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Des corps sans valeur | Pamyfja & Mirefenn

Des corps sans valeur | Pamyfja & Mirefenn Brandw10
Sam 11 Fév - 21:12
Alors qu'elle attendait dans un couloir froid et désert d'une des ailes du Pôle, Pamyfja fermait les yeux et consultait ses nouvelles autorisations. La taille de son monde avait doublé, non, triplé même ! Jamais elle n'avait quitté les locaux réservés à la conception d'automates et encore moins toute seule. Était-ce de la peur qu'elle ressentait face à l'inconnu ? Ou bien alors, une excitation qu'elle contenait à peine alors que les décors changeaient ? Elle ne pouvait s'empêcher de marcher d'un pas dansant quand elle se savait seule et de sursauter à chaque nouvelle vue qu'offraient les nombreuses vitres du bâtiment. Loin de là l'idée de dire qu'Epistopoli avait drastiquement changée, mais malgré tout, pour un être qui n'avait jamais rien vu d'autre que les néons et la fumée âcre de la ville, un changement d'angle faisait toute la différence.

La porte devant laquelle l'automate se tenait finit par s'ouvrir. Elle n'eut pas à forcer pour dissimuler son air ahuris ; la seule présence d'une blouse blanche suffisait à lui saper le moral.

-Tiens, tu donneras ça à Mirefenn. Hors de question que je me balade avec ces "choses" dans les bras. C'est tout bonnement répugnant.

Le scientifique lui déposa un ensemble d'échantillons dans les bras. Il avait peiné à les porter jusqu'ici, mais Pamyfja ne bronche pas alors qu'il les lui lançait presque.

-Cela sera fait sans délai, affirma-t-elle.

Et elle s'en alla en direction des laboratoires biologiques.

D'un air curieux, elle observait le contenu des flasques tout en s'orientant avec précision dans une série de couloir. Des organes de toutes formes étaient ballotés dans du formol au rythme des pas de l'automate. Il n'y avait qu'une série cryptique de chiffres et de lettres d'inscrit sur le verre pour toute information. Le commun des mortels n'aurait rien pu y déceler, mais pour un automate connecté aux serveurs du Pôle, cela revenait à consulter un livre ouvert. Alors qu'elle accédait à la base de donnée, elle comprit que ces tissus étaient des échantillons d'un mutant ayant récemment été mis en pièce. Les notes sur les observations des organes étaient innombrables, et pourtant, il n'y avait aucune information sur qui était cette personne avait de passer sous le scalpel des blouses blanches.

L'automate faillit rentrer dans un mur et s'arrêta à un millimètre du métal qui le couvrait. Elle émit un petit rire nerveux alors qu'elle comprit qu'elle avait loupé la porte d'un bon mètre et elle zigzaguât dans le laboratoire en reprenant son sérieux.

-Bonjour docteur Clawthorne. Je me suis permise de vous apporter les échantillons que vous avez réclamée aux chambres froides.

Pamyfja déposa le tout à un endroit approprié sans détourner son attention de la scientifique.

-Aujourd'hui encore, je suis à votre disposition pour vous assister dans vos recherches. Sachez que c'est un plaisir pour moi de travailler avec vous et j'espère ne vous causer aucune gêne.

Évidemment, la dernière partie était un mensonge. Mais qui pouvait s'en douter ?
Lun 20 Fév - 22:35
Alors que s'ouvre la porte de mon laboratoire, nos regards se croissent un instant. Un instant suffisant pour que l'étrangeté m'habite. Un sentiment prégnant, qui déclenche un spasme involontaire de l’œil droit. Un sentiment que je suppose similaire à celui qu'éprouve ceux qui viennent à me confondre, les nuits d'orages, à une échappée d'une maison de poupée – comparaison qui m'a toujours laissé circonspecte. Un sentiment qui perdure jusqu'à ce que le bruit de ses pseudo-sabots sur le sol rompe l'enchantement ne laissant dans son sillage qu'une pure satisfaction face à ce qui se présente à moi.
Mes échantillons !
Un service qui arrive à point nommé. L'anticipation des besoins par ce nouveau modèle est proche de la perfection.

