Light
Dark
Bas/Haut

[Requête] Chaperons Rouges et le Grand Méchant loup

[Requête] Chaperons Rouges et le Grand Méchant loup Brandw10
Jeu 9 Mai - 17:13

Sous l'oeil du dragon

Les petits plats dans les grands


Le manoir Fà était une curiosité.

Au nord de la Juste se situait le quartier résidentiel - et plus au nord encore, comme un distant mirage hanté de longues maisons et de manoirs riches et nobles, se tenait le beau quartier. Là où jadis, nobles et riches Xandriens s’accordèrent pour en faire le lieu de leur exubérance et de leur lutte architecturale. “A qui aura la plus grande.” Lui avait dit son père un jour en passant devant les demeures de ses voisins. A l’époque, elle n’avait pas compris. Mais aujourd’hui, face à toutes ces tours… Rien n’aurait pu être plus clair.

Au milieu du paysage se détachait une énième tour, depuis rattrapée par d’autres, mais dont l’aura n’avait d’égal que la sienne. Une pagode somptueuse haute de dix étages, dont chaque palier était orné de lanternes rouges aux motifs fleuris. En plein jour, son omniprésence lugubre volait l’attention comme le dos d’un vautour, penché sur la rue pour mieux la dévorer. Mais la nuit - c’était autre chose. Temple fascinant, sa lumière ambrée attirait autant qu’elle repoussait: on y entre, on y reste, mais on n’ignore si on sortira comme on y est allé. Maison de danseuses, d’artistes, d’exotiques beautés depuis des générations… L’antre de tous les vices sous autant de visages de porcelaine et de sucre.


Le ballet avait commencé - le soleil tombait doucement, au bout de l’horizon, dessinant la silhouette de Xandrie et la couronnant de flammes. Une à une, on allumait les lanternes qui flottaient doucement au gré d’une fine brise. La danseuse se paraît de lumière, prête à ravir qui que ce soit qui oserait la trouver.

Tout est prêt, Madame.

Bien, merci Yuna. Le bruit des pierres, celui du métal froid indiquait que la jeune maîtresse de maison venait de remercier sa plus fidèle employée. Ses longs doigts s’étaient posé avec douceur sur l’épaule emmaillotée, et avec une tendresse maternelle, Lan-Lan avait sourit à sa domestique - elle servait la maison Fà depuis sa plus tendre enfance, et Lan-Lan la connaissait autant comme une nourrice que comme une gouvernante. Elles étaient nombreuses, les petites mains veillant sur les joyaux Fà. En échange, les serpentines veillaient sur elles comme autant de bijoux.

Docilement, Yuna baissa la tête, et se retira, laissant sa maîtresse seule dans le petit salon - une pièce d’apparat qui ne servait qu’aux réceptions. La pièce, au cœur du manoir, n’avait aucune fenêtre, et était éclairée par quelques lanternes et des bougies aussi rouges que le sang. Un gigantesque paravent recouvrait un côté de la pièce, dépeignant une scène folklorique de batailles, de salamandres, de saraphs armés et de lutte de pouvoir. La peinture commençait à s’écailler, et n’avait plus rien de la vibrance de ses jeunes années. Mais bien que le temps l’est poli, il l’avait également élevé, les écailles révélant sa splendeur. Le décor de bien des pièces qui s’étaient jouées là, de bien des accords, de bien des perditions.
Sur la petite table basse étaient disposés des mets délicats sur de fines porcelaines peintes répandant dans la pièce des odeurs subtiles. Tous Xandriens, bien sûr.

Tout comme les quelques bibelots disposés aux quatres coins du salon. Une sculpture de salamandre flottant dans le vide, d’anciens sabres dont le tranchant n’avait pourtant pas faibli, des bocaux remplis de serpents rares, la tête d’un Venigon depuis longtemps empaillé. Les assises consistaient en quelques fauteuils bas de velours rouges, de poufs taillés dans des étoffes nobles et brodés, quand ce n’étaient pas tout simplement des tapis pour s'asseoir sur le sol. A la Xandrienne.

Chassant l’obscurité d’une main, Lan-Lan alluma le petit tas d’herbe dans le fond de sa pipe, remplissant l’air autour d’elle d’un épais nuage de vapeurs, d’une odeur d’épice qui atténuer celle de son parfum - une odeur riche de fleurs sauvages, de lavande et de jasmin, des odeurs d’orients et de prairies humides. Elle avait mis les petits plats dans les grands. Un jour bénis. Un jour funeste. Il fallait dire qu'elle attendait un invité de marque.

Madame, ils sont arrivés. Murmura Yuna à travers le paravent.

Bien, très bien. Fais venir leur maître, et uniquement leur maître. Lui demanda-t-elle simplement. L’idée de revoir le sordide accompagnant du baron n’était pas pour lui plaire, les souvenirs de l’abomination étaient encore trop récents et il ne lui plaisait guère d’en rajouter de nouveaux.

Sa voix sonnait particulièrement enjouée. Ceux qui partageaient son enthousiasme à l’idée de revoir ce cher Baron devaient se compter sur les doigts d’une main - si ils existaient. Son invité n’étaient pas de ceux capables de générer l'engouement facilement, bien au contraire. C’était encore assez heureux qu’on n’ait pas encore tenté de le supprimer subrepticement au détour d’un coin des marais - elle interrogeait sa survie tous les jours.
Mais elle lui reconnaissait un atout, un atout qui lui valait toute l’attention d’une certaine noble Xandrienne qui l’attendait sagement, sourire aux lèvres et fumée sous la langue. Il ne mentait pas sur ses ambitions. Ni sur son intelligence.

Aussi n'avait-elle pas lésiné sur les moyens... Dans la plus grande discrétion. Les petits mots de couloirs filent vite, comme les rumeurs. Un Opalin, chez les Fà? C'est le scandale assuré, bien que la rumeurs du rachat grossissait à vue d'oeil. Elle comptait bien sur le bon Docteur pour conserver toute discrétion, mettre son habituel panache suffisant de côté. Sa lettre était sans doute assez appuyée pour qu'il le comprenne tout seul - qu'il y avait gros à gagner, et qu'il était dans son intérêt de ne pas faire trop de vague. Se présenter comme un invité discret, si possible de Xandrie. Le reste n'aurait besoin d'encre pour être abordé: la voix suffirait.  

La porte finit par coulisser, lui révélant un visage familier qui devait bien hanter quelques cauchemars - et que Keshâ devait voir de temps en temps en fermant les yeux, pour le pire ou pour le pire.

Monseigneur Von Arendt. Ses dents pâles brillaient doucement - elles n’étaient peut-être pas aussi pointues que les siennes, mais mordaient tout autant. Votre voyage a-t-il été agréable?

A chaque mot se répandait autour d’elle la vapeur et le myste. Le myste… Si tout allait bien, elle pourrait bientôt en voir l’acide couleur.


Dernière édition par Lan-Lan Fà le Ven 31 Mai - 12:22, édité 1 fois
Dim 26 Mai - 19:36
La richesse des Von Arendt n’était plus à prouver, pas plus que le poids de leur main sur les affaires politiques d’Opale. Leur nom était auréolé de la crainte suscitée par le Magistère et chaque affaire avec eux avait ce goût teinté de regrets. Pourtant, pourtant … il existait des âmes en Xandrie qui avait à cœur de nouer des ententes durables. Profitables, même. Depuis d’obscures rencontres, une forte d’amitié était née. Pas celles guidées par l’affection, non. Plutôt sur une sorte de respect et de reconnaissance mutuelle. D’un lien qui semblait se dessiner vers un intérêt futur … pertinent. C’était peut-être cela, le terme. Vladimir aimait la pertinence. Il appréciait les desseins et s’amusait des machinations. Il y avait là de quoi le détourner de sa quête de savoir, il y avait un goût sucré qui lui rappelait avec plaisir celui de la liberté retrouvée.

Au détour des marais, il avait encore une fois éprouvé la force et la ruse de cette femme. A savoir comment jouer avec ses codes pour qu’il danse sur sa partition à elle. Il avait à la fois apprécié et détesté cela. Rares étaient ses adversaires à faire preuve d’autant d’agilité. En général, s’il ne pouvait leur imposer ses vices et user de ses arts pour leur infliger un châtiment qui aille de paire avec ses ambitions, il les oubliait. S’il se complaisait dans la complexité de ses mœurs, il était en réalité un être simple. Ancien. Très ancien. Mais simple. Ceux qui le muselaient l’avaient bien compris.

