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Les secrets de Rimegard

Les secrets de Rimegard Brandw10
Mar 1 Aoû - 0:50

Les secrets de Rimegard

Ft. Lewën Digo


Suite directe du RP "Le Myst'air"

Le bateau filait à toute allure en direction de l’ile de la Flatterie et, pour une rare fois, Elizawelle n’avait pas le mal de mer. Installée à la proue, elle profitait du voyage et du vent salé qui fouettait son visage. Sortir d’Opale avait été la meilleure décision qu’elle avait prise depuis qu’elle était revenue de Dainsbourg. Il lui faisait un bien fou de s’aérer l’esprit. Malgré tout, dans les jours qui dessinèrent le début de son aventure avec Lewën, elle succomba régulièrement à la tristesse. Cette fois-là, les yeux rivés sur l’horizon, elle observait sans vraiment les voir les montagnes noires de l’Île aux Dragons, qui s’élevaient brusquement dans des hauteurs vertigineuses. Victime d’accès de mélancolie qu’elle peinait à chasser, les souvenirs défilaient devant ses yeux sans qu’elle parvienne à les réfréner. Ainsi perdue dans ses pensées, Lewën fut d’un grand secours. Faisant toujours preuve d’une grande finesse, il la sortait régulièrement de ses rêveries, sans pour autant faire preuve d’indiscrétion sur les raisons qui provoquait ces moments de grisaille. Elle ne sursauta donc pas, cette fois-là, lorsque le médecin se glissa à ses côtés. Elle l’accueillit d’un sourire reconnaissant et acquiesça à sa question.

– Oui, confirma-t-elle. On voit l’Île aux Dragons, le renseigna-t-elle en désignant les montagnes à l’horizon. L’île de la Flatterie est plus proche, mais elle est si plate qu’on ne la verra qu’une fois dessus, s’amusa-t-elle, laissant la maussaderie derrière elle pour retrouver son éclat habituel.

* * * * *

L’île de la Flatterie était effectivement totalement dépourvue de reliefs. Immense, elle abritait un grand nombre d’exploitations agricoles, mais aussi de nombreuses terres d’élevage, dont celui d’un ami d’Eliza. Officiellement, l’élevage avait été racheté, comme la plupart des terres de l’île, par les Ozwinfield qui dominaient le marché dans le domaine. L’ami d’Eliza était toutefois toujours responsable de l’endroit, bien qu’il aille désormais des comptes à rendre à la famille opaline. Il n’avait repris l’élevage que deux ans auparavant, lors de la mort prématurée de son père. Avant cela, il avait passé de nombreuses années à errer comme mercenaire, époque à laquelle il avait fait la rencontre d’Eliza. Ensemble, ils avaient effectué plusieurs périlleuses missions et elle lui avait sauvé la vie si souvent qu’il lui avait assuré avoir une dette éternelle envers elle. L’aventurière lui avait donc envoyé un message par télégraphe et il s’était empressé de l’invite. Lewën et elle étaient à l’extérieur et traversaient une parcelle de terre à pied pour rejoindre les bâtiments principaux lorsqu’un large sourire éclaira le visage de l’aventurière.

– Asher ! le héla-t-elle en agitant la main pour le saluer.  

L’homme se retourna et son visage s’éclaira. Il trottina jusqu’à eux, un grand sourire sur le visage, et prit Elizawelle dans ses bras avec familiarité, la soulevant du sol. Celle-ci rit de bon cœur, heureuse elle aussi de revoir son vieil ami. Elle lui tapa amicalement dans le dos et il la déposa au sol.  

– C’est toujours un plaisir de te revoir, Liz, apprécia-t-il en la détaillant. Tu es toujours aussi jolie !

Elizawelle ne perçut ni les intentions charmeuses de son vieil ami ni la lueur de réprobation qui s’était allumée dans le regard de Lewën. Elle rabroua Asher à la blague avant de se tourner vers le médecin.

– Je te présente Lewën, dit-elle. C’est lui que j’escorte à Xandrie.

Ce n’était pas tout à fait vrai. Mais il n’avait pas besoin de tout savoir, pas vrai ?  

– Ah oui ! Enchanté, dit-il en tendant la main au médecin, non sans l’évaluer au passage.  
– Nous devrons rester sur place un moment, expliqua Elizawelle. Est-ce que nous pouvons laisser nos drakes au ranch de la falaise de Dred ?
– Oui, aucun souci ! Demande simplement Marvin, il sera prévenu.  
– Tu es le meilleur,
affirma Elizawelle, radieuse, plaquant un baiser sur la joue de son ami qui rougit en réponse.

Elizawelle ne vit pas le sourire triomphant qu’Asher adressa à Lewën. Écourtant leurs retrouvailles, elle l’incita à leur présenter rapidement les drakes. Fasciné par la puissance contenue qui se dessinait sous la peau cuirassée des draconides, toute l’attention de la jeune femme se focalisa sur eux. Elle s’avança vers la femelle qu’Asher lui désigna et qui se prélassait à l’écart de jeunes spécimens qui chahutaient. La bête était magnifique, ses écailles lustrées, son regard brillant. Elle s’en approcha respectueusement alors que le félin en elle s’écrasait au fond de sa conscience, intimidé par le prédateur que représentait le reptile volant. Respirant un coup pour juguler son anxiété, elle posa la main sur son cuir sombre. Elle appréciait les drakes, leur intelligence vive, leurs réflexes fulgurants. Pourtant, elle avait beaucoup de mal à apprécier l’altitude. Malgré tout, elle l’entraina d’une poigne autoritaire sur l’aire de décollage sur laquelle l’éleveur avait déjà amené le médecin ainsi qu’un jeune spécimen à l’air relativement docile.  

Elle scella l’animal, heureuse de constater qu’elle se souvenait des petites particularités propres à ces selles. Elle l’enfourcha rapidement et la poussa à décoller. La féline mit un moment à retrouver ses aises sur la bête volante, mais conserva pour elle ses doutes et guida sa monture avec fermeté. Les mouvements lui revenaient en mémoire, pas suffisamment familier pour devenir mécanismes, mais assez coutumier pour qu’elle n’ait pas besoin d’assistance pour se faire obéir. Rapidement, la femelle au caractère revêche se plia à sa volonté et elle la mena d’une main quasi experte, se permettant même d’assister Lewën qui, lui, manifestait quelques difficultés à se faire obéir par la bête. Elle éclata d’un rire plein de fraicheur lorsqu’il tomba au sol, projeté par sa monture qui n’était pas très heureuse de son atterrissage. Ce dernier, d’abord offusqué, se joignit bien vite à son rire. Surprise, mais heureuse de le voir ainsi se dérider, elle se surprit à le regarder d’un œil nouveau.

Sautant souplement au sol, elle lui offrit la main pour l’aider à se relever, puis le prit sous les aisselles, refusant de quelques mots les protestations orgueilleuses du médecin. En riant, elle l’aida à récupérer sa jambe, mais ne se permit pas de l’aider à la remettre, comme si elle avait soudainement pris conscience de leur proximité. Légèrement embarrassée, elle se dépêcha de grimper à nouveau sur sa monture. Aussitôt, son trouble s’évapora et elle put sourire au médecin, lui procurant même certains conseils. Après quelques nouveaux exercices, ils purent finalement s’envoler. Elle prit à nouveau Asher dans ses bras pour le saluer, captant cette fois le regard de Lewën, sans toutefois en comprendre la signification.  

Alors que le médecin, béat, profitait du voyage, Elizawelle, elle, cachait tant et bien que mal le malaise que lui procurait le fait de voyager à une telle altitude. Elle détesta encore plus devoir survoler la mer, ressentant un profond malaise à l’idée d’être si loin de la terre ferme. Pourtant, l’attitude quasi euphorique de l’épistote finit par être contagieuse et la jeune femme se laissa aller à sourire, s’amusant de son enthousiasme. Plus calme, elle put s’ouvrir à la beauté grandiose des paysages qu’ils survolaient et du lien particulier qui se créait entre elle et sa monture. Toutefois, elle gardait constamment un œil sur Lewën, sans qu’elle parvienne à comprendre pourquoi son regard refusait de s’en détacher.  

* * * * *

Un silence complice s’installa entre les deux compagnons après qu’ils eurent monté leur camp pour la nuit. Le feu crépitait, sans parvenir à masquer les millions d’étoiles qui se dessinaient au-dessus de leur tête. À leurs côtés, les drakes s’étaient allongés, rassurante présence. À nouveau, la zoanthrope s’était plongée dans l’un de ses moments de mélancolie, le fantôme de son père lui collant à la peau comme une ombre. Ce fut Lewën qui brisa le silence, sans qu’Eliza sache s’il cherchait à la sortir de son mutisme, ou seulement à assouvir sa curiosité. Elle se surprit à lui sourire, la connivence qui se créait lentement entre eux l’amenant à s’ouvrir plus qu’elle n’en avait eu l’intention.  

– Vous… pardon, tu as toujours vécu sur Opale ?
– J’y suis née et j’y ai grandi, acquiesça-t-elle d’une voix lente. J’ai toujours habité le même quartier, tout près de la boutique d’Isydore. Mon père m’a élevé seul. C’était un homme drôle et attentionné, et même s’il partait souvent — c’était un aventurier — il s’est très bien occupé de moi. Il...

Pourquoi lui parlait-elle de cela ? Sa voix se brisa. Les yeux de la jeune femme fixèrent le lointain sans vraiment le voir. Elle se mordit la lèvre, s’interdisant de s’effondrer, puis poursuivit dans une direction moins douloureuse. Comme en réponse à son émotion, Lewën, qui avait sorti son rebec, en joua quelques notes.

– Isydore s’occupait de moi durant ses absences, réussit-elle à enchainer. Je le connais depuis toujours, pour ainsi dire.

Un petit sourire éclaira le visage de l’opaline lorsqu’elle pensa à son vieil ami. Reprenant contenance, elle eut le courage d’affronter le regard de Lewën et elle planta ses pupilles grenat dans celles du médecin.  

– Et toi, demanda-t-elle spontanément, qu’est-ce qui t’a mené à Opale ?
– J’ai fait quelques expéditions dans la Brume, et... J’aimerais l’étudier. Opale me rapproche de Dainsbourg tout en me permettant d’exercer pour pouvoir financer une expédition par mes propres moyens.

À leur côté, l’un des drakes poussa un long soupir, faisait onduler l’air dans la nuit calme. Lentement, Elizawelle reprenait le contrôle de ses émotions. Elle prit pleine conscience du moment et s’y ouvrit, apaisée. La mélodie de Lewën, en parfaite harmonie avec l’ambiance douce du lieu, se liait à ses mots pour leur donner un sens plus profond.  

– Ou au moins, faire quelques connaissances qui me permettraient d’y participer.  
Ils échangèrent un regard.
– As-tu déjà été dans la Brume ?
– Oui, j’y suis allé plusieurs fois, surtout pour la Guilde, confia honnêtement la jeune femme. C’est chaque fois une expérience... unique. Elle sourit, pensive. La dernière fois, c’était lors de cette expédition à Dainsbourg, en Ioggmar. La Brume... je crois qu’elle n’aime pas beaucoup ceux qui sont comme moi.
– Comme toi ? J’ai l’impression que la Brume est réceptive à nos intentions, dit-il en choisissant ses mots. Peut-être est-ce que je me trompe.