« Humm ? Bien. »

À la voir tendue, à entendre ses doutes, j'en aurais presque envie de la rassurer sur la possibilité qu'elle puisse être d'une quelconque gêne, ou simplement de la remercier…
Ces dialogues de routine, sans être néfastes, viennent encombrer la pure efficience de la machine. Pourquoi avoir chargé autant l'émotionnel et la fonction phatique ? Ils ne se contentent plus de faire des outils… voici que les ingénieurs en automatique s'échinent à reproduire la psyché humaine ou, du moins, de la singer de la façon la plus convaincante possible, jusque l'obséquiosité de rigueur lors du contact avec un supérieur. C'est une réussite, par moment j'en viendrais presque à la considérer comme une véritable stagiaire. Heureusement le compte-rendu qui m'est demandé met une emphase toute particulière sur les performances estimés du système AMFA – original de déléguer ainsi les évaluations des projets dont l'on a la charge, cette stratégie a probablement été privilégiée dans le cadre de la politique de rapprochement des services, peut-être que je pourrais m'y laisser tenter à l'avenir.

Il ne m'a pas fallut longtemps pour constater l'ampleur des perspectives du projet… espérons simplement que les sciences comportementales aboutissent en premières à un résultat satisfaisant sur ce domaine. Le contraire démontrerait un constat déplorable sur les possibilités humaines.
Je racle ma gorge alors que le contact oculaire se rétabli. Habitude déplacée en cette compagnie.

« Pamfa-00. Dépose les échantillons sur la paillasse. »

Les échantillons valsent une dernière fois avant de se stabiliser. Encore un échec… pourtant chez certains cobayes les greffons sont assimilés avec les mêmes modalités de traitement. Avoir déterminé la concentration anormale en Banshérine dans leurs organismes et produit un sérum à partir du sang de ces spécimens fortunés ne suffit pas.
Un facteur m'échappe.
Mais j'approche au but.
La dégénération de celui-ci a été bien plus lente. Et il aurait probablement eu encore quelques jours à vivre si l'on ne m'avait poussé à avancé son trépas. Si les observations in-vivo se sont arrêtées prématurément, au moins cela aura permit de préserver les tissus. Quels secrets gardent-ils ?

« Pamfa-00. Téléchargement puis exécution des protocoles de préparation Bpm-12 à Bpm-15. »

Je n'ai pas besoin de tant de rigueur. Il est vrai que ce prototype comprend bien mieux le langage naturelle que nombre de ses prédécesseurs, tout à l'heure en salle de repos des collègues ont déjà tenté d'en tester les limites. Les incubateurs qu'ils attendaient se sont libérés avant qu'ils ne puissent y parvenir. Implémentation étrange ; au vu de la rigidité de la technocratique et de son penchant pour les dénominations strictes, j'en venais jusque là à penser que le langage humain se standardiserait plus… non l'inverse.

J’achève la rédaction interrompue de mon compte-rendu avant de séparer les échantillons en deux lots, sans que plus d'un regard sur chaque code ne me soit nécessaire. Mains gantées, manipulation brève d'un échantillon, section précise du nerf ciblé, disposition sur lamelle. Rien ne déconcentre cette chorégraphie automatique. Et cette fois, mon assistante semble aussi vive et adroite que moi. Si ces petits travaux ne me relaxaient pas, il y a bien longtemps que je les aurais entièrement dédié à nos automates.

« Quels sont les apports estimés au projet AMFA de cette mise en condition ? À priori ce n'est pas ici que tes performances seraient mises à l'épreuve. Ha heu… réflexions personnelles bienvenues. »
Mer 22 Fév - 17:25
Docteur Clawthorne était étrange, et ce, même au sein d'une communauté scientifique qui avait pour habitude de réunir des énergumènes plus dérangés les uns que les autres. Une personne aussi froide que la glace et infiniment professionnelle, cela aurait été peut-être été ainsi que Pamyfja aurait imaginé les blouses blanches en se référant à une définition de dictionnaire. Il était difficile de se la représenter en dehors de son laboratoire, d'ailleurs, c'était ici qu'elle passait le plus clair de son temps. L'automate aurait peut-être pu trouver du confort avec des interactions aussi carré, mais étrangement, le regard de cette femme la mettait profondément mal à l'aise. Son visage de porcelaine n'affichait aucune autre expression mis à part celle de la concentration et ses yeux normalement clairs se teintaient de la couleur du sang dans l'ombre. En bref, elle était terrifiante. C'était comme si un prédateur portait sa peau pour se mêler au reste du monde.

  Cependant, les apparences étaient trompeuses - Pamyfja en savait long sur ce sujet - et même après les nombreuses interactions qu'elle avait eues avec le docteur Clawthorne, elle ne pouvait toujours pas cerner cette personne. La prudence restait donc de mise.

