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Les volontés d'Eos

Les volontés d'Eos Brandw10
Jeu 2 Fév - 15:52
Les années passent et invariablement on se lasse ; on finit toujours par revenir au point de départ. Mais dis-donc, quel est ton point de départ à toi ? J'aimerais avoir ta réponse, peut-être que cela pourrait m'aider à trouver le mien. J'ai toujours imaginé que c'était Andoria, que je venais de là, car tous mes pairs y sont rassemblés et chaque visite, chaque retour amène son lot de surprises, comme des bulles de nostalgie remontant à la surface de l'océan.

« - Esmée, bon sang, qu'est-ce que tu fous ici ?!

- Ah. »

Des bulles auxquelles on ne veut pas toujours se confronter. On essaye du moins. J'ai tendance à me dire que c'est une forme de courage, non ? Moi qui confonds cette vertu avec la témérité la plupart du temps, me voilà à aller mettre le nez dans des ennuis que j'ai laissés derrière moi depuis longtemps. C'est pas ça, affronter ses démons ? Non, ça c'est quand je prends mes délicieuses pilules... D'ailleurs où sont-elles ? Merde, je les ai laissées à l'auberge. Ou l'hôtel, je ne sais plus, je n'ai pas trop regardé ; tout ce que je sais, c'est que l'aubergiste avait un air simplet. Même parmi les élémentaires, il existe des couteaux pas trop affûtés dans les tiroirs.

« - Je ne suis pas sûr de vouloir avoir cette conv-

- La dernière fois que l'on s'est vu, tu avais toute la ville aux fesses. Cela fait plusieurs siècles et maintenant tu te pointes ici comme une fleur, comme si on allait oublier ?

- Ouais, euh, écoute, j'ai eu pas mal de travail et puis j'ai fini par rendre le livre, tout est bien qui finit bien non ? »

Non, peut-être pas. Lui c'est Albert, mon colocataire de l'époque. On partageait les mêmes passions à l'époque : mettre notre nez dans ce qui nous regardait pas. À y songer, des souvenirs me reviennent, sortis de cette mémoire morcelée et inefficace. Ah, voilà, je l'avais planté, il n'avait pas eu le droit de lire les « écritures sacrées ». S'il savait. À part quelques vieilles inscriptions au sujet d'un vieux royaume, il n'y avait finalement pas tant que ça de sacré.

L'élémentaire de vent me barrait le chemin, de toute façon. Il. n'y avait pas âme qui vive aux environs et même si c'était le cas, les gens ici ne cherchent jamais à intervenir. Les altercations sont rares parmi les élémentaires, qui ne voient pas l'intérêt de la violence généralement. Sauf certains mais ceux-là ne vivent pas en communauté. Tout est tellement stérilisé ici, à Andoria.

Mais j'étais aussi fiché. Qu'étais-je venu faire ici déjà ? Ah oui, je voulais justement me rendre sur les lieux du crime, mais cette fois-ci sans intention d'enfreindre les règles. Enfin ça, c'était avant de tomber sur Albert.

« - Ne croie pas que je t'ai oublié, tu m'avais promis de ramener le livre. Je t'avais payé pour ça et à la place, qu'est-ce que tu as fait avec mes économies... ?

- Un bon investissement ? Je peux te rendre au centuple ce que tu m'avais gentiment prêté ! Pas besoin d'en venir aux mains.

- C'est pas l'envie qui me démange... mais je ne tiens pas à avoir davantage d'emmerdes avec le doyen. Par contre, tu m'en dois une et je t'avoue que je compte bien saisir toutes les opportunités pour ne pas vivre mes derniers jours ici. »

Ses derniers jours ? Déjà ? C'était bien vrai qu'il avait quelques années d'avance sur moi... quelques siècles en vérité. Le bon Albert semblait exténué à mieux y regarder ; il avait quelques cheveux gris et des traits plus marqués. Lorsque les signes de la vieillesse physique surviennent chez les Élémentaires, il est généralement déjà trop tard. Quelques jours à tout casser avant que son apparence ne s'effiloche et qu'il ne retourne à la Brume. J'avais déjà vu ça une fois, c'était pas joli...

« - Qu'est-ce que tu attends de moi, Albert ?

