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Rien qu'un verre [Tlaxheel]

Rien qu'un verre [Tlaxheel] Brandw10
Mer 5 Oct - 19:46
Il y avait des choses qu’on ne pouvait expliquer. En se levant ce matin, Artémis ressentit le besoin viscéral de se rendre en ville et boire une bonne chope de bière. Peut-être la longue période sans rencontrer personne, le manque d’alcool qu’il éviter de consommer seul… Pour l’occasion, il avait accumulé une certaine quantité de peau des bêtes chassées pour sa survie. Le vagabond ne tuait pas par plaisir ou pour participer à cette production de masse. Mais quand il avait de belles peaux à disposition, il n’hésitait pas à les vendre pour profiter des belles activités d’Opale. Vêtu de sa combinaison qui le faisait passer pour un membre de la guilde des aventuriers, il portait à son dos à grand paquetage de peaux. Ainsi, il quitta sa grotte pour se rendre dans la ville.

***


Rapidement, après une bonne heure de marche à penser de choses diverses et variées, l’ermite entendait le bruit de civilisation. Il décida de passer par les côtes d’Opale, qui rallongèrent sa marche, mais il y croisa de nombreux commerçant qui préféraient contourner la forêt pour se rendre à Aramila ou Epistoli. Le temps n’était pas très clément et les conditions de voyage difficiles. Un homme aussi robuste qu’Artémis n’y prêtait guère attention, tout comme ces commerçants aguerris et leurs montures expérimentées des caprices météorologiques. Au contraire, le chevalier noir appréciait ces gifles qu’il se prenait. Un véritable bonheur pour lui qui était reculé dans les ténèbres des bois.

***


Opale. Pour une raison qu’il ignorait encore, chacun de ses passages ici semblait lui rappeler quelque chose, provoquant les colères de la Nebula qui s’agitait. Cela se manifestait sous forme de migraines. Pourquoi t’agiter ainsi, pauvre fou ? Nous allons boire et manger, pensa le solitaire en appuyant sur sa tempe douloureuse. Une fois les migraines passées, du moins atténuées, il se rendit aussitôt à l’étable d’un commerçant de peau. Il achetait les peaux pour les revendre à de grandes entreprises de textile. Autant dire que seuls les plus aisés pourront en profiter. S’il désirait réellement s’enrichir, Artémis monterait son propre commerce et vendrait ses prises directement aux entreprises, afin d’augmenter le butin. Il gardait cette idée dans un coin de sa tête mais ne semblait pas avoir besoin davantage. Les négociations furent rapides, Artémis prit son butin et partit aussi vite qu’il était arrivé.

***


Cette odeur de viande cuite sur feu de bois me fait toujours autant saliver, songea le vagabond en franchissant le seuil de l’établissement. Une vieille auberge, simple, rustique, dans les bas quartiers d’Opale. Ici, on trouvait des truands, des mercenaires, des aventuriers, que des bons vivants en somme. Artémis appréciait cet endroit car les bas prix lui offraient la possibilité de manger et boire en abondance après chacune de ses ventes. La deuxième raison, probablement la plus importante, était qu’il pouvait garder sa combinaison sans être trop jugé par les autres visiteurs qui, il fallait l’admettre, ne semblait pas plus fréquentable. En guise d’apéro, un jeune serveur lui servit une bonne chope de bière et un bon plateau de charcuterie. Voici la troisième. Ici, ils savaient recevoir les plus affamés du coin.
Jeu 6 Oct - 5:44
« Je comprends que tous ne soient pas artistiquement compétents. Que les yeux ne soient pas bien ouverts, les oreilles pas bien débouchées, et les esprits pas très réceptifs. Y’a pas de problème. Je comprends. Mais essaie de faire un effort. »

Son sujet d’étude ne lui répondit pas, se contentant de le dévisager de ses grands yeux de poisson. Cela faisait un moment déjà, un moment beaucoup trop long d’ailleurs, que le saraph peinait à trouver l’inspiration. Que lorsque ses mains se saisissaient des outils, et meurtrissaient avec amour la pierre, il ne produisait rien qui ne lui plaise réellement. Certes, on se répandait souvent en éloge devant ses créations. La dernière, qu’il avait affectueusement nommée Xualtopec devant la Machine avait fait parler d’elle. En bien. Il s’en foutait. Les ahuris de l’endroit étaient autant capables de juger ses productions que d’égaler son talent. Il considéra un instant la personne qui prenait la pose, se demandant si elle avait besoin d’être de nouveau motivée. Elle n’avait que très peu apprécié ses précédents encouragements, mais au moins s’était montrée plus coopérative. Jusqu’à ce que la lassitude et la fatigue reprennent le pas.

« Bon, continua-t-il sur un ton las. Je te demande de transcender ce que tu es. C’est le principe de toute sculpture, mais en plus, là, c’est le thème principal de l’œuvre. Tu comprends ? Sans doute pas. C’est important que tu comprennes. Sinon ça va pas marcher, et ni toi ni moi on veut ça. Ouais. »

Il réessaya une fois de plus. Posa son ciseau. S’approcha de son interlocuteur. Passa ses mains sur sa peau humide de sueur, huma les odeurs acres qui montaient de son corps, gouta les effluves, tenta de voir quelle position pouvait par sa seule existence représenter les grands courants contraires qui tempêtaient en ce moment dans le for intérieur de son modèle. Il redressa un bras. Plus tendu. Il marqua la courbure du dos. Plus imprimée. Il fit ressortir un genou, ignorant le glapissement de douleur provoqué par l’articulation mise à mal. Il fit quelques pas en arrière. Ca n’allait toujours pas. Ce n’était pas bon. Ca ne pouvait pas être bon. Il ne voyait pas comment il pouvait rendre ça bon. Frustré, il se passa une main sur le visage, une fois, puis deux, puis trois, énergiquement puis violemment jusqu’à ce que la sensation de brûlure provoquée par le frottement du cuir l’ait complètement sorti de son état de semi-léthargie.

Il s’en retourna vers sa statue, et se saisit de son outil. Il l’envoya se ficher entre les deux yeux de l’insuffisant animal qu’il avait voulu rendre immortel. Il avait besoin de se détendre, et de sortir. Le bruit de l’os qui se pliait sous l’intrusion du métal ne serait pas suffisant pour apaiser sa tension.

Il voulut éviter, sans grande surprise, les restaurants les plus élégants. Il y avait ses entrées, et appréciait lorsque les astres de son ciel consentaient à s’aligner leur atmosphère raffinée. Mais ils servaient à prolonger sa bonne humeur, à la sublimer et à l’agrandir. Pas à dissiper cet état de rancune maussade et mauvaise qui gangrenait en ce moment ses pensées. Non. Il lui fallait, ce soir, quelque chose de plus charnu. Quelque chose de plus primaire. Il se dirigea vers les quartiers les plus populaires, errant quelques minutes avant de jeter son dévolu dans une taverne souvent fréquentée par les éléments les plus vivaces de la ville. Lui-même, en tant que figure centrale du mercenariat Opalin (autant que continental), y avait ses entrées, bien qu’il ne soit pas forcément attendu qu’un individu de son statut daigne la bénir de ses bonnes grâces. Mais Tlaxlheel se voulait accessible et bonhomme. Quelqu’un à qui on pouvait parler, et se confier. Quelqu’un d’affable et d’accorte. Il poussa la porte, et salua la compagnie d’un geste de la main. Certains se tendirent, et il vit dans les regards passer des lueurs interrogatives. D’autres réfléchirent, et tentèrent de se rappeler s’il était possible qu’ils se soient commis dans une affaire ou une autre, et que sa présence ici en soit ainsi justifiée. D’autres enfin levèrent leurs verres ou leurs chapeaux. Tout cela ne dura guère longtemps, et le saraph balaya rapidement la salle du regard, passa en revue ses occupants. Il n’était là que pour se détendre, et s’il reconnut bien une ou deux personnes à qui il avait des choses à dire, il mit tout cela entre parenthèses. Il n’avait rien contre le fait de marier travail et plaisir, mais pas ce soir. Pas maintenant. Il avait trop les crocs pour ça.

