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Au-delà des frontières | Willow

Au-delà des frontières | Willow Brandw10
Ven 15 Juil - 9:09
Si aller à l’encontre des conseils de son frère lui coûte, ne pas répondre à l’appel d’une famille demandeuse de ses soins est bien pire. Cardan n’avait pas de permission prévue et Amara ne pouvait ignorer cette lettre qu'elle venait de recevoir. Malgré ce sentiment d'aller à l'encontre des ordres bienveillants de son aîné, elle prit la décision de tout de même se rendre dans cette nation qui n'est pas la sienne. Même si la plupart des Aramilians n'oseraient pas se rendre en terres ennemies, autrement que pour défendre les intérêts nationaux, ce genre de pensées ne traversaient pas l'esprit du médecin. Pour elle, peu importe les relations diplomatiques tendues, si on fait appel à ses talents pour soigner, elle se doit d'y répondre. Car son serment de sauver son prochain, peu importe sa nationalité, ses convictions, sa religion, est ce qu'il y a de plus important.

Naïve certes, mais pas totalement inconsciente. Disons que son instinct de survie n'est pas tout à fait inexistant. Ou bien alors, elle ne souhaite pas complètement froisser son frère. Car, à coup sûr, à peine sera-t-elle en route que cette histoire viendrait aux oreilles de son soldat de frère, dans l'incapacité de calmer les désirs de sa sœur d'aller là où le devoir l'appel, indépendamment du danger. C'est pourquoi, Amara ne changea pas ses habitudes et fit appel à l'un des serviteurs de sa famille pour l'escorter. Le brave Esteban, de trente ans son aîné, la peau brune et la barbe picorée par son âge, était celui désigné pour l'accompagner dans ses moindres déplacements. Malgré son âge, il était un homme endurant et suffisamment impressionnant pour faire fuir les plus petits brigands. Néanmoins, traverser la frontière en sa compagnie ne serait pas suffisant. Bien qu'elle se rende à l'opposé des dunes de Saleek, la jeune médecin n'avait aucune envie de subir la même fin tragique que ses deux parents.

Ce qui est prodigieux avec la capitale grouillante d'Aramila, c'est qu'on y trouve de tout. Des races qui s'intègrent relativement bien parmi les locaux, ouverts à la tolérance et à la différence. Des étoffes follement colorées, des langues pleines de variations et d'accents, des plats savoureux et épicés, mais aussi des affiches placardées. De la propagande, des invitations, des publicités. On trouve de tout, absolument de tout (mais peu de technologies étrangères, il est vrai), si bien qu'une guilde d'aventuriers n'a rien de secret, et le moyen d'entrer en contact avec eux, pour en engager un capable de traverser les frontières, n'a rien de fastidieux. La voilà l'idée fabuleuse d'Amara : non seulement elle ferait appel à ce vaillant Esteban, mais elle trouverait un aventurier désireux de travailler honnêtement moyennant un salaire. Une simple escorte, aller-retour. Qu'y a-t-il à craindre ?

Oh son homme de main avait bien poussé quelques grognements, invoquant qu'elle avait déjà pris moult décisions dangereuses, mais que celle-ci frôlait plus la stupidité que le génie. Plutôt vexée que sa tentative de s'en sortir seule, sans son frère, soit ainsi critiquée, Amara s'embourba tout de même dans son idée. Le rendez-vous était fixé, le contrat signé. Quelqu'un de la Guilde des Aventuriers lui apportera protection et un passe-droit pour se rendre dans ce petit village de paysans, dans les collines de Renon.

Partagée entre l'excitation de se rendre en terres inconnues et le sérieux attendu de la part d'un médecin, elle trépignait. La journée lui sembla en durer au moins deux. Le soleil était de plomb, et même s'ils ne prennent la route que dans la soirée, elle s'attendait à souffrir de la brise tiède. Peut-être que plus tard dans la nuit, elle trouvera un peu de fraîcheur pour respirer enfin. Difficile pour Amara de se reposer dans la journée tant elle était préoccupée par le fait d'emmener suffisamment d'équipements. Les indices dans la missive étaient assez maigres : ce couple, dont elle avait déjà soigné le fils lors d'un déplacement à la frontière commune entre Epistopoli et Aramila, souffrait d'un mal les clouant au lit, incapables de rejoindre le médecin. Suspectant de la fièvre, une intoxication alimentaire, une dysenterie, un virus quelconque… elle emporta de quoi remplir une petite charrette, ce qui ne manqua pas de faire grogner une nouvelle fois Esteban.

Le soir venu, tous les deux assis à l'avant de ladite charrette, tirée par deux chevaux de la couleur du sable, ils attendirent au point de rendez-vous le fameux aventurier. Esteban portait sous ses vêtements plusieurs couteaux, ajustés contre son corps pour ne pas l'empêcher de se mouvoir, ni même d'être facile à dégainer. Quant à Amara… sa tenue n'avait d'utilité que de la protéger de la chaleur. Aucune arme ne se cachait sous les tissus, rien d'inhabituel en somme. Même si l'on pouvait les confondre avec deux marchands on ne peut plus banals, la pâleur du visage du médecin et l'air féroce de son protecteur leur permettaient d'être plus aisément reconnaissables.

- Tout de même, Esteban, un sourire ne vous coûtera rien !

- J'ai pas le temps de sourire, je suis pas là pour ramasser des fleurs et on va en terrain miné !

- Voyez ce voyage comme une aventure !

Et un énième grognement. Cela allait finir par entamer l'entrain d'Amara. Cette dernière abandonna l'argumentation pour se concentrer sur l'horizon, le temps que son aventurier engagé fasse son apparition. Et le plus tôt serait le mieux !