  En recevant ses instructions, l'automate roula (discrètement) des yeux en entendant des ordres aussi cryptiques. Certes, elle pouvait consulter sa base de données pour trouver rapidement ce qu'étaient les "protocoles de préparation Bpm-12 à Bpm-15", mais cela lui demandait de la concentration et ne faisait pas travailler sa mémoire interne. En effet, à la manière des êtres organiques, Pamyfja possédait une mémoire à court et à long terme. Ces deux aspects de sa mémoire, existant en parallèle de sa base de donnée personnelle, fonctionnaient bien mieux avec des instructions plus naturelles. C'était à force d'expériences et d'exercices que ses mémoires plus "naturelles" se remplissaient.

  En une poignée de seconde, elle comprit ce qu'elle devait faire et s'exécuta.

  -Bien compris docteur, affirma-t-elle d'un ton enjoué.

  De la même manière que Mirefenn, l'automate s'équipa de gants et d'un scalpel et l'assista sur la table d'opération. Il était amusant de savoir qu'une "jeune femme" aussi guillerette que Pamyfja n'éprouvait aucun dégoût devant des morceaux d'organes et des tissus organiques. N'importe qui aurait eu un haut le cœur face à ça après tout. Peut-être était-ce simplement dû au fait que ces "choses" lui étaient totalement étranger, qu'elle savait, dans le fond, que son corps n'était pas composé de viande. Cela expliquerait certainement pourquoi son stress montait en flèche lorsqu'elle était exposée à ses propres entrailles robotiques.

  Une question lui fut posée, et aussi innocente paraissait-elle, elle mit en alerte la conscience de l'automate. "Réflexions personnelles bienvenues", quel terrible attrape nigaud pour les intelligences artificielles.

  -Ce que vous réalisez dans le département biologique est déjà très pointu et n'est certainement pas à la portée de tous, du moins, pas sans un apprentissage laborieux. Je suis flattée que vous trouvez mes performances satisfaisantes et j'espère satisfaire les autres départements de la même manière.

  Pamyfja continuait d'assister le docteur tout en parlant. Elle anticipait les outils dont elle avait besoin et les lui tendait avant même qu'elle en émette la demande. De son côté, l'automate organisait et triait les découpes tout en les annotant.

  -Concernant les objectifs du projet AMFA, les chercheurs tentent désormais de réaliser un produit finit et satisfaisant pour les investisseurs. N'ayant plus besoin de moi en tout temps, il a été décidé que je devais faire mes preuves sur différents terrains et domaines. Pour l'instant, je me contente d'aider les différents départements du pôle en attendant mes premières affiliations.

  Elle reprit après un court silence.

  -Me concernant, je suis heureuse d'avoir l'opportunité de découvrir et d'assimiler de nouvelles connaissances. Je suis, ce qu'on pourrait appeler, un automate curieux par nature.

  Aussi insipide et banal que pouvait être le début de son discours, la fin, elle, avait au moins le mérite d'être vrai, bien que cela ne représentait que la surface de l'iceberg.
Jeu 9 Mar - 20:45
La curiosité était un paramètre bien utile à avoir introduit dans l'unité qui m'assistait studieusement. Utile, mais non nécessaire, encore une fois. Cherchaient-ils donc plus qu'une simple interface exécutrice ?
Curiosité ou plaisir importe peu, son efficience n'en est pas entamé et son attitude ne doit révéler aucune jouissance morbide à la découpe de créature organique… du moins je l’espère. Faudrait-il notifier cette disharmonie du module émotionnelle ?

« Tant qu'il s'agit du suivit d'une procédure, n’importe-quel automate de précision est en mesure de nous satisfaire… même des modèles moins bavard. »

Je suspend mes gestes un instant, m’apercevant que PAMFA-00, ayant achevée les préparations des échantillons de son coté, me tendait les outils nécessaires. Mon acquiescement reconnaissant s'avorte à peine entamé et je reprend mon travail et la conversation.

« La polyvalence est un frein et n’entraîne qu'une augmentation considérable du coût de production pour des performances d'ensemble mitigés. Bien que je mesure l'importance en terme de recherche du projet AMFA, son usage, lui, demeure questionnable. »

Tout spécimen de haute technologie qu'est cet automate, son avenir m’apparaît évident.
Je sépare délicatement la fine couche externe d'un muscle dorsal muté pour le noyer dans un liquide incolore sous une énième lamelle. De nouveau, des signes de sclérose se devinent sur le tissu. La mutation reste superficielle, l'organisme ne parvient pas à maintenir la masse musculaire augmentée dans trop de cas.
Une fois les découpes réalisées, je rassemble les abats morcelés et pointe une trappe murale : direction l'incinération.