La gorge d’Eliza se serra. Elle se sentait proche de Lewën. Plus proche, en quelques jours, qu’avec la plupart des compagnons qu’elle avait eus au cours de ses nombreux voyages. Pourtant, elle se savait vulnérable. Ainsi, malgré l’envie de lui dire la vérité, elle choisit d’ignorer sa question.

– Les histoires ne sont pas tendres avec la Brume. On l’appelait même Malice... Pour moi, elle n’a jamais été autre chose qu’une nuisance. Mais je dois dire que je l’ai vue accomplir des choses extraordinaires. Tu penses qu’elle est plus... gentille ? Si on n’a pas d’opinion négative à son sujet ?
– C’est ce que je souhaite découvrir, sourit-il. Qu’est-ce qui t’a amené à explorer Dainsbourg ?

Pendant un instant, Elizawelle hésita. Elle jeta un œil au médecin, rassemblant son courage pour lui confier franchement ses motivations.

– Mon père a disparu à Dainsbourg, souffla-t-elle. Je voulais le retrouver. Alors lorsque la guilde a demandé des volontaires pour découvrir les secrets de cet endroit...

Elle ne termina pas sa phrase, le souvenir de son père lui serrant la gorge. La mélodie de Lewën résonna, se transformant, apportant un baume sur la douleur de l’aventurière. Elle leva les yeux vers lui, surprise de se sentir aussi bien à ses côtés. Lentement, sa gorge se dénoua.

– Je crois que la Brume nous a aidés, pendant le combat que nous avons mené dans les souterrains. Pendant un moment, elle s’est rassemblée, et le temps s’est arrêté. Je ne sais pas si nous aurions gagné sans cela.
– Parfois je me demande si la Brume n’est pas un être... Ou des êtres.
– Des êtres, oui... Les nebulas en sont la preuve, je crois. Ma seule certitude, c’est qu’elle est... qu’elles sont... conscientes.
– Que pensez-vous des Portebrumes ?

Elle ne releva pas le soudain vouvoiement, mais la manière dont la question était posée lui mit la puce à l’oreille. Elle répondit prudemment.

– Je crois qu’ils sont à la fois victimes d’une bénédiction et d’une malédiction. J’ai vu des Portebrumes accomplir des choses absolument extraordinaires, certains d’entre eux sont des personnes que j’estime beaucoup... mais j’ai aussi vu ce qui arrive lorsque c’est la Nebula qui l’emporte.
Elle baissa les yeux alors que Lewën reportait le regard sur les cordes.
– Je pense que c’est un compromis qu’il faut accepter. Que j’ai accepté tout du moins, annonça-t-il en portant le regard à nouveau sur Elizawelle, étudiant sa réaction. La Nebula m’emportera sûrement, dit-il d’une voix neutre. Parfois je sens qu’elle voudrait contrôler mon corps, il faut se montrer plus fort. La dompter... Il s’arrête un moment pour réfléchir. Non, cohabiter. Je lui apporte un corps, j’ai comme la sensation qu’elle étudie notre environnement à travers moi. Je ressens ça comme de la curiosité. En échange elle m’apporte son aide, son don.
– Je crois que je comprends, révéla finalement Elizawelle. En tant que zoanthrope, je suis constamment soumise à une sorte de lutte intérieure. Malgré tout, il m’apporte beaucoup.

Le Jaguar. Une part d’elle, mais aussi quelque chose de différent, d’étranger, avec qui elle avait dû apprendre à composer chaque jour.

– Lorsque j’étais enfant, il m’arrivait de me transformer contre ma propre volonté. Est-ce que c’est la même chose avec une Nebula ?

Malgré elle, son cœur se serra. Sa nature zoanthrope n’était pas quelque chose qu’elle dévoilait à la légère, mais la confiance que lui témoignait Lewën en lui confiant sa nature de portebrume l’encouragea à se livrer. Malgré tout, elle guettait nerveusement sa réaction. Leurs regards se rencontrèrent, ses yeux perçants la transperçant. Elle lut la surprise sur ses traits, mais aucun dégoût, aucune peur. Sans se laisser démontrer, il poursuit.  

– J’ai dû lutter oui... C’était comme être perdu dans son propre corps. Nous travaillons main dans la main maintenant, comme si elle avait compris mes intentions. On s’utilise l’un et l’autre. Une lueur assombrit son regard. J’ai accepté qu’un jour mon corps ne m’appartiendrais plus. Le plus tard sera le mieux.

Elizawelle hocha tranquillement de la tête. La paix d’esprit de Lewën par rapport à son propre sort la surprenait. Aurait-elle pu être aussi sereine si elle se savait sue destinée à un tel sort ? A

– Quel animal abrites-tu ?

Elizawelle se figea un instant. Elle évitait habituellement d’en parler, à tout prix. C’était son père qui lui avait inculqué cela, règle de sécurité de base pour que personne ne devine sa véritable nature. Pourquoi alors avait-elle envie de lui dire ? Un éclair traversa son regard lorsqu’elle fit un compromis avec elle-même. Elle ferma les yeux pour se concentrer. Depuis son aventure à Dainsbourg, elle n’avait pas retenté l’expérience incroyable qu’elle avait vécue avec le jaguar face au Reclus et il lui fallut quelques secondes pour retrouver le chemin vers ce pouvoir qu’elle n’avait plus cessé, depuis, de sentir papillonner en elle. Dans une situation beaucoup plus propice que la dernière fois, elle étudia comment elle arrivait à diviser sa partie animale de sa partie humaine. Ça lui semblait si évident. Si facile ! D’une simple pression de l’esprit, son corps animal prit forme près d’eux. Elle devait maintenant affronter la réaction du médecin.

Celui-ci avait arrêté de jouer, arrêté de bouger. Son regard était fixé sur le félin, sans que l’obscurité permette à Elizawelle de déchiffrer son expression. Le soulagement envahit la jeune femme lorsqu’il lui adressa un sourire détendu.

– Il est magnifique... Je savais les Zoans capables de se transformer, pas d’invoquer leur alter ego. Êtes-vous deux entités ou un seul être ?
– C’est... quelque part entre les deux.

Elle était incapable de l’expliquer autrement. En fermant les yeux, elle s’imprégna de la sensation. À voix haute, elle étudia la sensation, accordant une confiance irréfléchie à l’épistote.  

– J’arrive à sentir ce qu’il sent. Les odeurs... les bruits... la terre entre ses griffes... tout me parvient comme lorsque je suis transformée. Mais il y a... un filtre. Il possède sa propre volonté. C’est le parfait reflet de la mienne, mais il demeure indépendant.

Elle ouvrit les yeux et le jaguar s’étira, s’étendant au sol.

– Je ne savais pas non plus que c’était possible, confia-t-elle. Ce n’est que la deuxième fois que j’y arrive. Et là... je ne crois pas que je pourrais me transformer. Ou alors, il disparaîtrait.

Les silences étaient sereins et dans la quiétude du moment, Lewën s’approcha du félin. Elizawelle frissonna. Avait-il conscience que c’était elle, et non un animal, qu’il approchait ainsi ? Sa part animale le couvrait des yeux et un doux ronronnement montait dans sa poitrine sans qu’elle soit en mesure de l’empêcher. La main de Lewën hésita au-dessus de sa tête et la jeune femme fut surprise de devoir retenir le jaguar de quémander une caresse. Pourquoi avait-elle envie qu’il la touche ? Personne ne la touchait ainsi, peu importe la forme qu’elle avait. Était-ce parce qu’elle avait maintenant deux corps ? Ou était-ce le médecin qui était différent ? Comme sentant sa réticence soudaine, celui-ci suspendit son geste.

– J’imagine que ses blessures sont tiennes ?

Le jaguar sentit prudemment la main de Lewën. Surprise par les odeurs, Eli sursauta et le félin disparut.

– Oui, répondit-elle en se remémorant son combat à Dainsbourg. Et sa présence est énergivore, remarqua-t-elle.
Mar 8 Aoû - 0:54

Les secrets de Rimegard

Avec Elizawelle Flatterand




Il sortit quelques herbes de ses affaires tout en écoutant sa partenaire, préparant une infusion.

- Izydore semble bien connaître tes talents, depuis quand vadrouilles tu sur le continent ?

Il servit le thé avant de reprendre son rebec.

- Fleurs de Jasmin, précisa-t-il en désignant l'infusion.

Un mince sourire étira les lèvres de la femme.

- Je suis sortie d'Opale pour la première fois il y a sept ans. Depuis, j'ai voyagé partout, même au-delà de la frontière de Brume ! J'ai d'abord suivi un groupe pendant quelques années, puis quand nous nous sommes séparés, j'ai intégré la Guilde des Aventuriers. C'est eux qui financent la plupart de mes voyages. Je me suis même rendue jusqu'à Lapis !

Elle souriait à pleine dents, ses yeux brillaient lorsqu'elle pensait à ses voyages. Ceux du médecin pétillèrent à leur tour, l’aventure, la Brume … La mention de la Guilde des aventuriers l’interpela, il garda ce nom dans un coin de sa tête. Attrapant la tasse, Elizawelle l’accueillit avec un sourire reconnaissant. Pendant un moment, Lewën sentit la zoan l'observer avant qu’elle ne pointe l’instrument du doigt.

- Où as-tu appris à jouer ?

- Je suis né dans une bonne famille Epistote, j'ai eu la chance d'avoir une éducation plutôt riche. Et j'ai remarqué que la musique à cette faculté d'adoucir les mœurs et les maux. Il n'y a pas toujours de Duddo pour inhiber les peurs. La musique en est le pâle générique.

- Ça fonctionne bien sur moi.

Malgré la fatigue du voyage, Lewën sentit que sa partenaire se sentait bien en cet instant, écho de son propre bien être. Est-ce la musique, ou juste l’instant entre deux êtres qui apprenaient à se découvrir ?

- Comment as-tu connu Izydore ?

- Je cherchais une pharmacie, celle d'Izydore est reconnue dans le quartier. Je dois avouer que nous avons mis un peu de temps à nous faire confiance. Avoua-t-il en continuant à jouer. Je vivais en auberge, pas très rentable. J'ai commencé à chercher un lieu pour m'installer, j'ai dû m'attarder un peu plus que prévu sur Opale. Il regarda Elizawelle avant de préciser. Question financière. Izydore m'a été d'une grande aide pour que je puisse m'installer. D'où ce service que je lui rends en juste retour.

Il s’arrête de jouer pour se concentrer sur la jeune femme.

- Tu as l'air de le connaître depuis longtemps, il a toujours été amélioré ?

- D'aussi loin que je sache ! Selon mon père, il les avait déjà lorsqu'il est arrivé à Opale, il y a trente ans. Il était épistote... mais tu le savais sûrement déjà.

