Light
Dark
Bas/Haut

Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires Brandw10
Mar 1 Aoû - 12:16



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 

C’était un matin très tôt avant l’aurore dans les basses rues d’Espistopoli. A une heure où le dôme de chaleur et de pollution se veut presque respirable pour les humbles travailleurs qui s’affairent avant le réveil tonitruant des dragons d’acier et de ferraille, qui viendront créer des embouteillages interminables dans la ville. Déjà, les enfants livrent les médicaments au porte à porte et les volets de fer des merceries s’ouvrent dans un cisaillement strident pour dégueuler sur des nattes sales les ustensiles domestiques et électroménager à prix battant toute concurrence. Tout ici est misérable. Même l'air semble incruster une saleté incurable de charbon sur la peau blanche de ses joues, que Keshâ ne cesse de nettoyer.

Il regarde la lueur blafarde du jour se lever dans le ciel gris au niveau des hautes tours noires, à demi aveuglé. La lumière à ce quelque chose d’agressif comme les néons qui clignotent sur les enseignes d’un bar à danseuses. Il est fatigué mais préfère toujours se réveiller avant les autres garçons de la pension pour éviter les problèmes et aller chercher les quelques économies qu’il possède dans sa cachette bien à l’abri des regards dans un entrepôt vide, afin d’aller s’acheter des bananes frites sur un stand de rue.

Il se hâte, car, à 9h, il doit pointer à l’ouverture de l’atelier du contre-maître Duran. Les prothèses bon marché ont toujours besoin d’un entretien régulier et ils ne manquent jamais de clients. Mais le patron est tyrannique avec les ouvriers et Keshâ a bien trop peur de le contrarier. Il veut bien accepter châtiments et corvées. Au moins, il a la chance de ne pas être au chômage comme tant de gens dans les bas quartiers. C’est déjà beaucoup.

Hélas, cela ne suffit pas pour s’en sortir. Loin s’en faut. Avec une douzaine d’astras argent hebdomadaire, dont six partent chez la logeuse et le reste en alimentation de base. Keshâ doit donc trouver des missions précaires pour compléter le tout, en concurrence avec tous les malheureux crève-la-faim en quête d’embauche et tous les malandrins sur la route qui pourraient lui piquer son maigre pécule. Aujourd’hui, c’est un déchargement de ferrailles dans une usine qui l’attend, au saut de camion. Il a déjà travaillé pour cette embauche une autre fois et il sait que c’est une matinée harassante qui s’annonce et qu’il faut prendre des forces.

Un béret rabattu sur son front d’où s’échappe une mèche folle, il jette un œil furtif derrière son épaule pour vérifier qu’il n’est pas suivi au détour d’un mur de briques étiolées. Passant entre les ombres, il se coule derrière une bennes sans réveiller un ivrogne malingre et entame l’ascension périlleuse d’une gouttière avec prudence et efficacité. C’est en passant par les toits qu’il parvient à s’infiltrer par les verrières brisées d’une ancienne usine d’assemblage automobile, où il dissimule quelques sous. C'est un sentier coutumier du vagabond. Il récupère rapidement un astra d’argent dans un chiffon brun enroulé, qu’il replace précautionneusement sous le parquet d’un bureau.

En se redressant, il a la désagréable impression de ne pas être seul. Son oreille se tend, le hangar semble empli de chuchotis empressés, qui n’augurent jamais rien de bon dans le quartier où il ne fait pas bon faire des rencontres hasardeuses. Il sinue lentement, en déroulant lentement sa foulée depuis le talon, son poids ridicule ne fait pas crisser le parquet humide. Mais une silhouette passant soudain derrière une vitre sale le fait tressaillir et il recule sans contrôle contre un morceau de grillage abandonné en plein milieu du couloir et s’empêtre dans ses fils. Son cœur accélère à tout rompre tandis qu’un empressement désordonné s’empare de ses mouvements. Il est tel un renard pris dans piège de chasseur. Sa peau devient moite, ses pupilles se dilatent. Pitié, faites que ce soit juste un ivrogne cherchant un abri!


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Mer 9 Aoû - 2:23, édité 2 fois
Jeu 3 Aoû - 13:41
Espistopoli. Pour les Xandriens des bas fonds qui y mettaient les pieds, cet endroit, ce pays était à la fois pareil et différent que le leur. Le système était différent certes et à cela s'ajoutent la question de problèmes environnementaux et de pollution qui dépassait de loin ceux de la nation du nord. Néanmoins fondamentalement, les deux populations partageaient le même fléau, celui de la misère.

Dans un cas comme dans l’autre, peu d’avenirs s’offraient aux habitants des bas quartiers, quand bien même les esprits les plus scientifiques avaient une chance ici de pouvoir s'extirper de la fange là où à Xandrie, les liens du sang expliquaient bien trop de choses.

Tout, cela ne faisait que nourrir une pègre qui trouvant ses hommes dans ceux qui n’avaient plus d’espoir, vivaient des vices de ceux d’en haut.

Si le cartel n’était pas en tant que tel, une des grandes organisations criminelles du pays, il y était tout de même implanté, en tant que fournisseur de drogue et d’objets de contrebande aux puissants et aux grandes organisations criminelles de la cité. Les liens entre les mondes de la pègre et du pouvoir étaient toujours étroits. Pour le meilleur et pour le pire…

C’était ainsi pour une affaire de ce genre que Violette avait dû se rendre à Epistopoli dans le cadre d’une vente d’une importante cargaison de drogue et de produits alchimiques sur le marché noir. Comme on pouvait s’en douter, la valeur de la transaction était particulièrement conséquente au point que le Cartel daigne lui-même envoyer avec elle une de ses rares portebrumes dans l’optique de la sécuriser.

La mission de la jeune femme était simple : Protéger et défendre la cargaison jusqu’à sa vente à un ponte de la pègre local.

Cela ne l’inquiétait pas plus que cela, il fallait dire qu’elle avait l’habitude ce genre de mission. Son don de fortune qui lui accordait une chance extrême au détriment de celles de tous ceux proche d’elle qui au contraire étaient touchés par une malchance impitoyable se prêtait facilement à ce genre de jeu défensif. Il suffisait par la suite de savoir comment optimiser et utiliser une capacité de ce genre avec l’expérience et l'entraînement pour en faire quelque chose de redoutable.

N’étant que peu intéressée par le tourisme et les relations sociales, à la fois à cause de ses problèmes d’alcool et de drogue mais également du fait de son pouvoir l’ayant isolé de force de la société par peur des conséquences de celui-ci sur autrui, la magicienne s’était contentée jusqu’ici pendant son séjour que de boire et de fumer un peu dans l’usine désaffectée qui servaient de planque à la marchandise. Suffisamment pour se sentir bien, pas assez pour être complètement hors-sol. Il fallait après tout être un minimum responsable surtout qu'elle n'avait pas envie d’être punie par une organisation connue pour exécrer les échecs.

Le temps passa…

Alors que la jeune femme était en train de consommer lentement une énième bouteille d’alcool tranquillement posée sur un matelas miteux et adossé à un des murs de la structure, un bruit attira son attention.

Des pas ?

Levant les yeux vers le plafond, la portebrume fronça les sourcils.

Ca venait d’en haut. Respirant un grand coup avant de soupirer, Violette maugréait dans sa barbe.

Fait chier putain…

Relâchant sa bouteille, qui tomba sur le sol avant de rouler sur quelques mètres en déversant un peu d’alcool, la Helmael finit par lentement se lever avant de s’attirer quelques secondes et de prendre appui sur un mur du bras pour garder un semblant d’équilibre.

Pendant ce temps, le bruit devenait de plus en plus fort. Ce n’était pas des pas normaux, tout cela lui donnait l’impression que l’inconnu était en train de se débattre contre quelque chose. Qu’est-ce que c’était que tout ce merdier bordel… Plusieurs questions traversaient alors la tête de la portebrume. Qui était l’intrus ? Pourquoi était-il là ? Pourquoi faisait-il tout ce bruit ?

Tant que de questions auxquelles, elle ne pouvait pas répondre en restant là. Ainsi, d’un pas lent, elle monta les escaliers de l’usine pour se diriger vers la source du bruit. Cela n’était pas vraiment difficile, vu le peu de discrétion de l’inconnu. La magicienne finissait en entrant par l’interstice du trou d’une porte qui n’était plus là, à entrer dans un couloir où elle tomba nez à nez avec l’intrus.

À 5 mètres devant elle, un individu, d’une corpulence classique, sans doute un humain, coincé dans du… grillage. L’observant un instant avec un regard qui exprimait à la fois le jugement et la mauvaise humaine, il fallut 5 secondes pour que la criminelle daigne ouvrir la bouche.

Putain t’es qui toi ? Qu’est c’tu branles ici ?

C’était qui encore celui-là ? Un voleur ? Un squatteur ? Un policier ? Un espion ? Il était impossible de son point de vue, qu’il soit venu là par les entrées normales, sinon elle l’aurait vu ou tout du moins aurait été au courant de sa venue. Ce type était sans doute entré par une fenêtre ou par le toit. La question était maintenant pourquoi.

Malheureusement pour le jeune homme, il n’y avait pas vraiment de bonne réponse à cette question, d’autant qu’elle ne pouvait pas vraiment lui faire confiance s’il tentait d’être diplomate. S’il avait l’air faible comme ça, l’expérience dans un monde où existaient des races multiples, des cristaux ou des nascents était de dire qu’il ne fallait jamais faire confiance à l’apparence pour considérer le pouvoir réel de quelqu’un. La magie permettait toujours d’aller contre ses compétences physiques naturelles.