Repérant rapidement quelqu’un qui lui sembla à même de l’apaiser, il se dirigea vers lui, et fit un signe rapide au serveur. Ce dernier, un petit humain aux membres grêles et à la gueule rongée par de mauvaises cicatrices d’acné, comprit le message, et lui apporta rapidement de quoi se remplir le ventre. Le saraph, en attendant, s’installa auprès du curieux individu, jetant un rapide à son déguisement. Il mettait en valeur une musculature impressionnante pour un humain. Il aurait aimé pouvoir le voir bouger, et observer comment le matériau épousait ses formes. Il se questionna un instant sur l’utilité de sa tenue. Etait-ce une nouvelle invention salace des oisifs d’Opale ? Il en doutait. Le type ne ressemblait pas à une pièce de viande dont la fonction première aurait été d’utiliser sa bite. Ou son cul.

« Tlaxlheel, fit le saraph en guise de présentation. C’est mon nom. Et toi ? »

Il n’était pas sûr de pouvoir bien le comprendre. Comme pour son apparence, il allait avoir besoin d’un peu plus de temps pour séparer ce qui relevait du spectacle et ce qui était vrai. Au moins cela lui permettrait-il d’oublier la cruelle déception précédente.


Dernière édition par Tlaxlheel Azcalxotil le Sam 8 Oct - 8:04, édité 1 fois
Ven 7 Oct - 19:54
Quand Artémis vit l’imposante carcasse s’installer en-face de lui, il se rappela avoir levé les yeux aussi haut que possible pour identifier le visage de l’individu. Les cornes ne laissèrent peu de doutes : un Saraph. L’apparence du vagabond en avait déjà effrayé quelques-uns, mais celle du démon rougeâtre eut un plus grand succès. Le connaissait-il ? Probablement. Il semblait ici comme chez lui. Un physique impressionnant, une musculature à en rendre l’homme costumé jaloux, mais un semblant de malice s’affichait sur son visage. Ses défenses l’empêchaient certes de complètement fermer la bouche, sauf qu’on ressentait une certaine intelligence dans sa posture et ses manières de faire. En fait, il était difficile de cerner ces êtes belliqueux. Curieux de nature, Artémis avait lu de nombreuses choses à leur sujet, sans jamais n’avoir eu la chance d’en rencontrer un.

Thlaxheel, hein, songea l’ermite. Cela ne lui disait absolument rien. Il pourrait être une célébrité, il aurait échappé à cet humain vivant reculé de la société par peur d’être dangereux pour les siens. « Enchanté. », fit-il simplement en laissant un certain temps avant de reprendre. « Moi, c’est Artémis. » Il l’invita à se servir dans sa planche de charcuterie. Un saraph devait certainement manger pour dix, alors il allait certainement regretter ce choix, mais la chope de bière le mit de bonne humeur. « Au moins, je serai tranquille si tu décides de rester à cette table. »

« Deux autres chopes, mon seigneur. », dit-il de bon cœur au tavernier qui, surprit, ne put s’empêcher de sourire. Il n’avait probablement l’habitude d’être abordé avec tant de gentillesse. « Si je m’attendais à tomber sur un saraph, je me serais peut-être davantage préparé à rencontrer la mort en personne. T’es du coin ? » Entre la bière et la faible probabilité de rencontrer une telle rareté, la langue du solitaire se délia et n’hésita pas à continuer la discussion avec cet inconnu pas comme les attendre, intéressant, au point d’en oublier la faim qui le rongeait jusqu’ici.
Sam 8 Oct - 8:36
Le gars semblait bavard. Un bon bavard, et un bon vivant. Il aurait pu tomber sur pire, et cela lui faisait presque oublier l’extravagance de son costume moulant. Porter son sous-vêtement par-dessus son pantalon semblait particulièrement original. Il considéra une fois de plus la possibilité d’avoir en face de lui un échappé d’un des endroits les plus exclusifs de la cité, avant de refouler définitivement cette théorie. Il ne sentait pas comme l’un de ces gens. Il ne portait pas sur lui l’odeur des étoffes précieuses et des alcools délicats, et encore moins celle des parfums offerts par les grands noms. Tlaxlheel, en vérité, n’était pas totalement certain de ce qu’il sentait. Il ne reniflait pas l’odeur d’un travailleur des bas quartiers, reconnaissable au sillage azoté qu’il laissait sur son passage. Il ne sentait pas le noble, et ne sentait pas non plus exactement le mercenaire. Curieux. Peut-être était-ce l’atmosphère de l’établissement qui perturbait son nez. Il en doutait. Il avait toujours le nez creux, lorsqu’il s’agissait de renifler les bons plans. Il planta une griffe négligente dans la tranche de viande qu’on venait de lui présenter en tribut, l’observa brièvement, avant de l’avaler. Trop peu poivrée. Trop peu relevée. Mais une offrande était une offrande, et il fallait bien reconnaître que le brave gars faisait les efforts qu’on pouvait attendre de lui. Il hocha de la tête dans sa direction, et le laissa terminer.

« Aucun saraph n’est du coin, tu sais, fit-il sur un ton neutre. »

Il se retint d’ajouter qu’en tout cas, aucun saraph respectable ne l’était, et il considéra le repas que le serveur venait de lui présenter. Acceptable, là aussi. Il hocha de la tête dans sa direction, et entama son festin, dédaignant les couverts présentés, trop petits pour ses mains, et déploya un cran d’arrêt qu’il mania comme lame et pique à la fois.

« Mais ouais, j’habite ici, reprit-il d’une voix plus légère. Ca m’étonne que tu m’reconnaisses pas, y’a pas beaucoup de saraphs qui dirigent des compagnies. Et ce genre d’établissement, ça sert plutôt des gens qui sont dans l’métier. Qui connaissent ce genre de chose. T’inquiète pas, c’est ok, c’est même raffraichissant. Du coup, toi, t’es du coin ? T’fais quoi dans la vie ? »

Il considéra un moment le morceau de viande. Il était trop mou, parce qu’il avait mijoté trop longtemps, et la sauce qui l’imprégnait manquait de quelque chose. Ce n’était pas mauvais, en soi, et c’était exactement ce qu’il était venu chercher ici. Quelque chose capable de lui remplir un peu le ventre, sans pour autant complètement l’empêcher d’accueillir encore d’autre mets. Quelque chose de mangeable, mais de juste suffisamment comestible pour lui faire se souvenir qu’il existait dans le monde des quartiers bien plus consistants, bien plus savoureux. Il repensa à sa tentative précédente, et se demanda ce qui avait pu lui manquer. Le courant, visiblement, n’était pas passé. Lui et son modèle ne s’étaient pas entendus. C’était souvent là toute la difficulté : ils parlaient la même langue, mais leurs langages étaient fondamentalement différents. Quand Tlaxlheel ouvrait la bouche, et dévoilait des crocs aiguisés et solides, il montrait ce qu’il était.

Quand les ruminants faisaient pareil, pour essayer de se tromper sur leur état profond d’herbivore, la démarche était toute autre. Les autochtones n’étaient jamais aussi beaux que lorsque quelque chose venait transcender cette nature profonde, lui permettre de s’exprimer et de faire oublier qu’elle était en fait sans grand intérêt. Ni laide, ni belle. Quelconque. Comme un petit corps qui luttait contre ce qu’il était, le tissu serré tendu sur des muscles serrés tendus sur des articulations serrées tendues sur un squelette serré. C’était dans les entrailles, qu’il faudrait fouiller. Dans les tripes. Il mastiqua précautionneusement. Des clous de girofles ! beugla-t-il intérieurement. C’était ce qu’il manquait au ragout. De nouveau capable d’être pleinement attentif, il attendit une réponse de son nouveau super pote Artémis.
Dim 9 Oct - 0:17
« Ouais, c’est pas faux. », rétorqua simplement le vagabond. Une espèce rare et qui ne restait jamais dans son lieu de naissance. D’après des lectures de jeunesse, les saraphs partaient très tôt à l’aventure. Seuls. Alors, Artémis le croyait sur parole quand il disait qu’aucun saraph n’était du coin. Ces êtres n’étaient que de bons aventuriers, des dominateurs, incapables de vivre entre eux. Deux dictateurs ne pourraient cohabiter.