La diligence se stoppa devant le parvis de la demeure. Une des rares routes xandriennes qui ne fassent pas tressauter la voiture à chacun des cahots. La demeure cossue de Fà avait au moins l’apanage d’un minimum de civilisation. Ce qui n’avait pas été le cas du reste du voyage. L’opalin avait traversé de nombreux villages où seule la boue côtoyait l’humain. Un dépaysement total pour lui, habitué à ne traiter qu’avec ce que la création pouvait faire de mieux : la quête du savoir et le Magistère. Du moins, son Magistère. Pas cette version dépravée qu’en avait façonné les derniers directeurs. Cette bande d’incapable fantasques …

Etrange de penser qu’un membre aussi éminent du Magistère préfère voyager dans un véhicule ne recelant pas la moindre trace de Myste. Des chevaux tractaient ce qui semblait être un mode de transport désuet, où les armes des Von Arendt avaient été cachées par des tentures noires. A l’abri des regards, les hôtes du véhicule appartenaient sans aucun doute à une caste supérieure mais ils restaient anonymes. Toute tractation n’était pas faite pour demeurer au regard de tous. Il y avait de bien trop nombreuses oreilles indiscrètes en Xandrie et en Opale et Vladimir n’était pas de ceux qu’on envoyait pour une visite diplomatique. Ou seulement lorsqu’on voulait lâcher les chiens. Quoi qu’il en fût, la diligence se stoppa devant les portes d’une grande pagode. Le visage pâle de Vladimir repoussa le rideau noir pour l’observer. Il lui adressa un rictus de dédain. Un vestige d’un royaume sénescent, jugea-t-il, et une nouvelle génération prête à tout pour s’emparer de cet héritage. La fange xandrienne n’aurait de cesse que de tenter de se démarquer. Mais l’odeur du Myste vérolait chacune de ses fondations L’odeur d’Opale. La gloire du Magistère.

Un homme en armure noire sortit en premier de la voiture et lorsqu’il s’approcha des chevaux pour récupérer le marchepied, ces derniers commencèrent à s’agit. Le Tartare s’avança pour poser l’objet afin d’aider son maître à descendre tandis que, déjà, les portes de la demeure des Fà s’ouvrait. Vladimir s’extirpa du véhicule et découvrit avec étonnement que l’air était respirable. Il rangea son mouchoir, dégainé au préalable, puis dépassa la créature sans lui adresser un regard. Prométhée connaissait sa place et ses ordres. Ce dernier s’empara ensuite des effets du Docteur et entreprit de le suivre pour se poster à ses côtés lorsqu’il se présenta devant la porte de la tour.

- Baron Von Arendt, votre présence nous honore. lui adressa une des domestiques de la maison.

Il la jugea un peu vieille mais vu la façon dont elle se prosternait, elle avait été bien informée. Le Docteur attendit qu’elle ait fini son salut pour attendre la suite des événements. On les mena à un petit salon où ils patientèrent devant une porte close. La vieille domestique s’arrêta face à lui et à sa création.

- Baron, ma maîtresse vous attends dans notre salon de marque. Seul, bien entendu.

Vladimir observa les alentours avec un dédain à peine dissimulé. Il fit signe à son serviteur de lui donner ses effets. Il ouvrit sa mallette, ce qui tira un mouvement de recul aux domestiques présents, mais n’en tira que la lettre que Lan-Lan lui avait expédiée. La lettre qui l’avait convaincu de venir jusqu’ici. Le Docteur se tourna vers le Tartare.

- Khaya chètorèfètt ètt hatèrèf chèla. lui adressa-t-il d’un voix agacée.

La créature se raidit et se recula dans un coin. Elle posa croisa les bras sur son torse et cessa de bouger. Le Docteur acquiesça puis se laissa guider jusqu’à la maîtresse des lieux. Ils finirent par arrive au fameux salon. Il détestait l’accent xandrien. Si bien qu’il n’avait jamais fait l’effort d’apprendre cette langue. Il appréciait tout de même qu’on se soit adressé à lui dans sa langue supposée natale. On fit coulisser une porte derrière laquelle la fameuse dame Fà l’attendait. Le Baron observa la pièce, sa richesse décadente mêlée à son histoire défraîchie. Il nota la mise en scène et se fendit d’un sourire en coin, puis revint river ses pupilles incandescentes sur celle qui trônait au centre de la pièce. L’endroit baignait dans une fumée doucereuse, où les fauteuils vermeils n’étaient pas sans rappeler le carmin magistérien, bien qu’il douta que ce fut le dessein. Le Baron s’avança face à la jeune femme, inspecta les trophées désuets d’une civilisation bien différente de la sienne. Il était loin des décorations acérées d’Opale et des toiles maîtrisées d’artistes depuis longtemps disparus. Il était entré en territoire ennemi.

- Très mauvais, Dame Fà. Les routes xandriennes sont toujours aussi peu entretenues.

Il observa les mets disposés à son égard avant de les ignorer.

- Je n’ai guère apprécié que mon serviteur ne soit laissé en arrière, mais je gage que vous aviez besoin d’un gage de ma bonne foi, en plus de celui de venir m’offrir à vous en plein milieu de votre demeure ? poursuivit le Baron tout en s’installant sur un des sièges faisant face à Lan-Lan.

Il croisa ses mains arachnéennes sur ses genoux et attendit quelques secondes que le temps s’égrène.

- Mais me voilà. Prêt à vous écouter. Je gage que votre proposition fantasque est tout à fait sérieuse et que vous mesurez la pleine mesure d’une telle proposition à un agent d’Opale et du Magistère ?

Jeu 30 Mai - 19:56



Pact with the devil

Which one ?


Ils résonnent sur l'antique parquet. Talons carmins. Ils battent la mesure. Sonnent avec élégance, les trois coups qui précèdent l'ouverture des rideaux. La porte glisse sur le côté, découvre la silhouette d'une actrice inattendue.

Un sourire éternel aux lèvres, Chāyā Lelwani fait un pas en avant, laisse la porte se refermer derrière elle avant de porter sa rougeoyante attention sur Vladimir Von Arendt. Que de bruits de couloir, sur cet homme. À croire que c'était là une caractéristique inhérente à ce nom de famille. Le teint blême, cheveux grisonnants, menton haut, prunelles vives, agacées ? L'homme est un tableau, de ceux peint dans la dépendance par l'esprit chaotique d'un artiste talentueux, torturé certes, mais talentueux. Et si l'on préfère le remiser dans un coin de grenier, sous un drap poussiéreux, parce que l'éclat malsain de ses yeux demeure, malgré les âges et les écailles de la peinture, on ne saurait oublier son existence. Il est là. Il attend. Ces mains imprudentes, qui soulèveraient le voile, lui trouveraient une place, un beau pan de mur, vide, où trôner.

- Un agent d'Opale ? Vous vous dévaluez, monsieur Von Arendt, d'aucuns diraient que le Magistère vous doit beaucoup. Le modeste statu d'agent ne saurait faire honneur à votre implication. 

Agent. Est-ce vraiment le rang que l'organisation lui donne ? Ce serait bien possible. Après tout, sous les tuiles du Magistère, se trouvait le grenier où on l'avait remisé. Ce portrait d'un homme brillant mais inquiétant, ses pas hantent une vieille maison, que les nouveaux propriétaires n'ont eu de cesse de réaménager. Quitte à perdre son charme originel. Quitte à recouvrir d'un drap, ce précieux portrait au regard mystique. Y-a-t-il un éclat similaire, dans les prunelles de la Monétariste ? Lorsque les rubis se confrontent. De ces lueurs chimériques, magnétiques, hantées, peut-être aussi.
Spectrales.
Chut, ne dites rien.

Portant une main de porcelaine à sa poitrine, elle s'incline à peine avant de se présenter.

- Chāyā Lelwani, dirigeante de la guilde des Monétaristes, j'espère que vous pardonnerez mon intrusion dans ce tête à tête. Je ne doute pas que vous saurez reconnaître en ma présence, tout le sérieux avec lequel nous souhaitons traiter cette affaire. 

