’eau en lui faisant faire des bruits de grenouille. Là bas, une debout était inondée de joie devant un grand debout aux cheveux hirsutes. La fatigue. L’épuisement. L’excitation. Lö perçoit. Elle perçoit tout. Et ça lui fait mal au crâne.

Plus loin… Elle voulait voir les fleurs, les buissons qui ressemblaient plus à de gros cactus aux branches tressées. Là, c’était plus doux. En s’asseyant entre les plans, elle regarde les alentours, et qu’on arrive à nouveau dans de petites maisons montées sur de grands cercles qui tournent. En tendant l’oreille, elle entend des mots. Aravane? On en descend. On y monte. On part… On part! Partir! Se hissant sur ses jambes, elle tituba un instant avant de se glisser hors de la vue du petit groupe qui se formait déjà autour d’un nouvel arrivage. Ils se parlaient, parlaient forts. Et pendant qu’ils parlaient, elle se faufile derrière le convoi pour observer les petites roulottes. Grands… Vaste. Oui, il y avait assez de place pour elle! Elle pourra partir. Loin, dans le vert. Le vert.
Lö escalada comme elle le pu, se laissant tomber dans la caravane, avec au loin les échos tordus de sa naissance, la forêt. Aravane pourrait l’y emmener, c’est sûr.


Dernière édition par Lö le Ven 15 Sep - 12:07, édité 1 fois
Jeu 14 Sep - 12:35
La caravane va repartir, nous atteindrons la prochaine halte avant la nuit.

Je passais une dernière fois le tissu humide sur mon cou, mêlant l’eau claire à la crasse du désert que j’espérais faire partir. N’allez pas croire que je rêve d’un bain, mais il est vrai que s’il y avait bien quelque chose que j’échangerai dans le désert, c’est cette chaleur accablante.

Le soleil est l’ennemi, on peut essayer de se défendre comme je le faisais avec des étoffes larges et du change caché dans une jarre au frais, mais c’est un combat déséquilibré, perdu d’avance, une course contre le temps avant que la chaleur ne gagne.

Si je n’avais jamais été un admirateur du désert, je ne pouvais pas en dénier la beauté, assis comme nous l’étions dans cette oasis, les ondulations de sable laissé par le vent sur les dunes apportent un relief merveilleux. Les grands espaces, là où les villes vous protègent, elles enferment aussi votre vision entre quatre remparts.

Bien, j’arrive chef.


Je me redressais et m’assurais que les bêtes avaient suffisamment bu, que les gourdes étaient pleines pour assurer cette dernière étape du jour.

Je n’en étais pas à mon premier voyage dans ces dunes, aussi la force de l’habitude me permettait d’être un compagnon au moins utile dans le convoi. Seul un noyau dur devait nous accompagner jusqu’à destination pour moi et le colis que je transportais. Pas d’épices ou autre marchandise cette fois. À Aramila, mon nom était encore mal vu par certains. J’avançais donc sous l’une de mes couvertures nécessitant le moins de préparation pour cette fois… Et éviter d’attirer les soupçons sur un jeune marchand allant régulièrement dans toutes les grandes villes.

Ainsi, le jeune Podrick, recommandé par un autre caravanier au chef de ce convoi, l’avait rejoint en tant que palefrenier suite à la malheureuse maladie de l’habituel préposé. Un garçon simple, un peu limité. Tout n’était pas parfait, mais je connaissais assez les animaux et le fonctionnement des caravanes pour ne pas faire d’impairs autres que ceux qu’un novice ferait.

Je rejoignais le reste du convoi, disparate. Il n’était pas immense, mais avançait à bonne allure. La nouvelle de la réunion au sommet à Opale attirait les curieux et badauds de tout Uhr, non pas qu’ils aient un rôle à jouer, quoique, mais les lieux de pouvoir, là où les décisions se prennent, attirent irrémédiablement.

Je sentais le sable chaud sous mes pieds alors que mes bottes s’enfonçaient dans celui-ci, la nuit et sa fraîcheur seront la bienvenue. J’arrivais au milieu de la réunion de mi-journée. Le chef de cette caravane adorait cette sensation d’autorité, qu’il écoutait les recommandations de ses gardes ou des autres chefs d’attelage, mais à la fin, la décision lui revenait toujours.