Ainsi, sans vraiment s’approcher, tout en soupirant la portebrume sortait de sa chemise un poignard. Le laissant bien en vue de l’intrus avant de passer un doigt sur la lame.

J’sais pas trop c’qui t’a pris de v’nir ici seul. Mais bon… Va falloir assumer maintenant mon grand.

Autrement dit, il avait peu de chance de repartir d’ici en vie.

Jeu 3 Aoû - 19:26



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 
Il n’avait pas su garder son sang-froid. En tout cas, il n’avait pas su le reprendre, pour agir de manière lente et ordonnée et extraire son pied du grillage. C’était incroyable, mais plus il bougeait, plus il avait l’impression de s’empêtrer davantage la cheville dans le quadrillage rouillé, à présent déformé. Bien qu’il essaye de ne pas se presser, un bruit conséquent résultait de ses tentatives. Il aurait vraiment préféré disparaître avant que la silhouette qu’il avait cru détecter se manifeste face à lui au bout du couloir.

Ses yeux lavande délavés considérèrent l’arrivante avec un air de chien perdu. S’il était une chose qui était bien rentrée dans sa caboche depuis le temps, c’est qu’il ne fallait jamais sous-estimer quelqu’un ou l’énerver. La femme avait la dégaine confiante et alcoolisée. Elle avait l’air méchante… et passablement énervée. Tout le monde pouvait sembler dangereux à différent degrés aux yeux de Keshâ, même une femme ou un enfant. Mais celle-ci n’aurait pas besoin de faire trop d’efforts pour l’effrayer. Il aurait juré qu’elle avait déjà tué. Qui pourrait s’attarder par ici à par lui. Il n’y avait jamais croisé personne auparavant.

Son pied restait inextricablement coincé dans trois épaisseurs de grillage. Il faudrait qu’il se calme pour tenter de s’extraire à nouveau. En attendant, la nouvelle venue le questionnait. Il crut reconnaître l’accent de Xandrie.
-« Je… ne me faites pas de mal. » bredouilla-t-il sans une pinte d’aplomb.
« Je ne suis qu’un vagabond venu chercher refuge de la rue. » finit-il par ajouter après un silence étranglé de sa voix tremblante.

S’il était pourvu de magie, Keshâ n’en serait pas moins démuni, ainsi entravé et agenouillé au sol face à une présence menaçante. Les rouages de son esprit s’activaient à toute vitesse pour trouver une issue à cette situation. Mais les conclusions étaient amères. Les voyous se satisfaisaient rarement de suppliques pour nourrir leur hargne. Un passage à tabac en règle était la peine minimale pour exister en leur présence. Pour peu qu’on les dérange dans leur besogne, l’exécution n’était pas loin. S 'ils étaient particulièrement cruels ou dérangés, la torture restait une option. En plus du viol bien évidemment.

Cela devait arriver un jour. Il le savait depuis bien longtemps, après tout. Ne devait-il pas se satisfaire d’avoir longtemps déjoué le sort, malgré son manque de combativité ? Non, il ne voulait pas crever dans cet entrepôt le ventre vide. Pas sans avoir essayer de fuir ou de négocier, quand bien même ses chances de réussites seraient minces.

L’index de l’inconnue caressa une arme bien en évidence en bandoulière sur sa chemise, donnant l’impression d’un avertissement lubrique et funeste. Au moins, elle semblait seule. S’il parvenait à se dégager maintenant, il pourrait tenter de fuir, car il ne voyait pas d’arme à feu à sa ceinture et elle était encore à distance. Mais comme ce n’était pas le cas, sa meilleure stratégie serait encore de paraître ce qu’il était, inoffensif.

-« S’il vous plaît… Je ne voulais déranger personne. Je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un. » déclara-t-il de sa voix toujours basse et incertaine.

Dans un léger mouvement de recul, il se replia sur lui-même face à la menace qu’elle pointait sur lui, le bout de son annulaire droit buta légèrement contre ce qui semblait être le manche d’un tournevis ou outil similaire sur le plancher en dessous des couches de grillage.

Déterminé à survivre, son esprit effleura l’idée de s’en servir en dernier recours si l’étrangère tentait de le tuer. Allons Keshâ, soyons réaliste, se dit-il. Tu n’en seras jamais capable. Tu n’en auras pas l’adresse. Elle frappera en premier. Elle y est sans doute entraînée. D’ailleurs, tu es comme une proie attachée à un piquet. Tu n’as pas ce qu’il faut pour ôter une vie. Clairement, tu n’en as pas envie. Faire pitié n’est pas non plus une formidable idée. Au pire, ferme les yeux. Cela passera vite.

-« Laissez-moi partir. » Cela aurait pu ressembler à une injonction. Mais dans la bouche de l’orphelin cela sonnait presque comme une prière défaillante. C'était encore la solution la plus sensée, non? Il n’osait même pas lever la tête vers elle et fixait ses chaussures. Ramassé sur lui-même, on lui aurait plutôt donné 16 ans que 21 à cause de son attitude fragile. Ainsi le "mon grand" paraissait d'autant plus ironiquement infantile.

Sans se saisir de l’arme de fortune à côté de son pied, il essayait de défaire discrètement une partie de l’emprise d’un fil de fer tordue autour du talon de sa chaussure droite.


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Mer 9 Aoû - 2:24, édité 1 fois
Ven 4 Aoû - 23:54
Fixant le jeune homme qui était dans ses éternelles suppliques, le visage de la portebrume était de marbre. Il fallait dire qu’en soit, elle n’avait jamais été une grande sentimentale ou personne émotionnelle si l’on excluait bien évidemment tout ce qui était du registre de la colère et de la mélancolie. Cela n’en faisait pas pour autant une personne vide de cœur particulièrement cruelle ou malfaisante. Cette situation la faisait chier et fumer des innocents qui n’avait rien demandé tout autant. Malgré tout, elle ne pouvait pas vraiment faire confiance à ce qui n’était rien d’autre que des paroles sans preuve d’un individu prit dans le sac en plein milieu d’un bâtiment interdit d’accès à tout quidam. Il ne fallait jamais sous-estimer la capacité des gens à mentir, dans le cas contraire on était souvent surpris.

Soupirant de fatigue à l’instant même où le jeune inconnu demandait à partir, Violette ne daigna répondre à toutes ces demandes qu’en deux mots.

Ta gueule.

S’approchant un peu plus du jeune homme, la criminelle finit par s’adosser contre un mur avant de croiser les bras. Regardant un instant le plafond, elle continua.

Je crois qu’t’as pas bien compris ta situation en fait malgré toutes tes pleurnicheries de fragile. T’es dans un endroit où tu devrais pas être déjà. Et tu penses que j’vais te croire quand tu m’dis que t’es qu’un vagabond venu là par hasard.

Tournant la tête vers lui, elle croisait son regard d’un air passablement énervé mais encore contenu.

Genre tu grimpes des fenêtres ou monte sur des toits pour rentrer comme ça dans les bâtiments ? Arrête de m’prendre pour la conne que j’suis pas. Dans le meilleur des cas t’es un connard de voleur, dans l’pire un ennemi ou un chien des autorités. Tu préfères quelle version dans le registre du crédible ?

Tu peux toujours t’enfoncer si tu veux hein. Mais sache une chose petit. Si tu m’donnes pas une raison satisfaisante, j’vais devoir te la faire cracher. Et ça risque pas d’être très agréable pour toi.

J’aime pas faire du mal aux gosses, donc t’as une chance de pas avoir mal si t’es raisonnable.

Pour ce qui était de sortir d’ici et encore plus en vie, c’était une autre histoire cependant. A voir s’il préférait avant de crever expérimenter la douleur d’une dague ou d’une articulation qui se brise. Ce n’était pas que la portebrume était enthousiasmé par la chose, mais elle ne pouvait pas risquer par sympathie ou pitié, de laisser un espion des autorités ou d’une organisation rivale passer. C’était trop dangereux pour tout le monde et pour les siens, elle acceptait déjà depuis trop longtemps de se salir les mains.

Reprenons donc les choses depuis le début petit. Redonne ta version mais en connectant ta langue avec ton cerveau plutôt qu’en l'utilisant pour lécher le sol comme la serpillière que tu sembles être dans la vie.
Lun 7 Aoû - 9:31



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 
Ces brutes, ce sont toujours les mêmes.

Elles imposent le silence et rythment la parole. On doit leur dire ce qu’elles veulent entendre et faire ce qu’elles disent, pour peut-être espérer calmer l’animal anxieux, celui-là même qui commet des atrocités. Mais comment ne pas voir des vilenies partout quand on en fait fond de commerce ? La paranoïa est partout. Pourtant, la plupart des gens sont de "braves" gens, qui tentent de patauger à la surface de la marre aux vices.

Keshâ obéit au silence. C’est plus facile pour lui que de jaser, il n’a jamais été un grand bavard. Au moins, la femme bandit semble s’être arrêtée à quelques distance de lui. Pour le moment. Pourvu qu’elle reste là. Son mépris coule sur son dos, mais il ne peut l’aplatir plus que son estime  personnelle ne l’est déjà. Il n’a pas le droit d’être là et cela fait de lui un suspect ? Mais quel drôle de paradoxe. Depuis quand les autorités se préoccupent de qui que ce soit dans ce quartier ? Dans ce cas, elle aussi serait en infraction. A moins qu’elle ne soit justement de cette race de loups blanc que Keshâ n’a fait qu’apercevoir et que l’on nomme la police.