- Tu as un aéronef non ?

- Et donc ? Tu es fait d'air, tu peux voler !

- Peut-être, mais pas sur de longues distances. Et je ne compte pas utiliser mes dernières forces ainsi. Il y a un endroit où je veux aller... »

Et mon petit doigt me disait que cet endroit ne se trouvait pas en ville, évidemment. Je pouvais profiter de sa faiblesse pour lui faire faux bond, mais je n'avais pas envie de fuir. Je l'ai déjà trop fait durant toute ma vie et aujourd'hui est un nouveau moi, une nouvelle période où j'assume mes actes. Ou presque. Enfin, je le voyais déjà venir ; ses vieux objectifs n'avaient pas changé et je le suspectais d'avoir fini, d'une façon ou d'une autre, par mettre la main sur l'objet de ses convoitises.

« - Je crois comprendre. Pourquoi le Royaume Oublié t'intéresse-t-il autant ? Ce ne sont que de vieilles ruines...

- De vieilles ruines ? C'est notre passé, c'est notre origine ! N'as-tu donc jamais cherché à savoir d'où tu viens ?

- Ah ! Bon point. J'imagine que je n'ai pas trop le choix donc, puis tu as de la chance que je sois venu en ballon, héhé. Mais les Terres Brûlées sont vastes, où veux-tu aller précisément ? » demandai-je, le sourcil levé, circonspect.

Albert me sourit, dévoilant sa dentition parfaite. S'il n'avait pas adopté cette apparence à un stade de sa vie où il était encore un petit souffle d'air inconscient, on aurait pu le suspecter d'avoir choisi un larron avec une bonne poire. Évidemment, les considérations sur la beauté et l'attirance physique sont généralement étrangères aux Élémentaires et je n'avais des notions là-dedans qu'à cause de ma proximité constante avec les Humains, que j'observais parfois évoluer dans leur environnement naturel pour assouvir ma soif constante de curiosité. Toujours est-il que cette mimique ne répondait pas à ma question, mais appuyait sur les bons boutons. Je ne savais pas dans quoi je m'engageais, mais ça promettait d'être intéressant. Après un silence qui sembla durer dix minutes, mon vieil ami répondit :

« - La vérité ne s'est jamais trouvée dans les ruines du Royaume Oublié. Du moins, pas celles que l'on connaît. On tend à oublier qu'à une époque, Sancta n'occupait pas un territoire aussi vaste et que certaines régions les plus septentrionales faisaient aussi partie du Royaume.

- Aspharos ? Attends, tu veux vraiment que l'on mette les pieds là-bas ? » demandai-je gravement, sans nécessairement m'attendre à une réponse face à cette simple rhétorique. Elle me laissa suffisamment de temps de réflexion pour songer à mes dernières promenades dans les parages ; il n'y avait globalement pas grand chose à voir. De vieilles ruines, évidemment, mais je ne m'étais jamais posé la question de ce qu'elles pouvaient dissimuler. Ce qui est d'ailleurs inhabituel. « Intéressant... Ne perdons pas trop de temps dans ce cas, la soif de l'aventure me brûle déjà les ailes. »

Et dans mon cas, c'est généralement une bonne chose.
Jeu 9 Fév - 11:09
Notre passé prend toujours une forme propre à nos tourments, s'adapte à l'état d'usure de la couverture de notre vie, se fond dans notre ombre et devient une bête vicieuse dont la gueule béante est constamment ouverte, ses crocs prêts à s'abattre d'un moment à l'autre sur l'instant présent. Certains ont l'audace et le courage de s'armer puis, de se retourner pour affronter ce qu'ils ont laissés derrière eux. D'autres, lâches et profiteuses créatures, vivent dans un déni constant, ignorant qu'au premier instant de faiblesse, le passé les rattrapera impitoyablement. J'appartiens à la troisième catégorie, celle que j'ai façonnée rien que pour mon humble existence. J'ai laissé le passé aux morts et le présent aux vivants. Je suis une entité qui ne regarde que l'avenir. Seul le futur m'intéresse. Il y a longtemps, j'ai renoncé à être quelqu'un...