Elle s'avance, féline créature que les fumerolles parfumées semblent envelopper un bref instant avant qu'elle ne prenne place, sur un fauteuil de velours rouge abandonné près du docteur, complétant le triangle soigneusement dessiné par la maîtresse des lieux. De cette affaire elle ne dit rien, tournant un sourire conquis vers la délicate althéa. Qui devinerait le mercure qui coule dans ses veines ? Sous ses jolis pommettes, le poison élevé au rang de dynastie.

Et vous pensiez le diable opalin ?
Mar 18 Juin - 18:06

Apéritif

Mirages et vapeurs


La porte coulissa doucement. Premier acteur - et quel acteur - qui s’avançait dans la pièce, agacé - toujours agacé. Son air arrogant n’avait pas été lavé par la boue des chemins de Xandrie, esprit immortel dans un corps entre deux âges. Mais il tranchait sur le décor, tellement, un sabre dans le mauvais fourreau. Quel gâchis penseraient certains. Pour Lan-Lan, c’était tout l’inverse. Aujourd’hui, vous voilà exactement là où vous devez être.

Cheffe de sa maison, la demoiselle se leva, poupée sage et formée, vêtue de son hanfu de bleu, de lilas, où dansaient sur ses amples manches des pivoines et des fleurs de cerisier. Sans trop le comprendre, elle sentit ses entrailles danser - non pas d’inconfort, mais d’appréhension. Elle le vit s’approcher, roulant ses mécaniques Opalines, son visage brodé de désintérêt et d’arrogance. Avec l’usure, on s’habitue à tout - et il se pourrait bien qu’avec les méfaits, elle se soit tout à fait habituée à ce caractère hors du commun. Dansant autour de la mort dans la pestilence des eaux de la Berenn ou dans les bras des Epistotes, les mains dans la même boue, bras dessus, bras dessous, oeil pour œil, et dent pour…

Dans ce cas, prenez place sans tarder, il ne faudrait pas que vous manquiez quelques secondes confortables après un si mauvais trajet. Silencieuse agathe, elle l’observait s'asseoir avant de reprendre sa place, jambes repliées sous ses hanches et genoux contre la table. C’est que nos astras filent dans d’autres poches, Monseigneur. Un souffle chargé de vapeurs de santal étala une nouvelle fois de la fumée sur la table. Une fumée de sucre, poisseuse, ronde, légèrement ambrée. Nos routes sont à l’image de notre nation, j’en ai peur. Mals entretenues.

Un éclair de suffisance passait sous ses prunelles, traversées par l’orgueil et l’audace. Il n’y avait pas de langues à tenir, ici. Elle savait avoir dépassé ce stade, celui des complaisances et des fausses gâteries. Sauf peut-être pour son propre amusement. Même si le baron Von Arendt faisait un parfait public, à cet instant précis, flamboyant personnage au devant du récit, elle n’allait plus s’encombrer des étiquettes et des faux-semblants.

Ils avaient dépassé ce stade. Sans doute que les sous-entendus étaient devenus trop bruyants trop vite. Les secrets, bien nourris, deviennent des chimères, de petits enfants dodus qui peuvent vous suivre comme une ombre. Le sien était sagement assis avec eux, dans la pièce, à ses côtés, n’attendant qu’un petit coup de pouce pour bien se révéler dans toute sa splendeur. Mais patience, il manquait encore un rubis pour parfaire ce tableau. Une deuxième carte, le côté face de la si brillante pièce des monétaristes dont elle n’était qu’un dos nébuleux et avide.

Vous voyez juste, Monsieur Von Arendt. L’odeur de l’armure hantait toujours ses narines, elle ignorait tout à fait si elle ne lui préférait pas la vase ou le viscuphage lui-même, aux canines recouvertes de viscères et de fanges. Votre… Ami saura sans doute patienter un peu et tenir compagnie à mes dames de maison pendant que nous parlons affaires. Vous imaginez bien que je ne vous aurais pas fait déplacer pour un thé - même si votre compagnie est succulente.

Elle appuya sur le dernier mot avec une certaine langueur, comme pour bien mesurer la longueur de ses dents face à ses fumées sucrées. L’or qui recouvrait sa proposition s’égrainait, et petit à petit, elle grattait la surface, le secret palpitait, les enjeux, les conquêtes: sous l’oeil Opalin allait miroiter un tableau peint de myste. Mais il manquait une pièce, une scintillante pièce, une pièce angulaire…

La porte coulissa doucement. Deuxième actrice - et quelle actrice - qui s’avançait dans la pièce, envoûtante - toujours envoûtante. Elle s’avance, précieux grenat aux yeux incarnats, panthère indocile, rejoignant elle aussi la pièce - arrivée inattendue par le fond de la scène. Sagement posée sur le parquet noir, Lan-Lan se délectait presque de voir serpenter la cheffe, couronne scintillante sur le crâne monétariste recouvert de feuille d’or. Ses yeux jubilaient, teintés de respect, d’entraide. Un tour de passe-passe, un guet-apens? Quel culot?
Immédiatement, elle retrouvait les traits tranchés et tranchants du strigoï - elle espérait secrètement ne pas avoir coupé court à leur machination, mais plus profondément encore, elle voulait l’avoir surpris. Oeil pour oeil, rubis pour…

Pardonnez-moi cette surprise - Ma Dame Lelwani a tout à voir dans la proposition que nous comptons vous faire. Manigance d’argent, plateau d’ébène, Lan-Lan vient sagement tapoter le bout de sa pipe dans un cendrier de jade.

Les acteurs sont en place. Le décor est posé. Passé l’exposition - la pièce peut commencer. Introduction de l’élément perturbateur, le premier obstacle.

Vous êtes-vous déjà aventurés sur les abords des steppes d’Oman? C’est une plaine vaste, peu intéressante. Plus boueux encore que nos routes. La seule chose que l’on y trouve, ce sont les grandes cavités creusées dans le sol - des mines de myste qui ont depuis longtemps édenté la région.

En parlant, ses doigts sertis d’autant de bagues que de phalanges agrippèrent une ancienne théière qui aurait bien pu servir sous plusieurs dynasties, dont chaque fissure était sublimée d’or. Dans trois gobelets de porcelaine se mit à tomber un liquide doré, chargeant l’air de vapeurs d’agrumes et de muscade.

Nous, Xandriens, avons un cuir solide. Nous endurons, endurons. Mais nous manquons d’esprits comme le vôtre, cher Baron. Murmura-t-elle doucement, la main sur une des tasses qu’elle offrit à l’Opalin, plus par courtoisie que pour combler une soif qu’elle devinait inexistante. Entre vos murs, vous avez appris - quand ici, nous appliquons. Mais si la vapeur se renversait? Si, pour une fois, nous avions besoin d’apprendre? La deuxième tasse remplie fut déposée dans la paume pâle de la panthère, sagement tendue entre toutes ses griffes. Nous sommes en instance de racheter pareille mine de Myste, Monsieur Von Arendt.

La dernière tasse, elle l’attrapa à deux mains, et pris un instant pour souffler devant elle les fumées odorantes. Mine de myste - fumée précieuse, éternel substance, glorifiée ressource. De l’or sous la terre.

Admettons que son état soit piteux. Il faudrait alors la remettre en état de marche, apte à produire du myste, le premier myste Xandrien. Mais nous ne savons qu’appliquer… Et nous manquons d’esprit.

Oeillades appuyées. Dans son regard dansaient des ombres mystérieuses aux contours glorieux.

Un cerveau comme le vôtre doit pouvoir résoudre pareils puzzles en un rien de temps, pourvu qu’il s’affranchisse de quelques muselières qu’on l'y aura placées. Dangereux mots. Dangereux messages. Quelle supposition saugrenue… Lan-Lan (dépasse les bornes, songeuse). Après tout, ne serions-nous pas autant de cabots mâchouillant nos laisses...?