Le vagabond comprit rapidement que ce dernier était à la tête d’un commerce très lucratif, sanglant, qui expliquait les réactions de certaines personnes encore présentes ici. Elles avaient peut-être des saraphs de manière générale, mais plus particulièrement celui-ci avec qui elles faisaient affaire. Artémis les plaignait. Paix à leurs âmes, pensa-t-il. « N’y vois aucune insulte à ton égard, mon vieux. Ni même du désintéressement. », fit l’ermite avant de boire une gorgée de sa chope. Il n’était cependant pas sûr de savoir quel genre de compagnie dirigeait son nouvel ami.

« Si je suis du coin... », dit l’homme masqué, dans le vide. Question bien difficile. « Pas de la capitale. » Ses idées étaient simplement confuses. Il était certain d’y avoir habité sans réellement en avoir de souvenir. « J’habite dans la colline aux corneilles, à l’abri des regards et à proximité de l’Alrès. » Artémis ignorait si la géographie locale était familière au chef de compagnie, mais il ne pouvait pas faire mieux. « Si l’envie te vient de chasser, de voir un peu verdure et manger de la bonne viande, tu es le bienvenu. »

Avant d’enchaîner, on leur servit de bons morceaux de viande rouge, saignante, comme il les aimait. Difficile de savoir si Tlaxheel appréciait ces mets. Un personnage si puissant, aussi bien physiquement que financièrement, devait jouir des plus prestigieuses tables opaliennes. Artémis, lui, appréciait les plats généreux servis ici. De la viande pure bœuf. Il n’y en avait pas dans la forêt, alors il en profitait à chaque fois qu’il passait sur Opale. Une bonne entrecôte et du gros sel. Des pommes de terre pour garnir le tout. C’était simple mais copieux. Il salivait intérieurement.

« Je survis. Simplement. Je vis reculé du monde, alors je n’ai pas vraiment de job comme n’importe quel individu présent ici. Alors je survis, je chasse, je prends ce que m’offre la nature. Parfois, je me retrouve dans de drôles d’aventures, mais je peux profiter d’une certaine tranquillité. C’est pour cette raison que je ne te connais même pas de nom. »

Il coupa soigneusement un premier morceau qu’il entraîna dans sa bouche. Il jeta un léger coup d’œil en direction des regards insistants. « Tu bosses avec certains de ces types ? », fit-il d’un geste de la tête dirigé vers quelques types, le tout en mâchant son morceau de viande. « Ils ne sont pas très discrets. J’ai du mal à savoir si c’est de la passion, de la peur ou de la colère. Peut-être les trois en même temps. »
Ven 14 Oct - 8:07
Il aimait bien ce gars. C’était un goret à la peau rose, certes, comme tous ceux d’ici. Mais c’était un goret qui semblait moins vouloir se ruer sur les restes végétaux qui pourrissaient au sol, et qui vaguement se rappelait qu’un jour, ses ancêtres avaient eu des fourrures drues, et des défenses crochues et des groins fouisseurs. Il ne grognait pas, et ne chargeait pas, mais Tlaxlheel commençait doucement à le voir, à le voir réellement. Il voyait dans la manière qu’il avait d’être et de questionner, et ses réactions originales. Il voyait dans la combinaison qui ne lui semblait plus sexuelle, mais une deuxième peau. Il voyait dans son invitation. L’autre venait de lui demander de venir chez lui. De chasser. De bouffer de la bidoche. Sans doute ne comprenait-il pas réellement le sens que ces mots prenaient aux oreilles du saraph. Tlaxlheel ne voyait pas dans ses entrailles. Il ne pouvait pas y plonger ses mains et en défaire les nœuds et apprendre ce qui s’y trouvait, et voir. Voir. Il plongea de nouveau son couteau dans sa nourriture. La préparation camouflait bien l’odeur et la couleur de la chair, et la lame de son ustensile séparait les fibres amollies avec une indécente facilité. Son compagnon semblait préféré la bidoche bien saignante. Plus résistante.

Il mâchonna distraitement, et le laissa terminer. Ca aussi, c’était bien : le type parlait tout seul, et continuait. Il avait trop l’habitude des petits bipèdes qui s’inventaient des accents ombrageux et des regards rétifs, et qui se refusaient à l’examen. Pas lui. Il semblait ravi de bavarder, peut-être parce qu’il avait très peu l’occasion de le faire, planqué dans son coin de montagne, obligé de respirer la résine et les proies équarries sur leurs chevalets. La résine, c’était pas mal. Ca aurait complété avantageusement le plat, aussi. Et ça brûlait facilement, mais ça n’avait pas de rapport avec ce qui le préoccupait en ce moment. Son nouveau super pote désigna ensuite l’assemblée des gars autour d’eux, et lui demanda s’il travaillait avec. Tlaxlheel se retourna, son torse et son cou pivotant à droite, puis à gauche, pour bien prendre la mesure des gens de la salle, alors que ses doigts distraits faisaient tourner le couteau entre ses phalanges. Plusieurs gouttes de sauce vinrent décorer le sol. Il renifla, une fois, puis grogna, deux fois, avant de se retourner vers Artémis, satisfait de son examen.

« Nan. J’les connais pas. Et j’dois t’avouer qu’j’ai pas super envie de changer ça. C’quoi l’expression ? On n’a pas le même genre de cornes ? Nan. On joue pas dans la même cour. Ouais. Voilà. Un truc du genre en tout cas. Mais tu vois. »

Il marqua une courte pause, fit mine de réfléchir, retint un rot retentissant, et continua sur un ton plus complice :

« Ils ont pas franchement l’air de pros, en vrai. Ils sentent le lait, l’herbe rase et l’indécision. J’irais pas m’associer avec ce genre de type. »

Non pas que ses gars soient tous fraichement rasés et propriétaires de regards durs et inflexibles. Mais ils étaient compétents. Vicieux. Efficaces. Il savait les recruter, et plus important, les former. Et maintenant, la machine sur laquelle il avait posé son auguste cul fonctionnait toute seule, les générations antérieures formant les générations suivantes. Il fallait juste mettre un ou deux coups, de temps en temps. Pour corriger le cap. Pour rappeler sa présence.

« Quoi, comme genre d’aventure ? J’veux dire, j’aime bien ton costume. Mais c’pas un costume de forestier, quoi. Au début j’ai cru que c’était un justaucorps fétichiste, ou un truc du genre. Mais je peux apprécier le côté pratique de l’outil, s’empressa-t-il d’ajouter. Mais c’pas un costume de forestier. C’est le costume d’un gars qui vit des aventures particulières. »

C’était le costume de quelqu’un qui voulait faire de son apprendre toute entière un message. Tlaxlheel pouvait le reconnaître facilement : le sien avait une fonction très similaire. Il se demanda simplement s’il avait été trop direct. Le type avait l’air ouvert, et on ne portait pas ce genre d’habit, encore une fois, si on ne voulait pas faire passer un message. Si on ne voulait pas que ce message soit très visible. C’était un habit de gueulard, et il fallait simplement comprendre ce qu’il gueulait. Ce ne serait sans doute pas bien dur. Il fit signe au serveur de le resservir. Il avait encore faim.


Dernière édition par Tlaxlheel Azcalxotil le Sam 15 Oct - 12:07, édité 1 fois
Ven 14 Oct - 22:39
Il ne les connaît pas, pensa le vagabond. En tout cas, eux, le connaissent bien. Il fut assez étonné de voir le saraph humer ces messieurs. Sans doute avait-il fait la même chose pour lui. À l’odeur, il était capable de décrire une personne, sa fiabilité, son portrait psychologique. Artémis, lui, ne sentait que la viande cuite et les chopes de bière. Savoir si untel et untel étaient de bonnes personnes était un don réservé à d’autres que lui. Il coupa un morceau de son entrecôte qu’il accompagna d’une pomme de terre en écoutant les différents échos qui lui parvenaient. Des histoires de malfrat. Des histoires de citadins. Rien qui ne l’intéressait. Les récits opaliens, aussi bien la criminalité que la politique, ennuyaient profondément cet homme reclus de la société. Cependant, dès que ça touchait les politiques extérieurs, il tendait l’oreille. Raté pour ce soir. Il finit de mâcher pour enfin répondre à son ami du soir.