« Enfin… ça ou le musée. », souffle-je dans un léger soupire.

L'ordre reste silencieux alors que déjà mon regard lorgne au travers du microscope, traqueur de la moindre différence marquante dans la nouvelle collection d'échantillon. Les divers marqueurs colorent les vues organiques, mais aucun ne vient tromper ma frustration. Ne restera qu'à attendre l'hémato pour pouvoir statuer sur une quelconque progression. Je poursuis mes observations, prenant prétexte de la présence inhabituelle pour un glissement de sujet sans perdre trop de mon attention sur ma tache principale.

« Alors, curieux automate, un domaine qui t'intéresses plus qu'un autre pour l'instant ? Il est toujours possible d'influencer tes prochaines affectations. Ou ne fais-tu qu'absorber le plus possible sans que rien ne te guide ? »

Sous l'optique certains échantillons présentent sans conteste une découpe plus régulière, plus parfaite.
Mar 14 Mar - 16:41
Le docteur était cassant, brutal même dans ses propos. Pouvait-on lui en vouloir de froisser les sentiments et la fierté d'un automate ? La société d'Espitopoli n'en avait certainement rien à faire, mais Pamyfja, elle, était de plus en plus frustrée. Comment pouvait-elle prouver son utilité si être parfaite dans tous les domaines ne suffisait pas ? Être capable de posséder toutes les connaissances du monde dans une base de donnée en tout temps et l'appliquer avec une rigueur experte n'était-il pas assez impressionnant ? Les créations des humains étaient déjà suffisamment avancées, les surpassaient même parfois, et pourtant, ils s'acharnaient à optimiser et à pousser le vice encore plus loin !

  Éprouvant un bref lag, l'automate se dépêcha de conduire l'échantillon à l'incinérateur pour cacher son horreur. "…son usage, lui, parait questionnable." Comprenait-elle seulement ce qu'elle venait de dire ? Si le monde ne lui donnait pas de place, elle allait tout simplement être supprimée et oubliée à jamais. Comme prise d'une crise d'angoisse, elle fixait la trappe de l'incinérateur alors que derrière faisait écho le bruit des flammes infernales qui grondaient furieusement. Allait-elle un jour elle aussi se retrouver là-dedans ?

  Je ne veux pas mourir.

  Clawthorne reprenait ses questions comme si elle passait le temps. Un véritable champ de mine. Pamyfja se croyait être de retour chez la psychologue et elle détestait ça. Affichant à une expression neutre, l'automate se remit à disposition du docteur et répondit posément.

  -Je ne pense pas qu'il existe de domaine qui ne mérite pas d'attention, mais si je devais choisir, je pense que je m'orienterais vers des milieux sociaux. Comprenez, j'ai toujours connu le pôle et mis à part le département des ressources humaines, il n'y a pas grand-chose qui représente cet aspect disons… loin de la logique implacable et de la course à la productivité.

  Le docteur était concentré sur son microscope et l'automate n'était même pas sûr si on l'écoutait ou non.

  -Au contact des sciences numériques, mécaniques, et plus récemment, biologique, j'ai grandement appris, mais je commence à atteindre un plafond qui ne peut être détruit que part la diversification de mes expériences. Cela peut ressembler à de la lassitude, mais voyez plutôt cela comme la volonté de mes préceptes à me pousser dans la direction du savoir.

  Et pourtant, qu'elle était lasse de cet endroit morne et froid.

  Comme si elle recevait un appel sur une oreillette, Pamyfja s'écarta du docteur et consultait quelque chose d'invisible pour les êtres de chair et d'os. Une expression songeuse apparut sur le visage synthétique de l'automate et après quelques secondes, elle se tourna de nouveau vers Mirefenn.

  -Ceci est sûrement une erreur, mais j'ai détecté plusieurs anomalies avec le système de sécurité. Un avertissement a été envoyé aux gardiens et ils devraient régler cela au plus vite.

  Elle avait passé sa vie ici, et comme on pouvait le faire lorsqu'on vivait suffisamment longtemps dans une maison, Pamyfja interprétait comme un doux fredonnement le langage que parlait les caméras et autres engins disséminés dans tout le pôle. À la moindre dissonance, même si elle n'y faisait pas attention, elle le remarquait dans l'instant.