La tension n'était pas celle que je préfère. Dans cette petite auberge aux murs trop blancs pour être du bois, trop étroit pour un être libre comme le vent, j'avais détourné le regard parce que les quatre armes pointées sur moi étaient des plus désagréables... Voyons, ce n'est pas ainsi qu'on traite une jeune demoiselle...

- "Tu nous as trompés !!!" Hurla le plus laid d'entre eux. - "Sale garce... Tes prédictions étaient fausses !" Et d'autres accusations que je n'avais pas envie d'entendre.

- "Hola, hola, hola ! Ne nous énervons pas pour si peu !" Tentai-je afin de détendre toute cette mauvaise énergie.

- "Trois de nos compagnons sont morts ! Nous nous sommes ruinés pour cette putain d'expédition de merde et rien, nous n'avons rien obtenu ! Tu nous a bernés !" Cracha l'une des fripouilles.

J'avais levé un index accusateur et après quelques claquements de langue agaçants, prenant un air que je voulais - en vain - sévère, j'avais corrigé cette méprise de façon, à ce que même des êtres aussi inférieurs puissent me comprendre. Les canons des armes s'étaient faits plus enquiquinants encore.

- "Mes prédictions étaient justes ! Vous vous êtes arrêté de les écouter à la moitié, oubliant négligemment la mise en garde..." J'avais alors entendu quelques menaces de mort vraiment glauques et repoussantes alors, j'avais ajouté avec un doux sourire réconfortant. - "J'avoue... Qu'il est difficile de trouver une rime riche à brume, mais je maintiens qu'écume n'était pas un mauvais choix !"

La suite s'était faite dans une confusion parfaite, mélangeant des bruits de fracas, des coups de feu, des grognements gras de douleur et quelques offenses verbales qui n'avaient rien de très fleuri. Alors que la foule s'amassait rapidement devant l'auberge, la curiosité à son comble, ma silhouette blanche, sagement dissimulée sous un long manteau à capuche, en était sorti à toute vitesse avant que subitement, ma course ne se freine dans un effroi presque palpable.

- "Requiem du Paradis !" M'écriais-je.

J'avais oublié mon seul bien et paradoxalement, ce qu'il y avait de plus précieux au monde, dans ma chambre d'hôtel... En flèche, j'étais retournée à l'intérieur, ignorant le combat qui continuait même sans ma douce présence, allant de malentendu en malentendu. En hâte, j'avais grimpé l'escalier pour ensuite filer dans une petite pièce précise où m'attendait... L'homme humain à qui j'avais écrasé les bijoux de famille à l'aide de mon talon quelques minutes plus tôt... Son arme s'était cruellement braquée sur moi dans une menace silencieuse puis, un bruit inattendu, parfaitement impuissant, avait résonné alors qu'il venait d'appuyer sur la cachette. Ce modèle d'arme ne peut comporter que six balles, et six inutiles coups de feu avaient été perdus.

- "Comme je l'avais prédit !" M'amusais-je en lui adressant un clin d'œil. J'avais chopé mon précieux bâton avant de choisir comme chemin de fuite la fenêtre ouverte, filant sur les toits voisins. Deux autres hommes, peu malins, m'avait suivi, leurs coups de feu dépassant ma course à quelques bons mètres de moi. Instables et glissants, les toits n'étaient guère adaptés aux humains... Ces derniers m'auraient probablement touché mortellement si la patience avait été leur fort. Dommage pour eux ! Le premier vaurien, mon préféré pour le coup, avait rapidement abandonné en poussant quelques grognements plus proches de l'animal que du citadin. Quant au second...

- "Vous devriez renoncer, vous allez vous briser une jambe !" Criais-je en me retournant légèrement avant, une main à côté de mes lèvres en guise de porte-voix. J'avais effectué deux bonds, sautant vers un toit moins élevé puis vers le sol. L'atterrissage s'était déroulé sans accroche pour moi, mais un hurlement de douleur ainsi qu'un atroce son que j'avais à peine perçue m'avaient fait comprendre, sans que je n'ai besoin de me retourner, que l'humain derrière moi ignorait tout de l'art d'un atterrissage réussi... -"Comme je l'avais prédit !" Lançais-je en guise d'adieux.