Xandrie. Opale. Le Magistère. Le Roi. Des forces plus grandes encore… Ils couraient tous dans la même direction, essayant tant bien que mal de lutter contre leurs chaînes, l’étau serré autour de leur petits cous fragiles, les fers aux poignets. Mais il n’y a rien que la rouille n'atteigne pas.
Aucun cuir ne finit par s’user.
Jusqu’au…
… Crac



Mar 18 Juin - 19:17
Un frisson. Un pur frisson qui vrilla son échine et descendit le long de sa colonne pour se nicher dans ses reins. Aussi glacé que l’éphèbe, il décentra son rictus suffisant en une grimace désabusée. Le Baron se retourna pour contempler l’importune qui s’était glissée dans sa machination. Il l’observa de bas en haut. Puis de haut en bas. Fonctionnel, pragmatique. De cette créature mise en forme par ses soieries il n’en tirait aucun plaisir extatique. Il percevait une toile. Une toile dense et poisseuse. Qui osait faire de lui son moucheron ? Vladimir se redressa et posa ses gants qu’il avait ôté. Il les posa un peu sur le bord, un peu décentrés eux aussi. Il se leva. Cette odeur suave, cette senteur sucrée qu’exhalait Lan-Lan … tout cela n’était qu’un piège savant destiné à le faire danser. Il plissa les yeux, darda sa rage dans les prunelles de l’impromptue.

- Les rats se sont donc trouvé une reine. ricana-t-il, coulant un regard malsain vers l’hôte de leur réunion.

Il se baissa et attrapa la main de l’inconnue et lui accorda un salut qu’il n’avait daigné accorder à la Dame Fà. Il baissa ses lèvres presque au contact de Chāyā et huma la glace qui coulait dans ses veines. Il approcha une sensation si étrange qu’il était convaincu de l’avoir vécue des centaines de fois. Dans les cryptes du Magistère. A l’aide d’électrodes et de savantes expérimentations … fantasmagoriques. Une impression fugace, une araignée de plus sur sa toile ?

- Je vois que vous avez trouvé une personne équivalente à mon rang pour traiter de ces affaires, en effet. Que les Monétaristes s’en mêlent aussi … profondément … ne signifie qu’une seule chose. continua-t-il, dans une symphonie de sucre et d’acidité qui sonnait, à sa manière, comme un glas.

Le Baron n’oublia pourtant pas ses manières. Il se rassit une fois les deux femmes installées. Il n’alla pas plus loin et laissa son appréhension se muer en une suite de conjectures et possibilités infinies derrière ses yeux incandescents. Il passa de l’une à l’autre, contempla l’émail imparfait des services Fà et s’en fit une idée toute opportune. Un combat de classe où tout était fait pour le mettre dans une situation … mieux disposée ? Il leur offrit un sourire suffisamment large pour que ses crocs saillent. Son regard, lui, ne mentait pas. Pas plus que la glace que pompait son vestige de cœur. Il fut pris d’une envie de jouer cartes sur table, de faire venir sa création et … Non. A elles de déballer leurs cartes, à elles de danser sur la toile dans laquelle elles essayaient de le piéger. Il était plus ancien, plus vieux. Plus résilient …

Il laissa Lan-Lan avancer pas à pas, glisser et sinuer sur ses idées. Il la sentit se faire vipère, lui susurrer de subtiles insinuations. Il accepta sa tasse mais son regard ne quitta pas la maîtresse de guilde. Quelque chose grattait au fond de son crâne, quelque chose de malsain. Il perçut un relent mauvais, sans qu’il ne pût définir s’il s’agissait d’un vent de changement ou d’une peur naissante. Quelque chose n’allait pas. Quelque chose qu’il pourrait tourner à son avantage ? Toute crise apportait son lot de créativité … Il revint vers Lan-Lan lorsqu’elle prononça le mot. La chose qu’il ne fallait jamais prononcer devant un Opalin. Et encore moins lui.

- Acheter une mine de Myste c’est s’assurer une faute diplomatique sans précédent. éluda-t-il avec un sourire en coin.

Bien sûr qu’elle le savait. Pourquoi serait-il venu sinon ? Il soutint son regard jusqu’à ce qu’elle prononce les mots fatidiques qui scelleraient leur destin. Il posa la tasse.

- Posséder n’est pas maîtriser, Dame Fà, Dame Lelwani. répondit-il pour éluder le sous-entendu d’un geste négligent de la main.

Il fallait aller plus loin, très chère. Il fallait prononcer les mots, ourdir le complot. Lâcher les chiens … Le Baron observa autour de lui, s’assura qu’elle ne lui refasse pas le coup de l’holographe. Puis se raidit. Muselière ? Il serra les dents, retint un éclat de rire nerveux et malavisé. Il étrécit ses paupières et ses pupilles devinrent pareilles à des gemmes pernicieuses. Il haussa le menton, grimaça de dégoût. Une muselière ? Ah, elle n’avait pas idée … Il tourna la tête vers la maîtresse de guilde. Pas plus qu’elle … Il sentit son cœur fantôme s’accélérer, quelque chose lui disait qu’il y avait là encore plus à creuser qu’il ne le saurait jamais. Il abhorrait cela.

- Une muselière ? On ne musèle que les chiens qui mordent, Dame Fà. Ou ceux qui sont rabides. reprit-il, pour tenter de gagner un peu de temps et construire sa stratégie. Un cerveau comme le mien peut faire beaucoup, en effet. Mais je crois qu’il y a quelque chose que vous avez mal mesuré.

Vladimir croisa ses longs doigts sur ses genoux.

- Je n’ai jamais statué sur mon rôle au sein du Magistère. Qu’est-ce qui vous fait penser que je connais ce secret, dissimulé dans les recoins les plus poussiéreux et étriqués de mon organisation ? il haussa un sourcil, glissa une main sur ses gants posés sur la table.

- C’est bien le stupre de la Xandrie que d’imaginer pouvoir contingenter une telle différence de puissance entre Opale et elle par un simple pas vers sa prétendue révolution. ricana l’odieux personnage.

Elles avaient besoin de lui. Il le savait. Tout comme il comprenait implicitement les myriades de conséquences d’une telle action. D’autres avant lui avaient été approché pour pareilles traîtrises. Mais ils avaient tous oublié quelque chose lorsqu’ils avaient dû faire face à toute l’immensité du Magistère. Le Baron s’empara de ses gants et se leva.

- Je crois que vous avez trop présumé de votre importance. Que vous soyez Monétariste ou une simple concubine du roi, je crois que vous occultez un élément de taille en osant vouloir voler le secret le plus précieux du Magistère. Un secret si précieux, si caché et fragmenté que nul n’est plus capable de l’assembler à présent.
poursuivit-il, en glissant ses gants sur ses mains étriquées.

Il soupira, gonfla ses poumons rachitiques et expira un air désabusé. Il secoua la tête et de nouveau son sourire en coin gagna la commissure de ses lèvres. Le Docteur fit volteface.

- Considérez ma venue pour répondre à votre lettre comme un gage du sérieux avec lequel je traite ce refus. conclut-il tout en se dirigeant d’un pas neutre vers la porte de sortie.

Le Baron marqua un temps d’arrêt. Oseraient-elles lui barrer le passage ? Oseraient-elles s’en prendre à lui ? Il stoppa sa sortie. Se retourna. Affronta le regard de Chāyā. Il disait vrai. Il était impossible de pouvoir recombiner ce secret, de pouvoir assembler les cheminements épars qui avaient mené à la maîtrise de cette technologie. Pour cela, il aurait fallu être là depuis le départ, avoir participé à chacune des étapes de cette révolution industrielle. Dans le décor du Magistère, à instiller et pousser aux usages de cette création … à la maîtrise de cette science occulte qui avait fait tant de miracles et … de désolation.

- Mesdames. C’était un plaisir.
salua-t-il avant de se déporter vers la porte de sortie.

Il pivota, cacha son sourire satisfait et avança vers les battants. Trop peu à gagner, tout à perdre. Trop dangereux, trop tôt. Un jour, oui. Mais sa muselière était encore trop serrée. Souvent, on muselait ses chiens par peur des dégâts qu’ils pouvaient causer. Pour Vladimir, c’était un peu des deux. Rabide et mordeur, cela s’entendait.
Sam 22 Juin - 19:22



Tic Tac

Avant minuit


Royaume de brumes. Vapeurs sucrées. Parfums capiteux. Elles dansent, lascives, serpentent au-dessous du plafond. Les observent. Eux qui respirent leurs suaves fragrances. Sa majesté des rats esquisse un sourire amusé et le rubis luit magnifiquement à cette rage que l'opalin darde sur lui comme un faisceau de lumière carmin. Gants déposés, main tendue, un cillement surpris autour de l'agate flamboyante, éphémère, avant que les doigts délicats se prêtent au jeu, s'élevant d'eux-mêmes sans qu'il n'ait à la toucher, élégante dame qu'elle était.

On ne nait pas Reine des rats après tout.