Le regard vindicatif l’accroche. Il comprend bien que cette personne ne rigole pas. Ce n’est pas du défi qu’elle rencontre, il tend à baisser légèrement les yeux. A défaut de pouvoir fuir et se cacher. Ses mots lui donnent clairement des raisons de flipper. Elle n’a même pas l’intention de le tuer tout de suite ! Cependant, une porte semble encore ouverte pour se sortir de là. Voudra-elle entendre la simple vérité ?

-« Je ne peux que vous dire la vérité. Je ne travaille ni pour la police, ni pour un gang, ni pour personne à part pour des maraîchers, des livreurs et des ateliers mécaniques. Je suis un  orphelin qui essaye de vivre sans causer de tord.»

Il dut faire une pause car sa gorge, déjà, se serrait de tant de mots face à l’agressivité qu’il voyait tout en sachant que sa version ne pouvait la contenter.

« Il n’y a rien à voler par ici. Tout est cassé ou parti depuis longtemps. Comme beaucoup d’endroits, c’est juste une cachette pour éviter les brutes où je vis. J'y viens depuis longtemps.»

Il sortit de sa poche gauche, d’où ne pouvait raisonnablement sortir aucune arme, la pièce d’argent unique qu’il avait récupérée. Il ferait aussi bien de la lui donner pour avoir la vie sauve en  guise de maigre rançon.

Un vague tremblement agitait sa mâchoire, mais l’impitoyable interrogatoire devait arriver à son terme pour ne pas subir d’horribles conséquence. Alors, il se fit encore violence. Ne pas faire pitié est difficile quand on est pétrifié d’angoisse et agenouillé dans la poussière, mais il obéit avec docilité, tentant de se raffermir, pour agir sur le plan de la raison.

« J’avais caché en sécurité un sou d’argent pour un jour difficile. Je voulais seulement le récupérer pour m’acheter un repas. »

C’était la stricte vérité, énoncée d’une voix un peu poussive sur la fin, chancelant à l’idée qu’il serait plus facile pour une criminelle d’accepter l’idée qu’il fasse partie d’une machination infernale pour piéger ses employeurs qu’un simple vagabond que l’on avait dérangé dans son sanctuaire de matelas crevés de ressorts rouillés et de gravas.

Dans le même temps, sa main droite avait déclaré une vie indépendante et tentait avec un peu plus d’adresse et de minutie qu’auparavant de libérer sa malléole droite de la prise d’une deuxième barre rouillée. Il s’égratignait la peau sur le grain de métal irrégulier qui glissait enfin le long de sa chaussure. Le tournevis devait toujours être en dessous, mais il préférait encore se libérer pour le moment.


Dernière édition par Keshâ'rem Evangelisto le Mer 9 Aoû - 2:24, édité 1 fois
Mar 8 Aoû - 1:43
La portebrume resta silencieuse pendant les nouvelles explications du jeune homme qui de toute évidence avait décidé de ne pas changer de version, chose qui était courageuse ou bien parfaitement stupide.

Quittant le mur pour revenir sur ses pieds, Violette fit deux pas avant de se retourner vers l’intrus. Soupirant, elle finit par poser ses mains sur ses hanches avant de soupirer en le regardant d’un air complètement las et fatigué. Il fallait dire qu’elle n’était pas en très bon état après une nuit courte et partiellement teintée de la prise de produit stupéfiant mélangé à de l’alcool. Un parfait mélange pour avoir un comportement instable et totalement imprévisible.

Vraiment… J’arrive pas à savoir si t’es juste un naïf, si t’es complètement con ou bien si t’es un putain de menteur professionnel.


Il fallait dire qu’il arrivait à être convaincant de ses propos. Quand bien même le poids que pouvait y mettre la criminelle restait relatif car ce genre de personnes avant qu’il ne fallait jamais faire confiance au moindre mot de qui que ce soit, aussi persuasif cela pouvait être.

Mais d’une certaine manière, heureusement pour lui, le discours du jeune homme avait fait mouche bien que ce ne soit pour les raisons qu’il escomptait jadis. En effet, Violette pouvait se retrouver dans certaines parties de ses explications. Après tout, elle-même avait déjà évité des brutes, cachée de l’argent... Tant de souvenirs d’une jeunesse oubliée, difficile mais pourtant regrettée. Oh oui ce genre de galère elle l’avait connu, même si paradoxalement elle regrettait ce genre de problème par rapport à ceux qui traversaient sa vie désormais.

Une petite trace d’empathie peut-être. La jeune femme ne pouvait pas vraiment expliquer. Ce n’était pas vraiment une trace d’émotion, la portebrume ne s’était pas soudainement épris d’amitié et de compréhension vis à vis de l’intrus. Mais tout du moins, cela était suffisant pour distiller en son âme un doute sur la manière dont elle devait gérer son cas. La première chose à faire restait toutefois de vérifier s’il disait vrai.

Tu me casses les couilles mais bon… dans le “doute”...

Elle avait mimé avec ses doigts les guillemets.

… on va vérifier si tu dis vrai. Donne la liste des types pour qui tu travailles ou qui sont tes clients. Peu importe comment tu les considères.

Il avait donné de lui-même des exemples de gens avec qui il bossait. Il avait intérêt pour sa propre survie à ce qu'au moins ça ce soit vrai. Après il faudrait vérifier si ce n’était pas un camouflage subtil du gouvernement… ça prendrait du temps. De toute manière, qu'importe si le vagabond était innocent ou non par mesure de sécurité, il ne sortirait pas de cet endroit avant plusieurs jours le temps que la transaction se fasse.

Bref. Voilà ce qu’on va faire. T’as de la chance, j’suis d’humeur à vérifier tes conneries aujourd’hui.

Se grattant l’arrière de la tête, elle soupira de nouveau sur un ton grognard.

J’ai pas assez bu hier pour arrêter de réfléchir malheureusement pour moi.

Revenant sur le jeune homme.

On va vérifier si tu dis vrai. Flemme d’avoir le sang d’innocent débile aujourd’hui si tu mens pas. Mais pendant ce temps, tu vas devoir rester ici. Tu te doutes pourquoi et de toute façon, j’vois pas pourquoi j’me ferai chier à t’expliquer. Dans tous les cas c’est mieux que crever ici non ?!

Elle s’énervait un peu toute seule. Son attention passait sur le grillage dans lequel était empêtré le garçon avant de continuer.

J’vais te sortir de là puisque j’ai le flemme de rester des jours dans cet endroit de merde. Mais j’te préviens d’une chose. T’as intérêt à rien tenter, pas le moindre geste mal placé. Chez les gens comme nous y a qu’une Loi, et elle s’appelle le Talion. Si tu te rebelles tu meurs, si t’attaques tu meurs, si tu cours… j’hésite entre tu meurs ou je te lacère les tendons et te brise les genoux au point que tu ne pourras plus jamais te remettre sur tes jambes.

Haussant les épaules.

J’ai pas encore décidé donc me fait pas décider.

Elle réfléchissait un instant, il lui semblait avoir oublié quelque chose puis soudain son regard s’illumina.

Et pour info si jamais tu te motives à croire que tu peux faire quoi que ce soit… Sache que j'suis une portebrume. A toi de savoir si tu veux jouer au feu avec un etre investi par la brume. Booouuuhhhooouuuu…

Mieux valait briser à l’avance tout espoir plutôt que lui laisser penser qu’ici il avait une chance.

Donc, tu choisis quoi ? L'exécution, la mutilation ou la séquestration ? T’as vu ça rime.

Mar 8 Aoû - 10:27



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 

Du fond de sa situation peu enviable, Keshâ se demandait si les jurons que l’inconnue poussait comme un charretier ne ressemblaient pas à des cajoleries. Être naïf et complètement con était après tout mieux que d’être un espion du gouvernement attrapé par un gang. Il était prêt à opiner.

Malgré tout, le voile vitreux de stupéfiants donnait cette petite pincée d’imprévision assez inquiétante dans ses réactions. Ou alors, au contraire, cela jouait en sa faveur et expliqué qu'elle n'aie pas encore décidé de l’évincer. Le hangar semblait finalement vide, excepté cette femme et lui. Car les ruades du métal et de la conversation qui s’éternise ne faisaient écho à aucun autre son, hormis le passage d’un rat solitaire sous un vieux papier journal au bout du couloir.

Mais c’était sûr, d’autres personnes allaient venir. Il n’y avait qu’à voir la méfiance de la femme aux cheveux blancs. Puisqu’elle avait l’air d’être dans le doute, il ne devait rien modifier à son attitude qui puisse exciter ses réactions. Encore une fois, le mécanisme de survie passive liée à l’obéissance n’était peut-être pas si stupide quand on ne disposait pas de tout un arsenal. Et du jusqu'au-boutisme pour tout exploser.