Je courrais dans les rues sans avoir de destination. Je ne pouvais m'envoler ici, à la vue de n'importe qui... Ce serait trop flagrant et encouragerait plus d'un à me poursuivre d'une façon ou d'une autre. Mes ailes étaient et devaient être un ultime recours. Créature des cieux, je voulais néanmoins instinctivement m'enfuir par les cieux, d'une façon ou d'une autre... Mes poursuivants me rattrapaient. Au nombre de trois, ils étaient les plus dangereux, ceux qui ne gaspillaient pas leurs efforts et leurs munitions, focalisant toute leur rage bouillante sur ce qu'ils me feront une fois qu'ils m'auront attrapés...

Il y avait au loin, face à ma course, deux individus. Ils semblaient discuter. Ils n'avaient rien demandé. Leur conversation ne devait pas être plus intéressante que ma mort imminente alors, je m'étais placé entre eux, ma course s'immobilisant dans une valse que ma longue cape avait eu du mal à suivre dans sa grâce. - "Vous avez un problème plus important..." Ma voix de velours s'était invitée sans permission. Mon capuchon, légèrement penché vers l'arrière et se balançant encore suite à mon arrêt soudain, laissait entrevoir ma peau douce et blanche mais surtout, mon regard aux joyaux impénétrables. Il n'y avait aucune émotion, aucune nuance de détresse, aucune demande de faveur, seulement des miroir vides aux couleurs volées à un printemps féérique.

- "Là ! Tuez-les !" Hurla l'un des trois hommes à mes trousses. - "Les... ?!" Couinais-je, surprise de ne pas l'avoir vu venir. C'était effectivement désormais leur problème à eux aussi.
Jeu 9 Fév - 19:53


« Foutu boulot. Ras-la-casquette d’obéir aux ordres d’un vieillard sénile, pas foutu d’expliquer à son petit-fils dans quelles circonstances son père est décédé.
- Tu as besoin de repos, fils.
- Du repos ? Je dors suffisamment.
- Alors cesse de te plaindre. », rétorqua sèchement le chef de la guilde des assassins, beau-père d’Azur.

Le blondinet s’arrêta et baissa ses lunettes pour observer le monsieur d’un œil plus éclairé. Ah oui, il n’est pas content, pensa-t-il.

« Tu as pris la décision de quitter la guilde pour servir ton grand-père. C’est tout à ton honneur, mais ne viens pas te plaindre à la personne qui a perdu un élément important au profit d’un vieillard sénile.
- Tu as besoin de repos, mon vieux.
- Tu as de la chance d’être le fils de ta mère. Je t’aurais mis sous terre il y a bien longtemps.
- Peuh ! Que du blabla. Comme les politicards de Xandrie. Ça parle, ça parle, puis quand il faut agir, plus personne. C’est à cet instant qu’on appelle le batard du prince mort. »

Les deux marchèrent, encapuchonnés sous une cape noire. Leur direction n’était pas un grand secret : Epistopoli. Le chef de la guilde avait à faire sur les lieux et le jeune assassin l’accompagnait, le temps du voyage, pour assurer sa protection, râler sur les aléas de la vie et prendre l’air. Leurs chemins se séparèrent peu avant l’entrée dans la capitale.

« Fils.
- Qu’est-ce qu’il y a, le vieux ?
- Pas de grabuge. Je peux compter sur toi ?
- Bordel. Je suis l’homme-lige du roi de Xandrie. J’ai l’avenir du royaume entre mes mains. Que veux-tu que je fasse ? Toutes mes actions peuvent avoir des conséquences sur le royaume. »

L’homme du quarantaine d’années acquiesça et reprit sa route. Le blondinet emprunta la direction d’Andoria, merveilleuse cité à l'architecture indémodable où il espérait pouvoir s’abreuver paisiblement. Et incognito. Il entra dans le cœur de la cité et trouva rapidement une auberge aux allures plus chaleureuses et accueillantes. Bien plus propre que les auberges des bas-fonds de Xandrie. Sauf peut-être le Vieux Bernil, qui rivalise pas mal avec d’autres établissements.