Une personne équivalente à son rang ? L'agent se dessinait dirigeant. Sourire impassible. Si les Monétaristes se mêlaient de cette affaire, cela ne pouvait signifier qu'une chose, une seule ? Chāyā ne doutait pas un instant que leur cher invité ait plus d'imagination que cela. Elle était pourtant curieuse, qu'elle était cette chose, qui monopolisait -pour le moment- le centre de ses hypothèses ? Car il devait fumer, ce cerveau de rouages et de câbles mystifiés, de savoir ce que tout cela signifiait, ce que tout cela pouvait signifier. Au présent et au futur. Pour les Monétaristes, dans une moindre mesure, pour lui, surtout.

Il y a de si belles couleurs dans le rougeoiement intense de ses prunelles alors qu'elle les observe comme il ne la quitte pas des yeux. Elles n'ont rien d'opalines. Et pourtant.

Le mot siffle.
Le chien se tend.

Une faute diplomatique ? Rien que cela ? Un clignement un peu plus long, sur des rubis qui se ternissent. Sur qui l'opprobre serait-elle jetée ? Les signatures sur le contrat étaient un sceau difficilement brisé. Quelle que soit la faction. Puis, s'il était véritablement question de diplomatie.. La pensée s'étiole. Se fond dans l'arrière plan alors que l'acteur principal reprend peu à peu le devant de la scène. L'avait-il jamais laissé à d'autres ? Il grimace à l'outrage mais dément-il vraiment ? Cette muselière qu'il questionne sans s'étendre, cette nature canine qu'il décrit sans s'exclure, sa position dans sa propre organisation qu'il laisse dans un flou stratégique.

Elle ne l'interrompra pas. Ce n'était pas un dialogue. Pas encore. Peut-être jamais, puisqu'il finit par se lever. Chāyā, elle, lève sa tasse. Virevoltent les fumerolles, indifférentes à la performance. Lèvres entrouvertes, soufflent sur les volatiles parfumées. Les font danser. Il remet ses gants. Elle embrasse le rebord de porcelaine.

Il laisse dans son sillage, les indices d'un refus conditionné par son incapacité à offrir ce qu'elles attendent. Il n'est peut-être pas l'homme qu'il leur faut. Peut-être n'y en a-t-il aucun ? À présent. Il se retourne, une dernière fois, vers elles, sans que la dame ne semble y prêter attention. Toute à sa gorgée de thé.

Pourtant, elles quittent leur délicat amant, ces lèvres qui ne laissent aucune marque de leur forfait. Avant qu'il ne pose sa main gantée sur les cloisons coulissantes.

- Êtes-vous certain d'avoir le temps pour cela, monsieur Von Arendt ? 

Voix douce et ferme qui se pose sur son épaule comme une patte de velours. Une seconde s'écoule. Le silence n'attend pas de réponse. Il se froisse délicatement lorsque la dame se penche pour déposer sa tasse. Par politesse, par déférence, pour les sujets qu'elle s'apprête à aborder. Ses traits perdent en légereté, le rubis s'assombrit, gagne en profondeur lorsqu'enfin il revient se poser sur le costume impeccable de l'opalin.

- Vous êtes un homme de sciences, n'est-ce pas ? Combien de temps pensez-vous qu'Opale résistera aux assauts de la Brume ? Même les balises électrogènes ne sont pas éternelles, ni infaillibles. Et la Brume est, par nature, maligne, combien de temps avant qu'elle ne s'adapte et ne trouve un nouveau chemin ? 

Coeur mis à nu, entrailles déchirées, frontière envahie, la magnifique Opale scintillait avec la force du désespoir. Oh, elle n'était pas perdue. Elle lutterait. Vaillamment, certainement. Mais la Brume n'était pas sa seule ennemie. Politiquement fragilisée sur le plan international, elle avait échouée à protéger un sommet sur son sol, échouée aussi, à assurer la sécurité de son peuple. Comment lui reprocher ce qu'aucune faction n'aurait pu prédire ? L'injustice flagrante ne changeait rien au poids qui penchait dangereusement en sa défaveur sur la balance des forces politiques. Opale avait perdue de sa superbe. La Brume menaçait de la faire tout bonnement disparaitre et ce n'était pas ses voisines les plus proches qui allaient lui tendre la main.

La bienveillante et tolérante Aramila n'avait rien a apporter à Opale, n'est-ce pas ce que les opalins répétaient inlassablement depuis des siècles ? Xandrie, subordonnée malaimée, maltraitée, abusée, ferait-elle encore longtemps des courbettes à s'en briser le dos ? Le point de rupture était là, tout proche, trop proche. La révolution dont il riait, il ne pouvait l'ignorer. Ou bien alors il mentait sur les capacités intellectuelles qu'il encensait un instant plus tôt et n'était dès lors, définitivement, pas l'homme qu'il leur fallait.

- Ne voyez pas là une vile raillerie, toute xandrienne que je sois, je ne saurai sourire du malheur qui s'abat sur Opale tant la menace qui vous accable pourrait bientôt devenir la notre.

Compatissante, la monétariste l'est, sincèrement.

Car elle a vu.
Par l'oeil d'un Dieu.

- Laissez moi reprendre le propos de mademoiselle Fà, avec moins de subtilité, et vous assurer que nous n'avons pas l'ambition de vous détourner du Magistère, pas davantage de tenter de voler cette technologie si bien gardée, ou morcelée, seulement d'y avoir accès, à travers vous. Cette mine de myste légalement acquise, ne saurait faire l'objet d'un imbroglio diplomatique, d'une part puisqu'il s'agit d'une transaction contractuelle entre des partis civils, d'autre part parce que je doute qu'Opale ait vraiment le loisir de s'échiner sur une affaire de ce genre alors même qu'elle a tant à faire sur son propre territoire et qu'elle aura bien d'autres sujets d'inquiétude à traiter concernant Xandrie que l'achat en bonne et due forme d'une mine isolée.

Le ton est posé mais les mots bien moins suaves que ne l'avaient été ceux de la jeune Fà. La révolution xandrienne finirait par éclater, plus rien ne pouvait la retenir maintenant que la grande Opale avait un genou à terre. Sa geôlière soudain affaiblie, qui saurait retenir la grogne xandrienne ? La Juste rongeait ses chaines depuis trop longtemps sans que personne ne semble s'en soucier. Si Opale devait avoir à se passer des matières premières de Xandrie, comment s'en sortirait-elle ? Qui alimenterait les lumières de la ville ? Xandrie s'était habituée aux coupures intempestives provoquées par les grèves des mineurs, Opale arriverait-elle à faire de même alors qu'elle est assiégée ? Combien de temps avant que sa meilleure ennemie, première concurrente, Epistopoli, ne vienne lorgner sur ses chasses gardées ?

- Aussi, je vous repose la question, monsieur Von Arendt. Pensez-vous avoir le temps ? Avant que la Brume ne trouve une autre voie, que le Treizième cercle ne revienne vous hanter, que Xandrie ne se rebelle, que vos chers collègues du Magistère vous laissent travailler en paix ou que la bride autour de votre cou ne se tende pour vous rappeler à l'ordre.

Rubis étincelants. Elles avaient besoin de lui. Mais n'avait-il vraiment pas besoin d'elles ?

- Aurez-vous le temps de sauver votre organisation, votre cité, sans la liberté et les moyens que nous pouvons vous offrir ?

Ce qu'elles avaient à offrir. Puisqu'il s'agissait d'un échange, d'une tractation, d'un pari sur l'avenir. Avant que ne sonne minuit, pour Uhr.

Chien et rat,
Les deux peuvent l'être,
Enragés.
Jeu 27 Juin - 16:04

Hors d'oeuvre

Combat de fauves


A l’indifférence et au froid de l’Est, la panthère avait opposé le chant d’un majestueux cygne. Opale, la scintillante, ronger par la Maligne? Une réalité amère, vicieuse, viscérale. La grande Ennemie avançait. Inlassablement. Faisant d’Opale et du Magistère tout entier un allié bien tremblant. Silencieusement, Lan-Lan nettoyait le bec du dragon, versait la cendre - si grise, si passée. Elle écoutait la voix douce de leur couronne rappeler au Baron la situation bien chancelante dans laquelle il était - était-ce cette urgence qui l’avait fait se lever et s’enfuir avec tant de hâte? Le temps jouait contre lui; et Chāyā le lui rappelait, doucement. Froidement.