Elle sourit, amusée à l’évocation de leur connaissance commune. Elle le connaissait par cœur depuis le temps qu’elle le côtoyait, Lewën aurait juré qu’Elizawelle se gardait d’avouer la véritable raison pour laquelle Izydore lui avait apporté son aide.

- Izydore doit vraiment avoir foi en tes capacités ! Ça me rassure, blague-t-elle.

Ainsi donc sa “protectrice” le taquinait dors et déjà. Lewën sourit.

- Pourquoi choisir ce métier ?

Elizawelle posa une colle à Lewën. Pourquoi .... Il laissa un long silence avant de formuler une réponse.

- Pourquoi ... Une évidence je dirais. Je me suis engagé dans l'armée, ma mère m'a légué son amour pour la botanique. Et naturellement ses connaissances m'ont mené au cursus médical.

Une pointe de fierté naquit sur son sourire.

- Et parce que je suis doué pour ça. Ça paraît prétentieux, c'est pourtant la réalité.

Il pose son rebec et se tient face à Elizawelle. Il n'avait pas pour habitude de parler de sa vie, encore moins à une inconnue. Mais il y avait ce quelque chose …

- Quand j'étais à l'étude à l'armée, il y avait ce Henrick. Il n'avait pas son pareil pour se blesser durant les entraînements. Il tu le fait que le garçon était un bouc émissaire, en y repensant les mâchoires de Lewën se contractèrent, détestant l'injustice et le droit que certains se prennent d'être supérieurs aux autres. Il fallait bien quelqu'un pour lui apporter les premiers gestes de secours, ce n'était toujours pas très beau à voir. J'étais le mieux placé et ça me plaisait. Je me suis dirigé vers cette voie et on m'y a encouragé.

Elle l'écoute avec intérêt. Militaire ? Elle ne cacha sa surprise, cela ne correspondait au médecin du peu qu'elle en avait vu.

- Ce n'est pas prétentieux d'assumer ses forces.

Leurs regards se croisèrent et se happèrent l'espace de quelques secondes. Elle vit la colère du souvenir, n’osant pas questionner sur la survie du fameux Henrick. Hésitante, elle décida de se rapprocher de lui pour poser une main sur son épaule, compatissante.

- Soigner les autres, c'est une entreprise très noble. Je suis certaine que tu es excellent.

Elle rosit légèrement, mais ne détourna pas le regard, lui adressant  un petit sourire complice.

- J'espère que nous arriverons à temps pour sauver Ruven.

Il acquiesça et sentit un malaise qui traversa Elizawelle. Un soubresaut de culpabilité - celui de lui cacher le versant de la mission - bien vite effacé par sa question.

- Tu m'apprends ? Demanda-t-elle en pointant le rébec avec un sourire mutin.

S'il s'attendait à cette demande ! Il en ouvrit la bouche de surprise une dixième de seconde avant de se reprendre.

- Très bien, commençons sans l'archer. Je te montre comment le tenir.

Il se positionna, le bas du rebec au sol, le manche dans sa main droite.

- Il y a deux façons de jouer. Comme ceci, je te conseille de le tenir ainsi pour commencer, c'est plus facile. Ou comme cela. Il plaça le bas du rebec sous le menton, le manche toujours dans sa main droite.

Il tend l'instrument à Elizawelle et la laisse se mettre en position.

- Tu peux le rapprocher de toi, il ne va pas te mordre, se moqua-t-il gentiment en aidant Eli à bien se tenir. Dos droit, parfait. Il y a quatre cordes : sol, ré, la et mi. Les notes qui vont composer la mélodie. On va commencer par les pincer.

Il fit le geste sous les yeux attentifs de la féline avant de la laisser l’imiter. Cette promiscuité le troubla mais il n'en montra rien.  Il continua les explications, lui montrait au fur et à mesure, la laissa faire jusqu'au moment fatidique de l'archer. Même exercice, il donna l'exemple, Elizawelle se tut, soudain intimidée par l'instrument. Elle écouta Lewën avec attention, puis tenta de reproduire sa position, un peu maladroitement. Elle fut d'abord distraite par leur proximité, mais prit peu à peu confiance grâce aux explications claires et précises de son "professeur". Elle le regarda se servir de l'archet et ce fut en toute confiance qu'elle le prit à son tour. Mauvaise surprise : le son fut horrible ! Elle regarde Lewën d'un air insulté avant de se renfrogner. Lewën s'esclaffa devant la tête de son apprentie.

- J'ai mis de longues semaines pour ne pas dire mois à sortir un son convenable avec l'archer. Finit-il par avouer.

- Je crois que ce n'est pas fait pour moi !

Malgré tout, elle se concentra et réessaya plusieurs fois. Après de longues minutes à faire souffrir leurs oreilles, elle réussit enfin à produire une note claire. Par chance ? Peu importait, son visage s'éclaira.

- C'est merveilleux ! dit-elle avec un grand sourire.

Elle reproduisit plusieurs fois le geste, mais ne réussit pas à sortir la jolie note. Finalement, elle lui tendit l'instrument.

- Je crois que je préfère quand c'est toi qui joue.

Lewën récupèra le rebec et l'archet, déposa ce dernier et joua directement en pinçant les cordes.

- Je suis certain que comme ça, tu apprendras vite. Tiens. Si tu veux je t'apprends un morceau. Tu pourras t'entraîner à chacune de nos haltes. Sourit-il avec douceur. Il ne voulait pas que sa partenaire reste sur une mauvaise note.

La bienveillance de Lewën acheva de la convaincre.

- D'accord, sourit-elle à son tour en reprenant l'instrument.

- Est-ce que tu connais la Balade de Kalistha ? Une mélodie simple de son enfance.

Kalistha, la mère des Océans, il avait souvent entendu les marins chanter son hymne pour louer sa bienveillance. Lewën commença à entonner la mélodie, suivi par Elizawelle.

- Oh oui, tu vas voir, elle n'est pas très compliquée à jouer.

Il montra à la féline où placer ses doigts et quelles cordes pincer. Une fois qu'elle le reproduisit, Lewën lui donna le rythme en fredonnant la mélodie. Lorsqu'ils eurent fini la mélodie en son entier, Lewën découvrit le radieux sourire étonné de la femme. C'était la première fois qu'elle jouait d'un instrument, elle avait réussi à jouer le refrain ! Lewën profita de cette mélodie pour aborder l'enfance d'Elizawelle.

- Ta famille était marine ?

- Ma famille, répéta-t-elle, pensive. Je n'en sais rien, avoua-t-elle. Mon père n'était pas marin, mais il ne m'a jamais parlé de ma mère. De ce que j'en sais, les Flatterand sont plutôt dans l'agriculture... mais mon père adorait m'amener au port. Nous allions y acheter régulièrement du poisson frais. Et souvent, nous chantions, sourit-elle.

Pas d'amertume ou de mélancolie : ce fut de beaux souvenirs que le médecin lisait sur le visage de la femme.

- Tout ce que j'ai de ma mère, c'est cette boucle d'oreille. Elle est partie lorsqu'elle a vu... ce que je suis.

Lewën s'en voulait d'être entré dans l'intimité d'Elizawelle, c'est pourtant sans crainte qu'elle se confia, sûrement était-elle en paix avec son passé ? Il ressentit de l'amertume face à cette femme abandonné par sa propre mère, miroir de son propre rejet par son paternel lorsqu'il apprit que son fils devint un Portebrume. C'est pourtant sans ressentiment qu'il parla, des paroles qui se voulaient rassurantes et qui pouvaient offrir une autre possibilité, une autre explication.

- Parfois la peur ou l'inconnue fait prendre des décisions regrettables. D'autre fois la cause peut-être biaisé. Peut-être est-elle partie pour une raison différente ? Qui sait ...

Et si Madame Flatterand avait voulu protéger sa fille ? Il y avait encore des chasses aux Zoans. Mais en quoi abandonner sa famille aurait aidé ? Ou bien cachait-elle un secret ? Peu importait, le résultat était là : Elizawelle avait grandi sans sa mère.

- Peut-être... éluda Elizawelle.

- Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Mon père n'avait de cesse de le répéter. Ajouta-t-il pensif.

Il regarda cette inconnue qui, au fil des mots, ne l'était plus tant. Depuis quand n'avait-il pas ressenti ça ? L'attirance ? Ce n'était ni le lieu, ni le moment, et peut-être pas la personne. Ça ne se contrôlait pas. Alors il détourna le regard plutôt que de déposer sa main sur l'épaule ou bien la main de la Zoan pour lui témoigner sa compassion. Il savait pertinemment que sa confidence n'était pas pour l'apitoyer.

Elle n'était pas certaine de ce qu'elle ressentait par rapport à sa mère. C'était un mélange de sentiments confus auquel elle n'avait encore jamais eu le courage de s'attaquer. Elle cachait tout cela derrière un masque détaché que Lewën ne pu décrypter. Ce qu'il ne savait pas non plus était le trouble que la femme partageait. Une sensation étrange la prit aux tripes. Comment pouvait-elle se sentir si près de lui, alors qu'elle le connaissait à peine ?

- L'agriculture donc. Votre famille détient encore des terres ?

- La plupart ont été rachetées par les Ozwinfield après la catastrophe de Dainsbourg. Elles étaient sur l'île de la Flatterie, d'après mon père.

Sa voix n'était qu'un murmure. La proximité entre eux prit toute la place, Elizawelle avait du mal à organiser ses idées.

- Aujourd'hui, les Flatterand vivent surtout à Opale. Mais je ne suis proche d'aucun d'entre eux. Ma seule famille, c'est Isydore.

Lewën baissa les yeux, mais Elizawelle l'observa. Sans réfléchir, elle replaça une mèche de ses cheveux. Réalisant l'intimité de son geste, elle rougit, ramenant précipitamment sa main près d'elle et baissant à son tour le regard. Un geste de tendresse ? Le cœur de Lewën palpite. Ce doux geste le ramenait dans un temps désormais révolu. Il releva les yeux aussitôt, cherchant ceux d'Elizawelle. Elle rosit, par timidité ? Par honte ? Peut-être était-ce juste un geste maniaque, il s'y connaissait dans le domaine. Pourtant son corps lui criait autre chose. Il tenta de calmer son esprit. La nuit était tombée et les avait enveloppés de son manteau sombre. La température avait chuté de quelques degrés. Les Drakes s'étaient allongées, les ailes repliaient sur leurs côtes. Les feuilles bruissaient, les étoiles se dévoilaient une à une. Pour se redonner une contenance, Elizawelle le questionna à son tour.

- Et toi, d'où connais-tu cette chanson ?

Lewën se leva pour récupérer quelques bois, s'en servant pour alimenter le foyer avant de se réinstaller à côté d'Elizawelle, plus proche. Sa main jouant avec le tison frôlait les jambes de la jeune femme. Il Il 'e s'appercu pas de la réaction de la femme. La gorge d'Elizawelle se serra, un vertige la prenait chaque fois que la main de du médecin l'effleurait. Elle peinait à contrôler les battements de son cœur. Le jaguar ronronnait dans sa poitrine, inaudible de l'extérieur. Elle ne le lâchait plus des yeux. Son regard détaillant son visage, les expressions qui s'y dessinaient, les sentiments qui s'y lisaient. Elle peine à demeurait concentrée sur ses paroles, mais leur importance la rappela à l'ordre.