“... en contournant par l’est on mettra peut-être une heure de plus, mais c’est faisable dans la pénombre et nous aurons plus frais qu’en avançant en plein soleil.
- Non, nous irons par l’ouest, coupons au plus court.”


Il entendait, mais n’écoutait pas. Je voyais bien son regard amusé, il toussa calmement, pour attirer l’attention sur lui. Le torse gonflé, il faisait mine de réfléchir avant que sa lourde voix ne sorte de sa gorge clamant à ce simili conseil et aux autres participants de la caravane.

Le plus court, c’est tout droit sur la dune. C’est par là que nous irons.

Sur l'arête de la dune donc, la décision était prise. Irrévocable. Certains protestèrent, mais rapidement la machine se remet en marche, huilée par les jours déjà passés ensemble et les voyages que le groupe auquel je m’étais greffé avait déjà faits.

Torin, Alf, on avance en formation pointe de flèche, vous prenez les côtés. Daroco, tu pars en éclaireur devant point toutes les heures jusqu'à l'arrivée. Gaffe aux Yeaarks. Ned tu tournes, t’assures que tout ce petit monde suive et que ça jacte pas trop.... et toi Pod, tu fais pareil avec les bestiaux et tu fermes la marche. Dare!


Il souriait, prenant la tête de ce convoi. Je me tournais vers les montures qui avaient été mises au repos après cette première étape, souriant chaleureusement au passage aux voyageurs qui nous accompagnaient. Quelques nouvelles têtes arrivaient de l’oasis. Ils allaient prendre le pli de cette caravane, son rythme, ses pulsations, comme tout le monde. J’attachais solidement les cordes à la dernière voiture, celle qui comptait toutes les affaires du groupe encadrant. Assurant que les bêtes avaient assez de jeu pour ne pas se gêner les unes les autres, je donnais une petite tape amicale à l’encolure de l’un des Tamanains.

Me hissant sur le banc de l’attelage, je sifflais entre mes dents pour mettre en mouvement la queue du convoi au rythme du reste.
Ven 15 Sep - 12:07
Le souffle est chaud sur le sable aride
Sous la silice, le temps coule lentement.
Peut-être va-t-il rejoindre en bas les rivières

Un bruit de tissu, le murmure du vent. Une petite goutte perlante sur un front pâle qui finit par tomber entre deux clavicules. Péniblement, elle ouvre un oeil. Puis deux. Ils se posent sur un monticule de sacs de toiles de taille diverse et variée - des grands à l’allure cotonneuse, de petits remplis d’objets anguleux qui leur donnaient l’aspects de jouets pour enfant. Sagement assise entre deux barriques, Lö reprenait doucement conscience. Quand s’était-elle endormie? Quand est-ce que le sommeil l’avait cueillie pour l’emmener loin de cette chaleur étouffante?

Une chose était certaine, elle n’avait pas froid. L’hespéride dégagea presque immédiatement le voile de sa tête, libérant au passage une crinière flamboyante de boucles sauvages, certaines maculées de grains de sable que le désert avait jeté sur elle - sans doute ressemblait-elle trop à une dune, aussi. La chaleur de l’aravane était lourde, l’air rare. Ou alors était-ce le désert qui l’était plus encore, et elle se retrouvait à présent dans une prison dorée qui la protégeait des rayons dardents. Dans un cas comme dans l’autre, la curiosité et la faim commençait à lui tirailler les entrailles. C’était un nouveau monde… Tout petit, certes. Mais un nouveau monde, quoiqu’il en soit.

Comme l’aurait fait une souris, elle ne bougea pas tout de suite. Silencieuse, subtile, elle tendit un bras puis l’autre pour se pousser du sol - elle parvint à étouffer le bruit de ses pieds sur le sol rigide, mais pas son aspiration brusque quand elle se retrouva accroupie au milieu des objets. Le sol n’était pas du.
Ou alors… Si?
Non, il bougeait. Il était mou.
Il n’était pas mou… Il.
Il partait sur le côté. Comme elle sur l’eau. Comme le nénuphar sur les vagues.
Il tanguait.
Non, c’était tout qui tanguait. L’aravane bougeait.