« De la traque aux bêtes, notamment. Je me contente des espèces communes et les plus répandues, mais il m’arrive de tomber sur des espèces plus rares, plus dangereuses. J’évite autant que possible de tomber sur certaines légendes, celles décrites dans certains livres, de peur de perdre la vie inutilement. Non pas que la mort me fait peur, mais voyageant seul, je suis à peu près sûr de perdre un affrontement contre ces espèces légendaires. »

Il but une gorgée de sa chope pour aider à descendre ce qu’il venait d’avaler. Il se laissa partir dans ses explications, le sujet l’intéressait et peut-être que le saraph détenait des informations à ce sujet. Après tout, sa longévité de vie permettait de voir nombre de choses, de vivre moult aventures…

« Je sais qu’elles existent. Une fois, j’étais sur les traces d’une Bukavae… Oui, je sais, complètement suicidaire. Bref, j’étais sur ses traces, tout proche, puisque je venais de tomber dans un village qu’il avait en partie décimé. Il n’était plus très loin. Il digérait probablement son festin. Mais, alors que je continuais mes recherches sans relâche, je me retrouvais enfin face à lui, à une dizaine de mètres. Complètement éventré, mort. Nous étions dans la brume, dans le Dainsbourg. J’ai entendu un hurlement terrifiant et je me suis enfui. »

Le vagabond frissonna au récit de son histoire. Chacune des sensations ressenties lui parcourait le corps le temps d’un instant.

« Les forêts sont dangereuses. Mais pas uniquement. Que ce soit en mer ou en montagne, j’ai rencontré des monstruosités sur n’importe quelle surface, n’importe quelle météo. Nous vivons dans un monde fort dangereux. Alors, ces histoires de politicards, avec tout le respect que je leur dois, à savoir aucun, je m’en cogne un peu. »

La messe étant maintenant dite, il se coupa un nouveau morceau qu’il avala d’une traite. L’alcool agissait bien.
Dim 16 Oct - 11:57
L’autre ne répondait pas à ses questions. Pas à toutes, en tout cas, et c’était déjà là une réponse en soi. Certes, Tlaxlheel pouvait comprendre que ses interrogations sur son costume et sa propre expérience n’avaient pas été formulées de manière explicite. Mais tout de même. Le gars évitait soigneusement de causer de son accoutrement, et semblait plus heureux de trancher dans sa portion de viande et de mâchouiller que de faire des efforts. C’était pas super. Le saraph, lui, en faisait, et beaucoup. Il était une merveille de sympathie, un grand sourire diurne illuminant sa belle face, ses deux grosses défenses lustrées encadrant des paroles mesurées et amicales. Mais c’était pas grave. Il savait qu’il ne fallait pas trop en attendre. Il fallait être patient. Gentil. Détendu, quoi. Ca ne semblait pas spécialement être le cas de l’autre, qui décida d’improviser après lui avoir parlé d’une de ses débâcles des enseignements qu’il en avait tiré. Le monde était dangereux, lui expliqua-t-il. Cette luminescence époustouflante ne suscita chez le saraph attablé aucune réaction, sinon un bref hochement de la tête. Puis, il parla des hommes politiques, et exprima son dédain pour cette caste.

Tlaxhleel n’était pas certain de suivre. Il savait sans l’ombre d’un doute que jamais cette personne ne s’était permise de manifester son mépris de manière aussi ouverte en présence d’un des politiciens en question. Ce n’était en vérité pas dur à déduire : il était encore en vie. Le respect, comme toute chose qui avait un tant soit peu de valeur, n’était pas du. Il était collecté. Amassé. Conquis. Seules les personnes les plus ignares, ou arrogantes, pensaient avoir un droit inaliénable à sa libre distribution. Il ne commenta pas plus. Cette attitude était rafraichissante, et surtout lui en apprenait plus encore sur son partenaire de discussion. Ce dernier, il en avait maintenant la curieuse impression, était en représentation. Ils l’étaient tous, certes, mais c’était, comme toujours, une question de degré. Le saraph n’était simplement pas encore certain de savoir pourquoi. Il ne voyait pas ce qu’il en retirait, il ne comprenait pas ce qui avait pu causer l’émergence d’un tel modèle, et cela l’intriguait.

Plusieurs possibilités se dessinaient dans son esprit. Il voyait le moyen de rejeter une partie de son identité, en lui superposant une image et des paroles fortes. Il voyait l’opportunité de combler un manque, ou d’entamer un travail de métamorphose. C’étaient là des visions tentantes et charnues, et il réprima un frisson qui menaça de faire vibrer ses doigts. Il avait maintenant lui-même dans l’esprit l’écho protéiforme de ce que lui renvoyait l’étrange humain, et il voulait le coucher sur la pierre. Non. Dans le métal. Le côté artificiel du matériau serait un rappel poignant, et le contraste entre la dureté du fer noir et celle de la psyché de l’autre serait merveilleux. Il fallait voir, maintenant, quelle position serait la plus évocatrice. Quelque chose de tendu. Quelque chose qui tendait. Il souffla légèrement, et répondit, tentant autant que possible de rester maître de soi :

« Tu as raison. Je ne sais pas si j’aurais un jugement si définitif sur les politicards en question, mais je te suis sans réserve sur le reste. Et puis, ce n’est pas fou que de suivre tes pulsions. »

Reprenant totalement le contrôle de son corps, il pianota distraitement, la corne épaisse de ses griffes marquant un rythme placide sur le bois fatigué de la table.

« Tu as failli mourir, et tu sais avoir eu de la chance. Mais tu es plus vivant depuis cette rencontre que tu ne l’as jamais été. J’ai remarqué que trop souvent, les races aux courtes vies se préoccupaient trop de la succession des jours, sans réellement chercher à tous les remplir. Ca ne semble pas être ton cas. Tu ressembles à un saraph, sur ce point. Et sur d’autres, aussi. Ca me rend curieux : tu cherches quelque chose en particulier, dans ta nature ? »

Sa main cessa son manège, glissa vers son verre, et l’enserra précautionneusement, avant d’en envoyer le contenu dans sa bouche. L’objectif n’était plus réellement d’obtenir des réponses à ses questions. Il savait qu’elles ne viendraient pas, mais il voulait en revanche voir comment l’homme allait réagir. Il devait gratter, maintenant, comme un gros porc sauvage aurait raclé le sol pour dénicher un cadavre bien juteux. Sa curiosité avait été excité, et Tlaxlheel entendait la voir satisfaite.

L'insatisfaction était le seul péché qu'il reconnaissait.
Mer 19 Oct - 0:13
Artémis sentait qu’il n’avait pas complètement assouvi la curiosité de son nouveau camarade. Sans doute faisait-il déjà l’effort, de son côté, d’être le plus sociable et honnête possible, alors cette demie-réponse pouvait certainement le vexer. Ce n’était pourtant pas contre lui. Le vagabond appréciait avoir ses petits secrets et il ne fallait pas s’en offusquer. Il apprécia néanmoins l’écoute attentive, bien qu’agitée par des petits gestes, de Tlaxheel. Ce dernier semblait même d’accord avec lui. Le saraph, tout comme le reclus, ne devait pas beaucoup s’intéresser aux politiques. Ils étaient dangereux et le mieux restait encore de les éviter. On pourrait le croire invincible, mais personne ne l’était réellement. Les technologies, le nombre de soldats armés et entraînés… Artémis ne voulait même pas pronostiquer le résultat d’un tel affrontement. Cela n’arriverait certainement pas. Malgré ses allures de brute, Tlaxheel était probablement le plus malin et le plus habile de tous les clients de cette taverne, le vagabond y comprit.

Quand le saraph mentionna le fait que dans une certaine mesure, Artémis ressemblait à ceux de son espèce, il en fut presque surpris. Fort heureusement, ce dernier n’avait pas encore mis en bouche le morceau de viande qu’il tenait au bout de sa fourchette. Lui, un être humain, ressembler à ces créatures exceptionnelles, relevait presque du compliment. L’ermite ayant toujours considéré que son espèce était la pire. Était-ce la raison de son exil ? En partie, peut-être. Mais il avait entièrement raison. Artémis se sentait plus vivant depuis ces aventures et savait apprécier sa vie à sa juste valeur, sans jamais se plaindre. Plus vivant que jamais, songea-t-il.