- Je me suis engagé jeune dans l'armée Epistote, j'y ai fait mes classes, on m'a enseigné l'histoire d'Urh, la géopolitique, les enjeux militaires ... Un tas de choses. Dont la médecine. Sans vouloir paraître chauvin, notre pays excelle dans le domaine. Et je ne remets pas en doute les compétences de nos voisins, crois-moi. Le tutoiement se faisait plus nature. Mais j'ai été à bonne école, j'ai eu accès à des ouvrages écrits par des maîtres en la matière.

Il savait que tout cela ne répondait pas à la question, pas encore. Il avait envie qu'Elizawelle comprenne d'où il venait, ce qui l'avait construit.

- Le fait que mon père soit un Capitaine de renom aide, c'est certain. J'ai profité de cette chance pour me perfectionner. Je suis devenu médecin, l'un des plus jeunes de l'armée, j'avais vingt ans. J'ai fait mes preuves en accompagnant des expéditions dans la Brume.

Une pause silencieuse, Elizawelle semblait l'écouter avec attention.

- Et c'est maintenant que je réponds à ta question, sourit-il. Nous avons souvent emprunté la flotte Epistote pour nous mener dans les secrets de l'envahisseuse. C'est sur les navires que j'ai appris l'hymne de Kalistha. C'est comme une prière pour implorer les grâces de la déesse. Un encouragement et une félicité chantait par les marins.

Il hésita avant de continuer, le regard à nouveau dans les flammes qui les réchauffaient.

- Un jour j'en suis revenu changé. La Brume m'avait choisi comme hôte. Il tourna la tête vers la femme. J'étais brun avant cela. J'ai perdu ma pigmentation. J'ai quelques explications scientifiques plausibles mais je sais que c'est ma Nebula qui a créé ce changement en fusionnant avec mon corps. Parfois je la sens qui essaie de prendre le contrôle ...

Il se tourna entièrement pour planter son regard dans celui de la féline. Il était dans une bulle, plus rien aux alentours ne pouvait atteindre ses sens, toute son attention était sur Elle. Il finit son histoire comme il aurait raconté une journée barbante. Lui non plus ne voulait ni apitoiement, ni attendrissement.

- Mon père pense que les Portebrumes sont des gens faibles qui se sont laissés bernés par la "Malice". Un Portebrume n'a pas sa place dans l'armée. Il a lui-même demandé mon renvoi.

Malgré lui son poing se serra.

- Je reste tout de même le fils du Capitaine Digo, j'ai été traité avec déférence et l'on m'a laissé une jolie dote et tout ce que j'avais gagné pour mes services rendus.

Il hésita encore avant d'oser prononcer les derniers mots. Son cœur accéléra au moment où ces derniers traversèrent ses lèvres.

- Et me voilà avec la plus charmante des compagnies, j'y ai gagné au change.

Il sourit et se leva pour cacher son trouble. Draguer n'avait jamais été son fort.

- Nous devrions peut-être dormir, nous avons encore du chemin à parcourir.

Elle le laisse vanter l'excellence épistote sans même s'offusquer, elle qui est habituellement si prompte à défendre Opale. Il lui raconte une vie, une vie dure, mais riche. Une vie noble. Pour la première fois, un doute s'immisce chez la jeune femme : tant de connaissances, d'accomplissements... Qui est-elle en comparaison, simple aventurière provenant d'un milieu modeste ?
Il hésite un moment. Eliza, troublée, se retient de se rapprocher davantage. De lui prendre la main. Est-elle légitime de vouloir cela ? Alors, elle l'écoute. La Nebula, le rejet de son père, le renvoie de l'armée. Son poing se serre et la colère monte simultanément dans le cœur de la zoan. Il ne méritait pas ça ! Mais il ne veut pas de compassion. De pitié. Elle le comprend bien, sait que sa propre colère ne l'aidera pas. Déjà, il cite le positif... et finit par une remarque qui fait s'emballer le cœur d'Eliza.

- Lewën, je...

Qu'essayait-elle de dire ? Que pouvait-elle ajouter ?
Ni l'un ni l'autre ne s'étaient retrouvés dans pareil situation. Cette complicité naissante ... Ce désir furieux que la nuit ne se termine pas… le cœur qui s'emballe à chaque frôlement... Cette envie d'être plus près, toujours plus près…
Savait-elle à quel point son charme était envoûtant ? En usait-elle ? En abusait-elle ?

- Tu as raison, abandonna-t-elle. Nous devrions dormir.

Elle se lèva à son tour, loin de son aplomb habituel. Son regard s'attarda sur le médecin qui prenait soin de lui tourner le dos. Qu'espéraient-ils ? Elle se détourna finalement. Quelle nuit...
Jeu 30 Nov - 12:10

Les secrets de Rimegard

Ft. Lewën Digo

Le soleil levant avait effacé toute trace du moment d’intimité qu’ils avaient partagé. Du moins, c’est ce qu’Elizawelle crut lorsque Lewën lui offrit une tasse de thé, juste avant qu’ils ne reprennent leur route vers Xandrie. Pourtant, lorsqu’elle leva les yeux, elle le vit qui l’observait. Elle prétendit immédiatement être absorbée par sa tasse. Plus tard, lorsqu’il eut le dos tourné, elle ne put s’empêcher de l’observer à son tour, ses yeux jouant avec ses mèches pâles ou caressant le contour de son visage. Pourtant, la conversation s’établit sans gêne et ils discutèrent un peu avant de décoller sur le dos de leurs drakes. L’aventurière se concentra alors, tentant de chasser de son esprit le visage de l’Epistote pour penser de nouveau à leur objectif. Malgré tout, leurs pupilles s’accrochaient parfois pendant quelques intenses secondes, dans une étreinte distante qui faisait battre le cœur de la jeune femme.

Le deuxième jour se déroula sensiblement de la même façon. De plus en plus habitués aux drakes, Lewën et elle s’étaient même livrés à quelques acrobaties aériennes et à une partie de chasse qui permit aux draconides de se sustenter. Alors qu’elle avait tant appréhendé ce voyage aérien, elle se retrouvait finalement à adorer l’expérience et à regretter sa séparation prochaine avec la belle dragonne qui l’accompagnait. Vive et intelligente, elle avait su aider la Zoan à vaincre sa peur des hauteurs et créer avec elle un lien de confiance. Toutefois, même si la jeune femme refusait de se l’avouer, la présence de son compagnon de voyage jouait beaucoup dans la félicité qui l’envahissait. Enthousiaste et souriante, elle parvenait de plus en plus à laisser derrière elle la mélancolie qui avait habité ses dernières semaines.

Lorsqu’ils se posèrent ce soir-là, ils bavardèrent un moment, s’extasiant sur leurs prouesses de cavaliers, puis ils se couchèrent après un repas frugal. Cependant, les yeux de la jeune femme refusèrent de se fermer. Dans la nuit, elle se glissa dans la forêt.

* * * * *

Chat de jade aux taches ombrées, Elizawelle se faufila, prédatrice invisible dans le bois touffu. L’air avait changé. Ses narines sensibles percevaient déjà une... perturbation. De la pollution ? Cela lui fit penser à Epistopoli et ses pensées se posèrent un instant sur l’idée de Lewën et des drakes, endormis un peu plus loin. Elle ne s’attarda pas, passant à la prochaine sensation, aux ondes qui remontaient ses vibices et aux bruissements du vent qui jouait dans les feuilles. Sous ses pattes griffues résonnaient la terre qui répondait à sa foulée, qui s’allongea pour atteindre un rythme plus soutenu.

Mais voilà, ses pensées tournaient à plein régime. Elle avait beau tenter de se laisser absorber par les odeurs de la terre et les ressentis, rien n’y faisait. Dans sa tête tournait en boucle cette soirée avec Lewën, et parfois même des bribes du voyage qu’ils avaient accompli jusqu’à maintenant. Elle ne comprenait pas pourquoi elle se sentait si proche de lui. Et elle s’en voulait d’en avoir dit autant à quelqu’un qui aurait aussi bien pu être un espion Epistote. Cependant, elle ne regrettait rien. Rien n’aurait valu de rater la myriade d’émotions qui l’envahissait à présent, même si cela faisait fuir le sommeil et coupait son appétit. Malgré tout, elle ne voulait présentement qu’une chose : arrêter de penser. Elle accéléra encore, laissant l’effort demandé prendre la place de ces échos.

Ce rituel n'avait pas eu lieu d’être et pourtant, elle parcourut minutieusement un large périmètre autour de leur camp. Le temps s’égraina doucement à mesure qu’elle analysait les odeurs pour déterminer les espèces qui abritaient l’endroit. Comme prévu, celui-ci n’était pas particulièrement dangereux. Elle ne trouva rien de bien inquiétant, seulement la trace d’un gros ours qui ne prendrait pas le risque de s’approcher des drakes. Pourtant, elle eut besoin d’une bonne heure de course avant que son souffle se régularise et que son esprit accepte enfin de s’apaiser.


* * * * *

Le matin fut là plus rapidement que ce qu’elle n’avait espéré, et pourtant elle se réveilla comme une fleur avec le soleil. Elle bondit sur ses pieds avec enthousiasme et un sourire heureux s’étala sur ses lèvres en voyant Lewën dormir. Elle mit l’eau à chauffer pour leur désormais routinier thé matinal. Elle y ajouta les herbes trouvées durant la nuit quand son compagnon sortit du sommeil. Il se redressa lorsqu’elle servit le précieux liquide. Elle lui en offrit donc avec un sourire.

— L’élevage de Dred n’est plus très loin ! On devrait l’atteindre avant la fin de la journée. On y troquera les drakes pour les chevaux ! Ça nous offrira un peu plus de discrétion.

L’éclat surpris qui brilla dans le regard de Lewën fit regretter ce choix de mot à Elizawelle. Si elle n'était pas plus prudente, il finirait par se douter que ce voyage cachait davantage qu’un simple malade ! Même si elle avait une grande estime pour l’épistote, elle n’était pas certaine que ses valeurs soient en accord avec le service qu’elle avait accepté de rendre à Isydore. Elle ne pouvait pas prendre le risque de lui dire. Heureusement, il était l’heure de partir et l’émotion de sceller leurs compagnons de route pour la dernière fois chassa vite de leur esprit le commentaire de l’aventurière. Comme prévu, ils atteignirent l’élevage en fin d’après-midi, et c’est avec beaucoup d’émotion qu’Eli se sépara du draconide qui l’avait accompagnée durant ce voyage. Avec elle, elle avait enfin dompté sa peur des hauteurs et elle garderait en mémoire de précieux souvenirs des moments passés sur son dos. Peut-être devrait-elle en adopter un, tout compte fait !