Ses yeux s’écarquillèrent brusquement, chaque fibre de son corps se gainant doucement pour se maintenir en position et lutter contre l’inertie qui luttait contre ses gestes. L’aravane toute entière était en mouvement. Dés qu’elle le pu, elle porta ses deux mains sur ses lèvres - c’était comme si… Oui, c’était comme si elle volait, mais portée sur un support! Comme les oiseaux, sauf que, contrairement à eux, elle le faisait depuis l’intérieur d’un cube sur roues.

Comme les petits debouts qu’elle avait vu courir après un chaton à Aramila, elle se précipita sur le fond de l’aravane, renversant au passage une caisse pleine de bouteilles épaisses - qui échappèrent miraculeusement à la mort - pour pousser d’un grand coup les rideaux de tissue qui la séparaient de la vue. Face à elle: des dunes et des dunes, par dizaine, qui avançaient comme un troupeau au gré des vents. En réalité, c’est elle qui avançait. Enfin, pas vraiment. Ses pieds n’avançaient pas, et elle savourait secrètement ce miracle de pouvoir se déplacer, mais par sur ses jambes. L'espoir fit naître le rouge sous ses joues: peut-être que l’aravane l’amenait vraiment à sa maison.

En croisant ses bras sous elle, Lö se laissa choir contre le rebord de l’engin, se perdant un peu sur l’horizon, savourant l’instant, tellement grisée qu’elle ne remarqua pas l’autre. Le calme qui battait non loin. Pas le sien, non. Quelque chose de faible, de silencieux.Comparée au poids de sa joie, il était plutôt discret - plutôt tranquille, un battement sage et concentré. Mais si il n’avait pas remarqué le tintamarre venant de sa caravane, l’hespéride aurait fini par le sentir - une émotion complexe qui domine celle des bêtes de l'attelage, qui finalement ne ressentaient qu’une usure unanime et une bête paix.
Maintenant, elle était en alerte, Lö. Les yeux tournés vers l’autre côté de l’aravane, elle observait. Elle regardait. Elle redoutait. Redoutait le debout qui partageait sa monture inconsciente. Et en même temps, elle brûlait encore d’une inextinguible curiosité, qui séparait son coeur en deux.  

Le vent souffla fort, faisant rouler les bouteilles sur le sol sablonneux. Comme une dune, Lö se fit poussière, espérant secrètement que le souffle de la brise couvrirait des bruits impossibles à étouffer. Silence.
Sam 16 Sep - 10:36
C’était pour moi un moment de détente, pas d’autre obligation que de conduire cet attelage qui, il faut bien l’avouer, avançait déjà dans la bonne direction et le bon rythme à la force de l’habitude. Le paysage pouvait bien changer, les dunes se mouvoir, les astres tourner, ils iraient toujours droit dans la ligne de mire que le golgoth traçait. Tout droit.

Je marquais le temps qui passe par les allées et venues de Daroka à l’avant. Une fois, deux fois, trois fois, l’éclaireur venait faire son rapport. Concis. Tout ce qu’attendait le chef de la caravane, est-ce qu’on peut continuer par là ? Doit-on ajuster ? Des éléments particuliers à prendre en compte au-delà de la prochaine dune ? Et il adaptait la route, ajustant de quelques degrés sa pointe de flèche parce qu’ils s’étaient un peu déportés sur l’est. Pestant d’avoir perdu une dizaine de minutes ainsi.

Je devinais les échanges plus que je ne les entendais, me basant sur les gestes qu’ils échangeaient à l’avant. J’étais plus parasité par les bruits des animaux et du convoi en général. Les roues qui font crisser le sable, qui le tassent, qui créent des ornières devant moi. L’ensemble n’était pas l’un de ces immenses convois, mais il y avait toujours des choses à glaner de ce que les marchands pouvaient se dire dans ce genre de situation. Ils venaient de loin ou de près, ils n’avaient pas la même histoire, mais ils avaient la même avidité pour les rumeurs et les informations. Je soupçonnais d’ailleurs qu’ils aient été à la base de ce qu’est l’Ordre aujourd’hui, des colporteurs d’histoire, des spectateurs du monde qui ont commencé à agir.