Cependant, la suite laissa le pauvre Artémis presque sans voix. Il resta stoïque, mâchouillant paisiblement sa tendre viande, réfléchissant à une réponse des plus respectables. Ce qu’il cherchait ? En voilà une bonne question. Le vagabond n’y avait lui-même pas réfléchi. Mais alors que des migraines le frappaient de nouveau, comme à chaque fois que la vérité lui revenait, il se rappela la raison pour laquelle il se mettait en danger.

« J’ai besoin de connaître certaines vérités. Les souvenirs de mon passé sont comme… bloqués. Je suis ce que l’on appelle un Portebrume, l’hôte qui héberge une nebula en lui. La mienne est bien capricieuse et ne semble pas vouloir m’accorder une once de paix. »

Il saisit sa chope avec délicatesse et la posa lentement sur ses lèvres avant d’engloutir une bonne rasade.

« En d’autres termes, durant mes périples, j’en profite pour obtenir des informations et contrôler ma nebula. A terme, je vais certainement y passer et être entièrement rongé par cette chose, mais je compte bien vivre le plus longtemps en possible en ayant le contrôle de mon esprit. C’est la première chose que je recherche. »

Dissimulé dans son masque, Artémis fronça les sourcils.

« Je me suis exilé pour éviter mon espèce, méprisable et dangereuse. Mais aussi parce que quelque chose m’attire à Opale sans que je puisse le comprendre. La seconde chose que je cherche, c’est mon passé. Qui suis-je ? D’où je viens ? Que m’est-il arrivé ? Je sais que des choses me sont restées, notamment des connaissances dans certains domaines, mais impossible de mettre une tête sur mes géniteurs, par exemple. Vous autres, les saraphs, n’accordaient que peu d’intérêt à ces choses… Ben moi aussi. Sauf que j’ai quand même envie de savoir. »

Cette fois-ci, il termina sa chope d’une traite.

« Et toi, que cherches-tu, Tlaxheel ? Ta vie est bien plus longue que la mienne. Tu as du temps. Trop de temps pour certains. Qu’est-ce qui t’anime ? »

Et cette fois-ci, c’était la curiosité du vagabond qui s’enflamma. Il avait le désir d’en apprendre davantage sur son camarade. Saraph et Humain, finalement, avaient bien plus en commun qu’ils ne le croyaient.
Mer 19 Oct - 11:38
Il s’était attendu à pas mal de choses. Beaucoup d’entre elles sans grand intérêt, et plus encore dépossédé de tout espoir de sortir de la banalité. Mais pas à ça. Il écouta attentivement, forçant ses yeux à ne pas se plisser, intimant à son expression de ne pas se tendre. Il ne fallait pas manifester trop rapidement une attention trop aigüe. Ce n’était pas rassurant, ce n’était pas productif, ce n’était pas bon jeu. Il le laissa finir, public fasciné et poli, et fit distraitement signe au serveur de lui rapporter à manger. Il n’était pas certain de ne pas l’avoir déjà fait, mais il préférait prendre ses précautions. La conversation s’annonçait croustillante. Il aurait besoin de quelque chose pour l’accompagner. Comme il s’en était douté, comparer l’humain à sa propre espèce avait très bien fonctionné. Ces gens, qui se gonflaient de leur propre importance et laissaient facilement leur verbe prendre des teintes méprisantes et indues, suivaient malgré cela tous le même schéma. Qu’un saraph les traite d’égal-à-égal, qu’il ne fasse que suggérer avec la plus humble once de bienveillance qu’il puisse exister entre eux quelques points de ressemblance, et ces gens voyaient leurs regards s’inonder d’étoiles, et leurs esprits s’embraser. C’était normal. Ils étaient petits et dotés d’esprits insuffisants, comme des enfants. Et comme des enfants, ils chérissaient l’approbation des adultes.

Pour une fois cependant, il avait été sincère. Généreux, mais sincère, et ce que lui racontait l’humain ne faisait que confirmer cela. Il avait conscience de l’inévitabilité de son trépas, et ne cherchait pas à le fuir. Il emplissait son existence de violence, luttait contre les courants du monde. Il reconnaissait ses pulsions, même celles qui ne s’expliquaient pas, et s’emplissait d’elles. Tout n’était pas clarifié par le feu incandescent qui brûlait au fond de chaque saraph, et le métal qui composait ses os était sans le moindre doute plein de scories profondes. Mais mieux valait cela que de soir soutenu par l’argile mollasson qui servait d’échine à ses congénères. Il s’arracha à ses considérations, constatant que l’autre en avait terminé, et lui posait une question.

Question à laquelle il ne pouvait pas répondre pleinement, mais à laquelle il voulait répondre honnêtement tout de même. Il grogna, et sa langue vint lécher l’arrière de ses crocs, avant de répondre sur un ton mesuré et lent :

« La vie. Je veux vivre. Ce monde est plein de merveilles et de dangers et de merveilleux dangers. Je veux tous les voir. Je veux relever tous les défis, je veux entendre tous les sons, gouter toutes les saveurs. Je veux briser des adversaires hauts comme des montagnes, et explorer les abysses les plus insondables. Je veux dévorer les nuages, et sortir les métaux secrets du ventre de la terre. »

Il ne put empêcher sa voix de se faire plus rapide, son sourire plus large, ses mains plus tendues. Il parlait, et son esprit abreuvait ce flot avant même qu’il n’ait eu l’idée d’ériger certains barrages.

« Je veux exercer mon art. Mes arts. Je sculpte, et je combats. Les deux disciplines demandent la même connaissance du mouvement et la matière. Je veux leur faire atteindre la perfection. Je veux tout cela, et plus encore. »

Il prit une grande inspiration, réussissant enfin à reprendre le contrôle de ses paroles, et conclut avec un sourire et un clin d’œil qu’il espéra complices et amicaux :

« Somme toute, je ne suis pas un saraph particulièrement original. Rien d’aussi fascinant que ce que tu viens de dévoiler, en tout cas. Mais ce que je suis, c’est un saraph doté de moyens importants. Si tu le souhaites, et si tu le souhaites seulement, je peux apporter mon concours à tes recherches. Mes hommes sont nombreux, mes informateurs également. J’ai mes entrées dans de nombreux endroits. »

Et il ne le ferait pas payer. Pas avec des moyens aussi ridiculement triviaux que de l’argent. Il serait de toute façon totalement incapable d’aligner les ressources pécuniaires suffisantes pour justifier un tel déploiement de moyens. Mais c’était secondaire, et Tlaxlheel savait déjà ce qu’il voulait de lui. Mieux encore, il savait que si aujourd’hui il le lui avait expliqué, il se serait fait un ennemi mortel, mais qu’à la fin de leur cheminement commun, il le lui offrirait avec des gémissements implorateurs.
Ven 21 Oct - 21:23
A peine eut-il le temps de finir son récit que sa chope se remplit de bière. Il avait déjà ralenti le rythme pour ne pas perdre de sa lucidité. Il en avait besoin et il le savait. Sous ses grands airs, le vagabond restait assez craintif et ne donnait que très peu sa confiance, aussi saraph et fantastique que puisse être son compagnon de table. A son tour, il l’écouta attentivement. Sa passion pour les combats n’étonna personne, mais son goût pour les arts pouvait surprendre. Quant aux compétences similaires liant les deux disciplines, Artémis n’en était pas entièrement convaincu. Il imaginait assez mal le saraph combattre de manière aussi élégante qu’un artiste. Ses talents de sculpteur, il en était sûr, étaient certainement dignes des plus grands. Mais pour autant, ces deux arts semblaient tellement éloignés dans un sens, surtout quand il imaginait Tlaxheel combattre des montagnes.

Il se garda quand même de faire le moindre commentaire. Il apprécia ce qui animait la vie du démon. Finalement, comme tous les autres, il voulait simplement vivre ses rêves. Ou ses envies du moins. Un homme d’aventures et d’eau fraiche. Un véritable bon vivant. Rencontrer des personnes de cette trempe était toujours appréciable. Artémis ne pouvait réellement affirmer que combattre était une passion, mais un peu. Si on voulait exceller dans un domaine, c’est uniquement par passion qu’on le pouvait. Alors c’en était devenue une qu’il ne criait pas dans tous les toits. Il usait de sa force pour servir les intérêts des plus démunis, pour se protéger ou protéger les autres, pas par envies ou pulsions de prouver sa force aux autres.