Dernière édition par Amara Vespertin le Sam 16 Juil - 9:44, édité 1 fois
Ven 15 Juil - 9:48
Postée à une centaine de mètres de la majestueuse cité sainte, j'attends. Dans l'ombre, projetée par le soleil couchant sur les hautes structures, j'égraine le temps et le sable d'allers retours monotone. Telles des pics, leurs hauteurs semblent pointer vers le ciel comme pour toucher les Dieux. Au loin, l'Adriane, où des voiles blanches glissent au fil de courant, projette sa mélodie.
Les gardes, entre deux caravanes, m'épient d'un mauvais œil, je les comprends et leur retourne un regard froid.
Un espadon de qualité moyenne à mes côtés, une tenue pouvant être assimilée à celles de brigands et mon affiliation à la Guilde des Aventuriers : un patchwork parfait pour éveiller les soupçons. Et pour cause, la guilde a perdu de sa superbe. Reconnue et estimée à ses débuts, elle est, aujourd'hui, plus que l'ombre d'elle-même. Emplie de scélérats, mercenaires et autres reclus de justice qui s'écoulent dans le royaume tel le pus d'une blessure infectée. l'Alliance et leur non-action n'aide pas à redresser la barre. Parfois, j'ai l'impression de vivre les dernières heures d'un système défaillant mais, malgré tout ça, je reste. Pourquoi ? La force de l'habitude, un recul désabusé, un espoir caché de guérison, la peur d'une nouvelle fin ou bien un méchant mélange de toutes ces fausses raisons ? A vrai dire, je n'en sais rien. Je n'en sais rien et je m'en tamponne quelque peu. L'auto-analyse de mes sentiments et autres remises en question de mon moi profond ne font que peu, prou ou pas parti de mon quotidien. Mes sentiments, surtout quand je n'ai pas d'emprise sur les évènements qui les font émerger, je les accepte mais ne les laissent pas se transformer en émotions.  L'émotion ? Le temps alloué à un sentiment. Alors la peine, la peur, la colère (bon celle là peut-être pas), je les décapite comme un Darbling nocturne et je retourne à la joie.

Enfin... Tout ça pour dire que je me fais œcuméniquement chier à attendre la petite doctoresse, qui plus est aux abords d'Aramila. J'ai parfois l'impression que la guilde prend un malin plaisir, de part mon passé, à m'envoyer dans cette région d'Urh. Ou bien est-ce par crainte d'un mauvais pas, un comportement déplacé, de la part d'un autre aventurier. Quoiqu'il en soit, ma mission est de l'escorter jusqu'au collines de Renon. En apparence, rien de compliqué mais l'habit de fait pas le Spectre comme on dit. Et puis quelle connerie de partir à la nuit tombée. Je veux voyager de manière sécurisée mais je choisi le pire moment pour le faire... Encore un désir de princesse ça, à tous les coups. Quoiqu'il en soit, un chariot, surmonté de deux voyageurs, sort des murailles et va se poser plus loin. À mon humble avis, il doit s'agir du colis...


- Et merde !

Bougonne, mes pieds s'enfoncent dans le sable encore chaud tandis je me dirige vers le véhicule. À faire les cent pas depuis une bonne heure, je n'ai pas remarqué avoir dérivée du point de rencontre. J'approche donc par l'arrière et ne me prive pas d'appeler, une fois à portée de voix, sans crier, la personne nommée sur le billet de mission :

- Mme Amara Vespertin ?

Les deux tournent la tête dans ma direction. Au moins, plus besoin de faire de longues présentations, cette simple interpellation suffit en elle même. Elle est plus jeune que je ne m'attendais, les cheveux longs et blonds comme les dunes de Salek avec une peau de céramique immaculée. J'ai la sensation que je pourrais la briser en la prenant dans mes bras. A côté d'elle, un vieillard me regarde méchamment de haut en bas. Sa barbe poivre et sel bouge sous une grimace camouflée à mon égard. Tu veux la jouer comme ça papy ? Très bien. Je m'approche de la jeune femme et lui tend une main ferme.

- Willow, enchantée. J'suis envoyée par la Guilde pour vous escorter. Puis, à l'adresse de l'homme l'accompagnant.
- Une remarque sur mon sexe ou mes capacités et j'annule la mission. Retour du regard sur le colis, accompagné d'un léger sourire.
- Madame, j'vais vous demander deux choses. La première : de vous installer à l'arrière pour me laisser votre place, mesure d'sécurité. La seconde : de m'dire quel trajet vous avez choisi. Et, j'me permets, commencer un voyage de nuit frôle la bêtise...

D'un mouvement sec, l'homme fait claquer les rênes intimant l'ordre aux deux chevaux, de belle conformation, de s'éloigner de la ville sainte.
Sam 16 Juil - 10:24
S'en suivit quelques grognements contre lesquels elle ne trouvait aucun argument. Esteban n'est pas foncièrement mauvais, dans d'autres circonstances, il manifeste une tendresse bien à lui et est surtout très attentif au bien-être d'Amara, qu'il a vu grandir. Un genre de grand-père, avec ses avantages comme ses défauts. Argumenter avec la naïveté de la jeune femme était l'un de ses passe-temps. Chacun campant sur ses positions, personne ne s'inquiéta de savoir si leur voix portait. Suffisamment en tout cas pour que leur accompagnateur les remarque et les rejoigne.

- Oui ? Répondit-elle, sans même s'inquiéter qu'on prononce son nom.