Les histoires par rapport à l’infiltration ratée du Concile commençaient à peine à être remplacées par d’autres rumeurs locales. Je réajustais machinalement le tissu qui protégeait ma tête et mes cheveux en continuant d’écouter.

“... C’est quand même étrange, en même temps que la reconquête de Dainsbourg, beaucoup de coïncidences…”

Un bruit sourd derrière moi, sans doute une caisse qui était mal fixée, ce serait pour ma pomme très certainement, mais il serait toujours temps de réparer ça une fois arrivée au prochain camp.

“... S’tu veux mon avis, c’t’encore un coup de ces gars-là, les Kobolistes, t’en a entendu parlé?
- Vaguement.
- Faut qu’tu passes à Aramila, ils sont de plus en plus nombreux à s’afficher, ça fait jaser en haut lieu à c’qu’on dit.”



Je n’avais pas eu de raisons particulières de retourner à Aramila depuis l’incident si ce n’est pour amener les récoltes prêtes sur les quais que des navires marchands étaient ravis de l'acheter à bas prix. Ça me permettait de continuer à faire tourner l’affaire et à éviter de m'attarder dans cette ville où les regards et les messes basses allaient bon train.

On approchait d’une nouvelle dune, plus imposante celle-ci. Le convoi ralentissait devant moi alors que les Tamanains commençaient leur ascension. Je buvais une gorgée d’eau tiède, le vent se levait, je voyais des ondulations beaucoup plus rapides se former à notre gauche. J’aurais sorti les lunettes, récupérées habilement sur une précédente infiltration, réussie cette fois, mais elles auraient fait tache pour Podrick. Pas tant pour le bénéfice certain qu’elles pourraient m’apporter, mais plutôt pour la protection de mes yeux. Enfin, à quoi bon voir tout autour le sable à perte de vue. Je resserre mon écharpe sur mon visage. J’avais aussi appris que le sable est vicieux, insidieux. Je voyais à travers une fente de tissu à présent, Ned approchait, amusé de me voir ainsi. Il entendit ma voix étouffée.

Le vent se lève chef…

J’appelais tout le monde chef, c’était plus simple que retenir des prénoms inutiles et tout le monde en semblait ravi. J’entendais encore des bruits sourds alors que, ça y est, nous montions. Je soupçonnais des choses de rouler librement à l’arrière et je voulais éviter qu’on me reproche d’avoir perdu quoi que ce soit. Si l’encadrement était franc et de plutôt bonne condition, ça n’en restait pas moins des rustres où la sentence physique était le plus souvent la norme.

Tu peux juste tenir les rênes? Je dois aller vérifier quelque chose derrière.


Il devait s’imaginer que j’avais un besoin quelconque à assouvir à l'abri des regards. Il hocha la tête face au simple Podrick et attrapa les rênes, menant les bêtes depuis sa propre monture. Je descendais la marche lestement et mon pied entier s’enfonça dans le sable chaud qui venait de se faire déposer. J’attendais là, que la caravane passe devant moi pour minimiser les efforts. Je voyais les bêtes derrière, circonspectes, est-ce qu’on allait devoir retourner au labeur ? Non mes belles, pas encore, pas aujourd’hui. Je voyais ensuite des rideaux claquer au vent. J’avais raison sur ce point, les bourrasques arrivaient. J’étais aussi sûr de les avoir bien liés les uns aux autres.

Enfin, je vis apparaître un feu roux au milieu des rideaux et des tissus. Surprise.

Oh
Sam 16 Sep - 23:40
Quel mystère traverse son regard?
Un secret comme un nuage occulte ses prunelles.



Oh.