L’élevage se situait au sud du lac de Xandrie. Grandiose, le plus grand de ses terres était occupé par un élevage conséquent de drakes de toutes les tailles et de toutes les couleurs. Il y avait toutefois de nombreux autres animaux, dont des élevages destinés autant aux opalins et à la noblesse xandrienne qu’aux drakes eux-mêmes, ainsi que des pégases et chevaux destinés aux voyageurs. Pour accueillir les visiteurs, une auberge, qui en disait long sur la richesse des propriétaires de l’endroit, proposait des chambres à un prix raisonnable. Lewën et Elizawelle purent ainsi profiter d’un lit confortable et d’un repas copieux avant de reprendre leur route le lendemain. Les terres sauvages du Mesnon laisseraient bien assez tôt place aux régions plus densément peuplées du pays, mais pour l’instant, c’est les sentiers forestiers qui accueillirent le pas paisible de leurs montures. Profitant d’une température idéale, ils progressèrent à bonne vitesse pendant une partie de la journée, jusqu’à ce que le ciel s’assombrisse et que leur énergie diminue quelque peu. Ralentissant la cadence, ils continuèrent d’avancer en papotant.

Les ombres s’allongeaient déjà lorsqu’ils débouchèrent enfin à l’orée de la forêt. Devant eux s’étendait l’infinité du pays de Xandrie, qui se parait d’ocre alors que le soleil disparaissait lentement vers l’horizon. Ils s’arrêtèrent un moment pour profiter du spectacle, puis poussèrent leurs chevaux vers le sentier qui descendait vers la plaine. Rapidement, toutefois, les chevaux devinrent nerveux, reniflant et piaffant sans raison apparente. L’air se chargea d’une tension évidente lorsque quatre silhouettes sombres se glissèrent derrière eux. Les cavaliers approchèrent rapidement et visiblement maîtres du terrain, bloquant bien vite la route.

— Bien le bonjour, jeunes gens ! Quelle chance vous avez aujourd’hui !

Cette remarque déclencha le rire de ses compagnons. C’est d’ailleurs l’un d’eux qui reprit la parole.

— Déposez simplement vos sacs au sol et donnez-vous vos chevaux. Personne n’a à mourir, dit-il avec une assurance tranquille, posant la main sur le pistolet à sa ceinture.

Visiblement, ce groupe avait l’habitude de ce genre de guet-apens. Combien de voyageurs s’étaient-ils fait dépouiller par ces hommes sans scrupules ? La mâchoire d’Elizawelle se serra et l’envie de leur régler leur compte monta en elle avec force. Pourtant, elle se força à garder son calme et échangea avec Lewën un regard entendu.

— Nous ne voulons pas de problème, annonça Elizawelle. Nous pouvons trouver un arrangement, nul besoin de verser de sang.

— Un arrangement ! Notre spécialité ! Videz vos sacoches et nous vous laissons repartir. Simple, non ?


Elizawelle adressa un clin d’œil discret à Lewën.

— Reste à cheval, dit-elle, je m’occupe de leur donner ce qu’ils veulent.

Elle descendit de sa monture et se dirigea aussitôt vers les sacs. Simultanément, elle chercha en son sein la présence ténue du jaguar. D’une simple pression de sa volonté, elle le fit prendre forme derrière les chevaux des brigands et un demi-sourire étira ses lèvres lorsque ses doigts se refermèrent sur la crosse de son pistolet. Lorsqu’elle leva les yeux vers Lewën, elle constata qu’il la regardait. Elle formula sans parler “tiens-toi prêt”. Elle se redressa alors et tira deux fois avant que les brigands n’aient le temps de comprendre ce qui se passait. Atteint à la jambe et au bras, l’homme le plus près d’elle s’effondra lourdement. La troisième balle, destinée à celui à sa droite, se contenta toutefois d’érafler sa joue sans le blesser. Elle aurait eu le temps de recharger si une situation improbable ne s’était pas déroulée alors : la silhouette de l’un des hommes se brouilla, le transformant en une créature mi-homme, mi-hyène à l’allure tout à fait terrifiante. Un zoanthrope avec un pouvoir vivifié, rien que ça !

C’est le jaguar qui attira son attention, grognant pour éviter qu’il ne s’en prenne à Lewën. Le combat était toutefois inégal, et pas à l’avantage du félin qui tourna autour de son ennemi, captant son attention le plus longtemps possible pour donner le temps aux humains de réagir. Profitant du temps que lui offrait sa part animale, Elizawelle plongea à nouveau la main dans son nascent de spatiokinésie, en retirant cette fois son fusil, qu’elle chargea à toute vitesse. Elle tira, non pas sur les brigands, mais derrière eux. Aussitôt, le temps se mit à ralentir. L’homme-hyène fonça sur le félin au ralenti, laissant tout le temps à la zoan de faire disparaître sa part animale.

— Maintenant ! cria-t-elle à Lewën.

Elle aurait dû remonter sur sa monture, ils auraient pu partir sans encombre. C’est en réintégrant sa part animale qu’elle perçut ce qu’elle n’avait pas été assez attentive pour remarquer : un brigand embusqué. Elle ne put éviter la balle qui lui était destinée. Celle-ci toucha son bras de plein fouet, lui tirant un cri de douleur. Elle se jeta au sol, roulant derrière une pierre pour éviter de se faire toucher. Elle tira à son tour. Avait-elle fait mouche ?
Ven 12 Jan - 18:14

Les secrets de Rimegard

Avec Elizawelle Flatterand



La nuit tomba en cette deuxième journée de voyage et la soirée se révéla être plus légère que la précédente. Les deux aventuriers s’évertuèrent à dissimuler leur rapprochement derrière des conversations légères et Lewën se contenta d’écouter les aventures qu’Elizawelle lui contait avec passion. Ils se couchèrent éloignés l’un de l’autre pourtant chacun d’eux ne put trouver le sommeil. Un son feutré fit se retourner le médecin qui observa le jaguar s’éloigner. Sous le pelage aussi sombre que la nuit battait le cœur de sa partenaire et il se sentit soudain bien seul et vulnérable. Il savait qu’il ne craignait rien, les sens du félin les alerteraient d’un potentiel danger bien avant que lui-même puisse le détecter. Ce n’est guère pour cela qu’il se sentait vulnérable mais bien à cause de l’alchimie qui les avait rapprochés si vite. Il ne connaissait rien d’elle que ce qu’elle acceptait de lui partager, pouvait-il lui faire confiance ? Si Lyana m’entendait penser j’aurais le droit à ma claque derrière le crâne, sourit-il pour lui-même. Ne me dirait-elle pas de vivre l’instant présent aussi intensément que possible ?
Une chouette hulula, l’homme continua de se perdre dans les méandres de ses désirs avant de tomber de fatigue, n’entendant nullement le jaguar revenir au plus noir de la nuit.

Le jeu de regard, les discussions, l’ambiance agréablement électrique s’étaient poursuivis le lendemain. Lewën regarda l’émotion avec laquelle Elizawelle laissa sa Drake en échange d’une monture plus classique. Il dut une nouvelle fois adapter la selle à sa jambe avant de poursuivre leur route. La légèreté les accompagnait et Lewën en oublia presque sa méfiance naturelle. Jusqu’à ce que la nature humaine la lui rappelle. Ils étaient tombés sur de polis brigands qui garantirent avec esbroufe ne leur faire aucun mal si le duo abandonnait leurs affaires sans faire d’esclandre. Le médecin ne fit aucun signe d’hostilité pour ne pas attiser l’envie d’en découdre des joyeux lurons et observa Elizawelle prendre les choses en mains. Après tout, n’était-elle pas ici pour garantir sa sécurité jusque Rimegard ?

D’un regard ils s’entendirent et pourtant les choses ne tournèrent guère comme ils espérèrent. Ne jamais sous-estimer ses ennemis, surtout quand on ne connaît pas leurs capacités. Tout se passa extrêmement vite, les premiers coups de feu tirés par la Zoan, un assaillant à terre, un autre qui se transforma, la monture de Lewën cabra faisant tomber le médecin à terre tandis que le jaguar attira l’attention des malfrats, Elizawelle tira à nouveau avec son fusil et … Le temps ralentit soudainement.

Oui mais voilà, pris dans la tourmente du temps, trois assaillants ne leur posaient plus de danger. Lewën réalisa trop tard qu’il en manquait lorsqu’un nouveau coup de feu retentit proche d’eux. Elizawelle se mit à couvert non sans un cri de douleur tandis qu’ils rétorquèrent ensemble de leurs armes à feu respectives. Le brigand tomba à terre, touché à l’épaule et à la hanche. Lewën se précipita vers la femme pour l’aider à se relever et observer sa blessure d’un oeil averti. Sans parole, il arracha sa ceinture pour lui faire un garrot avant de récupérer la monture d'Elizawelle. La sienne s’était échappée.
- Combien de temps avant que le temps ne revienne à la normale ? lui demanda-t-il en l’aidant à monter l’étalon.
- Pas assez, lui répondit-elle en grimaçant.

Le médecin monta derrière la femme avant d’éperonner l’animal pour les éloigner au plus vite des mercenaires. Dans un hennissement le cheval partit au galop, sans son étrier spécial pour sa jambe de bois, l'homme ballottait.
- Elizawelle, je sais que tu as mal à ton bras. Arriverais-tu à être mes jambes ? Lui glissa-t-il à l’oreille.

Coriace malgré la douleur, elle serra les dents pour se concentrer sur ses mollets. Lewën entoura d’un bras la taille de la femme pour garder l’équilibre et dirigea le cheval de l’autre, un exercice des plus périlleux. De longues minutes à vive allure s’étirèrent, les laissant dans l’incertitude. Lewën voyait la sueur froide couler dans le cou de la jeune femme et comprenait que la douleur devenait insoutenable. Derrière eux, un bruit de sabots ne les rassurèrent guère. Il se risqua à jeter un regard en arrière pour découvrir sa propre monture les poursuivre, la selle à vide.

- Nous avons de la chance que tu montes l’étalon dominant … dit-il en ralentissant le pas de course.

Passant près d’eux, il pu attraper les rênes de son cheval de justesse ce qui le stoppa net en le faisant renâcler.

- Non pas que je ne sois pas bien contre toi, s’aventura le médecin, mais nous irons plus vite si je monte sur Dakota. Il était toujours plus facile de s’épandre quand l’autre ne vous regardait pas en face. Toujours derrière Elizawelle, l’homme posa une main sur son front pour aviser sa température. Malgré les gouttes qui perlaient, il ne nota guère de forte chaleur, il lui fallait pourtant agir au plus vite. Fermant les yeux il insuffla une vague d’énergie par ce contact fugace tout en desserrant le garrot pour que le bras s’irrigue, déclenchant par la même une nouvelle vague de douleur à la femme. Quittant rapidement la selle pour retrouver la sienne, il sortit une petite fiole d’une sacoche pendue.

- Lait de pavot pour la douleur, tendit-il à sa partenaire qui ne rechigna pas à le boire. Partons, nous ne sommes plus très loin de Xandrie.