« Que veux-tu, jeune homme ?
- Donnez-moi quelque chose qui m’emporte loin d’ici.
- Ah… Tu n’comptes pas faire dans la délicatesse.
- Non. Ce soir, il n’y aura ni finesse ni élégance. Je veux boire quelque chose de rouge, de noir ou de transparent. Un liquide qui repousserait les moins vaillant à l’odeur. Je veux boire quelque chose qui, dès la première gorgée, brûlera mon âme et m’emportera dès la deuxième. Vous pouvez faire ça pour moi, brave monsieur ? »

L’aubergiste le regard d’un air désespéré, probablement lassé de voir des alcooliques lui demander la même chose. Comme si l’alcool pouvait réellement changer la vie d’un homme.

« Je vais voir c’que j’peux faire, gamin. »

Azur patienta calmement, observant le vieil homme chercher un de ses breuvages dans sa réserve. Parallèlement, des bruits attirèrent son attention. Il semblerait que des hommes s’en prenaient à une femme. Bon dieu, ils ne vont quand même pas s’en prendre à elle, se demanda l’assassin en observant la scène. Le vieil homme revint avec une bouteille poussiéreuse. Azur sourit. Il savait que cet aubergiste ne se moquait pas de lui. Derrière lui, le ton monta. Puis sans vraiment comprendre comment ni pourquoi, la situation dégénéra.

« Gamin, tu f’rais mieux de partir. Je te resservirai le même plus tard.
- Vous rigolez, j’espère ? Je n’apprécie guère le gaspillage. Je boirai chaque goutte présente dans ce récipient. »

Après tout, les types n’en avaient pas après lui. Et d’ailleurs, la cause de ce problème s’était tirée, mais le capharnaüm continua. Curieux, l’assassin but son verre cul-sec et le reposa lourdement sur la table en lâchant un long râlement.

« La vache ! Ca arrache votre truc ! Je reviendrai. », fit-il joyeusement, requinqué.

Il lâcha une piécette sur le comptoir et emprunta les escaliers menant à l’étage. Un courant d’air passa, une fenêtre était ouverte et supposa que la demoiselle avait pris la fuite par ici. Il repéra quelques traces de pas, trop grands, trop lourds pour être ceux de sa cible, supposant qu’elle était poursuivie. Des impacts de balle sur les murs. Devait-il poursuivre sa route ? Evidemment. Quelle question ! il tomba rapidement sur un homme, gémissant douloureusement, probablement tombé du toit. D’un bond bien assuré, léger et félin, Azur se réceptionna à côté de ce dernier. Pensant recevoir de l’aide, l’individu déchanta en voyant son « sauveur » dégainer une dague.

« Où est-elle ?
- Qui ça ?
- Ne joue pas aux cons avec moi, je gagne souvent.
- Encore une centaine de mètres au nord et tu devrais la rattraper. Par pitié, aide-moi !

Le blondinet observa rapidement la jambe de l’abruti. Ce n’était pas beau à voir. Il fallait lui remettre la jambe dans l’axe rapidement, sans quoi on devrait l’amputer.

« C’est quoi ça ? », fit-il en pointant du doigt quelque chose derrière le blessé.

Au moment où il se retourna, Azur effectua un mouvement sec, un gros craquement suivit et un hurlement. L’homme tomba dans les vapes. Avec de la chance, il récupérera bien. Reprenant sa course, il approcha d’un léger regroupement d’individus. Il les avait tous en visuel. Se rendant invisible, il approcha à pas de loup, neutralisa un par un les poursuivants qui tombèrent comme des mouches. Des coups précis qui les rendirent inconscients. Quand il redevint visible, il était adossé à un mur, légèrement écarté de la conteuse d’histoire pour ne pas l’effrayer.

« Tu me remercieras plus tard. », dit-il en guise d’introduction.  « Si je comprends bien, tu es une diseuse d’histoire, qui parlotte sur l’avenir des gens, hein ? Es-tu capable de voir le passé d’une personne ? Des choses qu’il ignore sur ses origines, par exemples ? Je ne te ferai aucun mal. Ou alors, tu seras morte avant de t’en rendre compte, ce qui est à peu près la même chose. », fit-il en esquissant un sourire.

Son arrogance était insupportable. Il plaignait intérieurement les deux types qui n'avaient rien demandé.