Il énumère les lieux de ses petits boulots en se demandant s’il devra les quitter par sécurité - si on le laisse vivre après cette journée. Il commence par celui pour lequel il menace d’être en retard :

-« Je m’appelle Keshâ… Je dois décharger dans moins d’une heure un camion de ferraille dans une fonderie à douze rues au nord d’ici, chez MetalFusion-Espistopoli. C’est le contremaître Vlad qui me connaît… Il a une grosse balafre sur la joue. Il y a maître Duran, de l’atelier de réparation de prothèses Duran & Duran sur la grande route express après le bidonville des plaisirs… J’y suis toute la semaine… Parfois, je suis aussi en fin de semaine avec la compagnie du Courrier au Noir comme coureur, dans l’office près de l’ancien kiosque de la rue des Sapiarques, où c’est « la Nonnie », une dame rousse, qui me commissionne, quand elle est là… … Oh, et il y a aussi le marché des halles des Jardins du Régent, parfois j’aide une dame à préparer ses mélanges d’épices venues d’Aramila. Elle me paye parfois en épices.»


C’était un peu long. En tout cas, pour Keshâ, cela ressemblait à un déluge de mots. Mais il n’y en avait pas un de trop pour donner l’ambiance concrète d’un travailleur bûcheur dans cette ville où tout coûtait de plus en plus cher et où les paies stagnaient. Il avait du mal à s’imaginer la criminelle arpenter la basse ville pendant toute la journée en demandant Nonnie afin de vérifier chaque détail de sa version, mais si elle se pointait et trouvait son collègue au visage allongé à la place et qu’il ne donnait pas de précisions, que pourrait-elle en déduire ? En même temps, il ne la voyait pas prendre de notes.

Mais en fait si. Elle semblait vraiment décidée à vérifier ce qu’il venait d’affirmer. C’était assez stupéfiant. Et le jeune homme ne savait pas trop s’il avait de la chance ou non à ce stade. Sans doute que si, puisqu’il était encore en vie, même si elle s’était dangereusement rapprochée de lui. Un autre truand l’aurait peut-être forcé à vendre de la drogue pour lui, afin de l’incriminer et le dissuader de balancer, à défaut de lui ôter la vie. Keshâ avait déjà failli faire de la prison à cause de ça.

Cette situation étrange où on lui annonçait sa captivité avec des envolées de voix lui fit ouvrir les yeux plus grands. Il hocha plusieurs fois de la tête, giflé par l’énergie menaçante de l’inquisitrice en chef.

-« Pour la dame aux épices, il faut lui dire "le garçon avec les cheveux de brume et les yeux violets"… elle ne se rappelle jamais bien de moi. » hasarda-t-il.

Comme ses yeux étaient déjà grands ouverts, ils ne pouvaient témoigner plus d’impact face aux menaces proférées contre la rébellion. Si je me rebelle je meurs, si je bouge je meurs, si je parle je meurs, je vois le tableau.

-« Je vais collaborer. » parvint-il à articuler, soudain en sueur. Sur le coup, on aurait dit un enfant puni.
Une étincelle d’espièglerie le surprit dans les yeux de la criminelle. Elle semblait très heureuse de lui annoncer qu’elle était Portebrume. Bien que ce ne soit pas tout à fait rassurant, il était déjà craintif de manière maximale face à ses menaces précédentes. La Brume lui évoquait des souvenirs difficiles, même si elle l'avait sauvé. Mais elle devait être loin de se douter que n’importe quel manant d’Epistopoli pouvait y avoir déjà séjourné. A bien y réfléchir, Epistopoli pouvait être aussi cruelle et malicieuse. Au moins sa ravisseuse avait de l’humour et du tempérament. Quant aux Portebrumes, il n’en avait croisé que très peu à sa connaissance. La mort par la foudre ou les flammes est-elle plus douloureuse qu’une gorge tranchée ?

-« La séquestration. » répondit-il sans trop d’hésitation vu les choix proposés. Et puis, ça le connaissait. Tiraillé par l’envie de mutisme, il pensait en même temps qu’il risquait à défaut de perdre la vie, de perdre son gagne-pain, ce qui était une perspective aussi sombre. Alors, un peu par désespoir, il ajouta :

« Si vous voyez Vlad ou Duran, vous pouvez leur dire que je suis très malade ? Ils vont me virer si je ne viens pas sans prévenir. »
Jeu 10 Aoû - 22:12
Le jeune homme déballait sa vie que pour une fois la portebrume écoutait religieusement. Notant dans un coin de son esprit chacune des informations. Quand bien même, elle était souvent d’une nonchalance qui était presque insultante vis à vis de ses interlocuteurs, ce n’était pas pour autant une personne négligeante incapable de prendre ses responsabiltés et de faire son travail quand elle le devait. C’était une ancienne mercenaire habituée des missions dans la brume doublée d’un des atouts majeurs d’une des plus puissantes organisations criminelles de Xandrie. Une portebrume dont l’utilisation de ses pouvoirs lui demandaient de puiser sans cesse dans son cerveau.

Quand l’intrus décida enfin d’accepter une collaboration qui était de son propre intérêt, Violette se contenta de hocher la tête en souriant légèrement. Il fallait dire que ça l’arrangeait de pas devoir lui briser les pattes. La torture et toutes ses variantes faisaient certes, partie des choses dont elle avait par la force des choses l’habitude mais cela n’avait jamais été en aucun cas un plaisir particulier pour elle de devoir exécuter ce genre d’exaction sur des gens. Sauf peut-être dans le cadre d’une vengeance personnelle, mais on entrait là dans le registre de la haine et de la colère, émotions auxquelles elle était particulièrement sensible.

Pour finir, le garçon eut une dernière demande, celle de dire à ses employeurs qu’il était malade pour ne pas être licencié à cause de ses mésaventures. La criminelle prit alors un peu de temps pour répondre. D’un coté, elle ne pouvait pas lui faire confiance et peut être cela était-il un langage codé pour une organisation tiers. Mais de l’autre, s’il ne mentait pas… et bien elle n’avait pas envie de faire perdre leur travail aux gens des bas-fonds. Elle avait lutté suffisamment longtemps dans sa vie afin ne pas devenir la criminelle qu’elle était pour comprendre la verve qu’avaient ceux ayant encore un peu de morale et d’espoir à se battre pour trouver tout alternative de survie à la criminalité dans les bidonvilles.

Finalement, elle se contenta de répondre d’une simple phrase laconique.

J’verrais.

Elle le ferait sans doute mais pas sous cette forme-là et pas pour cette raison dans le doute. Dans un monde si cruel, la paranoïa était bien plus saine que le fait d’être candide et naïf. Elle trouverait une autre raison pour expliquer son absence.

Une fois l’accord conclu, la portebrume approcha le jeune homme, tout en étirant son cou de quelques gestes afin de décoincer ses articulations d’une sieste dans une mauvaise position. Posant ses doigts sur le grillage qui enlaçait l’individu, elle précisa à celui-ci.

Bouge pas d’un iota. Le moindre mouvement de ta part ne fera que compliquer les choses.

En cause, son don de fortune qui conférait une malchance absolue à tous les êtres qui l’entouraient. Un pur pouvoir de manipulation existentielle des probabilités qui faisaient le monde et la destinée. Et dans un arbre de probabilité, plus que tu fais d’action, plus tu crées des variables permettant à la malchance de te frapper. Si pour une action unique la probabilité de la réussir était de 10%, tenter 10 fois cette même action rendait sa probabilité de réussite de l’ordre de 0,0001%.

Le pouvoir de fortune était de ceux dont le commun des mortels ne pouvait que rarement échapper.

Pour elle c’était l’inverse. En échange du sacrifice de tous les individus autour d’elle, elle se voyait conférer d’une chance inouïe telle que seuls les dépositaires de ce pouvoir pouvaient en être doté.

Là où les autres dans chacun de leurs objectifs devaient réduire au minimum le nombre d’action effectuée pour éviter d’augmenter leurs probabilités d'échec de manière exponentielle. De son côté, elle n’avait qu’à multiplier les siennes pour augmenter ses probabilités de réussite.

Ainsi là où pour le jeune homme se dépêtrer des fils était une tâche ardue, elle ne fallut que quelques gestes pour la portebrume afin de lui redonner sa liberté avec une facilité aussi surnaturelle que déconcertante.

Une fois cela fait, d’un geste de la tête la criminelle l’invita à passer devant pour descendre les étages et descendre dans les sous-sols de l’usine avant finalement d’arriver devant une grande porte en fer.

Avant de l’ouvrir, la portebrume prit des menottes qui avaient été posées là au cas où, preuve de l’utilisation des lieux depuis un certain temps pour de l’emprisonnement discret.

Mesure de sécurité, montre des bras.

Une fois qu’il eut fait ceci. Violette l’invita à rentrer dans sa cellule.

On va maintenant vérifier tes dires, princesse.

Elle ferma après lui, laissant le garçon dans une obscurité silencieuse pendant plusieurs heures. Ce ne fut qu’après une nuit entière que des bruits de pas et une lumière revint vers la cellule, dont la porte s’ouvrit pour laisser place à la portebrume qui sans un mot, jeta au prisonnier un sac de bâton de viande séché et salé.

J’avais oublié que t’existais. Du coup mange ça, c’est suffisamment nourrissant.

Expérience de mercenaire, ce genre de ration, elle en avait mangé des tonnes.

Entrant dans la cellule sans fermer la porte, une lumière dans la main gauche, une bouteille d’alcool dans la main droite, elle se posa dans la cellule à l’opposé du jeune homme avant de boire une gorgée d’alcool au goulot.