Comme un ricochet. Un petit caillou sur l’eau, qui effleure sa surface avant de tomber au fond du lac. Oh, c’était le son de la découverte, de la confrontation. Oh, c’était tout ce qu’elle redoutait, et en même temps, qu’elle voulait plus que tout.
Le bruit de la surprise. Elle pouvait la sentir par vagues brusques et dirigées. Comme le tonnerre qui gronde, ou les premières gouttes de pluie. Elle lui tombait dessus, un peu pour elle aussi, tout aussi surprise de tomber face à un regard, un regard distant, tout emmitouflé dans une couche de tissu.

Quoi faire. Que faire.  

“- Oh.” Le son s’échappa de ses lèvres à elle, aussi. Comme un ricochet. Sauf que le sien ne rebondit pas sur la surface, et tomba entre eux comme une pierre.

A son tour, son cœur se remplit de surprise. Elle s’était même reculée à sa vue lorsque celui-ci s'était approché, que sa silhouette s’était dessinée dans les grands rideaux charriés par le vent. Il aurait pu être un avatar du désert, abrité par sa coiffure étrange.
Qui était-il? Un debout, sans aucun doute. Mais contrairement aux autres, elle ne pouvait distinguer que ses yeux - ils étaient loin, loin derrière les remparts protecteurs qui entouraient tout son crâne. Cela allait à l’encontre de ses croyances, pourtant. Elle avait bien vu que pour survivre, il fallait d’abord respirer. Que le nez puisse humer l’odeur du monde, que la bouche puisse soupirer quand vient la tristesse. Lui n’avait rien de libre, tout était caché. Dans le tissu, dans les rideaux, dans le vent.

Devait-elle fuir? Elle se revoyait dans la jungle, des lunes plus tôt, face aux jaguars, aux macaques: en la voyant, tous avaient le même réflexe dans la surprise: la fuite. Ses yeux firent rapidement le tour de l’aravane. Son sang aurait pu bouillir tant il s’était brusquement rempli d’adrénaline, comme si tout criait le danger imminent. Mais elle était coincée. Entre quatre murs de bois, entre quatre planches, le fond bouché et de l’autre côté, le désert. Et là, elle n’avait pas envie d’y aller. Y rejeter son corps tout neuf, ses pieds ouverts, ses paumes brûlées, sa peau foncée. Non, elle était mieux dans cette aravane.

Rapidement, le debout eut de nouveau toute son attention. Il ne semblait pas particulièrement méchant, ou agressif. Il ne montrait pas ses dents, ni ses mains. A Aramila, elle avait vu toute sorte de debouts. Certains qui s’affrontaient comme des singes lors que la lune avait annoncée la nuit, aux dernières lueurs du jour. D’autres s’enlaçaient comme les koalas sur les branches. D’autres se contentaient d’échanger des mots - souvent compliqués - et d’y répondre avec d’autres, toujours plus compliqués, et finalement, au bout d’un échange de ces paroles, de ce langage qu’ils se lançaient au visage, ils repartaient satisfaits.
Les mots… Comment disaient-ils déjà? Une… Une… Une versation! Oui. Elle devait faire une versation. Ou était-ce le logue? Une condilogue? Ses souvenirs des rues pavés et des mots échangés mais peu compris lui revenaient en tête. Peu de pratique, peu de recul, et elle aurait pu se noyer en quelques mots dans un verre d’eau.

Avait-il seulement une bouche? Prudente, elle s’approcha de ce mystère au visage bandé. Elle portait elle aussi du tissu, partout. Mais pourquoi en avait-il sur le visage? En s’approchant de lui, elle remarqua quelque chose. Une autre émotion, plus usuelle, plus paisible. Il y avait quelqu’un d’autre, dehors, avec les animaux. L’hespéride était prise de cours. En face à face, elle pouvait avoir un condilogue, mais si il y avait deux debouts… La créature commençait à peine à comprendre le concept d’avantage numérique quand elle se hissa comme elle le pu sur ses genoux à nue, au milieu des bouteilles voguant libres, et elle-même tanguant comme elles à chaque caprice du sable avec la sensation d’un mot de travers signera sa perte.