***

Ils arrivèrent une vingtaine de minutes plus tard dans la Capitale, le brouhaha envahit l’espace malgré l’heure tardive éclatant la bulle des derniers jours. L’avantage est qu’ils trouvèrent une auberge sans mal avec un palefrenier pour s’occuper de leurs montures. Ils cachèrent le bras blessé d’Elizawelle pour regagner sa chambre au plus vite. Lewën ne faisait confiance qu’à son art en matière de soin.

- Assieds toi sur le lit. ordonna-t-il, reprenant son rôle de médecin.

Il se lava les mains à l’aide d’une fiole d’alcool avant de s’asseoir à son tour près d’elle.

- Je vais devoir regarder la plaie, dit-il rosissant légèrement.

Il avait pourtant effectué des actes plus intimes sans jamais s’émouvoir, gardant un professionnalisme à toute épreuve. Pourquoi est-ce que ça devait être différent aujourd’hui ?
Il enleva les couches superflues de la jeune femme jusqu’à atteindre sa tunique. Avec toute la douceur du monde, il fit glisser le tissu de son épaule pour lui retirer la manche. Il évita son regard et se concentra sur la contusion où le sang avait cessé de couler. D’un coton il la nettoya à l’alcool ce qui brûla la chaire éclatée.

-  La balle a traversé ton bras, je n’aurais pas à retirer quoi que ce soit. annonça-t-il en guise de bonne nouvelle. Par contre elle t’a perforée les muscles, en l’état actuel tu ne pourras plus bouger avant de longues semaines.

Elizawelle commença à protester avant qu’il ne lui coupe la parole.

-  Tu as de la chance, tu as devant toi le meilleur Portebrume qu’il soit, tenta-t-il de plaisanter. Leurs regards s'accrochèrent lorsqu’elle lui répondit qu’elle n’en doutait pas.

-  Je vais t'insuffler de l’énergie pour que tes cellules accélèrent le processus de guérison, ça risque d’être long, tu peux t’allonger.

Il posa alors ses mains autour de sa plaie, prêt à commencer le soin. De sa sénestre valide, Elizawelle lui caressa le front pour lui remettre une mèche rebelle, une demi sourire sur ses lèvres blêmes.

-  Tu as perdu beaucoup de sang, souffla Lewën pour reprendre contenance. Tout ça ne serait pas arriver si nous avions continué à dos de drakes, faut-il être si discrets pour atteindre Rimegard ?

La femme ignora l’allusion en fermant les yeux, la douleur et la fatigue jouant en sa faveur. Lewën fit de même et entreprit le soin, la chaleur de leur corps collés les enveloppant d’une seule et même vitalité.
Jeu 8 Fév - 1:30

Les secrets de Rimegard

Ft. Lewën Digo

Les bras de Lewën qui l’enserraient lui firent presque oublier la douleur de son bras. Presque, parce que malgré tout, ça lui faisait un mal de chien, et la chevauchée endiablée pour fuir leurs agresseurs n’aidait pas. Elle serrait les dents depuis si longtemps que sa mâchoire l’élançait et le garrot qu’avait confectionné Lewën, bien qu’ayant ralenti la perte de sang, causait un désagréable engourdissement dans ses doigts. Lorsqu’ils furent suffisamment loin du combat, son compagnon reprit place sur sa propre monture et la jeune femme fut incertaine de si cela la soulageait ou la dérangeait. Seule sur sa selle, elle put toutefois se concentrer pour reprendre son calme et diminuer son rythme cardiaque. Ce n’était pas sa première blessure et elle se savait capable de supporter la douleur pour un temps, mais cela l’inquiétait. Allait-elle perdre son bras ? Lewën était peut-être médecin, mais ils étaient en pleine nature, et Xandrie, bien que proche, n’était pas réputée pour la qualité des soins médicaux qu’il était possible d’y trouver. Cependant, elle se sentait en mesure de continuer. Elle accueillit avec un hochement de tête soulagé le lait de pavot que lui offrit l’épistote. Voilà qui ferait refluer la douleur !

Lorsqu’ils arrivèrent dans la capitale, celui-ci avait eu le temps de faire effet, lui faisant presque oublier la douleur. Cependant, c’est tout chancelante qu’elle se laissa glisser de sa selle, et ses jambes faillirent lorsqu’elle toucha le sol. Heureusement, Lewën veillait. Elle lui lança un regard reconnaissant lorsqu’il la rattrapa, sans vraiment arriver à percevoir toute l’inquiétude qui marquait les traits de l’homme. L’esprit embrouillé, elle lui sourit, comme pour le rassurer, sans se rendre compte que la faiblesse de celui-ci était plutôt inquiétante. Ses pensées avaient du mal à garder une logique, mais ainsi accrochée au médecin, personne ne prêta attention à Elizawelle et ils purent gagner une chambre sans problème. Sans attendre les indications de son compagnon, l’aventurière se laissa lourdement tomber sur le lit, se sentant soudainement incapable de faire un pas de plus. Sans attendre, Lewën se pencha sur sa blessure. Un éclair de surprise traversa le regard de la jeune femme lorsqu’il lui offrit de lui insuffler de l’énergie. Se pouvait-il qu’il possède, par sa nebula, le pouvoir qu’elle-même possédait par un cristal ? Contrairement à elle, celui-ci semblait toutefois avoir une parfaite maîtrise de cette capacité et elle l’observa avec fascination tout au long du processus.

La douleur reflua à un niveau beaucoup plus raisonnable, lui permettant de reprendre une certaine contenance. Elle tenta de se redresser, mais se sentit bien vite faible. Le médecin retint sa chute et, aidé par le lait de pavot qui diminuait ses inhibitions, l’aventurière se laissa aller contre lui, posant la tête sur son épaule. Tout son corps tressaillit de le sentir contre elle, mais elle ne se détacha pas de lui. Au contraire, elle leva les yeux vers son visage concentré, constatant à quel point il était beau. Elle aurait voulu être encore plus près... tout son corps hurlait ce besoin. Un vertige tomba dans son estomac à la question de Lewën. Elle enfonça son nez dans son cou, incertaine de pouvoir lui répondre malgré l’énergie qu’il lui avait insufflée, son esprit trop emmêlé pour lui permettre de réfléchir. Pourquoi cela lui plaisait-il autant de le sentir ainsi réagir à son contact ? Dans ses bras, elle se sentait si bien... elle se blottit encore davantage contre lui et laissa échapper un soupir d’aise alors que ses paupières s’alourdissaient.

Les drakes ne sont pas admis à Rimegard, murmura-t-elle d’une voix pâteuse. Il aurait fallu les laisser filer, et nous n’aurions plus eu de moyen de revenir…

Entendant la fatigue dans sa voix, Lewën voulut la laisser dormir, mais elle le retint contre elle, agrippant sa manche. Sa présence la rassurait. Elle ne voulait pas qu’il s’éloigne.

Reste, laissa-t-elle échapper d’une voix suppliante.

Elle s’endormit en quelques secondes.


Le lendemain, Elizawelle se réveilla la première. Son cœur se mit à battre la chamade lorsqu’elle comprit qu’elle était dans les bras d’un Lewën assoupi. Les évènements de la veille lui revenaient difficilement, comme brouillés par un voile de pavot. Malgré tout, le rouge lui monta aux joues lorsqu’elle se rappela son insistance à le garder auprès d’elle. Pendant une minute, elle n’osa pas bouger et elle écouta le cœur du médecin battre paisiblement sous son oreille. Il était resté, comme elle le lui avait demandé... les papillons s’emparèrent de son estomac à cette pensée, et elle leva la tête vers lui, levant son bras pour le débarrasser de cette mèche qui tombait devant ses yeux. Le mouvement lui tira cependant une grimace de douleur. Cette dernière avait reflué grâce aux soins du médecin et à cette bonne nuit de sommeil, mais elle ressentait malgré tout une certaine gêne. Cela demeurait toutefois très raisonnable, particulièrement lorsqu’elle se souvenait de la douleur ressentie la veille.

Un certain malaise s’empara toutefois d’elle, et la jeune femme en vint à souhaiter qu’il ne se réveille pas alors qu’ils étaient dans cette position. Elle se glissa hors des draps, fouilla son sac spatiokinésique et enfila des vêtements propres avant de quitter la chambre et de descendre à l’étage, non sans accorder un dernier regard à son compagnon. Elle s’installa à une table et commanda le déjeuner pour deux. Depuis qu’ils voyageaient ensemble, leur rythme s’était synchronisé : bientôt, elle le vit descendre l’escalier. Elle ne put empêcher un sourire plein de bonheur d’étirer ses lèvres et lui fit signe pour qu’il la rejoigne. Elle ne mentionna pas ce qui s’était déroulé la veille, lui conseillant plutôt de goûter le délicieux thé xandrien qu’on leur avait servi, incapable de détacher son regard du médecin. La tendresse se lisait dans le regard de celui-ci, et la zoan n’était pas vraiment consciente qu’elle lui offrait le même. Comme pour le remercier à sa façon, elle alla par devant les désirs, se levant pour tirer les volets lorsque le soleil qui filtrait à travers les carreaux l’aveugla, demandant un nouveau thé pour lui lorsqu'elle remarqua son gobelet vide.

Nous devons refaire des provisions, commenta Elizawelle, visiblement en forme, en croquant dans une tartine. Est-ce la première fois que tu viens à Xandrie ?


Elle entraîna Lewën dans les rues de Xandrie, un grand sourire sur le visage. Autour d’eux, toute la diversité de la ville s’offrait à eux. De chaque côté de l’allée se dressaient des étals et des boutiques de toute sorte. La façade complètement rouge de celle-ci était surmontée d'un magnifique toit en pagode, typique de l’architecture xandrienne. Il côtoyait d’autres constructions bien éclectiques. Là, une maison toute en bois, précaire, brillait de mille feux avec ses lanternes qui l’éclairaient de partout. Plus loin, des constructions en pierre blanche rappelaient les quartiers d’Opale. Dans la rue en terre battue, les conversations allaient bon train en cette matinée animée. Bien que les humains étaient majoritairement représentés, les autres races n’étaient pas en reste. Là, un homme à la peau rouge se promenait avec une couronne de cornes sur la tête. Ici, un homme aux attributs lupins marchandait l’achat d’un bijou. Un peu plus loin, un colosse immense, fait entièrement de pierre, agitait la main dans leur direction.

Welle ? C’est toi ?

Celui – ou celle ? - qui approchait était un être colossal, et sa voix résonna comme celle d'un grand tambour. Il portait un pantalon et une chemise, mais il n’en aurait sûrement pas eu besoin, car son corps n’était qu’un immense bloc sans définition. Ses épaules, aussi larges que trois personnes mises côte à côte, contrastaient avec le sourire minéral qu’il leur offrait. Son crâne, aussi carré que le reste de son corps, luisait presque tant il était poli. Malgré tout, passé la surprise de cette carrure impressionnante, on pouvait lui attribuer un air sympathique.