Une femme s'avança, évitant soigneusement de croiser le regard lourd de reproches de l'homme. Comme à son habitude, il était sceptique. Une femme pour les accompagner et les protéger, c'était un comble pour lui. Quant à Amara, et bien… elle était simplement heureuse que l'acompte du salaire versé n'ait pas été dérobé pour l'arnaquer. Quelqu'un allait bel et bien lui permettre de traverser la frontière et c'était bien le plus important à ses yeux. Homme ou femme, le sexe n'avait guère d'importance pour elle !

Après un échange de poignées de main, d'un côté bien ferme, de l'autre plutôt impressionné, le médecin s'exprima, présentant à son tour son petit duo.

- Enchantée Willow ! Appelez-moi Amara, ce sera bien plus plaisant ainsi. Elle tourna la tête vers son aîné. Voici Esteban, un ami de longue date de ma famille. Derrière son air bourru, se cache un grand cœur, je suis sûre qu'il saura reconnaître vos qualités d'aventurière !

Le menacer l'air de rien ? Oh non, elle en était bien incapable. Il devrait se fier à celle proférée par Willow s'il ne souhaitait pas avoir sur la conscience l'échec de ce voyage. Et sachant combien sa petite fille d'adoption accordait une importance à honorer ses promesses, ainsi que son serment de soigner en toute circonstance, Esteban prendra sur lui. Cela ne l'empêchera sûrement pas de laisser fuser quelques remarques acerbes, mais au moins, il n'attaquera pas sur le sexe de leur accompagnateur.

- À l'arrière ? B-bien…

Avec agilité, elle quitta l'avant de la charrette pour se faufiler à côté de son matériel, couvert d'une bâche pour ne pas attirer les regards curieux et malveillants.

- Ah bah voilà, à peine arrivé, ça fait sa loi… une femme de son rang reléguée à la place de la marchandise…

Le vieil homme avait marmonné dans sa barbe, pourtant Amara était parvenue à plus ou moins entendre ce premier pic. Il avait tenu une poignée de secondes, sage comme une image. Cela relevait déjà du miracle. Encourageante, la jeune femme lui tapota l'épaule alors qu'il faisait claquer les rênes et sa langue pour encourager les deux montures à se mettre en marche. En soit, voyager dans la charrette et céder sa place à l'aventurière ne lui posait aucune difficulté.

- Pour ce qui est du voyage de nuit… c'est une tradition familiale. Et puis le voyage est bien plus supportable lorsque le soleil se repose.

Voyager de nuit était dangereux, elle en avait conscience. De surcroît, cet acte avait pris la vie de ses deux parents, des années auparavant. Pour autant, elle n'avait ni envie d'affronter la fournaise en plein jour, ni envie de changer ses habitudes. Ces dernières étaient un héritage de ses parents, en quelque sorte. Changer sa manière de voyager lui donnerait cette impression d'ingratitude et de vouloir oublier ces êtres qui lui sont pourtant chers. Impossible pour elle de ne pas succomber à la nostalgie.

Usant de son sourire solaire pour mieux faire passer la pilule, elle espérait que ce choix peu stratégique ne serait pas le sujet d'un débat vain tout le long du voyage. Pour couper court à un échange d'opinions sur ce point, elle repartit sur le sujet du trajet.

- Nous pensions suivre les routes les plus fréquentées pour plus de sécurité. De nuit, elles ne devraient pas être bondées et cela ne devrait pas nous ralentir. À moins bien sûr que vous connaissiez des petites routes astucieuses ? Nous nous en remettons à vous et à vos connaissances.

Sentant la tension dans les épaules de son ami, elle tapota une nouvelle fois ce dernier avec tendresse. Elle le savait, l'envie de rappeler que seule Amara s'en remettait à Willow, lui brûlait les lèvres. Inutile d'être méfiant et d'attiser le feu. Tous avaient beaucoup à gagner à ce que le voyage se déroule de façon civilisée, sans encombre : l'une un salaire, l'autre la satisfaction de voir le médecin ravi d'avoir tenu sa promesse.
Lun 18 Juil - 6:33
La remarque cinglante de l'Esteban me laisse de marbre. J'en ai, à travers les missions, acquis une habitude lassante. Piquée au vif les premières fois, cela me laisse aujourd'hui de marbre. J'ai compris, malgré le besoin de notre présence, que nous n'étions jamais vraiment les bienvenus. Il est vrai qu'on débarque dans leurs vies rangées imposant nos ordres, idées et opinions. Si je dois donner une image : ils sont les fourmis et nous le coup de pied dans la fourmilière.
Alors, en simple guise de réponse, je penche à peine la tête de son côté et, tout en le fixant dans les yeux, étire un sourire en coin léger, narquois, presque de défi. Au contraire de nous, les deux bourrus à l'avant, la jeune médecin justifie le pourquoi de ce départ tardif.

- Je ne peux qu'approuver pour la chaleur... En ce qui concerne les habitudes, certaines méritent d'être changé. La vie, les gens, les monstres... Tout évolue alors nous devons nous adapter sans cesse. L'un de mes mentors m'a souvent répété : "Il faut que tu cours pour rester à la même place".

Moi qui m'attendais à une réponse, une contre-attaque, un argument contraire, Amara préfère, ou décide pour alléger l'atmosphère, de me laisser choisir l'itinéraire.