Lö.” Elle posa sa main à plat sur son diaphragme, murmurant son nom dans l’espoir d’entamer une versation. Mais elle commençait par la fin de l’histoire, mettant le début au bout et la salutation, non sans la forme, au dernier wagon. “Bon-grand jour.” Elle dessina avec sa main un salut, qui ressemblait plus à un croissant de lune qu’à l’habituel secouage de paume qu’on s’échange de loin. Le mot… Qu’est-ce que c’était ce mot déjà? Elle l’avait sur le bout de la langue, le mot des mains tendues et des poignets, le mot que cet enfant lui avait murmuré dans la rue. “Ami?” Ses yeux s’étaient creusés de craintes, cherchant ceux au travers des bandelettes, ignorant tout le visage qu’il n’y avait pas autour. Si les choses tournaient mal, elle savait qu’elle pourrait tenter la fuite mais…
Oh.
Mer 20 Sep - 11:43
Pas d'agressivité, j’étais un peu tendu par la surprise, mais aucune attaque ne venait. Elle réagissait comme moi, par surprise. Fallait-il qu’elle pense pouvoir faire la route clandestinement jusqu’à Opale ? Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, les passagers clandestins de ce type il y en avait toujours tant les mouvements et arrêts des caravanes sont nombreux. Ils profitent de la protection du groupe en se faisant discret, grappillant quelques vivres et disparaissant dans la nuit.

Mais elle n’était pas de ce genre-là. Là où ceux pris la main dans le sac pouvaient se montrer violents, elle affichait aussi un air surpris, comme si elle ne s’attendait pas à cette éventualité. Elle était surprise, elle avait peur, son visage trahissait bien trop la tempête qui s'agitait dans sa tête. Elle paraissait… Innocente, comme si tout était trop neuf, trop nouveau pour elle, comme une situation qu’elle n’avait jamais vécue.

Elle était jeune, elle était une anomalie. Fagotée comme elle était, c’était un miracle qu’elle a pu même atteindre notre convoi. Au milieu des toiles et des tissus qu’elle portait, au milieu des bouteilles renversées qui se déplaçaient comme des vagues dans cette caravane au mouvement lent, elle s’approchait de moi. Je dus faire quelques pas également, j’étais resté confus en la découvrant, c’était un Tamanain qui me sortit de mon état en me mettant un léger coup de tête. Avance humain, personne ne t’attendra.

Quelques mots, quelques gestes peu assurés. Lö…

Ami ? Non ma petite, ce serait trop simple, mais je comprends ton intention. Voyons si on peut être amis comme tu dis, voyons si on peut être utile l’un à l’autre. Le voyage est encore long, faisons passer le temps, vivons ça comme une nouvelle expérience. Je hochais la tête, retirant le voile devant ma bouche. Il fallait créer de la connexion. J’affichais un sourire feint, imitant les gestes qu’elle avait dues elle-même voir et qu’elle tentait de reproduire. Main sur le torse.

Podrick. Ami!

Pieux mensonge, j’évitais de sortir de mon rôle, quel aurait été l’intérêt ? Je marchais au rythme de la caravane, l’ombre salvatrice me protégeant en ce milieu d’après-midi. Les bourrasques se renforcent, des nuages se forment, une course contre la montre s’était engagée, je le sentais car je devais allonger mes pas. Le risque de se retrouver coincé dans le sable.

Attends, je reviens.


Parler simple, ses mèches sauvages, son phrasé, sa posture traduisait quelqu’un qui n’avait pas une grande expérience de la civilisation. Enfant sauvage certainement, comment avait-elle tenu jusque-là ? Chance ou destin, que sais-je ? Je remettais rapidement ma protection devant mon visage, utilisant le véhicule comme un barrage, je luttais pour revenir à l’avant. Ned commençait à regarder vers l’horizon lui aussi, se protégeant comme il pouvait. Je l’alpaguais.

C’est le bordel à l’arrière chef, y a des bouteilles partout, faut que je m’occupe de nettoyer.