Ydgar ! s'exclama la jeune femme en s’approchant du colosse pour lui taper amicalement sur le bras. Ça fait si longtemps !

À peine quelques années, petiote, dit-il de sa voix grave. Tu es en mission ?

Tu devines bien ! Je te présente Lewën, dit-elle en se tournant vers lui, souriante. Je l’accompagne à Rimegard, ajouta-t-elle en adressant un regard en coin au golem. Ydgar est un vieux compagnon d’aventure, expliqua-t-elle à son ami.

Enchanté, petit, le salua-t-il, amical. Et Isydore, il va bien ?

Comme d’habitude, dit-elle en perdant son sourire, comme si elle appréhendait la suite.

Soudain, on aurait dit que le regard du bonhomme se perdait dans l’horizon. Il se figea comme seule la pierre sait le faire, ses yeux restant dans le vague pendant de longues secondes où le silence s’étira sans que personne n’ose bouger. Il s’ébroua finalement, posant un regard grave sur l’aventurière.

Maxime aimerait te voir, petiote. Maintenant. Même endroit.

La jeune femme fronça les sourcils et soupira, visiblement mécontente. Elle sembla hésiter, puis une grimace déforma ses traits. Elle hocha sèchement la tête, puis se retourna vers Lewën.

Je dois y aller. Je ne sais pas pour combien de temps j’en aurai, fit-elle, l’air préoccupé. Je te retrouverai. Sinon, retrouvons-nous au coucher du soleil à l’auberge, veux-tu ?

Sans vraiment le regarder, elle le salua précipitamment et s’éclipsa dans une rue transverse sans lui laisser le choix.

Avait-elle vraiment le choix ?
On ne plaisantait pas avec Maxime.
Ven 9 Fév - 12:07

Les secrets de Rimegard

Avec Elizawelle Flatterand



- Reste.

Son cœur manqua un battement face à ce besoin exprimé dans un murmure. Il s'assit près d’Elizawelle qui s’assoupit aussitôt, son corps ayant besoin de reprendre des forces. Il l'observa longuement, ses doigts fins effleurant la peau du visage de l'endormie. Alors il fit ce qu'il savait faire de mieux, il continua les soins une partie de la soirée en lui insufflant de l'essence vitale. Il avait fini par céder au sommeil lui aussi, ses yeux se fermant sur le visage lisse de la féline tandis que son corps se blottit contre elle.

Le réveil fut cotonneux, il était seul sur le matelas, et sa seule motivation à se lever fut celle de rejoindre Elizawelle. Il se changea et se débarbouilla avant de sortir de la chambre, des cernes se dessinaient sous ses yeux, contrastant avec la pâleur naturelle de sa peau. Le soleil semblait avoir entamé sa course dans le ciel, ses rayons filtraient à travers les rideaux épais de la fenêtre. Descendant dans la pièce commune, il se dirigea vers la tablée dont Elizawelle avait pris soin de préparer, le petit-déjeuner prêt à être englouti. Il sourit face à l'entrain de la jeune femme avant de s’enquérir de son bras.

- Ça risque de tirailler quelques jours, il faudra éviter les mouvements brusques pour ne pas rouvrir la plaie. Les tissus sont fragilisés.

Leurs regards ne cessaient de s'accrocher, s'agrippant à la moindre expression qu'ils pouvaient s'offrir. Prévenante, Elizawelle prit les devants pour qu'il n'ait pas à bouger de son siège, profitant du repas sans même lever le petit doigt.

Mieux réveillé après la deuxième tasse de thé aux saveurs délicates, la féline l’entraîna à sa suite pour lui faire découvrir la ville. On aurait pu croire qu’il ne s'était rien passé la veille. Le médecin se laissa animer par toute cette bonhomie, ravi de retrouver l’énergique féline. Dans son engouement, elle lui attrapa la main pour l’inviter à marcher plus vite, pressée de jouer les guides à travers les ruelles de la Juste. Un contact qui le troubla plus qu’il ne le fit avancer.

Très vite ils rencontrèrent une connaissance de la jeune femme. Il n'avait jamais croisé de golem d’aussi près et se demandait comment l’énergie pouvait bien articuler tout cet être de pierre. Une question qui resta en suspens lorsque la mention d’un certain Maxime contraria sa partenaire. Un homme à chaque port ne put s’empêcher de penser notre médecin. Après une hésitation, Elizawelle le laissa avec pour seule instruction de la rejoindre à l’auberge le soleil tombant. Il ne préférait pas savoir ce qu’elle allait fricoter avec cet homme la journée entière, bien que quelque chose le dérangeait. La jalousie ? Une petite pointe peut-être, mais il y avait autre chose. Vous savez, cette impression désagréable que l’on ressent parfois en se disant que quelque chose ne tourne pas rond, l’instinct qui se met en branle car il a réussi à récolter plusieurs indices pour vous mettre en alerte mais que vous, vous n’avez pas encore fait le rapprochement avec des petits détails rencontrés ci et là. Et bien c’est exactement ce que vivait notre médecin à cet instant. Il fixa longuement la silhouette de sa partenaire qui disparut dans une ruelle adjacente, ramené à la réalité par la voix caverneuse d’Ydgar.

- Tu connais Xandrie petit ?
Lewën finit par tourner la tête à contre cœur vers son interlocuteur pour lui faire signe que non.
- Tu veux que je t’amène quelque part petit ?
Autant profiter de l’expérience du golem dans cette ville.
- J’aurais besoin de me ravitailler en soins médicinals, et racheter des provisions pour que nous puissions atteindre Rimegard sans difficultés.
Ils partirent dans la direction opposée à celle d’Elizawelle ce qui contraria un peu plus notre homme.
- Toi aussi tu aides Isydore petit ?
- Il m’a demandé un service et je ne pouvais pas le lui refuser.
- Mmh … grogna le golem, soudain perdu dans ses réflexions.

Ils marchèrent de longues minutes dans un silence de plomb, tout l’organisme de l’être de pierre semblait fonctionner au ralenti, sa grande taille compensait ses pas lents, obligeant Lewën à trotter pour garder l’allure. Il se demandait même si Ydgar ne l’avait pas oublié quand celui-ci l'interpella.

- Je connais le meilleur épicier du coin, c’est ce qu’il se dit. Je préfère de loin le Zircon, c’est dur à se procurer. Je me contente bien du granite. Il marqua une pause tout en tournant dans une rue perpendiculaire. Vos missions, elles sont pas toujours faciles, ça n’empêche qu’il faut bien se nourrir pour avoir de la force. N’est-ce pas petit ?

Lewën ne prit pas la peine de lui répondre alors que le golem saluait le propriétaire du magasin. Il ne pouvait pas y entrer à cause de sa grande taille et proposa à l’épistote de l’attendre pour la suite des provisions.

-  Je ne voudrais pas vous retarder.
Plus rapide que le géant, le marchand répondit à sa place.
- S’il vous propose, c’est qu’il peut ! Ces conseils valent de l’or, vous devriez profiter de ses relations. dit-il avec un clin d'œil pour le golem.

Une impression d’entourloupe saisit Lewën qui fronça des sourcils. Une sourde inquiétude pour sa partenaire s’insinua doucement.

- Venez, entrez, que puis-je pour vous ?f99]Viandes et poissons secs pour un voyage jusqu’à Rimegard. Des consommables non périssables pour tenir tout le voyage.
- Rimegard je vois. L’exploitation de myste ?
- La santé de ceux qui y travaillent. répondit Lewën plus sèchement qu’il ne voulait.
- Nos travailleurs sont fiers d’apporter la prospérité à notre pays. s’indigna le vendeur sur la défensive.
Voyant le malaise, Lewën se reprit. Ce n’était guère mieux dans son pays, les bas fonds crevaient à petit feu engendrant la montée des groupuscules et de la violence. Au moins les Xandriens avaient-ils un travail légal, pour une santé sacrifiée.
- Un travail honorable et courageux. Je ne suis là que pour aider un ouvrier à la santé précaire.
- Vous venez d’où ?
Ydgar eut la bonne idée de passer sa grosse tête polie par l'entrebâillement de la porte.
- Donne lui le meilleur Go, prononça-t-il en oubliant quelques lettres de son prénom, il voyage avec une protégée.

Le marchand sourit de plus belle en acquiesçant tandis que Lewën s'interrogeait sur le terme d'une protégée en référence à n'en pas douter à Elizawelle.
-  Mieux que la viande séchée, nous avons une variété de plats lyophilisés. Il vous suffira de mettre de l’eau pour pouvoir manger comme au restaurant ! s’enthousiasma-t-il.

Lewën fit le plein, Guoxin, de son nom, n’avait réussi qu'à le convaincre à moitié avec ses sachets de poudre légers et pratiques à transportées. Lewën savait que l’eau était une ressource bien trop précieuse et avait peur qu’elle ne manqua en cours de route. Ne sachant où ils pourraient se réapprovisionner, il préféra assurer en stockant viandes de grisons séchées et truites déshydratées.

- Il te faut quoi comme potions petit ? Parfums, filtres, concoction maison ?
- Non, des herbes médicinales tout ce qu’il y a de plus classiques. répondit-il, craignant que le géant ne l’amène chez un charlatan. Il préparerait lui-même les onguents et décoctions. Avec les plantes on ne risquait pas de l'arnaquer, fin connaisseur, il saurait reconnaître par l’aspect, la texture et l’odeur ce qu’il recherchait. Trop méfiant le Lewën, Ydgar lui fit traverser une partie de la ville pour l’amener chez une autre connaissance qui ne se moqua pas de son client. Une hesperide à la chevelure fleurie l’accueillit et lui fit part de son art. Il resta plus d’une heure, discutant médecine avec la charmante vendeuse qui partageait avec lui la passion des soins. Il eut même le droit à un prix pour tous ses achats et s’était laissé convaincre de tester une algue vitaminée pour booster son organisme, la spiruline, offerte en guise de bienvenue. Sûrement sa tête harassée avait pris par pitié la pharmacienne.

Il repartit en visite, son ventre finit par crier famine. La matinée était vite passée avec tout ça. N’échappant pas à l’ouïe du géant, Ydgar proposa une pause.
- Je t’offre un repas, petit ?

Ils s’installèrent à une terrasse de restaurant où le golem put s'asseoir, le vent tourna et les nuages commencèrent à s’amonceler au loin. Profitant de ce moment de répit, Lewën chercha quelques informations sur le fameux Maxime.
- Je le connais de longue date, c’est lui qui nous a fait nous rencontrer, Welle, Isydor et moi. On a fait quelques missions ensemble.

Sans vraiment expliquer le rôle de cet homme, Ydgar raconta quelques anecdotes anodines sur ses premières rencontres avec Elizawelle. Malgré lui, Lewën sourit en les écoutant.