« Hm. », fit l’homme costumé avant de boire une gorgée de sa chope.

Artémis était un solitaire. Un véritable. Pas simplement un type qui s’exilait quelques heures avant de revenir auprès des siens. De ce fait, il s’est toujours débrouillé par lui-même, refusant catégoriquement l’aide des inconnus. L’idée de base était de n’impliquer personne dans ses aventures, par peur de les blesser, voire de les tuer par son incompétence à les protéger. Ici, c’était différent. La saraph n’avait pas vraiment besoin d’être protégé. Néanmoins, le doute planait dans sa proposition. C’était comme vendre son âme au diable et le vagabond se sentait gêné de penser une telle chose face à quelqu’un d’aussi hospitalier.

« Je n’ai pas pour habitude de demander de l’aide aux autres. J’aime croire que je suis capable de gérer mes problèmes seul, tout en sachant pertinemment que je n’en suis pas capable. De l’aide serait toujours la bienvenue, mais je me refuse d’en demander ou d’en accepter. Je dois assumer seul mes responsabilités. Tel est mon parcours. Semé d’embuches, d’échec et je me relèverai autant de fois qu’il me sera permis de le faire.

Le vagabond refusait définitivement d’être dépendant de quelqu’un. « Autarcie » était un terme qu’il appréciait particulièrement et ce n’était pas pour rien.
Sam 22 Oct - 8:19
La chose résistait. Elle cessait d’être humain, à cet instant. Elle perdait la lumière qui éclairait son regard, et le rythme de ses respirations devenait celui du vent qui grondait dans les pierres creuses. Sa peau se tendait sur de lourds kilos de bidoche, et ses doigts prenaient l’apparence de sabots mal fendus, et son nez d’une truffe, et le cuir noir se fondait dans son corps comme la caresse fondue d’une bougie en train de crever. Il avait refusé son généreux présent, et ce faisant avait cessé d’être un élément du décor. Ce n’était pas, en vérité, qu’il lui dise non qui surprenait le saraph et éveillait ainsi son intérêt. C’était qu’il le fasse au mauvais moment, de la mauvaise manière. La main pensive de Tlaxlheel vint caresser la fourrure drue de sa barbe, les divers épis pointus qui la composaient glissant entre ses doigts épais. Il laissa Artémis finir de parler, l’écoutant très attentivement, refusant de perdre la plus modeste miette de délicat festin qui lui était refusé. On lui en montrait l’odeur, on passait sous ses yeux plissés les plats chargés aux sauces miroitantes, et à la fin on le lui retirait, avant qu’il n’ait pu ne serait-ce que gouter le plus humble pilon.

C’était là une cruauté d’un raffinement exquis, qui manquait de peu de secouer la colonne vertébrale du géant de frissonnements lascifs.

Il ne commenta sur la nature des permissions qui étaient octroyées, ni sur les contradictions énoncées. C’était là la somme du discours qui lui était délivré : l’homme en costume savait qu’il n’agissait pas de façon logique. Il était en cela merveilleusement humain ; personne dans sa race ne parvenait réellement à accoupler sans drame raison et passion.

« Soit, Artémis, fit-il sur le même ton. Soit. Il est rare que je croise un humain que je puisse aussi rapidement estimer, et crois-moi, je comprends ta démarche. Pour un saraph, accepter une aide extérieure, rendre le défi plus aisé à surmonter, revient à lui en retirer tout ce qui le rend utile. Ce n’est peut-être pas ce qui t’anime, mais peu importe : le résultat est le même. »

Il entama son second service, se demandant après cela comment continuer la conversation. Les choses importantes avaient été dites. Ils savaient qui ils étaient, dans les grandes lignes. Ils savaient ce qu’ils faisaient, dans les grandes lignes. Ils ignoraient ce qu’ils voulaient, dans les détails. Les choses étaient comme elles devaient l’être entre deux personnes respectables, et qui surtout se respectaient, et il n’était pas certain de savoir sur quoi embrayer. Il était certes parfaitement capable de lui faire la conversation pendant des heures, mais il doutait franchement qu’Artémis soit homme à se préoccuper de savoir qui enculait qui en ce moment, que l’expression soit à prendre au pied de la lettre ou non. Mâchonnant précautionneusement son morceau de viande, il fut comme souvent traversé par l’un de ses brillants moments d’inspiration.

« Du coup, tu feras quoi quand tu vas sentir que ton esprit finit de se barrer en couilles ? J’veux dire, t’es un portebrume à la mémoire qui flanche. Tu veux te couper d’une société qui te fout la gerbe, mais t’es quand même ici. Tu veux retrouver tes parents, mais tu dis t’en cogner d’eux, mais tu veux quand même savoir. J’te connais pas depuis longtemps, mais le portrait que tu me dresses il est pas super super rassurant, et j’pense même pas tout savoir. L’prends pas mal, hein. Tu vas sans doute crever avant que ça commence vraiment à merder dans ta tête, et entre temps t’auras vécu des trucs forts. Tu seras devenu fort. Taré, mais fort. Y’a rien à redire à ça. »

Voilà. Qu’on ne vienne pas lui dire qu’il imposait les conversations stériles et idoines à ses interlocuteurs. Tlaxlheel Azcalxotil était connu pour sa maîtrise de la violence, des arts nobles qui commandaient à la matière et ceux, plus subtils, qui commandaient à l’esprit. Cela incluait sans faute le discours. Ravi d’avoir trouvé comment relancer leur passionnant entretien, le saraph se reconcentra maintenant sur le contenu de son assiette.
Sam 22 Oct - 13:00
Deuxième fois que des petits détails, sur Tlaxheel, montraient sa déception quant aux réponses du vagabond. D’une certaine manière, il se demandait comment percevait le saraph percevait les gens de son espèce. Artémis ne représentait peut-être qu’une simple distraction, une chose avec laquelle s’amuser, un animal à apprivoiser. Comment lui en vouloir ? L’Homme était si risible, si médiocre, si faible. En savourant des yeux ce qui arriva sur la table, il écouta attentivement ce qui lui répondit le démon, après avoir longuement caressé sa dense barbe. Il comprenait ce désir d’agir seul, de se développer de manière autonome. Lui, comparait cela à un défi à relever, Artémis y voyait surtout une manière de protéger les autres. Quelle différence ? Tlaxheel avait raison. La finalité est la même. D’autant plus qu’au plus profond de sa conscience, le vagabond n’était pas sans satisfaction quand il parvenait à ses fins. Seul. Il acquiesça simplement de la tête pour approuver.

Et maintenant ? De quoi pouvaient-ils parler ? Ce refus a évidemment rendu la tension un peu plus palpable, froide. Sans pour autant être trop pesante et désagréable. Ils venaient d’être servis, alors ils profitaient des premières bouchées. De nature assez peu bavarde, cette situation ne dérangeait aucunement l’ermite. Il appréciait les moments de calme, de vide, même si elle se faisait en compagnie d’une autre personne. Il savait que son espèce détestait cela. Mais le saraph embraya sur un sujet loin d’être inintéressant, même pour Artémis. La malédiction du Portebrume était, un jour ou l’autre, de perdre toute conscience et d’être entièrement contrôlé par la Nebula. En fait, c’était une maladie dégénérative. A terme, l’ermite serait perdu et noyé dans la mer de Brume.

« En voilà une bonne question, cher ami. », commença la chauve-souris en se tenant le menton, songeur. « De fait, je suis déjà un peu perdu. Mon passé perdu est très certainement lié à la Nebula, plus agressive que prévue, qui a tenté de me ronger d’un coup et qui m’a grillé une partie de ma mémoire. L’objectif est donc très simple : la contrôler et récupérer les morceaux volés. Ensuite, je voyage aussi à travers le monde pour trouver des personnes comme moi qui ont réussi à se « soigner » définitivement. Sinon, faire confiance aux scientifiques. Au pire, tu connais déjà mon destin. », conclut-il en esquissant un sourire.