Jeu 9 Mar - 11:13
Le puits m'engloutit, je chute en lui durant deux milliards six cent vingt deux millions trois cent dix mille cinq cent trois ans et des poussières.
Durant cette modeste éternité, t'entends bien que j'avais tout le temps de penser
J'ai fabriqué le Temps, l'Espace sous mon crâne, d'eux alors a germé la Gravité
J'ai fabriqué des galaxies, des univers sous mon crâne, j'ai regardé tournoyer les civilisations se faisant et se défaisant
Ces univers lestés à mon esprit, sombrant avec moi au fond du puits, jamais ils ne les trouveront

Aspharos


Je me suis arraché délicatement du monde des rêves... encore tout frétillant, ce matin. Des restes de rêves collés partout dans l'âme. J'ai dormi comme un mort, éveillé dans un bain de vomi et d'herbes rances, au milieu d'un bosquet qui faisait "cui cui" et "croa croa".

Un morceau de cerveau manquant ; c'est ce qui se passe quand la fête se prolonge sur des décennies, on finit par égarer ses souvenirs et se retrouver avec ceux d'un autre. Je ne suis pas tout à fait nu, j'arbore un fabuleux pantalon cuir de veau tanné et rosé avec soin par un très cher camarade couturier sorcier, ce bel ouvrage moulant qui transforme mon cul en un beau beignet qu'on a envie de croquer, en famille ou entre amis.

A part ce super pantalon, je m'aperçois que j'ai également enfilé de grands mocassins adaptés à mes serres (ceux-ci sont tâchés de sang et le sang s'est incrusté dans le cuir et c'est impossible à récurer). J'offre donc un look vintage de bon goût, bien que tu conviendras que l'ensemble manque de paillettes et d'accessoires ; comme d'habitude je suis torse nu, l'air poussiéreux des montagnes chatouille agréablement mes pectoraux !

Aspharos. J'ai entendu ce nom, durant une fiesta, prononcé par un vieux gobelin jaune, un vieux gobelin jaune fluo qui luisait dans les ténèbres, et ce nom est revenu encore, Aspharos habite mes rêves depuis des semaines, il est devenu une mélodie entêtante. Il faut que j'écoute la mélodie ? Il faut que je la suive. Voyons où ça nous mène...

Ce refrain en tête, Aspharos, j'ai embarqué dans mon paquetage : mon charmant pantalon, mes mocassins ensanglantés, un slip de rechange, ma bonne humeur, et des dizaines de substances de voyage pour chatouiller le cerveau. Tu la sens ? L'aventure ? L'errance en solo, loin de la chaleur de mes amis et de mes oeuvres vivantes.

Cette expédition à travers les terres brulées, je l'ai menée seul. Y a rien d'égoïste à partir à l'aise dans la pampa, loin de la jungle epistopoilitaine ? Y a rien d'égoïste à se mettre au vert ? Mon estomac brûle tant il est vide, des hallucinations s'invitent dans mes yeux secs. Ce beau corps aux proportions savamment calculé se meurt de malnutrition : ce n'est pas un problème car je l'ai construit, je construis du solide. Je tiendrai. Avant de penser à ces besoins physiques, je dois écouter la mélodie, écouter Aspharos, et découvrir sur quel pied elle va me faire danser.

Mes premières investigations m'ont invité à Andoria :  je suis carrément pas censé être là, et les regards se tournent vers moi lorsque je dévale dans les ruelles, lorsque j'improvise mes danses au gré de mon juke-box mental... La sagesse aurait voulu que je me fasse discret ici, mais la fête demande qu'on la nourrisse ! Alors je dandine des hanches et de la fesse au milieu des coincés, je profane leur torpeur ! Vous vivez trop vieux les mecs... ça vous coince... Injectez vous un petit peu de mort dans les artères... moi c'est penser à ma mort imminente qui me remue le popotin... Ah ! j'adorerais organiser un suicide collectif récréatif entre potes ! MAZETTE ! Quand est-ce qu'on crève, quand est-ce qu'on rigole ? On s'emmerde, les copains...

En suivant les graines semées par mes rêves, j'ai donc découvert Andoria ! Et sur quoi que je suis tombé ? Un petit gars abîmé étalé dans des gravats, à la jambe déglinguée, sa jambe est une sorte de nuage rouge suintant, qui pleut, qui pleut averse. Lui n'est pas comme les autres locaux, lui est un mortel, qui souffre et meurt, comme moi. Le malheureux ! Je m'accroupis devant lui, passe la main dans ses cheveux.