Il grogna, est-ce que c’était vraiment la priorité ? La formation se resserrait autour de nous, formant plus un losange qu’une flèche. Le chef continuait d’imprimer la cadence, vétéran du fait, il savait qu’il devait continuer à avancer, imprimer un mouvement, ne pas rester statique au risque de s’enliser.

Y a les bouteilles de vin opalin que le chef adore, t’imagines si ça casse ? Pas bon pas bon...
- Ouais, pas beau à voir, vas-y.”



Il siffla, indiquant un changement de plan à l’arrière. Fini la balade au milieu des caravanes, on avance et on imprime le rythme à l’arrière pour que le convoi ne s’étire pas. Je revenais vers l’incongruité, le grain de sable dans l’engrenage en retirant à nouveau le tissu devant mon visage. Lö.

Je suis là, pas de panique. Je monte.


Joignant le geste à la parole, j'attrapais le bord du véhicule et rejoignais lestement l’intruse. La fine protection de bois était suffisante pour préserver cette retraite, seuls les sifflements entre les planches et les bandes de tissus à l’arrière laissaient présager des bourrasques. Je lui laissais le temps de s’habituer à ma présence, comme on l’aurait fait avec un petit animal. Je commençais à ramasser les bouteilles qui continuaient de s’entrechoquer, je faisais ma vie.

Qu’est-ce qui t’amène ici, Lö?


Il fallait que je pose ces questions, comprendre qui elle était, même ce qu’elle était, ce qu’elle faisait là. Et est-ce qu’elle pourrait m’être utile à quelque chose ?
Hier à 19:13
Le zéphyr se lève, soulève le sable du désert.
La tempête approche… Bientôt hurlera le vent.

Elle n’était plus capable d’entendre autre chose que le bruit des toiles qui s’agitent contre les rebords de l’aravane. Comme les ailes des oiseaux, le frappement du tissu battait l’air chaud du désert, et abritait sa voix tant que possible - du moins, elle l’espérait. Sous le soleil brûlant, tout prenait un air d’ennemi. Tout était dangereux. Tout était nocif. Et elle était méfiance.
Elle le fixait avait une intensité rare, tant il lui semblait que sa vie ne dansait plus que sur un horizon maigre. Trois, quatres… Les secondes passaient. Et l’intrus - quel intrus? C’était elle, l’intrus, mais elle ne le comprenait pas encore - reculait toujours un peu plus. C’est l’une des bêtes qui le poussa de nouveau vers elle. Elle priait. Qui? Uhr? Tohorâ? Le soleil? A quiconque pourrait l’entendre et réussir à la comprendre, sans doute.

Soudain, il défit le voile qui lui abritait le visage, et elle se sendit compte qu’il était comme elle. Comme tous les debouts. Son sang ne fit qu’un tour, et elle se sentit brusquement soulagée de découvrir que sous ces yeux bleus se cachaient un nez ordinaire et une bouche ordinaire, similaires aux siens mais un peu différents. Il avait une peau claire, très pâle qui semblait trancher avec l’or des dunes. Il se détachait du ciel avec aisance, sauf ses prunelles - elles auraient pu se confondre à merveille si ce n’était pour les nuages qui le sillonnaient. Son soulagement ne fit que s’épaissir quand il répéta le même geste qu’elle en posant la main sur son torse et en énonçant son nom. Là, son souffle se libéra doucement, piégé depuis de longues secondes entre ses lèvres pincées.

Pod-Ric. Podr’ic. Podrick. Le son était incisif, rocailleux. Abrupte. Curieusement, elle se dit qu’un nom pareil n’allait pas avec des yeux comme ça. Il aurait mérité un nom plus doux, comme le ciel. Peut-être la nature ne le lui avait-elle pas révélé?
Elle n’eut pas encore le temps de le lui dire qu’il disparaissait déjà, la laissant à la merci du silence, et du battement d’ailes de l’aravane.
Podrick. Il semblait… Amical. Podrick. En tout cas, il n’était pas menaçant. C’était déjà ça, elle n’aurait pas à s’enfuir. L’idée de pouvoir rester dans l’aravane lui plaisait. Pod. Mais… Quelque chose clochait. Pas d’émotions. Pas de joie. Rick. Pas de sympathie dans les sentiments qu’elle captait. Podrick. Curiosité. Oui, c’était tout.