Impitoyablement.

A quoi bon argumenter? La maîtresse des lieux ne pouvaient que voir ces deux fauves se toiser avec force, s’enivrant de la pression du fond de l’air, de l’adrénaline qui inondait ses veines - était-ce la frustration qu’elle percevait chez le strigoï qui piquait ainsi le coin de ses lèvres?
Elle assistait à une joute.

Posséder est dompter. Minauda-t-elle entre deux mots. Pour l’instant, le serpent glissait entre les pattes de deux lions, et n’avait rien de plus à ajouter à leur lutte fauve. Tic, tac… Tic, tac. Au dessus du scientifique battait l’aiguille d’une fatalité sourde. Et devant lui, elles tenaient une porte de sortie. Présomptueux de se croire si fortes? Et peut-être pas. Peut-être qu’elles étaient exactement telles qu’elles devaient être. Fortes. Tenaces. Prêtes à ne pas laisser une occasion comme celle-ci filer entre leurs doigts. Lui, ne pas savoir? Impossible.

Chāyā guidait la danse, aussi pouvait-elle boire tranquillement, en retrait. Ses cartes, elle les abattrait plus tard. Des cartes plus obscures, plus sombres, aux promesses noires et brûlantes comme un nuage d’arsenic. Mais elle ne pourrait pas non plus tolérer ses soubresauts.

Mais il vous appartient encore de rejoindre vos chiots et vos laisses. Elle montrait des crocs peut-être aussi longs que les siens. Etait-ce de le voir si couard? Tant de fois, il lui avait semblé déceler cette étincelle; l’éclat décadent de ceux qui luttent, pas cette terne absence et ces rubis éteints. Malgré son masque, c’était une réelle déception qui grésillait à travers tous les pores de sa peau. Alors que Chaya se livrait à une réelle danse dans la toile - la sienne, sans doute - Lan-Lan sentait un instant ses espoirs tressaillir.

Et pourquoi? Pour la couardise d’un des toutous en laisse du magistère? Parce que le précieux Docteur n’osait pas se débattre un peu? Où était sa pédante supériorité quand elles avaient besoin de lui?
Il n’était un soleil que quand il le voulait bien. Bien caché dans les bras du Magistère.

Alors que Chāyā poursuivait, que ses mots pleuvaient comme autant de petites épingles sur le magnifique papillon qu’était Opale en le clouant fatalement sur sa toile de liège, la serpentine perle Fà se levait doucement pour se glisser derrière Monétariste et Scientifique, posant une main sur chacune des portes.

Je vous trouve bien certain qu’il s’agit d’un affront. Tenez-le pour dit: cette mine sera rachetée à des Opalins consentants. Cela ne faisait aucun doute. Voyez-y le signe que les temps changent. Xandrie n’est peut-être pas le bain de fange que vous imaginez tant, c’est une terre d’opportunités. Une terre des possibles… Où bat un nouveau pulse. N’était-ce pas non plus présomptueux de croire qu’elles n’avaient rien à offrir? Opale n’en a plus beaucoup, du temps. Mais vous, Monsieur Von Arendt?

Les rats. Dans les tuyaux, dans les bas-fonds, dans les cours, dans les poubelles des pauvres comme des rois. Proliférez, rongeurs. Par le nombre ou par la peste, même le plus obstiné des royaumes tombera.

Doucement, elle ouvrit la porte, laissant un air frais et froid glisser dans la pièce avec eux. Le spectre d’un passé faussement somptueux, l’air d’une noblesse de passage naît sur ces mêmes alliances; sur les dialogues d’Opale et de Xandrie.

Mais si vous le souhaitez, retournez auprès des vôtres. Nous autres, rats, garderons nos possibles pour nous. La balle était dans son camp. Roi des rats, peste ou nombre, oeil pour oeil, gloire pour gloire, dents pour dents.
Jeu 11 Juil - 10:13
La main du bon Docteur s’arrêta la main sur le battant. Il effleura le bois, serra les dents. Le temps ? Le temps était toujours une variable qui manquait. Peu importaient les siècles ou les années, tout s’enchaînait avec une lenteur qui frisait avec l’inaction. Les instants des nations qui se disputaient les parts d’un gâteau en décrépitude. Depuis Dainsbourg, depuis que les racines avaient été détruites. Tout avait repris dans une folle course vers l’oubli. Il connaissait cette destination mais savait tout autant que le Magistère perdurerait. A jamais. Il était la seule constante de cette équation, il avait présidé chacun de ces changements bien que le monstre lui ait échappé depuis longtemps. Les directeurs s'étaient succédés dans un chaos ordonné autour de lui. Tous s’étaient accommodés du Baron, de ses avancées. De son éthique relative lorsque venait sur le palier la question scientifique. Le temps, elle ne savait pas ce que c’était. Elle n’avait aucune idée des siècles et de l’écoulement inexorable de cette variable.

- La Brume n’est pas un problème. répondit-il, bien que le frisson qui coulait dans son dos puisse trahir ses pensées réelles.

Il l’avait tant malmenée, tant détruite par ses expériences qu’il connaissait l’opinion de l’entité à son sujet. Elle n’était pas omnisciente, il le savait. Mais elle avait depuis longtemps reconnu en lui un ennemi. Chose étrange, car il en était issu. Mais il ne se laisserait pas intimider par cette fantasque fumée, qui luttait pour sa survie tout comme elle menaçait leur mode de vie. Cette chose était un animal. Prévisible dans sa corruption.

- La Brume a ses limites, dame Lelwani. Opale saura y faire face. Sauf si … vous en savez davantage à ce sujet ? ricana-t-il, nimbé dans sa suffisance. Ce dont je doute, car vous ne la connaissez pas comme je la connais. Elle cherchera toujours le moindre interstice, mais la reconquête de Dainsbourg et la route vers Zénobie devraient vous aider à comprendre que nous ne sommes plus très loin du point de bascule de notre civilisation.

Il laissa ces mots en suspens et se retourna. Il plissa ses yeux, releva le menton. Il observa les deux jeunes femmes. Elles devaient savoir que son amour pour Opale était conditionnel, que le tout n’était qu’un moyen et sa richesse lui permettait bien des largesses. Il habitait ce corps depuis si longtemps qu’il avait fini par s’identifier à un réel membre de la famille mais restait toujours en décalage avec son temps et ses ambitions. Il ne savait qu’une seule chose : si Opale tombait, Uhr suivrait. Elle était le seul rempart qui ait l’audace de se dresser contre la Brume et de l’exploiter en faveur du monde. Epistopoli se ferait rayer de la carte, Aramila retomberait dans sa folie religieuse. Le Contade était déjà une nation condamnée. La Xandrie … dépendait du sort d’Opale, biberonnée à ses mamelles asséchées. En effet, cette menace deviendrait la leur. Sans la lumière d’Opale, cette contrée ne tarderait pas à se retrouver à feu et à sang. Encore. Rien qu’à voir les premiers desseins qui se construisaient autour de cette discussion. Les rats commençaient déjà à s’entre-dévorer.

- La diplomatie n’est pas qu’une affaire de légalité. Si la Xandrie tente de se doter d’un semblant d’autonomie mystique, vous risquez de connaître une série d’accidents fortuits. Ce ne serait pas la première fois que cela se produit. trancha-t-il, avec une étincelle amusée dans le regard. Mais je vous rejoins sur un point : Opale regarde ailleurs pour l’heure. Le Magistère regarde dans la direction de la Brume et de l’Arbre-Dieu.

Il laissa quelques secondes s’écouler, mesura les propos de la jeune femme qui lui faisait face. Elle déployait ses rets autour de lui, sondait les lignes et palpait sa toile avec délicatesse. Elle tirait sur les cordes, décelait ce qui le faisait bouger ou non. Il se sentait emmaillotté petit à petit sous l’œil taquin de Lan-Lan. Vladimir se redressa, raidit le dos. Il fit face à la prédatrice qui tentait de le faire danser à son rythme.

- Le Treizième Cercle a déjà joué son œuvre. Ces fanatiques imbéciles pensent libérer le monde en le condamnant. Mais … hm … le Mandebrume a d’autres plans. commença-t-il, ne sachant quel était le degré d’information sur la réelle identité du Mandebrume – une information à conserver pour lui cette fois. Mes projets pour sauver Opale sont déjà en route et devraient déjà être déployés sur les lignes de confrontation. Je crois que Lan-Lan en a déjà eu un aperçu et que le test s’est révélé … concluant.