La réponse semblait simplette, mais il n’avait fait qu’exposer ses solutions. Minces. Mais des solutions nécessaires à nourrir ses espoirs, plutôt que sombrer dans le désespoir d’un avenir perdu d’avance.

« Je n’ai pas réellement prévu de vivre bien vieux, tu sais. Dans dix ou vingt ans, je serai déjà morts et enterrés. Enfin si quelqu’un prend le temps de m’enterrer. Les charognes s’occuperont de ma décomposition sinon. Je ne m’inquiète pas réellement pour ça. Le plus inquiétant, c’est d’être devenu trop fort et incontrôlable. Le combat de ma vie n’aura servi à rien. Protéger les autres pour finalement devenir dangereux pour eux. Mais pourquoi protéger une espèce que je méprise, hein ? Va savoir ce qui me motive réellement. Autant faire le plus de choses possibles, quitte à en mourir, plutôt que de vivre en sécurité et devenir complètement dingue. »

Après tout, le saraph lui-même ne sera peut-être pas capable d’arrêter le Artémis de l’avenir, celui qui contrôlera sa Nebula, ses capacités, et qui se sera probablement perfectionné dans tous les domaines qu’il maitrisait déjà. Pour l’heure, des espoirs existaient encore. Il fallait y croire. Mais…

« Si un jour, tu as eu vent d’un ermite sévissant la terreur autour de lui, vêtu d’une étrange combinaison, occupe-toi de cela. Ce sera le seul service que je te demanderais. Puis je t’en rendrai la pareille, puisque je t’offrirai un combat exceptionnel. »

… il fallait préparer toutes les éventualités.

« Cela implique que tu ne dois pas mourir avant moi. Tu me sembles avoir une vie agitée et tumultueuse. Qui sait sur quels adversaires tu peux tomber. »

Vouloir affronter des montagnes, c’était louable. Mais c’était aussi mortel.
Lun 24 Oct - 11:45
Il évitait, sans doute inconsciemment, de lui répondre. Ce n’était qu’il se dérobait à l’éventualité, c’était sans doute qu’il refusait de la voir. Il lui expliquait les stratagèmes mis en place pour éviter de sombrer dans l’abysse, il lui parlait de sa mort prochaine qui l’aiderait à ne pas y faire face. Plus que cela, il implorait la clémence du saraph : quand bien même l’esprit et la raison devraient quitter l’intérieur de son crâne, alors il voulait que Tlaxlheel vienne l’achever ; et il lui promettait pour l’appâter un combat d’anthologie. C’était là une chose rare. Les autochtones étaient nombreux à se penser l’égal d’un saraph en termes d’habileté martiale, et à le professer. En revanche, il était très rare qu’ils soient, même avec leurs torses bien bombés et leurs déclarations de merdeux et de morveux braillards, très très crédibles. Mais là, il avait envie de faire confiance à son interlocuteur. Le petit machin avait les os fragiles de son espèce, et la mâchoire mal terminée, et les dents arrondies des herbivores, et les doigts potelés des enfants, et les membres courts et plus encore qui le rapprochait sans faille de ses congénères. Mais malgré ça, il voulait lui faire confiance. Il le fallait, plus que tout ça. La réelle raison restait occultée et obscure, mais le saraph savait quand écouter ses tripes, et elles gueulaient en ce moment à l’unisson. Elles lui promettaient quelque chose de juteux et de consistant, et leur concert cacophonique allait crescendo depuis le début de leur conversation.

« T’es bien l’premier humain à me souhaiter une longue vie. Ou en tout cas à être sincère en le faisant, répondit-il avec un large, très large sourire. Mais ouais, j’te l’promets : si jamais tu déconnes, je viendrai te tuer. Je te le jure sur mes cornes. Par contre, j’peux pas te garantir de pas mourir avant toi. »

Il hésita un instant, avant de continuer sur un ton plus grave :

« Quand j’aurai brisé ton corps, je le garderai en mémoire, gravé dans mon esprit. J’en ferai une sculpture de métal brillante et noire. Un trait tendu de mouvement immobile. »

Il n’ajouta qu’il comptait sceller ses restes à l’intérieur. Artémis était sans doute proche des saraphs, mais lui-même différait de son espèce sur nombre de points. Il n’était pas certain d’avoir l’inventaire total de ses variations, mais ne doutait nullement de la nécessité de les garder secrètes. C’était son putain de jardin à lui, et il était hors de question d’en partager le terreau et d’en ouvrir les portes pour que les hordes du monde viennent piétiner ses fleurs. Ou un truc du genre. L’image était amusante, et il aimait bien les métaphores et les allégories, rapport à son côté naturellement grandiose. Mais quand même.

Il se laissa aller en arrière, et hésita à poursuivre leur entretien, jusqu’à ce que le silence finisse par s’éterniser. Il n’avait pas encore assez mangé, mais c’était une chose commune, et il finirait son repas chez lui, en plongeant ses crocs dans un quartier plus consistant. Il n’était de toute façon pas sorti avec comme objectif premier de se trouver rassasié, au contraire. Il était dehors pour exciter ses appétits, pour s’emplir de choses nouvelles et pleines de hurlements voraces, et trouver quelle piste remonter ensuite. Il venait sans doute de le faire, mais se méfiait de lui-même. Son enthousiasme naturel, parfois, lui faisait remonter des courants contraires, qui ne débouchaient sur des eaux poissonneuses, mais des mares troubles et vides et puantes. Dévisageant ouvertement Artémis, il se demanda distraitement jusqu’où ce dernier se connaissait réellement : c’était la malédiction des gens comme eux. Ils comprenaient leur fonctionnement, leur fonctionnement réel, au-delà des excuses convenables dont se badigeonnait normalement l’esprit du commun et du vulgaire pour supporter sa lâcheté et sa médiocrité du quotidien. Mais eux aussi avaient des endroits qu’ils ne voulaient pas, ou plutôt ne pouvaient pas regarder.

Car Tlaxlheel voulait voir, et se demandait maintenant si Artémis ne pouvait lui servir de miroir. Déformant peut-être, mais fournissant un réel reflet. Quelque chose dans lequel il pouvait se reconnaître, même très partiellement.
Mar 25 Oct - 11:32
« Ne t’emporte pas, mon vieux. Je suis toujours le propriétaire de ce corps. »

Il but une courte gorgée de son breuvage.

« Si je me sens partir, j’assumerai cet échec et mettrai moi-même fin à mes jours. »

La messe était dite. Et s’il ne parvenait pas à le faire, Tlaxheel s’occupera de lui. Il n’avait pas prévu d’assurer ses arrières au cours d’un repas, mais il était maintenant bien heureux de l’avoir fait. Peut-être les saraphs n’étaient pas tous comme lui, mais d’un certain côté, celui-ci leur donnait une bonne image. Artémis n’était pas dupe pour autant. De nombreux secrets étaient restés secrets au cours de cet entretien. Tlaxheel était sympathique, bon vivant, mais il conservait tout de même une part d’ombre. Les politiciens ne l’intéressaient pas. Seuls les combats et l’art le passionnaient. N’y avait-il que cela ?

« J’espère que ta sculpture sera à la hauteur de l’homme que je suis. », fit le vagabond en rigolant, juste avant de vider le contenu de sa chope.

Artémis réalisa que jusqu’à présent, le démon n’avait pas mentionné une possibilité de mort dans son avenir. C’était ici la première fois. Cet élément n’échappa pas à la vigilance de l’ermite, qui remarqua tristement que sa chope était maintenant vide.

« J’avoue être assez étonné d’entendre que tu pourrais mourir avant moi. Non pas que ce soit une course, mais je me demande quel homme, quelle espèce, quelle maladie, pourrait transpercer cette grande carcasse qui se trouve face à moi. Des données m’échappent certainement. A part la vieillesse, vous autres saraphs, êtes quasiment immortels, non ? Je n’ai jamais trouvé de dépouilles de votre race sur les routes de ce monde. »

Le vagabond posa son récipient.