- Merci pour votre confiance, c'est assez rare et j'apprécie grandement le geste.
En effet, nous avons ces deux choix. Prendre la route principale ou une route secondaire. L'une comme l'autre comporte des avantages et des risques. La première sera en effet moins encombrée et de meilleure qualité. Nous gagnerons en temps de voyage et confort. Ça, c'est le positif. Pour le côté négatif, nous avons un risque plus élevé de tomber sur une rencontre non désirée. Si j'étais un bandit, j'attendrais aux abords des points de passage...
Seconde solution, les routes secondaires. Les risques de mauvaises rencontres sont moins élevés mais la qualité du transport en sera proportionnellement affecté, sans compter le risque de rester bloqué par un mouvement de sable. Les chemins de traverse, dans cette région, changent très vite, trop vite. Si nous étions à dos d'bossus, à Opale ou Xandrie, je n'aurais pas hésité une seconde pour la seconde mais, ce n'est pas le cas...
Ma mission est de vous escorter saine et sauve. La vôtre, à en voir la cargaison de fioles et autres produits en tous genres, en est une autre.
Vous avez fait un pas vers moi, c'est la moindre des politesses d'en faire un autre.
Alors je vous laisse, toi et Esteban, choisir... Je peux vous tutoyer, Amara ?
Ven 22 Juil - 14:22
N’entrant pas dans le jeu des provocations lancé par Esteban, Willow approuvait à moitié les choix de la jeune femme. Occupé à diriger les chevaux avec les rênes, le vieillard était à deux doigts d’enfoncer le médecin, trouvant un terrain d’entente avec l’aventurière. Évidemment, il n’allait pas le faire. Non seulement il ne voulait pas créer de mésentente avec celle qui lui versait un salaire plus que conséquent chaque fois et l’estimait comme son grand-père, mais il ne voulait pas donner raison à cette femme qu’ils ne connaissaient que depuis quelques instants. Il les laissa donc converser, tandis qu’il avait cet air mal aimable sur son visage.

- Oui, je l’entends bien… Dit-elle, se sentant comme une enfant sermonnée et un peu honteuse.

Changera-t-elle ses habitudes pour autant ? Certainement pas. Il lui faudrait une urgence absolue ou une extrême volonté pour traverser les déserts d’Aramila de jour. Et oui, la jolie et bien aimable Amara aussi peut-être capricieuse et entêtée ! De toute façon, le voyage était lancé, ils n'attendront pas le lendemain pour partir et prendre le risque de perdre trop de temps et de menacer la santé des patients.

La bonne attitude de la jeune femme, en contraste avec celle d’Esteban, sembla faire mouche. L’aventurière appréciait grandement qu’elle lui fasse ainsi confiance. Il n’était pas difficile d’imaginer que ce soit rarement le cas. La Guilde des Aventuriers à une réputation à la fois neutre voire bonne, à la fois mauvaise. Comme toute organisation de ce genre, diverses rumeurs peuvent s’entendre ici et là. On dit des Aventuriers qui la peuplent qu’ils sont tantôt braves, serviables et dévoués, tantôt mauvais, voleurs et mal intentionnés. Amara préférait croire au sérieux de la Guilde. Après tout, il y avait un contrat, des enjeux et un salaire. Le travail se devait d’être bien achevé et honnête pour que Willow gagne son dû.

L’aventurière partagea son point de vue et surtout son expérience des routes, des voyages de ce genre avec le risque de tomber soit sur des bandits, soit sur un environnement hostile, voire même sur des bêtes. Sans être apeurée par le moindre événement, Amara n’a guère d’expérience aventureuse à son actif. Elle se voyait mal cette nuit en vivre une à couper le souffle alors qu’on l’attend pour soigner des malades. Willow lui laissait le choix, touchée par son amabilité et sa relation de confiance facile. Se laissant le temps de la réflexion, elle lui répondit :

- Oh oui, on peut se tutoyer ! Puis-je faire de même ? Une certaine malice se lisait dans son regard. Établir de bonnes relations était toujours un plaisir pour le médecin.

Puis son regard se détourna de la route, de Willow et d’Esteban qui avait haussé les épaules, exprimant son indifférence face au choix de la route : dans tous les cas, ce voyage lui paraissait démesurément dangereux pour soigner quelques âmes. Amara balaya du regard son matériel. Il y avait à portée de main une belle ribambelle de fioles, de racines, de gélules, de petits coffres contenant bien des médicaments, mais aussi du matériel coûteux, venant parfois de nations étrangères, qu’elle avait fait importer pour être un médecin digne de ce nom et non un de ces charlatans qui vendent des poudres et des sorts pour soigner le moindre mal. Perdre tout ceci serait dramatique. Entre des mains mal avisées, Amara ne voulait pas imaginer ce qu’il pourrait arriver. Outre l’aspect financier, elle respectait bien trop la science de la médecine, ses opportunités, ses miracles, pour risquer de perdre autant d’ingrédients capables de sauver des vies.

- Nous devrions rester sur les routes principales, dans l’intérêt de ce qui se trouve à côté de moi. Je ne doute pas que votre regard affûté puisse nous prévenir d’un danger rodant dans la nuit. J’imagine sans peine vos compétences pour nous défendre. Et puis, Esteban ne vous l’a pas dit, mais disons qu’il n’est pas le dernier lors d’une bagarre.

Le médecin avait choisi la voie la plus sûre, celle de la raison. Ils perdront un peu de temps, risqueront peut-être un guet-apens, mais c’était là le chemin le plus facile à emprunter et présentant des risques moins graves.
Lun 25 Juil - 7:22
Les routes principales, tel est le choix de la jeune doctoresse. Le trajet se fera donc avec ma lame à portée de mains, les sens à l'affût et les yeux rivés sur le lointain.
Les instruments, et autres babioles, du convoi clinquent et tinguent aux différents à-coups du chemin. Bien que délimité et partiellement entretenu pour faciliter le transport de marchandises, il en reste quelque peu abimé par le temps et l'érosion constante dûe aux rafales de sable. On est bien loin d'Epistopoli et de ses rues rectilignes bien formées ou d'Opale et de ses pavés à voitures.