S’essayant les lèvres du pouce, elle continuait.

Visiblement t’as l’air d’avoir dit la vérité. Tes excuses semblent crédibles. Donc tu vas vivre, mais tu vas devoir rester ici le temps que les affaires se fassent ici. J’préfère éviter les fuites potentielles. Normalement ça devrait être bon d’ici demain.

Posant le regard sur le prisonnier.

Après j’te cache pas que si tu dis à qui que ce soit ce qui c’est passé ici même dans 10 ans, lui et toi êtes en danger. Mais bon, j’fais confiance à ton intelligence et ton instinct de survie.

Après un léger blanc où Violette reprit une gorgée d’alcool.

C’est quoi ton nom déjà ? C’est quoi déjà ton taff ? J’ai rien compris à tout ce qu’ils m’ont raconté.

En avait-elle quelque chose à faire de lui ? Absolument pas. La vérité était surtout qu’elle se faisait chier et qu’elle avait encore au moins une journée à attendre dans cet endroit moisi. Au moins avoir un prisonnier était une source de divertissement pour elle.
Ven 11 Aoû - 4:42



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 
Pas si méchante la Xandrienne. Elle aurait pu le cogner, l’amocher même, ou juste le tuer. Surtout si c’était une Portebrume. Mais il ne pensait pas non plus qu’elle était angélique. A tout bien réfléchir, c’était pas si mal. On reconnait souvent la valeur d’une personne à la manière dont elle traite les plus faibles sans avoir à en subir les conséquences. Keshâ avait donc une assez bonne idée de la valeur générale des gens…

Obéir n’était pas difficile pour le jeune homme puisqu’il s’agissait d’une seconde nature. Il avait d’ailleurs pleinement conscience que le peu de ménagement et d’écoute qu’elle lui accordait s’envolerait s’il faisait obstacle à ses manières de faire. Aussi entropique que le néant, il la laissa le dégager. Cela sembla tellement facile qu’il se sentit presque ridicule d’avoir autant lutté.

Keshâ déroula ensuite sa colonne pour se redresser et marcha lentement dans le couloir, puis dans les escaliers, ses semelles faisant crisser un cailloux ici et là dans un bruit caverneux. A ce stade, elle aurait encore pu le pousser dans l’escalier ou l’abattre. Peut-être était-elle du genre à ne pas aimer entendre les cris de ses victimes et s’épargner leurs regards éperdus qui viendraient la hanter ensuite la nuit. Comment ne pas s’y attendre ou au moins l’envisager quand on est à la merci d’ennemis inconnus ?

La criminelle avait pourtant bien l’intention de s’en tenir à son plan initial. Il tendit ses mains face à lui sans moufter. On aurait presque pu croire qu’il était un aficionado de ce petit rituel. Les menottes cliquetèrent lorsqu’ils  abaissa les bras le long du corps, bracelets grotesques autour de ses poignets frêles comme des cous d’oiseaux.

L’échange se conclut sur son silence complet. Au mieux, lui jeta-t-il un coup d’œil discret avant de marquer un pas en avant dans ce qui lui tiendrait lieu de cachot. Le noir se referma sur lui comme un poing angoissant. Il avait déjà connu la captivité et l’oubli, mais les ténèbres l’étranglaient comme une corde un pendu. Trop de choses savaient se mouvoir lorsque les yeux ne montaient plus la garde. Ça lui rappelait les ruelles la nuit, quand les lanternes sont brisées. Ou la brume…

Il a peur, le garçon dans le noir. Son ongles glissent sur les aspérités de l’astra d’argent qu’il a récupéré plus tôt dans la matinée. Quelle heure est-il ? Combien de temps cela va-t-il durer ? Va-t-on seulement venir un jour le délivrer ou bien le laisser mourir comme un rat dans cette cale sans fenêtre ? Des pensées chaotiques s’entremêlent derrière ses paupières béantes qui voient tout sans rien percevoir. Il ne pourra pas tenir de la sorte. Il ne pourra pas. Alors il amène de la joie dans son émotion. Par le chant.

Sa voix s’élève. Vrillée, profonde, sifflante, sans mots, elle s’envole tel un oiseau par l’interstice de sa prison et raisonne dans le hangar et réverbère. Il oublie qu’il est là, tout seul, affamé, assoiffé, apeuré. Il n’est plus que le son, la voix, dans tout son corps.

Quand Violette le trouve, le lendemain, il est sagement recroquevillé dans un coin de la pièce en béton. Il n’a pu que se créer un oreiller de fortune avec une bâche repliée. Son air hagard n’est pas surprenant. Ébouriffé, il tente de deviner la silhouette de la criminelle dans la lumière invasive et cligne plusieurs fois des yeux. Sa langue est collée à son palais, tellement sèche qu’il ne peut plus entrouvrir ses lèvres collées entre elles, ni les séparer de ses gencives soudées.

Tandis qu’il regarde la criminelle s’installer non loin du tas de pierres où il a du se résoudre à uriner. Oublier ? Qu’il existait ? C’est vrai. Il se sait tellement insipide et inconsistant. Il pourrait disparaître, qui le remarquerait ? Pas son frère en tout cas. Le dernier membre de sa famille, Maleek, l’a bien balancé sur la route et oublié. Dans la douleur, il tente de décoller sa langue de son palais sans arracher sa peau. Ses gencives sont toujours collées alors qu’il tâtonne maladroitement de la main le sac que la femme lui a lancé. Après s’être assis contre le mur, il passe une main sur son visage, inspecte le contenu de la ration et mordille une bouchée de viande par politesse. Il faut bien reprendre des forces. Mais le sel de la viande accroît sa soif.
-« Rester ici ? » répète-t-il après Violette. « Les affaires se tassent. » se fait-il l’écho.
« De l’eau. Il me faut de l’eau. » insiste sa voix rêche.

Demain, il fallait juste tenir jusqu’à demain. Si elle lui fournissait de l’eau, ça devrait aller. Keshâ n’avait pas l’air d’avoir envie de parler à qui que ce soit de cette expérience humiliante. En plus, il se sentait dégueulasse. Vagabond ou non, même un peu noirci de suie, il renvoyait globalement une image de propreté et de soin dont il se sentait à présent dépourvu. Ses vêtements empestaient et cela pesait sur son moral.

-« Keshâ » chaque mot éraillait sa voix. « Je répare des prothèses. Je les recycle aussi. »
Ses yeux la voyaient sans la voir, toujours empli de ténèbres et aveuglés. –« Et vous alors ? C’est quoi votre nom ? Comment avez-vous fait pour devenir une Portebrume et arriver dans les bas quartiers d’Espistopoli ? »
Sam 12 Aoû - 2:37
Entrant dans la cellule, la jeune femme avait inspecté le jeune homme quelques secondes. Et bien, il faisait presque de la peine. A le voir comme ça, refermé sur lui-même presque à bout psychologiquement, on pouvait croire qu’il était enfermé ici depuis plusieurs années, isolées de tous.

Loin de véritablement émouvoir sa ravisseuse, ce triste spectacle ne lui faisait que comprendre à quel point cet individu avait l’air faible, terriblement faible, à un point où cela en était absolument pathétiquement. Il en fallait si peu pour mettre à bout psychologiquement un homme ? Si encore ce garçon était un noble ou un bourgeois habituée au luxe, elle pourrait comprendre sa situation, après tout passer du luxe à la crasse était effectivement un choc terrible. Mais il n’avait à ses yeux aucune excuse pouvant expliquer sa faiblesse.

Comme elle, il avait de toute évidence grandi dans les bas-fonds de ce pays, comme elle, il avait côtoyé la violence, la misère, tout ce qu’il y avait de pire chez ceux qui manquaient. Comment diable était-il encore en vie, s’il était aussi fragile ? Elle ne se souvenait pas que les bidonvilles permettaient à ce genre de personne de lever les yeux vers les autres. A moins qu’il se soit effectivement habitué à prendre un rôle de serpillière pour que les autres se contentent de lui marcher dessus sans cesse et les suppliant de l’épargner.

Humpf, si cela était vrai, une telle manière de faire était absolument méprisable et pathétique aux yeux de la portebrume.

Néanmoins, elle ne parla pas de toute suite, par flemme sans aucun doute. Se contentant de se poser dans son coin ignorant l’odeur de pisse des lieux avec une grande facilité. Son attention revenant finalement sur le prisonnier lorsqu’elle posa sa question. La première chose qu’il lui répondit était son besoin d’eau, sans doute le sel. Avec le temps, la criminelle finissait par ne plus être sensible à la soif provoquée par ce genre de viande, aussi l’idée de lui fournir de l’eau ne lui était pas venue tout de suite.

J’ai pas d’eau.

Passant sa main dans sa sacoche, elle en sortit une autre bouteille, qu’elle fit rouler vers le jeune homme sans prendre bien garde à la cible. Sa chance ferait le reste.

J’ai que de l’alcool. J’dois avouer que votre jus est assez dégueulasse mais on va faire avec. J’imagine que c’est le prix à payer pour vivre dans une cité aussi crasseuse au nom de la technologie.

Les bas-fonds xandriens avaient beau être plus violents et pauvres que ceux de cette cité, le rapport était inversé quand on parlait de saleté à cause de la pollution et des déchets.