« Bordel. Faudrait que j’arrête de pinter. Je n’arriverai bientôt plus à rentrer chez moi. Par ce temps, un manque de vigilance pourrait me coûter. Tu me diras, ça pourrait régler pas mal de choses. »

Une nouvelle fois, Artémis rit de bon cœur.
Mar 25 Oct - 12:12
Il semblait que c’était au tour de Tlaxlheel de se dévoiler, ou en tout cas de répondre à des questions. L’une de ces deux activités ne faisait pas partie de son répertoire. Les gens voyaient de lui ce qu’il consentait à montrer, rien de plus, rien de moins. Tout ce qu’il présentait au regard avide du monde et de la vermine qui grouillait sur sa surface martyrisée était un composé soigné. Une sculpture, en vérité. Quelque chose de tangible, que l’on pouvait tâter, explorer autant de la main que de l’œil, et qui portait comme un parfum discret l’odeur de son créateur. Mais ce qu’il était derrière cet empilement de masques et de costumes lui appartenait. C’était à lui. Et comme tout ce qui était à lui, réellement à lui, c’était une chose précieuse et rare, un joyau contre lequel il se lovait comme un gigantesque serpent autour de sa prise. Il écouta l’homme, qui continua gravement à lui parler de ce qu’il comptait faire. Le saraph doutait qu’il mettrait fin à ses jours. De ce qu’il comprenait, le suicide était un justificatif moral. Une petite pilule douce pour justifier la continuation de son existence : je vais m’aérer les entrailles avant de bouffer celles des autres, et du coup j’suis pas un type dangereux. Pas tant que ça. Pas trop. Ne regardez mes crocs. Ne me forcez pas à regarder le reflet de mes dents. Ce genre de connerie. C’était ironique, et franchement hilarant.

Dommage que la gravité toute théâtrale de leur conversation ne se prête pas franchement à ce genre d’entracte. Ils pouvaient rire, mais à certains moments seulement, pour huiler avec parcimonie les rouages de leur échange.

Plus tard, peut-être, pourraient-ils profiter d’un deuxième acte introduisant des éléments plus ouvertement amusants, faisant tomber la pièce dans le tragicomique. C’était possible ; les habits de son compère s’y prêtaient fort bien.

« Ouais. T’inquiète pas. Ca me troue le cul, mais je pense qu’on se souviendra plus longtemps de moi pour mes dons d’artiste que pour le reste. Mais j’vais te dire un secret, un vrai, fit-il en se penchant légèrement en avant : tout est lié. On peut pas comprendre ce que je fais sans la bonne vision. Toi, tu pourrais peut-être. Peut-être. Mais passons, on pas là pour parler d’art, pis ça servirait en rien, t’as pas vu ce qu’il fallait voir. »

Il se redressa, et repoussa sur son côté les reliefs saccagés. Il regarda la créature. Sa réponse lui avait donné le temps de réfléchir et de mettre sur pied quelque chose de cohérent, et plus important encore, d’utile. Une ouverture. Une entrée.

« On vit longtemps, ouais. Mais personne chez nous ne meurt de vieillesse. C’est pas bien vu. Un saraph, un vrai, ça crève au combat en gueulant sa colère et son défi. Pas d’exception. Et j’pas dis que j’crèverai avant toi. J’veux pas mourir, pas encore. J’ai des trucs à faire, avant. Mais j’peux rien garantir, c’est tout. J’vais pas te faire le discours sur le hasard et le danger, tu connais ça, continua-t-il en agitant la main. »

Il contempla sa propre choppe. Un cadavre exsangue. Il aurait encore bu, lui. Il aurait encore mangé, aussi, mais il fallait rester concentré. Il s’était déjà fustigé sur l’importance de ne pas écouter que son estomac, et d’endurer l’incapacité crasse des autochtones à aligner des portions conséquentes.

« Bah, si t’as besoin j’te raccompagne. J’ai un véhicule adapté à la plupart des terrains, et qui bouffe les distances presque tout seul. Pis comme ça, je saurai où t’es. Si y’a besoin de venir trouver. »

Il ne jugea pas utile de rappeler les circonstances qui pourraient justifier un tel déplacement. La mémoire d’Artémis, il était convaincu, n’était pas encore à ce point dégradée qu’il ne soit plus capable de se souvenir d’un propos vieux d’à peine vingt secondes. S’affalant un peu sur sa chaise, il sentit le bois craquer, et fronça les sourcils. Il avait besoin de changer d’air, en tout cas. Maintenant.

« En tout cas, faut que je bouge moi. Sinon j’vais m’sentir sale. »

Il repoussa sa chaise, le bois martyrisé couina comme une femme maltraitée – et soulagée que les choses s’arrêtent – et se redressa lentement, avant de s’étirer. Se faire tout petit, se pencher sur sa nourriture, courber l’échine, tout cela l’irritait fortement, et nuisait à son caractère pourtant naturellement jovial.
Mar 25 Oct - 13:37
Artémis resta pantois. C’était étrange. Quand Tlaxheel lui exposa cette étrange vérité, il ressentit presque un certain malaise. Tout était envisageable avec le saraph. Absolument tout. En fait, tout pouvait être malaisant aux côtés de cette entité aussi mystérieuse que terrifiante. On craignait autant pour sa vie que pour celle des autres. Sous cette apparence effrayante mais une personnalité forte sympathique, se dissimulait quelque chose de vraiment mauvais. Par définition, cette race était réputée violente et doté d’un fond fort peu bienveillant. Quelle différence avec l’Homme ? La force, peut-être ? L’Homme était faible, fragile, tandis qu’un Saraph était fort et résistant. Mais l’Homme se démultipliait bien plus et bien plus rapidement. Il dominait le monde par le nombre.

Et ses créations. Le démon était un créateur d’art, mais ce n’était pas lui qui avait créé ce véhicule avec lequel il proposait de raccompagner le vagabond. Néanmoins, ce dernier semblait possédait une assez grande influence, un pouvoir politique à n’en pas douter. Il a mentionné le fait de pouvoir obtenir des informations, d’envoyer des hommes aider Artémis. En bref, un homme qui avait des moyens et pas qu’un peu. Et un homme très intelligent. L’ermite en était sûr, aussi sympathique était son nouvel ami, il devait catégoriquement refuser toute aide de sa part. Tlaxheel était un homme qu’Artémis respecterait sans aucun doute, mais il s’en méfierait également pour sa survie. Il pourrait demander des choses immoraux en retour.

Mais quand le saraph lui exposa la raison pour laquelle ceux de son espèce ne mourraient pas de vieillesse, il ressentit des frissons d’excitation. Quelle vie passionnante mènent ces saraphs, pensa le chevalier noir. Rares étaient les humains qui résonnaient de cette manière. Tlaxheel avait raison sur un point : Artémis leur ressemblait en bien des choses. Cela ne lui procurait pas particulièrement de joie, mais il était satisfait de trouver une personne avec laquelle discuter sans passer pour un dingue, peu importait son espèce. De nombreuses choses échappaient à l’Homme sur la vie, la vraie. Pas celle rêvée ou créée de toutes pièces par ces foutus dirigeants. Quand le monde vivra dans le chaos, seuls les plus forts survivront, certainement pas ces rois et politiques en tout genre qui s’étaient constitués une armée de faiblards.

« C’est gentil à toi, mon ami. Je rentrerai seul cette nuit. Nous sommes trop près de la ville pour que des espèces menaçantes viennent s’en prendre à moi. Pour ce qui est de me retrouver, tu n’auras qu’à te rendre à l’Arbre-Dieu. Tu m’y trouveras sans aucune difficulté. »

Il se leva à ton tour de son siège et laissa quelques piécettes pour le repas. Comme le démon, il s’étira les membres après s’être levé. Les articulations n’appréciaient pas beaucoup cette position assise. Depuis combien de temps s’était-il installé à cette table. D’ordinaire, il mangeait son plat, buvait sa chope et s’en allait. Les deux acolytes se dirigèrent ensuite vers la sortie. Artémis tendit sa main pour empoigner celle de Tlaxheel.

« Ce fut un plaisir, ami saraph. », dit-il le plus sincèrement possible. « Puisse nos chemins se croiser dans des circonstances aussi sympathiques, ou bien dans nos aventures respectives pour un peu plus de piment. », conclut-il avant de prendre la direction de la sortie d’Opale, direction le Val d’Opale.