Des voix à l’extérieur, et Lö se demandait si elle n’était pas tombée dans un piège. Si tout ceci n’était qu’une diversion pour aller ramener d’autres debouts? Comme le font les loups dans les méandres de la jungle? L’hespéride s’était recroquevillée et cachée derrière une caisse, ne laissant dépasser qu’un œil de temps à autre pour surveiller les alentours.
Quand Podrick réapparut.

Ouf. Il était seul. Et rien ne venait derrière lui. Sous le bruit inlassable du vent, elle l’observa se hisser à son tour dans l'habitacle, rejoignant l’abri qu’elle s’était approprié à grand renfort de discrétion, de secrets et de silence. Il était grand, Podrick. Lö pouvait le voir depuis l’arrière de sa caisse. Bien une tête, voir deux. Mais il ne faisait pas peur; au contraire, il dégageait une forme de tranquillité et de calme qui la poussait à sortir lentement de sa cachette.
Et là, comme on jette un cadeau, il lui lança une phrase. Amène? Qu’est-ce qui amène Lö… Elle eut l’air interloquée, dévisageant le debout qui pourtant se concentrait sur le sol. Heureusement, car il ne verrait pas son expression perdue en regardant les bouteilles tanguer au rythme de leur convoi. Amener, c’est venir. Et elle venait d’Aramila. Lö, qu’est-ce qu’il t’amène?

Les mots dansaient sur le bout de sa langue - elle n’en connaissait que peu, une petite poignée bien insipide par rapport à tous les mots du monde. Et même si elle les choisissait avec soin, ils n’étaient pas assez grands pour tout contenir. Aujourd’hui, si on lui demandait, elle soufflait son histoire en trois mots. En un souffle, des jours étaient contenus. Podrick ne lui accordait pas un regard, et curieusement, elle trouvait cela rassurant. Elle captait bien quelques sentiments diffus, mais calmes, rien de trop fort ou de trop étouffant. La curiosité peut-être qui l’éclaboussait comme des embruns diffuts. Et derrière elle, il y avait les animaux qui ruminant doucement les mêmes pensées, mais dont elle percevait la nervosité croissante.

Je suis Lö.” Répéta-t-elle. Je suis, elle commençait à comprendre. Je suis, c’est moi. “Je suis pas Aramilla, partir, vers loin. Vers maison.” En poursuivant, elle se mit à tordre ses doigts et ses mains pour former des symboles qu’elle voulait clairs. “Maison est forêt..” Doucement, elle se mit à mimer les oiseaux en collant entre elles ses mains ouvertes. Le loup. Le lapin. Elle posait ses mains pour décrire la jungle et ses merveilles, pour redonner vie à la nature, sa reine, qu’elle avait lâchement abandonné. Partir. Aujourd’hui, ce mot faisait si mal. “Partir à maison, aravane?

Les mots étaient si petits… Comme les bouteilles qui roulaient, des contenants figés mais dont l’intérieur était plus précieux. Elle se cramponnait à ses mots fermement, les tenants dans ses paumes, les mimant quand sa voix ne suivait pas. Mais ce qu’elle voulait apprendre. Ouvrir les bouteilles, les remplir de tous les mots du monde pour pouvoir faire comme les debouts et raconter son histoire sans avoir à chercher des mots, des gestes, des phrases. Tout serait plus simple.

Une brise souleva sa crinière, fit rouler une bouteille contre sa cheville.

Aide?” Elle lui tendit la bouteille, lui qui semblait les vouloir. “Qui est Podrick?” Sa voix l’avait trouvé, lui.

Un souffle. Dehors, les dunes retenaient le leur. L’anxiété des bêtes grimpaient, montaient jusqu’à atteindre le coeur de Lö. Le désert commençait à gronder. “Dehors. Souffle… Animal a peur”. Elle regarda doucement vers le lointain. Oui, le cœur des tamanains chaviraient, comme la caravane. Les voiles battaient leurs ailes, toujours un peu plus fort.