Reprenant une gorgée de cet alcool si infâme, la portebrume laissa ensuite un léger silence tandis qu’après lui avoir répondu, Kesha posait à son tour des questions sur elle. Comment elle était devenue portebrume ? Comment était-elle devenue cette criminelle ? Avec le temps tout cela commençait à devenir flou dans son esprit. Il fallait dire que les années commençaient à s’empiler.

Levant les yeux vers le plafond en reposant l’arrière de sa tête contre le mur, la criminelle se laissait légèrement glisser sur celui-ci.

Oh tu sais, de mémoire y a en général que deux moyens de devenir un portebrume. Tomber dans les mains d’un savant fou ou bien être dans la brume au mauvais endroit au mauvais moment. C’est le deuxième cas dans ma situation. J’fus mercenaire à une époque. Depuis j’suis devenue une démone qui dévore l’avenir de tout le monde sans distinction, donc j’fais des trucs de démon.

Tout en répondant, elle restait assez laconique sur la réponse qu’elle donnait, ne s’attardant pas sur des détails qu’elle n’avait aucune envie de donner. En général, pour la plupart des portebrume, le sujet de leur transformation était tout sauf un sujet facile à aborder. Être un portebrume était quasiment nécessaire le signe d’une histoire tragique, chacune à leur manière. Tout cela pour obtenir un don ne désirant que dévorer de l’intérieur son utilisateur pour en faire un monstre.

La deuxième partie de sa question prêtait à sourire, ce que fit Violette pouffant légèrement.

Tu t’poses la question de ce que j’fous là parce que j’t’ai pas encore buté ?

Son regard rouge passait des hauteurs au prisonnier.

J’suis pas assez agressive et sanguinaire par rapport à mes congénères ? P't'être. La vérité c’est surtout que j’en ai rien à foutre de tout ça. Ca m’en touche une sans faire bouger l’autre. J’fais ma mission c’est tout, pas plus pas moins. Le reste me brise les couilles. Y a que le salaire qui m'intéresse.

Elle reprit une gorgée, laissant le silence s’installer pendant quelques secondes.

Tu peux m’appeler Violette si tu veux sinon.

Se redressant contre le mur pour être un peu plus droite, elle continua.

La question que j’me pose moi, c’est comment t’es encore en vie par contre ? De tout ce que j’vois t’as l’air quand même d’avoir un sacré problème de résilience. Ca doit même pas faire 24h et t’es déjà à deux doigts de te pisser dessus en bavant partout. Déjà que si on sait pas se battre, à moins d’avoir un protecteur c’est difficile de survivre physiquement mais si en plus tu faiblis facilement dans ton esprit, là ça pose question.

Jeu 17 Aoû - 5:27



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 
Des baffes et des pénuries, les pauvres, ça connait. Ça rythme leurs petites vies, qui deviennent bien vite de petites morts. Bien trop vite si l’on en croit les observations silencieuses de Keshâ portées sur ses aînés. C’est qu’il n’en a pas l’air, mais il tient à la vie. Il en a vu beaucoup tomber pour peu de choses, un mot trop haut perché, une bouffée d’orgueil mal contrôlée un jour alcoolisé à l’atelier. Alors, il est sans doute couard, mais faire le dos rond lui a plutôt bien réussi. Il en a tiré une leçon, ne jamais donner d’énergie à la lutte quand il ne peut la gagner. N’y avait-il pas cette histoire de roseau qui plie sous le vent… ou un truc comme ça ? L’humilité est son slogan, la fierté un cercueil.

Car c’est bien joli de jouer l’esbroufe un jour et la chance le lendemain. Mais la misère viendra à nouveau frapper à ta porte le surlendemain. Et tous les autres jours. Mieux vaut s’économiser, respirer pesamment, guetter la juste occasion, se couler dans l’infortune crasseuse et entre les projectiles envoyés de manière hagarde par les divinités avinées qui président certainement à la roue du destin. Se faire oublier. Être quelconque, ou mieux, personne. Peut-être qu’on le castagne quand vient l’heure de donner son goûter et qu’il rentre bredouille, mais la banalité est son alliée.  Vaut-il tellement la peine que ça de s’acharner. Ce n’est même plus drôle à force !

Ah, l’orgueil des vaillants. Tous finissent par tomber un à un de fatigue ou d'absence de discernement. Ils trouvent toujours plus fort, plus vicieux. En attendant, se rend-elle compte, la vilaine, qu’une journée sans eau équivaut à 33% de son espérance de vie restante ? Que l’inanition ne tue pas, enfin, plus lentement. Une baguette de viande séchée, c’est toujours mieux que rien, il finira par en manger une bouchée de plus, puis une autre en boudant. Mais l’alcool, pas question. Faute de grandes études, il sait au moins cette sapience villageoise : l’alcool, ça déshydrate ! Keshâ fait mine d’attraper la bouteille et de la renifler. Pourtant, il ne boira jamais l’alcool. Garder ses perceptions à vif est son atout de survie. Enfin, ça part sans doute d’un bon sentiment, pour une criminelle.

-« Oui, l’alcool n’est pas ce qui se fait de mieux à Epistopoli. »
Il ne peut que déduire qu’après avoir vérifié ses multiples alibi, elle n’attend plus rien de lui. Si ce n’est par intérêt, c’est sans doute par désarroi qu’elle s’attarde à lui parler. Autant faire un peu la conversation pour ne pas brusquer la ravisseuse.
Sa répartie sur la brume pique néanmoins sa curiosité d’un intérêt sincère. L’idée de se trouver face à un démon le chatouille en partie, mais en même temps, on n’aurait pu espérer la sainteté dans le camp des malfrats.
-« Ah oui ? Vraiment ? je ne savais pas qu’il était possible de transformer quelqu’un volontairement. Ni même que la brume pouvait être attrapée et contrôlée. »
La déclaration de Violette sur les raisons de sa présence avait quelque chose de tangiblement rassurant. Une personne factuelle qui ne sombre pas dans l’émotion et ne suit que les clauses de son contrat. Plutôt encourageant pour lui, car il n’en fait pas partie. Il opine quand elle lui demande s'il est perplexe qu'elle ne l'aie pas déjà éliminé et pense en toisant ses yeux ardents à l'origine de cette couleur intense.
« C’est d’accord… Violette… merci quand même de ne pas m’avoir tué. J’imagine que ça aurait été une solution plus facile à mettre en œuvre que de m’écouter. »

La suite de la répartie le désarçonna, ce qui eut le mérite de lui faire perdre de vue sa soif impossible à étancher. Il se redressa légèrement.
-« On n’a qu’à dire que j’ai de la chance. D’habitude. J’évite les gens, de manière générale. Cela fonctionne assez bien. Et je sais ne pas trop me faire voir quand ils sont là. Ou j’essaye de négocier qu’on me laisse tranquille. »
Finalement, il avait peut-être un soupçon de fierté encore rougi au fond du brasier éteint de son esprit, car il se prenait à s’insurger intérieurement contre ces déclarations sur son esprit fracturé. Il avait tout de même vu sa famille exterminée, puis ses poursuivants à leur tour, dans la brume, par ces affreux morts-vivants. Puis, il avait traversé à pieds tout Xandrie avec son frère pour venir à Epistopoli. Et s’il ne les avait pas protégés des célécursus, il avait bien souvent été celui des deux à détecter les plantes comestibles et médicinales et à confectionner les collets pour piéger les lapins. Tout cela, elle ne pouvait le savoir. Le voulait-elle vraiment ? Lui livrer  passé, ce serait un peu comme livrer en pâture sa vie à l'appréciation d'une étrangère.

-« Vous… toi aussi tes cheveux sont devenus blancs dans la brume ? » ne put-il s’empêcher d’ajouter en repensant à ses cheveux cendrés des suite de sa rencontre avec la mer infinie.
Unique stigmate de son séjour au pays de Dain, si l’on exceptait ses traumas, il n’en avait rapporté aucun pouvoir, ni aucune malédiction. Était-ce à regretter ? Il ne pouvait que repenser à ce cristal abandonné abruptement sur les lieux du charnier. A ce pouvoir dont il aurait pu disposer pour se hisser face à la cruauté.
Ven 18 Aoû - 20:13
Lorsque Violette avait fait rouler une bouteille d’alcool au prisonnier, celle-ci voyait bien que l’homme boudait mais elle l’ignora volontairement. N’ayant que cure de tout ce qu’il pouvait bien penser. Cela faisait bien longtemps qu’elle n’apportait plus aucune importance à ce que les autres pouvaient bien penser d’elle. Dans le cas contraire, elle cesserait immédiatement de se présenter systématiquement des états déplorables, constamment éméchée.

Reprenant une gorgée de cette boisson si détestable, la portebrume se contenta d’hausser les épaules pour toute réponse au commentaire de Kesha sur la qualité de l’alcool local. Restant silencieuse pour ne quitter son mutisme que lorsque le jeune homme commença à évoquer les portebrumes, la brume et la transformation.

Regardant un temps l’alcool à travers le verre de sa bouteille, elle finit par hausser les épaules avant de parler en soupirant.

C’est pas vraiment contrôler. La brume c’est comme un jeu de hasard dans lequel on joue sans comprendre les règles. Des fois tu gagnes, des fois tu perds. Sauf que quelques-uns cherchent volontairement à perdre, en général encadrés par des tarés qui veulent étudier la brume. ‘Fin, c’est ce que d’autres portebrume m’ont dit mais j’sais pas vraiment. Ca reste que de l’ordre de la rumeur et du ragot.