Le soleil, déjà bien bas au départ, laisse place à sa femme lunaire. L'atmosphère s'est adoucie, délaissant la fournaise pour un feu de bois, tout comme celle du trio. Esteban semble ruminer dans son coin tandis qu'Amara observe le paysage d'un regard candide. Quant à moi, je ferme un oeil pour m'habituer au plus vite à la nuit. Nous sommes encore proche de la ville sainte et une attaque ici serait suicidaire pour quelconque bandit. Étonnée, je me permets une remarque au conducteur :

- Pas de torche ?... C'est mieux ainsi.

Le voyage continue bon train sans que je ne prenne part aux discussions entre les deux connaissances. En ai-je besoin ? Non. En ai-je l'envie ? Non plus. À vrai dire, je ne suis pas payée pour discuter alors, si je peux éviter autant rester discrète mais concentrée sur la route. D'ailleurs, celle-ci me facilite la tâche pour une raison toute simple : elle est isolée. Ni arbres, ni forêts, ni palmiers ne l'entoure et c'est parfait. Je redoute néanmoins la traversée du pont menant dans les régions d'Epistopoli. En y réfléchissant, nous aurions dû initier le voyage par le fleuve. Cela aurait été bien plus sécurisé et certainement rapide... trop tard pour se plaindre, le voilà pointer le bout de sa pierre.

- Arrêtez vous là... Je vais y aller à pied. Si je ne donne pas de signe de vie, faites demi-tour.

Descendue de la calèche, l'arme dans le dos et une main sur le pommeau, je m'engage sur le pont reliant les deux régions. À cheval entre Aramila et Epistopoli, je peux sentir la différence de température entre ces deux contrées. Le fleuve, comme un rempart naturel, délimite les frontières humaines, politiques mais aussi météorologiques... L'un de mes rêves, d'ailleurs, serait d'être à la limite entre la pluie et le beau temps. À moitié trempée jusqu'aux os, à moitié sèche. Tandis que j'avance, je redécouvre les plaines tranquilles. En face de moi, le chemin qui sinue en pente douce jusqu'à la petite ville de Renon d'où fument quelques chaumières. Sur la droite, le bouquet montagneux des Trois Soeurs où les pics enneigés d'Adrianne, Céleste et Mesnon découpent le paysage. Enfin, sur ma gauche, au loin, les collines de Renon où sapins et caduques se mélangent dans une canopée silencieuse à cette heure. C'est grandiose, magnifique, digne d'une peinture mais moi, je me concentre sur le bout de mon nez, la fin du pont. De plus en plus prudente, mes pas de plus en plus petits, mes doigts se crispent autour de mon arme. Si une attaque doit avoir lieu, quel meilleur endroit qu'en zone neutre entre panthéisme et technologie ?...
Dans mon angle de vision, une silhouette, une forme se dessine. Habituée à l'obscurité, à l'affût et prête au combat, je sors ma lame...
Jeu 28 Juil - 14:00
Loin d'être du genre à se plaindre des conditions de voyage, il fallut à Amara gigoter un certain temps pour trouver une position relativement confortable à l'arrière de la charrette. Le chemin étant cahoteux, chaque secousse se faisait ressentir, bousculant la jeune femme, mais aussi la marchandise transportée. Dès qu'elle le pouvait, elle arrangeait les divers objets les plus près d'elle pour qu'ils cessent un tant soit peu de faire leur vacarme. Autrement, il n'y eut que quelques échanges entre le médecin et son vieil ami, notamment pour se passer une gourde d'eau assez fraîche.

Le soleil s'en alla se reposer, Amara se laissa transporter par le paysage nocturne. Les dunes prenaient peu à peu une teinte laiteuse, éclairées par la lune. Aramila étant un pays illuminé à la bougie, peu de pollutions visuelles viennent obstruer le ciel, si bien que la jeune femme se perdit dans la contemplation des étoiles. Elle s'amusa même à reconnaître quelques étoiles, celles dont elle avait appris le nom grâce à son père, lors de voyages auprès de ses parents dans tout le pays. Le souvenir la rendit soudain nostalgique et elle préféra ne plus y penser, pour ne pas se perdre dans le chagrin. Le moment n'était pas idéal pour chouiner.

Près d'un pont reliant les deux nations d'Epistopoli et Aramila, l'aventurière donna l'ordre à Esteban d'arrêter la course des chevaux. Sortant de sa contemplation, la doctoresse se pencha vers son ami en regardant Willow s'éloigner.

- Ne craignez-vous pas qu'il lui arrive quelque chose ?

- Ouh la, j'ai pas le temps de m'inquiéter pour elle. Si je crains quelque chose, c'est plutôt pour vous !

Amusée par sa réponse, car Esteban n'a jamais le temps pour rien si on l'écoute bien, mais aussi vexée qu'elle soit toujours le centre des inquiétudes, Amara repris sa place dans la charrette. Enfoncée dans son petit coin, elle marmonna, comme une enfant boudeuse.

- Aventurière ou non, ce n'est pas raisonnable de se séparer de la sorte.

- Je n'ai jamais dit le contraire, mais vous avez entendu la demoiselle, les ordres, ce sont les ordres et celle-là n'a pas l'air commode.

- Je vous trouve bien dur Esteban, j'ai une très bonne estime de Willow. Je sens que c'est une personne de confiance…

- Mais vous auriez confiance si le Diable se trouvait en face de vous !

S'ensuivit un rire du vieil homme. S'il y a bien deux vérités dans ce monde, selon lui, ce sont les suivantes : on donnerait le bon Dieu sans confession à Amara et cette dernière est incapable de voir la malice dans les yeux de l'humanité. Bien qu'elle soit habituée à ce genre de remarques, suivies d'éclats de rire bien grâce, la demoiselle n'appréciait guère que l'on se moque d'elle de la sorte. Pour autant, elle voyait dans ces paroles le fond de vérité et était bien incapable de se défendre en prétendant le contraire. Ne voulant guère donner plus de grain à moudre à son ami, elle écarta le sujet :

- Ne devrait-elle pas revenir ?