Il ricana, en souvenir de leur petite expédition. Cependant, il fit un nouveau pas vers elles. Son pied se colla à la toile. Il savait où se trouvaient les réponses à ses questions. Là où tout avait commencé, là où il avait failli retourner près d’un quart de siècle plus tôt. Ce qui lui avait valu sa mise au placard, la traîtrise de Higgs et la perfidie de Forth. Ce qui avait conduit à sa destitution, lui l’intouchable du Magistère. Sa liberté. Il renâcla, secoua la tête. C’était une chose d’être protégé par le Magistère. C’en était une autre que de se le mettre à dos. Il y avait tant de lui-même dans cette organisation qu’il savait à quel point elle pouvait être délétère.

- Vous sous-estimez grandement le Magistère, mesdames. Vous n’avez pas idée de qui vous affrontez. La Brume n’est rien, Opale n’est rien. Seul le Magistère demeurera. Vous le comprendriez si vous aviez déjà arpenté les couloirs du Magisterium, ou fait face à ses siècles d’histoire. lâcha-t-il avec un geste de dédain. Vous vous rêvez prédatrice alors que vous n’êtes que le premier maillon de la chaîne alimentaire d’Uhr. Si on part du principe qu’Aramila constitue les coprophages, bien entendu. Laissez-moi être m’expliquer avec moins de subtilité. Si vous vous attaquez au Myste, le Magistère vous anéantira. Peu importe l’état d’Opale, peu importe Uhr. Le Myste a des conséquences que vous ne pouvez évaluer, chères xandriennes. J’ai été au … service du Magistère depuis assez longtemps pour le savoir.

Le Baron marqua une pause. C’était pour cela qu’elles avaient tenté de l’atteindre, de percer cette coque du Magistère. Il foudroya Lan-Lan du regard. Elle avait vu en lui un maillon faible ? Quelqu’un à même de céder en faveur d’une nation inférieure ? Il avait participé à modeler Opale, à en faire ce qu’elle était aujourd’hui. Cette création lui avait échappé. Elle l’avait muselé et il connaissait les conséquences d’un autre échec de sa part. Forth connaissait sa vraie nature, et il saurait lui faire payer. Pire encore était Higgs. Quelque chose avait changé lors de l’accident avec les Limbes.

- Oubliez votre petit projet suicidaire : Opale doit tout au Magistère et beaucoup ont tendance à l’oublier. Vous n’avez pas idée de ce qui se cache entre les murs de ce dernier. Vous n’avez pas idée d’à quel point le Treizième cercle est risible s’il pense pouvoir les atteindre. Pour oser jouer un double jeu avec eux, il faudrait … être fou. Il y a des armes que vous ne voudriez pas voir déployées en Xandrie, des connaissances qui anéantiraient votre petit complot. Vos … possibles … sont risibles. Sans quelqu’un à la barre, quelqu’un qui sait de quoi il parle vous n’y arriverez jamais. Or, si vous décelez en moi cette personne, il faudra réviser vos attentes. Je sais ce qui rôde en Opale. Je ne vois pas ce que j’ai à gagner à m’abaisser à construire la Xandrie.

Vladimir les toisa. Il avait fait un pas. Un pas de mauvais gré et déplaisant au possible, mais un pas. Il croisa les bras, le vent frais portait des relents de charogne.
Lun 22 Juil - 11:25

Premier service

Tissons notre toiles, attrapons nos moucherons


Maillon dans un maillon, soudés à la jointure, encastrés, enfermés. A se tenir, s’accrocher les uns aux autres. Force conjointe pour faire tenir toute la chaîne - envers et contre tout, l’union faisant la force. Mais contre quoi? Et pour qui?
A leur poignet.
Autour de leur cou.
Dans leurs mains.
Maillons d’une même chaîne, en se débattant un peu, ils pourraient la briser.

Curieuse harmonie dissonante, leurs trois voix mêlées. La douceur sirupeuse des monétaristes presque aussitôt brisée par la rigidité rauque de Vladimir, son chant caverneux, ancien. Spectral. Autant d’alarmes que de mots, des alertes jetés dans leur direction - ou celle du magistère? Une danse fascinante pour la Fà qui se tenait encore au niveau de la porte.

Test qui attend dans le vestibule… Murmura-t-elle à l’intention de Chāyā lorsque Vladimir lui évoqua son grand projet.

Elle en avait vu l'ébauche, oui - et même si elle ne pouvait encore se remettre des relents de viande pourrie que cette satanée armure transportait partout, elle ne pouvait non plus lui retirer le génie de la démarche. Faible coût de production, reproductibilité… Un projet pharaonique dans l’essence mais miraculeux. Quoique.
Si le projet répondait à la force de frappe, quid de la Brume? Une poignée de ces soldats ne pourraient combattre que des hommes, la Malicieuse ne ferait que leur courir entre les doigts. Une armée de ces monstres, une infinité de balises ne pourrait jamais anéantir la Malice. Seulement la contenir. Pendant qu’elle ronge son frein pour mieux frapper. Opale était déjà marqué d’un X rouge, et ils étaient logiquement les prochains sur son chemin.


Mais le grand Baron finit par faire volteface. Par se retourner, faire un pas vers elles. Un pas contraint, un pas nauséabond. Un pas qui ne sonnait que comme le glas d’un malheur. Mais un pas.
La porte glissa doucement au bout de ses doigts, refermant l’espace autour d’eux comme une bulle imperméable. Et en se retournant vers la panthère obscure puis vers le grand méchant loup, elle perçut un instant ses yeux perclus d’orage. La foudre des combattants. Les gerbes des retords. Un sourire naissait déjà à la commissure de ses lèvres - il la haïssait peut-être en cet instant, mais elle ne voulait rien voir de moins que ça: cette foudre était la foudre des lauriers.

Porte fermée, l’ambassadrice disparaît, caressant les murs à la recherche du fil d’Ariane qui les sortirait des remous.
Il les mettait devant un amer constat: tout était à faire. Le vent du changement tardait à souffler, les mines de Xandrie étaient encore enchaînées au destin des exploitants Opalins qui n’en avait qu’après le myste. Le myste et les astras, au détriment de tant d’âmes qui s’usent au fond des mines. Le roi s’enrichissait encore de ces marchandages dégoûtants, préférant engraisser sagement sur son fauteuil molletonné plutôt que de rendre à ceux qui le méritent. Mais derrière ce système trônait un monstre froid, avide, qui avait enfanté Vladimir en personne. Ou l’inverse, pour ce qu’elle en savait.

Le magistère… Le mot, lui-même, convoquait des frissons, de longues sueurs froides qui coulaient à la surface de sa peau pour couvrir chaque centimètre de peau d’une chair de poule visible. Un ennemi que personne ne voudrait se faire, non. Même la Brume le redoutait, autant qu’ils redoutaient la Brume. Alors eux, Xandriens, que pouvaient-ils bien faire contre ça?
Elle s’arrêta devant une statut - petite, en bois noble, une salamandre semblable à Huang-Long, gueule ouverte sur le néans, crocs dehors, prête à mordre la première menace venue. Elle n’était pas faible, mais dominante. Elle n’était pas passive, mais acharnée. Elle n’était pas esclave…

Pour échapper au Magistère… Il nous suffit de rivaliser. Murmura-t-elle, sa pulpe de ses doigts caressant la gueule ouverte du dragon, s’attardant sur ses dents prêtes à mordre. Sa voix douce laissait comprendre qu’elle pensait à voix haute plus qu’elle ne répondait à quiconque. Des dessins dangereux germaient dans son esprit. Et ne pas nous faire prendre.

L’heure était venue de briser ces chaînes qui les maintenaient captifs, tous. Xandrie, monétaristes, magistère. Et prétendre pouvoir s’en sortir sans prendre de risques était une utopie. La victoire ne viendrait qu’en dansant avec le danger.
Après tout, une vie sans aventure était une vie gâchée, non?

Après tout, vous êtes notre homme, Vladimir. Elle se retourna vers eux. L’heure était aux plans. Si vous étiez au service du Magistère… Alors pourquoi ne pas viser sa tête? Vous avez le génie pour. Il vous suffit juste d’avoir le terrain pour préparer votre entrée. Et nous pourrions bien vous fournir ce terrain.