Il ne fallait pas accorder une trop grande crédibilité à tout cela. Cela ne restait que des commérages que se racontaient les portebrumes qui se croisaient quand ils étaient à moitié bourrés. Ils avaient tendance à beaucoup trop parler entre eux, sans doute parce que les plupart souffraient de problèmes psychologiques liés à la brume et voyaient dans leurs camarades de malheur un moyen de se soutenir mutuellement.

Elle recommença ensuite à boire, le laisser parler d’abord pour qu’il la remercie de ne pas l’avoir tué. Elle ne répondit même pas d’un geste à cela, se contenta d’un vague mouvement de la tête difficilement interprétable. Etait ce une acceptation ? Un signe de colère ? Difficile à deviner en l’état.

Il fallait dire qu’elle n’était pas de ceux à l’aise face aux compliments et aux remerciements d’une part. Mais surtout d’autre part, qu’elle n’appréciait pas de passer pour moins mauvaise qu’elle voulait paraître, à la fois par égo et par influence de son propre inconscient. La rue lui avait appris qu’il fallait toujours montrer que l’on était implacable et prêt à tuer, la brume lui avait appris que son existence était celle d’une personne solitaire et qu’elle devait rejeter par la violence toute tentative de se rapprocher d’elle d’une manière ou d’une autre.

Mais malheureusement pour elle, si elle n’était pas vraiment une bonne personne, elle n’était pas non plus un exemple de mal pur et de cruauté gratuite comme pouvaient l’être certains de ses collègues. N’appréciant pas les choses inutiles et peu nécessaires dans ses méthodes de violences.

Elle le laissa ainsi continuer, commençant à sourire quand dans un sursaut d'orgueil assez tardif, Kesha commença à défendre ce qu’il était, sans pour autant oser en dire trop, mettant tout cela sur le registre de la chance.

La chance hein.

Tout cela faisait rire la portebrume qui de son coté ne croyait absolument pas en l’existence de la chance. Ce qui était assez paradoxal pour un portebrume de la fortune, du moins au premier abord. Tout dépendait, après tout, de comment le portebrume percevait son propre pouvoir. On pouvait percevoir la chance comme une force miraculeuse et inexplicable qui faisait basculer à partir de rien le destin d’un individu. Mais Violette était trop rationaliste, pragmatique et cynique pour percevoir son pouvoir comme le simple fait d’être chanceuse. La chance n’était à ses yeux que la résultat de probabilité mathématique ajustée par des variables, elle-même altérée par le principe d'incertitude et la théorie du chaos. Dans un monde où elle ne serait pas née dans les bidonvilles, elle aurait sans aucun doute pour devenir quelqu’un grâce à son affinité pour les sciences. Malheureusement pour elle, elle avait dû tout à fait imparfaitement en auto-didacte, apprenant à lire pour étudier d’elle même dans des ouvrages scientifiques pour comprendre ce que mathématiquement le hasard voulait dire.

Enfin, tout cela ne restait que des pensées et elle n’avait pas vraiment l’intention d’en parler pour l’instant. Surtout qu’un autre sujet venait soudainement d’accaparer son attention, lorsque le jeune homme commença à parler de ses cheveux blancs qui auraient été altérés par la brume.

Toi aussi ?

La portebrume fronça les sourcils avant de fixer Kesha d’un regard soudainement beaucoup plus sec.

Comment ça toi aussi ? T’es un type infecté par la brume ?

Si c’était le cas, il fallait être bien plus vigilant sur son cas. La brume pouvait offrir des pouvoirs tellement variables que l’on pouvait s’attendre à tout et n’importe quoi dès lorsque l’on parlait de portebrume.

Mer 23 Aoû - 23:40



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 
Il hocha doctement de la tête en recevant les informations de Violette sur les Portebrumes. Ainsi, certains semblaient vouloir en créer. Était-ce de bon gré ou aux dépens des cobayes ? N’étant pas des plus éduqués, Keshâ ignorait beaucoup de choses, mais ils savaient les expériences innommables que les scientifiques Epistotes et Opaliens étaient prêts à échafauder au nom de cette chose qu’ils nommaient avec affection « Progrès ». Le mépris affiché à l’égard des sornettes religieuses d’Aramila était sans doute surfait. Car la rose du désert avait su dans son conservatisme préserver un soupçon de valeur pour la vie humaine.

Au-delà de l’acte en lui-même, il se demandait ce que cela impliquait sur le plan métaphysique. Les Portebrumes étaient-ils maudits ou seulement affectés d’une condition délicate pourvu de certains avantages ? Dans la balance, le coût à supporter était-il supérieur aux pouvoirs obtenus en échange ? Il n’était pas sûr d’être prêt à se porter candidat pour ces expérimentations même contre une coquette somme.

-« Et, « ça » t’a fait mal ? » demanda-t-il mi pudique, mi curieux. « Enfin, je comprendrais si tu ne veux rien dire. J’essaye juste de passer le temps ici et je n’ai jamais vraiment pu discuter de tout ça. »
L’esquisse d’un sourire se dessina au coin de ses lèvres. Armure contre armure. Pour lui celle de la reconnaissance, pour elle, celle de ne pas être identifiée comme trop amène et sensible. Quoiqu’il en soit, aux yeux du vagabond, faire preuve de gentillesse ne retirait en rien au côté redoutable d’un guerrier ou d’un voleur. Il savait qu’on ne pouvait pas catégoriser les situations et les personnes de manière aussi limitée.

-« Ben oui, la chance. Je ne vois pas comment mieux expliquer. Comme tu dis, je n’ai pas beaucoup de combattivité. C’est peut-être que les autres sont moins malins qu’ils le croient, ou qu’ils me sous-estiment beaucoup à cause de ce qu’ils voient. Mais au moins, on finit par m’oublier. »
Loin de se douter de sa chance réelle, le jeune homme n’avait nul idée à ce stade de la spécificité du don de la Portebrume qui n’avait pas eu lui cuire pour l’empêcher de s’enfuir. Mais l’idée aurait clairement fait débat pour lui qui devait avoir une vision bien plus magique de la destinée et de l’univers, comme un faisceau de possibilités animées par nos rêves… nos cauchemars et nos émotions.

Soudain, Violette se ferma. La grenade avait l’air dégoupillée. Elle le laissa tressaillir dans un cliquetis de menotte alors qu’il redressait son dos voûté, comme saisit par l’énergie frénétique de ce regard rougeoyant.
-« Ben… » bafouilla-t-il.
Il leur avait trouvé un point commun et n’avait songé à rien qui soit offensant, le voilà pris au dépourvu. Par Nagidir ! Qu’avait-elle comprit ?!

Elle pensait donc qu’il sous-entendait être un Portebrume ? Dans ce cas, ne devrait-elle pas se réjouir qu’il soit de la même étoffe ? Il était tellement déstabilisé par ce revirement qu’il valait mieux confirmer ce qu’elle croyait ou se dédire. D’ailleurs, il n’était pas possible d’être un Portebrume sans le savoir, n’est-ce pas ? Keshâ se rappelait finalement assez peu de certains passage entourant cette période de son enfance marquée par cette rencontre avec la brume. Autant qu’il le sache, les Portebrumes avaient des pouvoirs terrifiants. Lui en était dépourvu. S’il n’en avait jamais manifesté, cela pouvait-il encore être le cas des années après, comme s’ils étaient restés en dormance.
-« Je ne sais pas ce que tu racontes. J’ai juste demandé si tu étais née les cheveux blancs, ou s’ils avaient blanchi dans la brume, comme ça m’est arrivé. » Peut-être que ce changement physique était plus grave qu’il ne le pensait depuis toujours et que c’était cela qu’elle nommait infection de brume.

Un peu décontenancé, il triturait de ses mains liées la petite clef d'argent pendant à son cou, tout en se demandant si compte tenu de son caractère volcanique, ses parents n’auraient pas été plus inspiré de l’appeler Rouge, tandis que lui aurait reprit Violet en raison de la douceur de ses yeux lavandes et de son caractère paisible.
Ven 25 Aoû - 21:25
Le jeune homme lui demandait ensuite, si sa transformation l’avait souffrir. Violette ne répondit pas tout de suite levant les yeux pour essayer de se remémorer des souvenirs de plus en plus lointains tandis que le vagabond continuait en modérant la teneur de sa question pour éviter de l’énerver davantage si jamais elle ne voulait pas répondre.

C’est à cela que la portebrume décida de répondre en premier.

Nan c’est bon. C’est pas un souvenir si douloureux. C’est pas la pire chose que me soit arrivé dans la vie.

Sa nébula n’avait pas été le commencement de son tourment, mais plutôt un acte supplémentaire d’une histoire qui avait commencé bien plutôt. Même si d’une certaine manière son pouvoir l’avait condamné à une quasi-solitude éternelle, d’un autre point de vue il était probable que sans celui-ci, elle ne serait probablement plus en vie depuis longtemps. Paradoxe de souffrir d’un pouvoir que l’on ne peut totalement condamner et rejeter.

Souffrir ? J’sais pas. J’me souviens pas vraiment avoir souffert. J’pourrais même pas décrire ce que ça fait en fait. C’est une sensation vraiment… métaphysique.