- Si elle sait faire son travail, oui.

La doctoresse remua de nouveau dans la charrette pour se pencher vers son ami domestique. Malgré le manque de lumière, Esteban n'avait pas besoin de se retourner vers elle pour savoir que ses petits yeux humides et sa moue enfantine mettront tout en œuvre pour le convaincre de quelque chose.

- Je crains qu'elle fasse une vilaine rencontre. Ne voulez-vous pas suivre sa trace pour vous assurer de sa sécurité ?

- Et là votre de sécurité, qui va la garantir ? Les chevaux ? Votre capacité à vous défendre ? Vous avez beau avoir tout un attirail de scalpels et autres couteaux à l'arrière, vous ne feriez pas de mal à une mouche…

- Mes mains ne sont pas faites pour blesser ! Et vous savez fort bien que me recherches me traumatisent bien assez pour faire avancer mes connaissances…

- Le débat est clos, je ne bouge pas de cette charrette. Si votre copine arrive en toute hâte, il faudra bien quelqu'un pour guider les chevaux et filer à toute allure.

Résignée, Amara retrouva sa position à l'arrière, tout en soupirant. Elle n'avait d'autre choix que d'attendre le retour de Willow.

*****

L'ombre observait cette femme, au loin, qui venait de se détacher de ses compagnons de voyage. Seule, elle s'éloigna et tout dans son attitude traduisait une extrême méfiance. À voir la manière dont elle se déplaçait ainsi que son équipement, elle fait office de gardienne et d'éclaireuse, les deux à la fois. Bien que ses sens semblaient en alerte, au moment où elle s'approcha de l'eau, son courant et sa fraîcheur semblaient brièvement lui faire baisser les armes. L'ombre se mouva, en silence, mais elle savait qu'elle avait été repérée. Se voulant rassurante, ou désirant noyer le poisson, elle l'interpella :

- Ce n'est pas très judicieux de se séparer en pleine nuit par ici. Le danger rôde.
Mer 17 Aoû - 7:26
Ma lame tombe sur la voix.
La forme ne bouge pas.
Ses formes, douces et fines, allongent son allure sans éclat.
Ses yeux, comme deux billes de chat.

Son visage, comme une nuit pâle.
L'arme tendue nous sépare.
- Un pas de plus et je t'empale.
- Quelle violence à mon égard.

Son sourire délivre deux canines
- Ne t'approche pas ou je t'échine.
- Je ne suis point là en ennemi...

- Je reconnais ton style cowboy,
Tout, chez toi, indique la marque des Strigoi...
Que me veux-tu donc "ami" ?

- Te mettre... Vous mettre en garde
Contre le mal rongeant cette contrade.
- J'ai été à bonne école,
La fourberie est votre méthode.

- Je comprends ta distance
Mais nous ne sommes pas tous de la même engeance.
Le savoir est une arme bien plus redoutable que la tienne,
Méfie toi des apparences, citoyenne.

- Qu'est-ce que cela t'apporte
De m'ouvrir cette porte ?
Toi qui n'a plus de reflet dans le miroir.

- La maladie a bien des aspects
Dans lesquels certains peuvent se tromper.
C'est à toi ou non de me croire...
Lun 12 Sep - 7:02
Alors que les prunelles de la doctoresse scrutaient le ciel, s’accrochant à une étoile filante et éphémère, prête à faire un vœu, Willow mis fin à l’attente et les rejoignit. Cette dernière traîna des pieds dans le sable, sans doute pour les alerter de sa présence bienveillante, mais tout de même Amara sursauta à l’arrière de la charrette. Ignorant qu’elle venait de faire également sursauter Esteban avec sa propre réaction, elle s’attarda sur le visage de l’aventurière. Plus elle s’avançait, plus ses traits semblaient crispés.

- Qu’y a-t-il donc ? Avez-vous vu quoi que ce soit que nous devrions craindre ? Vous n’avez rien, j’espère ?

S’accrochant à la structure de la charrette, enfonçant ses ongles dans l’attente d’une réponse, Amara cessa son flot de questions. Davantage serait bien impoli et son serviteur ne se priverait pas de le lui faire remarquer. Tout comme lui, elle écouta Willow leur conter cette rencontre avec un Strigoi. À la mention de cette race, la doctoresse se pinça les lèvres. Car si certains se plaisent relativement dans la société en adoptant un régime dit « végétarien », la plupart ne savent ni se réfréner, ni se fondre dans la masse et les rencontrer est souvent synonyme de danger, voire de mort.

- Il ne vous a pas… ?

N’étant pas nyctalope, même si ses pupilles ont eu le temps de s’habituer à la lumière de la lune et à ses reflets sur l’étendue de sable, impossible pour le médecin de déceler la moindre morsure dans ces conditions. Elle était prête à bondir, si un malheur s’était déroulé, pour apaiser ses maux. À l’arrière de la charrette, vu tout ce qu’elle transportait, elle aurait bien quelque chose pour la soigner. Néanmoins, le signe de la tête de Willow était clair : pas d’attaque, pas de morsure. Le Strigoi ne lui avait pas fait de mal, au contraire, il l’avait mise en garde. Leur destination était en proie à une attaque de grande ampleur. Plusieurs de ses semblables s’acharnaient à vider de leur sang chaque nuit les habitants de ce village, se délectant de leurs gémissements, s’abreuvant de leur mise à mort lente, tirant du plaisir à les condamner sans moyen de se défendre.