Ces yeux cherchaient Chāyā, la toisaient secrètement, cherchant la ligne à ne pas franchir, la limite à imposer. La cheffe de leur ordre qui tirait avec une si subtile adresse toutes les ficelles. La sagesse derrière les ambitions brûlantes de la première Fà - à moins qu’elle ne fut, depuis le tout début, le carburant qui ne faisait que raviver le feu.
Mar 23 Juil - 18:52



Aren't you afraid ?

You should be.


La Brume n'est pas un problème.

Fallait-il être fou ou stupide pour dire pareille insanité ? Non. Il fallait être lui. De ces âmes insensibles, prêtes à se transformer, à s'avilir, à se maudire et à souiller ce monde. Pour la science. Pour le progrès. Pour le frisson de l’aliénation.

Il était comme elle.
Comme la Brume.

Il avalerait tout sur son passage, si cela pouvait lui permettre de franchir une nouvelle frontière, d'écrire une nouvelle page sur le grimoire des connaissances uhroises.

Pour atteindre ses objectifs,
il engendrerait des monstres.

La nausée agrippe la gorge de la caravanière. Elle sait.

La Brume a ses limites.
En a-t-il, lui ?

Le rubis s'en va se poser sur une scène de guerre. Une autre. Déployée en triptyque sur le paravent non loin. Elle doit juguler ce haut-le-cœur et le feu qui s'éveille sous sa peau alors que siffle le serpent. Il sait. Dit-il. Mieux. Évidemment. Elles ne sont que deux jolies poupées de porcelaine, jouant à la dinette avec des couteaux en argent. Lui aura vécu, aura vu, aura dévoré, plus qu'elles ne pourraient même rêver, ou prétendre. Ce n'est pas un problème. C'est très exactement l'effet escompteé Le laisser les sous-estimer, les toiser. Jusqu'au moment propice pour frapper.

Frapper fort.

Elle en rêve. De ce couteau en argent. Ouvrir jusqu'à ce coeur ratatiné. L'y trouverait-elle ?

Il menace, à couvert de son organisation. Si Xandrie se prenait à rêver, le Magistère viendrait jouer les croquemitaines. Des accidents fortuits.

Ils peuvent se produire en Opale aussi..
N'est-ce pas ?

Mais le Treizième Cercle n'était déjà plus qu'un vague souvenir. Ils avaient joué leur partition. Et le chef d'orchestre avait d'autres projets. La panthère tâche de garder ses griffes bien rangées, ses oreilles sont des armes plus redoutables. Ainsi, laissait-il trainer en savoir davantage ? Devin ou complotiste ? À quel niveau d'information avait accès ce cher docteur ? Pensait-il que le Mandebrume trouverait en Zénobie des acteurs plus intéressants que ses adorateurs ?

Pensait-il pouvoir lui faire face seul ?
Avec sa propre armée de monstres ?

Chāyā voudrait se servir une nouvelle tasse de thé. Elle avait besoin de se désaltérer. Cet homme avait un don pour assécher tout ce qu'il touchait, même des yeux.

Avait-elle vraiment besoin de lui ?

La précieuse technologie de transformation du myste. Elle était déjà en sa possession. Enfermée dans un livre de la bibliothèque de l'Omniscient. À portée de main. Pour peu qu'on lui accorde un peu de temps. Cela ne devrait pas être si difficile à trouver, elle était là, sur toutes les langues. Même morcelée, elle pourrait la trouver. La recomposer. La mettre entre les mains du reste du monde. Une lettre glissée dans la bonne boîte, un relai épistote et elle serait imprimée, publiée, dévoilée. Le Magistère dépouillé. Qui irait-il anéantir ? Toutes les imprimeries d'Uhr ? Ou chercherait-il les coupables dans ses rangs ?

La connaissance.
C'est le Pouvoir.

Elle n'avait pas besoin d'arpenter les couloirs du Magistère pour le détruire.

Le feu glisse, derrière ses prunelles. Serpent plus insidieux encore que ne l'était l'opalin. Elle doit faire attention, à ses propres pensées. Ne pas oublier qui elle est. Dessiner la limite, de ce qu'elle n'est pas. Alors elle prend une lente inspiration, laissant Lan-Lan occuper le devant de la scène, le temps de chasser la mélodie mégalomaniaque qui murmure à son oreille.

Reprendre depuis le début.

Et se rappeler, pourquoi elle avait besoin de lui.
En dépit du dégout qu'il inspirait si volontiers.

- Je ne connais sans doute pas la Brume aussi bien que vous. Ni les plans du Mandebrume. Ou ce que la route vers Zénobie ouvrira comme perspective à notre civilisation. Je sais cependant que ceux qui nous ont précédés sur ce continent avaient une technologie bien supérieure à celle du Magistère, ou d'Epistopoli. Et qu'ils sont morts.

Par la Brume.

Il y avait des limites aussi, à l'arrogance.

La dirigeante des monétaristes se lève enfin, se tourne plus franchement vers le Baron. L'aramilane au fond d'elle haïssait profondément tout ce qu'il représentait. Tout ce qu'il exhalait. Mais elle n'était pas ici pour l'aimer. Elle était ici parce qu'elle n'était pas aussi arrogante que lui et que, dans le combat qui s'annonçait, elle savait devoir s'allier avec des monstres.

- Cette chaine alimentaire sera bientôt brisée. Que vous le vouliez ou non. Le Magistère aura bon dos de venir anéantir sa principale source de myste. Laissez-moi vous expliquer les choses aussi clairement que vous avez eu l'amabilité de le faire.

Elle fit un pas dans sa direction. Elle n'en ferait pas deux.

- Lorsque la Révolution éclatera en Xandrie, et elle le fera bientôt soyez-en certain, les mineurs se joindront massivement à elle. Les mines seront à l'arrêt. Opale sans lumière et le Magistère avec elle. Avez-vous vraiment de quoi survivre, sans le myste xandrien ? Pour combien de temps ? Opale viendrait-elle mettre ses hommes et ses armes au service du Roi ? Quels hommes exactement ? Alors que la Brume envahit vos côtes.

Pion noir sur case blanche.

- Mettons maintenant que la Révolution l'emporte. Après des années d'esclavagisme moderne, pensez-vous que les xandriens, que la Révolution, que le Peuple, veuillent encore se saigner pour Opale ? Le Magistère viendra-t-il annexer notre territoire ? Pensez-vous un seul instant que les xandriens se laisseront faire, qu'Opale a de quoi sacrifier de nouvelles vies ? Puis, la Révolution au pouvoir et les petites affaires du Roi démantelées, Opale ne sera bientôt plus la seule alternative pour Xandrie.

Aramila n'en était certes pas une. Pas encore. Mais que ferait Opale, si Epistopoli venait mettre ses petites pattes de myriapode sur le territoire xandrien ? Une fois la chaine brisée, Epistopoli aurait tout à gagner à ouvrir une alliance commerciale avec sa voisine, damant le pion à Opale sans se mouiller, la Révolution aura fait le travail. Et si l'alliance n'était pas que commerciale.. Opale, pauvre Opale, que ferait-elle ? Seule face à la brume. Son brave Magistère privé de myste. Risquerait-elle une guerre ouverte ? Avec quelles forces ? Face à Xandrie, face à Epistopoli ?

Le rubis plonge dans le regard sanguin.

- Nous ne sommes pas des prédatrices, monsieur Von Arendt, nous sommes une opportunité. Une alternative. Sous notre protection, vous pourrez continuer à avoir accès au myste xandrien et la liberté de travailler sans laisse. Cette proposition n'est pas désintéressée, évidemment, mais c'est une main tendue en votre direction. À vous de décider, si vous voulez la mordre comme un chien rabide ou vous en saisir, comme un homme.

Quelles que soient ses ambitions au sein du Magistère, avait-il le loisir de se priver du myste pour ses projets ? Quand bien même se désintéresserait-il du sort d'Opale ou de l'approvisionnement du Magistère. Avait-il le temps pour des pénuries ? Et si la pénurie devait être définitive ?

Ne pas choisir. C'était déjà condamner une porte. Reculer, partir, c'était assurer ses arrières. Avancer, c'était prendre un risque.. mais avancer.

Pour atteindre tes objectifs,
à quel pacte ignoble es-tu prête ?
Enfant des abîmes.