Les voies du seigneur sont impénétrables, celles de la brume également. Celle-ci avait ses caractéristiques divines qui la faisait évoluer et exister à un registre qui défiait toute compréhension humaine. Si déja on ne pouvait même pas expliquer à soi-même ce que l’on avait vécu, encore plus difficile était de l’expliquer à quelqu’un d’autre à travers l’imperfection des langues dont les vocabulaires conceptuels étaient systématiquement imparfaits.

La discussion continua cette fois-ci plus centra sur Kesha et sa chance qui faisait plus sourire qu’autre chose le portebrume de la fortune. Sans vraiment le regarder, elle répondait du tac au tac sur cette question qu’elle n’avait que trop étudié, tout du moins de son propre prisme de pensée.

La chance ça n’existe pas. C’est l’excuse des perdants pour pas assumer leur incompétence. Ce que ça implique c’est que le chanceux n’est pas digne des résultats qu’il a obtenus.

La chance est l’excuse de ceux qui sont incapables de lire les paramètres et les variables d’une situation ou d’une opportunité. Rien de plus, rien de moins.

Buvant un coup.

Crois plus en toi-même et attribue toi tes mérites plutôt que de parler comme si tu n’en étais pas digne. Pourquoi est ce qu’on ne devrait être pleinement responsable que de ses échecs ? Enorgueillis-toi.

Enfin, la discussion glissa de nouveau sur le sujet des portebrumes, Kesha ayant concédé devant Violette qu’il avait été lui-même été altéré par la brume, ce qui n’était pas sans créer quelques suspicions chez la criminelle. On ne savait jamais ce que la brume pouvait créer. Etablir des constantes sur ce qu’elle pouvait générer ou même sur la logique des portebrumes n’avait aucun intérêt tant que l’on était incapable de pouvoir saisir la logique de la brume elle même. A travers de ce que la brume avait fait de lui, Kesha pouvait être tout ou rien.

De son côté, pourtant le jeune homme semblait presque étonné de la réaction de la portebrume qui restant dans un premier temps silencieuse se leva avant de lâcher sa bouteille qui s’éclata contre le sol.

Kesha Kesha Kesha… J’vais t’appeler comme ça parce que ton nom est trop long.

Se retournant pleinement vers lui.

J’vais mettre ça sur le fait que tu m’as l’air quand même naïf mais c’est grave.

S’approchant de lui.

T’es censé savoir que la brume ne laisse pas indifférent. Pour certains elle représente la peur, d’autre l’espoir ou l’avarice… Et nous autres altérés, subissons la réputation de la brume. Jamais nous ne laissons indifférent. Pour certains nous sommes des armes. Pour d'autres des sujets d’expérience dans la compréhension de ce monde. Ou encore des traîtres potentiels, des menaces à venir qu’il faut éliminer préventivement.

S'arrêtant devant lui.

Tu viens des bidonvilles donc tu connais la règle qui s’applique autant pour les gueux que les puissants. Quand on l’ouvre c’est uniquement pour dire des choses que l’on peut assumer par sa force, son pouvoir et ses réseaux.

Elle attrapa alors de sa main droite sa mâchoire inférieure, levant son visage vers elle.

Tout ce qui est altéré par la brume a de la valeur pour les scientifiques d’Epis’ et d’Opale. C’est-à-dire que pour les trafiquants d’être humain, tu as une belle valeur. Un portebrume sait se défendre ou fuir. Toi penses tu pouvoir en faire autant ?

Soudainement à la porte de la cellule, des bruits. Une personne toquait 5 fois à un rythme bien particulier. Violette lâcha le visage de Kesha avant de reculer.

Fin’. T’as de la chance que j’ai pas b’soin d’argent toi.

Sortant une cigarette de sa veste, elle l’alluma.

Bon, de toute évidence, ils ont fini ce qu’ils avaient à faire.

Bravo, t’es libre. Si tu veux te tirer c’est maintenant.

Mer 30 Aoû - 6:20



Ceux qui vivent à l'ombre des tours noires

Ft. Violette Helmael

 
Le vagabond n’était en aucun cas préparé à ce qui allait suivre et qui serait des plus déstabilisant pour lui. D’ailleurs, c’était à se demander ce que cela faisait de lui de ne pas avoir été jusque-là déstabilisé outre-mesure par une séquestration et la possibilité d’une mise à mort. Foutu grillage, quand même!

Si violette se montrait remarquablement magnanime en partageant quelques détails sur les circonstances de sa transformation, elle préparait sans doute un violent un coup d’estoc artistement mélangé à une leçon de morale et de science des probabilités. Il roulerait l’idée qu’il n’était pas si terrible de devenir Portebrume plus tard, dans sa caboche.

S’il comprenait bien, soit c’était un perdant, soit un gracié aveugle de raison qui aurait trébuché sur une issue heureuse. D’une même lancée alcoolique, elle lui asséna avec aplomb ce qui ressemblait à des encouragements de grande sœur des cités. Croire en soi-même… être responsable… s’enorgueillir… beaucoup de concepts assez étrangers qui ricochaient benoitement dans son esprit. Et s’il en avait tout simplement peur ? S’il n’avait pas ce qu’il fallait pour faire face ?

-« D’accord ! Je vais essayer. Je ne suis juste pas très doué pour ces trucs d’orgueil.» bredouilla-t-il, à demi convaincu, pour répondre à la fermeté de la Portebrume. Lui connaissait certaines de ses limites, posées par la crainte du conflit, la volonté de plaire et d’être aimé et un indécrottable altruisme, d’une splendide candeur.

Pour se donner une contenance, il mâchonna un bout de viande séchée. Mais que n’avait-il pas dit sur ses cheveux ?! Fallait-il vraiment la ramener sur un sujet capillaire ? Il manqua d’avaler de travers sous le périscope laser de ses yeux rouges alors qu’elle semblait prête à l’étrangler avec son prénom.

-« OK… c’est comme ça que tout le monde m’appelle de toute... »

Il fut interrompu par la gravité de l’instant. Se retrouvant face aux mirettes incandescentes et passablement éméchées de la criminelle, il ne savait pas trop s’il devait avoir peur d’elle ou non. Sous des airs de confidences, la conversation devenait volatile et il lui trouvait maintenant un humour machiavélique.

Où voulait-elle en venir avec ses histoires d’altérés ? Tout le monde sait pour la brume, mais cela ne le concerne en rien.
-« C’est vrai. Enfin, c’est une vision assez noire quand même. »

Trop pris à travailler depuis des années, et aussi à éviter les foules pour son plus grand bien, il était parvenu à se préserver de ce monde sinistre qu’elle dépeignait où tous s’entredévoraient d’une façon encore plus cannibale que dans son quotidien. Tel le fantôme de minuit, elle s’était à nouveau approchée, à une longueur de nez. Il réalisait à travers son discours la différence énorme qui les séparait. Entre vivre seul dans les rues livré à soi-même depuis l’adolescence et être né dans les rues. Bien que pauvre et analphabète, il n’avait pas réellement grandi à la merci de la jungle urbaine.

Il ne serait jamais comme ces loups des bidonvilles. Il restait coi, comme choqué par cette soudaine familiarité physique, mais finit par se défendre.
-« Ce serait bien le comble qu’après avoir été ignoré depuis toujours on me découvre soudain de la valeur juste parce que j’ai vieilli avant l’âge. »

La bravade était pour lui-même mais l’écho de ses paroles demeurait. Non, il ne saurait pas se défendre. Sa seule stratégie était la fuite ou l’esquive. Une fois attrapé, il ne pouvait que se soumettre, s’en remettre à la pitié, à la lassitude des bourreaux ou au secours d’un protecteur tutélaire. Pour la première fois, cela lui paraissait insuffisant. Comme un arrière-goût de poussière. Sans parler de l’aiguillon menaçant qu’elle brandissait à l’idée de le livrer en pâture à un laborantin inhumain. Cette perspective serait épouvantable, en particulier à l’initiative d’une personne elle-même altérée par la brume.

Les percussions ébranlant la porte sonnèrent la fin de la leçon ou du divertissement de Violette. Le silence planant arrêta sa respiration pendant que Violette mettait la main sur une cigarette. Si elle n’avait pas besoin d’argent, pourquoi faisait-elle… ce qu’elle faisait ? Taisons ce mot de chance qui faisait de lui, quoi déjà? Un perdant ou un idiot sans mérite. Elle en avait fini avec lui. Ou pas. Si elle préférait le voir courir pour vérifier s’il était ou non capable de s’enfuir.

Keshâ se redressa en chancelant, il se sentait toujours trop proche d’elle. Il hésita un instant, comme pour vérifier si elle le testait, avant d’esquisser enfin un pas vers la porte. Sa main enserrait toujours son astra d’argent et son bâton de viande séchée. Loin de demander son reste, il ne songeait pas une seconde à exiger le retrait de ses menottes.

-« Au revoir, Violette. » dit-il simplement.

Ce n’était pas vraiment de la politesse. Plus une forme de considération pour cette rencontre dérangeante à laquelle il devrait sans doute repenser, s’il atteignait seulement le bout du couloir sur ses deux jambes. Certaines des choses qu’elle avait dites, il les savait vraies. Mais elles le bousculaient. Il n’était pas sûr de vouloir risquer cet inconfort mais ses dénégations lui paraissaient de moins en moins crédibles. D’un autre côté, ils n’étaient pas faits du même bois et leurs valeurs étaient radicalement différentes. Dans une autre vie, ils auraient peut-être pu se comprendre. Enfin, d’une certaine manière, un dialogue avait eu lieu.