Un frisson de peur mêlé au dégoût galopa sur l’échine de la doctoresse. Elle sentit à côté d’elle Esteban se pétrifier à son tour. Amara s’était engagée pour soigner des maux et non pour combattre quelques buveurs de sang ayant décidé de décimer tout un village pour occuper leurs nuits.

- Pourquoi vous a-t-il révélé cette sordide histoire ? Réussit-elle à demander, entre deux crampes au ventre.

Se repentir, voilà donc la motivation de ce Strigoi. Sans doute, était-il à l’origine de cette histoire et voyant l’ampleur qu’elle prenait, la cruauté des siens, il préférait y mettre un terme au plus vite. De la même manière qu’il était apparu, il avait discrètement disparu, sans laisser de traces derrière lui dans le sable. Willow, Esteban et Amara étaient donc au courant de cette affaire, mais que pouvaient-ils bien faire ? Voyant que sa protégée était plongée dans ses doutes, son domestique trancha.

- Vous n’avez pas été engagée pour tuer des créatures avides de sang, Amara. Nous rentrons.

Son ton très ferme la tira de ses pensées. Le temps d’analyser ses paroles, une première voix lui indiqua qu’il avait raison. Et puis, celle du médecin la fit se crisper, froncer un peu les sourcils et à son tour adopter une voix très sûre d’elle. Une attitude qui tranchait avec son habituel minois solaire et doux.

- J’ai promis à ces gens de venir au moins les ausculter, je ne me défilerai pas. Elle tourna son visage vers l’aventurière. Vous sentez-vous toujours capable d’assurer notre protection à tous dans ces conditions, ou bien devons-nous faire appel à l’un de vos confrères ? Je sais qu’il n’était pas question d’une telle histoire dans notre contrat initial, mais je ne laisserai pas ces innocents mourir en se vidant de leur sang, victimes d’un assassinat sordide.
Sam 24 Sep - 7:21
La ferveur d'Amara... Un don de soi que je ne connais qu'avec intérêts. Sa vitalité et son envie d'aider déposent un fugace sourire en coin à la commissure de mes lèvres. Ses mains, cramponnées au bois de la chariotte, son regard perçant de volonté. Tout me donne envie de dire oui, de répondre à son entrain favorablement.
Et pourtant, tout chez moi m'ordonne la négation. Le regard du vieil Esteban et ses mots résonnent comme une vérité.

- Pour une fois que nous sommes d'accord.

Je lui arrache un léger ricanement. Je récapitule en moi-même les étapes de notre périple. Tout d'abord, la demande des habitants victimes d'un mal inconnu. Le trajet sans embûches mais aux tensions palpables. Le pont, ma méfiance, jusque là tout va bien. Cette rencontre, le point de bascule. C'est à partir de maintenant que tout se joue. Deux options, un oui ou un non, à l'apparence simple. Refuser, c'est assurer sa vie avec le contrecoup d'un contrat échoué. Accepter, c'est le risque d'un retour en terre... Pute de brume...

- Trouver un autre aventurier ? Impossible. Nous sommes au milieu de nul part. Le point de guilde le plus proche se trouve soit à Amarila, soit à trois jours de marches. Mon instinct me dit de refuser votre demande mais j'ai été engagée pour assurer votre sécurité afin que vous puissiez aider ces gens...

Tout en remontant sur le véhicule, je me pose à côté de la jeune fille.

- J'crois que j'commence à vous comprendre Esteban...

Après un bougonnement inaudible, il claque les rennes, les chevaux claquent leurs sabots sur les pavés du pont. Aramila dans le dos, nous traversons le fleuve et passons en territoire épistopolien.

- Il nous faut trouver un abris jusqu'à demain. Arriver de nuit serait, selon moi, une idée dangereuse. Si la ville est en proie à des chasseurs de sang, nous serions à découverts et une proie facile...
Amara... À partir de maintenant, nous sommes au bord d'un précipice dans lequel chaque faux pas peut nous plonger. Tenez...

Je soulève un pan de mon pantalon, en ressort une petite lame simple que je tends à la doctoresse. Me penchant vers elle, je lui explique comment s'en servir rapidement.

- Si jamais vous devez vous en servir, tenez là bien fermement, voilà, comme ça et vous planter ici et ici. Le ventre est facile à viser et le coeur pour un maximum de dégât. Si vous devez taper dans les côtes, pensez à positionner la lame à l'horizontale afin de passer entre les os. Dans le cas d'un Strigoi, le meilleur endroit reste ici, la carotide. Ils ont besoin de sang pour être en pleine forme. Trancher la carotide leur en fera perdre beaucoup en un minimum de temps...

Le chariot s'arrête. Je crois qu'Esteban a trouvé l'endroit idéal.
Lun 3 Oct - 13:53
Ignorer le claquement sec de la mâchoire d’Esteban n’avait pas été chose facile, mais Amara savait tenir ses position, parfois. Impossible pour elle d’abandonner purement et simplement ces pauvres villageois qui ont placé leur confiance en cette jeune doctoresse, plutôt qu’en un médecin expérimenté, un homme de surcroît. Ici se jouait une question d’honneur et de serment, mais également de relever un grand défi. Le menton un peu en avant pour montrer sa détermination, elle brava le regard de l’Aventurière, tout en ignorant ses mains qui tremblaient.