Ils se quittèrent après le repas, le médecin remerciant chaleureusement le golem pour son aide. Il allait ranger les provisions et se reposer un peu avant de fureter dans la ville en attendant le retour de sa partenaire. Bientôt les nuages obscurcirent le ciel et des gouttes commencèrent à tomber. La fin d’après-midi arriva tranquillement, sous son parapluie acheté pour l’occasion, Lewën prit le chemin de l’auberge pour retrouver Elizawelle. Sans s’en rendre compte, ses pas claudiquant accélérèrent, pressé de retrouver la belle jusqu’à ce qu’on le bouscula, manquant de le faire tomber. Dans sa main, un bout de papier avait été glissé. Dessus il pouvait y lire griffonné : “Rendez-vous au Wok’n’roll, maintenant”. Etait-ce Elizawelle ? Inquiet, Lewën repassa par l’auberge, premier lieu de rendez-vous donné par la féline. Il fit les cents pas devant, scrutant les passants, et finit par céder au doute. Il demanda où trouver le dit restaurant à l’aubergiste avant de s’y rendre.
Lun 25 Mar - 23:43

Les secrets de Rimegard

Ft. Lewën Digo

Elizawelle se dirigea vers l’ouest de la ville, surprise, comme à chaque fois, des changements rapides qui transformaient Xandrie. Alors qu’Opale, solide de son architecture, ne changeait que peu au fil des ans, dans la Juste, tout évoluait à un rythme effarant. Les quartiers les plus huppés s’électrifiaient à toute allure alors que, dans les quartiers les plus pauvres, les bâtiments poussaient comme des mauvaises herbes, faisant bouger les rues et détruisant les repères. C’est donc non sans peine qu’Elizawelle retrouva son chemin, devant s'arrêter plusieurs fois et s'informer pour être certaine de prendre la bonne direction. Lorsqu’enfin le bâtiment désiré apparut devant elle, le soulagement l’envahit, avant que ne la frappe la raison pour laquelle elle se trouvait là. Sa gorge se serra, ses mains devinrent exceptionnellement moites. L’idée de fuir lui traversa l’esprit, mais elle savait que c’était impossible. Maxime la retrouverait, elle n’avait aucun doute là-dessus.

Elle se glissa dans une boutique minuscule qui ne payait pas de mine, adressa un mouvement de tête au vendeur et se glissa en arrière-boutique sans demander de permission. Là, elle s'engagea sans s’autoriser à hésiter dans un escalier sombre qui plongeait dans le sol. Elle atteignit un premier palier sans s’arrêter, puis un deuxième, où se dressait une imposante porte de fer. Là, elle frappa quatre coups et attendit. Pas très longtemps, puisque la porte s’ouvrit par elle-même à peine une seconde après, projetant vers elle une entêtante odeur de patchouli. Rassemblant son courage d’une profonde inspiration, la zoan s’avança à l’intérieur. La lumière y était forte et ses paupières papillonnèrent un instant avant qu’elle ne perçoive clairement la pièce dans laquelle elle était entrée. À sa gauche, un bureau d’acajou trônait devant un mur de bibliothèques désordonnées. Partout où le regard se posait, des vitrines soutenaient des trésors de toutes sortes. Les objets étaient si nombreux, si entassés que cela ne ressemblait à rien d’autre qu’un désordre mal défini, malgré l’éclat évidemment précieux de ces possessions. Un tapis immense et luxueux décorait le sol de la pièce, ses couleurs vives tranchant désagréablement avec l’aspect du reste de l’endroit.

Là-bas, au fond, une porte discrète se camouflait, presque impossible à remarquer pour qui ne savait pas qu’elle s’y trouvait. Pourtant, le regard d’Elizawelle se fixa immédiatement dessus. Elle attendit une minute, puis une deuxième, la tension montant alors qu’elle se trouvait seule dans la pièce. Seule, mais non moins surveillée, l’aventurière le savait. Les trésors qui l’entouraient n’étaient pas laissés sans surveillance. Enfin, la porte s’ouvrit, et la jeune femme dut retenir le dégoût de s’afficher sur son visage. La femme – il fallait savoir pour remarquer que s’en était une – avait le teint blafard et le regard globuleux. Elle n’avait ni nez, ni lèvres : ceux-ci semblaient lui avoir été arrachés, exposant des canines protubérantes. Elle était parée d’ostentatoires accessoires dorés : une couronne massive lui ornait la tête, un lourd collier camouflait son cou squelettique et des boucles d’oreilles pendantes étiraient ses oreilles déchiquetées. Près d’elle, l’odeur fleurale qui embaumait la pièce était presque écœurante. Elle était vêtue d’un tissu lourd, d’un rouge profond, visiblement précieux, qui drapait son corps sans souligner ses formes, ce qui était sans doute mieux.

Elizawelle Flatterand. Comme je suis contente de te revoir, dit-elle d’une voix de soprano, une voix magnifique, douce et légère... totalement discordante.

Je vous salue, Maxime, dit la jeune femme en s’inclinant légèrement, avec tout le respect dont elle était capable. Que me vaut cet honneur ?

Les joues de la mutante remontèrent, dévoilant davantage ses dents sans que son visage mutilé ne parvienne à exprimer convenablement son émotion. Elle fit signe à la jeune femme et se dirigea vers le bureau. Son pas était claudiquant, mais non sans être empreint de majesté. Ses mains aux ongles pointus emplissaient l’espace de mouvement aérien, lui donnant un air de danseuse. Un frisson courut le long du dos de la zoan. Une véritable horreur. Un égo surdimensionné. Une puissance incommensurable. Maxime. À Xandrie, rares étaient ceux qui la rencontraient. Elle vivait ici, dans cet endroit souterrain, sans jamais sortir à la lumière du jour, et pourtant, elle savait absolument tout ce qui se passait à Xandrie. Et si tous connaissaient son nom, personne ne savait d’où elle venait, même si les rumeurs allaient bon train. On disait qu’elle avait volontairement soumis son corps aux expériences du magistère. Que les mutations qu’elle avait subies lui donnaient les pouvoirs d’un dieu. Quoi qu’il en soit, personne ne connaissait la vérité. Seul restait la certitude de son intelligence vive et de son réseau tentaculaire.

Tu sais déjà ce que je veux, petite. Ne fais pas l’innocente.

Elizawelle hocha la tête d’un air entendu. Bien sûr, qu’elle savait. Ce n’était pas pour rire qu’elle avait dévoilé sa destination à Ydgar. Pas pour rien qu’elle s’était déplacée jusqu’ici. C’était l’une des rares choses que cette harpie ne pouvait pas obtenir facilement. L’une des choses pour lesquelles elle était prête à payer le prix fort.

Le Myste.

Quelle quantité ?

Ses doigts pianotèrent sur le bois du bureau pendant une seconde, alors que son regard se fichait profondément dans celui de l’opaline. Celle-ci, malgré son malaise, soutint ce regard déplaisant.

Autant que tu peux. Je paierai.

D'avance ?

Elizawelle savait négocier, mais Maxime était dure en affaire. Il leur fallut un long moment avant de parvenir à une entente. Même si la jeune femme avait espéré avoir plus d’argent à l’avance, l’entente finale était avantageuse. Si elle parvenait à remplir sa part du contrat...

Toujours heureuse de faire affaire avec toi, jeune fille. Passe le bonjour au bel épistote qui t’accompagne, conclut-elle d’un ton doucereux qui fit grincer les dents de la jeune femme.

Lorsqu’elle émergea finalement du sous-sol, le soleil terminait déjà sa course à l’horizon. Elle se maudit d'avoir pris autant de temps, toutes ses pensées dirigées vers Lewën, qui l’attendrait sans doute à l’auberge, tel que prévu. C’était sans compter sur le vendeur de la minuscule boutique qui camouflait l’antre de Maxime, et qui était davantage un surveillant qu’un véritable marchand. Il lui glissa dans la main deux billets, et lui signifia qu’il s’agissait d’un cadeau de Maxime, et que le médecin qui l’accompagnait avait déjà été prévenu de cette surprise. Mécontente qu’on ait pris cette décision pour elle et inquiète de l’intérêt porté à son compagnon, Elizawelle se plia malgré tout à la volonté de la mutante et se rendit au Wok’N’Roll, un établissement connu pour son excellente nourriture et ses spectacles endiablés qui faisaient le plaisir des jeunes adultes du coin. La table étant réservée, on la conduisit au balcon, là où la foule était moins compacte et le bruit, moins assourdissant. La salle était comble, mais le groupe du jour, dont la popularité ne faisait aucun doute, n’était pas encore sur la scène surélevée qui occupait le centre du restaurant.

Il y avait tant de mouvement à l’étage inférieur que les silhouettes se confondaient dans une masse compacte. Pourtant, Elizawelle ne perdit rien de l’arrivée de Lewën, son regard attiré vers lui comme un phare. Elle le suivit des yeux, l’observant se frayer un chemin à la suite de la serveuse qui l’amenait à leur table, veillant sur lui d’un œil protecteur, inquiète malgré elle que sa jambe de bois lui fasse défaut. Il se rendit toutefois indemne jusqu’à elle et Elizawelle se leva pour l’accueillir, tirant la chaise pour l’aider à prendre place. Cela tira un regard plein de jugement à la serveuse, habitué que ces égards viennent plutôt de l’homme. Eliza l’ignora avec superbe, trop heureuse de revoir le médecin. Elle s’excusa d’être partie aussi longtemps, mais demeura évasive sur les raisons de son absence, préférant détourner la conversation et lui demander s’il avait pu trouver tout ce dont ils auraient besoin. Même si elle se sentait coupable de ne pas tout lui dire, l’opaline ne pouvait empêcher un sourire de flotter sur ses lèvres. La simple présence de Lewën la plongeait dans un état de béatitude.

Le repas, bien que simple, fut délicieux. L’ambiance était décontractée et agréable et les conversations allaient de bon train lorsque le groupe monta finalement sur scène, provoquant un raz-de-marée de cris de joie. On scandait le nom du groupe avec une ferveur qui ne laissait aucun doute sur l’amour que le public leur vouait. C’était une musique originale et entraînante, produite par des instruments à l’allure familière, mais qui produisait des sons qu’Elizawelle n’avait jamais entendus, créant une atmosphère électrique.

Allons danser, proposa la jeune femme, les yeux brillants.

Lewën hésita, mais la jeune femme n’eut pas besoin d’insister beaucoup pour qu’il accepte de la suivre à l’étage du bas. Elle lui prit la main et l’entraîna avec elle, excité comme une puce. La présence de Lewën lui faisait oublier tous ses soucis, mettait un baume sur l’anxiété et les inquiétudes qui l’accompagnaient si souvent. Même si elle savait que cette invitation de Maxime n’avait rien d’innocente, qu’on les observait sans aucun doute pour recueillir le plus d’informations possible sur eux, elle ne pouvait s’empêcher d’être heureuse. Elle se déhancha avec plus d’enthousiasme qu’à l’ordinaire, soutenant son ami lorsqu’il perdait l’équilibre, profitant de la douce complicité qui se dessinait entre eux. Le lendemain, il leur faudrait reprendre la route et se confronter aux dangers. Il lui faudrait à nouveau lui mentir et lui cacher le véritable objectif de cette mission. Mais pour l’instant, elle ne voulait pas y penser.