Bien que l’offre n’était plus aussi alléchante que celle couchée sur le contrat initial, Willow ne se déroba pas face à la difficulté. Fière d’avoir été convaincante, la doctoresse n’avait tout de même pas le courage de commenter la situation. À l’avant de la charrette, on pestait, on avait l’impression de foncer droit à l’abattoir et Amara ne se sentait ni d’humeur à faire un trait d’humour, ni même à les réconforter. Il n’y avait qu’à voir le rouge de ses joues et sa poitrine qui se soulevait bien plus rapidement pour comprendre qu’elle-même avait peur. Pourtant, elle ne dit rien pour ordonner que les chevaux fassent demi-tour. La poupée était têtue, pas vraiment brave ou suicidaire, mais surtout du genre à camper sur ses décisions.

En terre étrangère, l’Aventurière fit part de son idée d’attendre au moins l’aube et la blonde ne la contredit pas. Parmi tout ce qu’elle avait entendu à propos des buveurs de sang, elle avait également retenu qu’ils sont nyctalopes. Ou peut-être pas. Dans le doute, ils n'allaient pas prendre plus de risque en agissant de nuit, quand leur vision à eux n’a rien d’exceptionnel. Alors elle acquiesça et regarda d’un air bovin la lame que lui tendait l’autre femme.

- Qu’est-ce… ?

Cet objet n’avait bien sûr rien d’inédit ou même d’extraordinaire. La lame présentée à elle, le manche de son côté, elle n’osait à peine la regarder. Elle n’avait pourtant rien de bien différent de ses scalpels, mais elle n’avait pas la même utilisation. Celle-ci avait pour but de tuer, si bien qu’elle lui paraissait interdite, dangereuse, maudite. Malgré sa gêne qu’on ne saurait ignorer, elle écouta les conseils avisés de la mercenaire, retenant où elle pourrait trouver une faille pour se défendre en cas de besoin. Le fera-t-elle ? Seuls les Dieux le savent…

- J-Je…

- On sait, vous avez fait le serment de sauver, pas de tuer, mais à cas exceptionnel, mesure exceptionnelle.

Visiblement agacé par l’hésitation de sa protégée, Esteban n’hésita pas à lui mettre la lame entre les mains pour qu’elle s’y familiarise. Un geste qui fit monter aussitôt les larmes aux yeux de la doctoresse. Décidée à ne pas pleurer, elle ne rétorqua rien, ni même n’essaya de se débarrasser de l’arme. Comme un objet précieux, elle le manipula avec toutes les précautions du monde, songeant à l’endroit dans sa toilette le plus propice à le cacher. La charrette s’arrêta dans un endroit offrant un point de vue non-négligeable sur l’horizon, mais apportant également une certaine protection. À tour de rôle, les trois individus pourront trouver du repos, jusqu’au retour de l’astre diurne au loin. Il sera alors le signe qu’ils devront finir leur voyage et trouver un moyen de venir en aide aux villageois.

Encore chamboulée de sentir la présence de cette lame dans ses vêtements, elle regarda Esteban s’éloigner de quelques pas pour se dégourdir les jambes, alors que l’Aventurière vaquait à ses occupations. D’une voix faible, elle l’interpella.

- Vous devez me trouver bien pleutre, mais il m’est impossible d’imaginer faire du mal à qui que ce soit, même à mon ennemi. J’espère que je n’aurais pas à me servir de cette lame.

- Je prends le premier tour de garde, reposez-vous en attendant.

Le ton sec de son ami et serviteur ne lui laissa guère plus d’opportunité de faire preuve de courage et elle se glissa à l’arrière de la charrette, tant bien que mal, entre toutes ses affaires pour essayer de s’allonger. En fermant les yeux, elle imagina cette maudite lame, entre ses mains, mais aussi entre les côtes d’un buveur de sang avide de goûter le sien. Cette vision lui donna un haut-le-cœur et une nouvelle envie de pleurer.
Ven 25 Nov - 5:58
La nuit coule entre la canopée silencieuse. Solennelle, son étreinte froide glisse un baiser immortel sur nos joues. Un frisson me remonte l'échine. La chair de poule jusqu'au bout des doigts, je réveille mes sens. Le bruit du vent, l'hululement d'un rapace nocturne, une chouette, ocellée, mouchetée ? Non, non, cette fin de cri, signifiant sa présence, plus aiguë, plus haute avec un roulement comme l'écume d'une vague mourrant sur le sable : c'est une chouette dryade. Un sourire sur les lèvres, je me remémore les enseignements de la guilde. Les heures, me paraissant des siècles, à apprendre par coeur des listes entières de bestiaires.

Sans un mot, je me pose à côté d'Esteban. Nous n'avons pas besoin de parler pour nous comprendre. Cette nuit, la petite doctoresse ne sera pas de garde. La prochaine journée, floue, la prochaine nuit, imprévisible, elle doit se reposer. Un regard croisé, un léger sourire fugace. Les crocs sortis envers tout inconnu, nous avons, au final, de nombreux points communs. Nous ne l'avouerons pas, trop fières. Le temps file et égraine ses secondes dans le silence nocturne. L'homme de main se lève et pose une main sur mon épaule. Je comprends, qu'à partir de maintenant, je vais être seule. J'en ai l'habitude.

Les jambes repliées, les coudes autours des genoux et le dos droit, je me repose d'un seul œil, les oreilles aux aguets. La respiration lente, je limite la perte d'énergie. Sans le voir, je ressens les premières lueurs de l'aube entourer mes tibias, me prendre les mains pour enfin me caresser le visage.
Derrière, un pied vient écraser le sol et fait craquer une branche morte. La main sur mon arme, je me tourne, genou au sol prêt à bondir... Fausse alerte, il ne s'agit que de


-HAAAAAA-HAAAAAAAAAAAAAAAAA !

Le cri transperce l'espace, s'enroule autour des bâtisses pour finalement disparaître avec les dernières fumées du petit village en contrebas...