« Tu t'es cassé la patte
Tu as glissé sur une peau de banane ?
As-tu besoin d'un bisou magique ? »

Tu me mires de tes grands yeux mi-effrayés mi-fascinés, miam miam j'adore l'effet que je te fais. Tu te crispes, tu gémis et j'entends les dents grincer sous tes lèvres. Tu vas pas bien ah non alors pas du tout, une jambe en bonne santé ça ne se plie pas dans ce sens, normalement ! Sauf quand R lui donne un coup de baguette magique évidemment.

« Vous êtes... Je suis mort ? Vous êtes... un... dieu... ? » Il bafouille.

Et maintenant c'est moi qui me plie ! Moi un Dieu ?! Je serais dieu de quoi ? De la fête, des muscles et de la beauté ? Allez, pourquoi pas ? Mon rire arrache des perles de sang de mes gencives, mes tripes s'enflamment, je me tord en cinq en hurlant de douleur, ce gars est un délicieux comique (son apparence est aussi délicieuse). Quelle poilade ça a été !

« Non ! Je suis un stagiaire de Dieu. Vois-tu je prépare son café. A l'aurore, j'étale sur tout mon corps un café brumeux, poisseux et au fumet rappelant l'odeur du Temps lui-même (une odeur proche de la lavande)
- ... Vous allez me faire quoi ? Et puis vous êtes quoi putain ?!
- Je m'appelle Ratamahatta mais mes confrères et amis, dont tu fais maintenant partie, me surnomment sobrement R. Je suis un sculpteur de vie, et je peins sur les esprits, en gros. Actuellement je cherche le dénommé Aspharos, et je suis sûr que si j'ouvre ce beau cerveau bien charnu, j'y découvrirai plein de réponses
- Euh ! Aspharos ? C-C'est p-pas un type. C'est un lieu !
- C'est les deux, je l'ai vu en rêve.
- Q-Quoi ? Mais qu'est-ce que vous voulez que je réponde à ça ?
- Réponds que tu as été vilain.
- J'ai été vilain !
- Tu t'es fait ce bobo tout seul ? »

Je me penche au-dessus de sa fracture, toute cette confiture rouge moi ça me donne envie de toasts à la viande bien cuits, pas toi ?

« Non... Une fille, dans la taverne. Une sorte de. Diseuse de bonne aventure, elle.. elle est partie par là...
- C'est complètement dingue ! Je suis verni non ? Je cherche une info, je tombe sur un devin. Cette histoire est une pièce de théâtre dont je suis le scaramouche »

Il voudrait gueuler "vous allez me laisser me vider ici ?!" mais le pauvre homme est intimidé (comment ne pas l'être face à une image de la perfection ?). Il me regarde m'éloigner, choqué et triste, tandis que de la confiture de framboise s'étale sur sa guibole. Je te laisse là, peut-être je reviendrai plus tard ? Peut-être pas. Ou peut-être ? Est-ce qu'on se reverra ? Une si touchante rencontre, ce serait plus cinégénique si elle était sans lendemain, non ?

Elle est partie par là c'est ça ? En direction de cette auberge ? C'est un petit peu de mauvais goût, ça, une auberge, non ? Un peu vulgaire et crasseux ? Tu crois qu'on me laissera distiller quelques substances de voyage dans les bières ? Non, non, chaque chose en son temps. Je DOIS en savoir plus sur ce concept, sur cet Aspharos. En deux grandes foulées de ballerine, j'avale une cinquantaine de mètres et découvre un attroupement de braves gens du peuple, dont je peux subtilement attirer l'attention en hur-lant

« ASPHAROOOS ! Qui sait donc ce qu'est Aspharos ici ?

J'ai rencontré un mignon petit chien dehors qui avait la patte cassée. Il m'a dit : ici, il y a une "diseuse de bonne aventure", elle va te raconter tout, tout ce dont tu as besoin sur Aspharos. Ben alors, qui c'est l'oracle ? Toi ? »

Oh bah non je suis bête, ça peut pas être elle : elle, c'est Esmée, une starlette d'Epistopoli qui vole dans les airs en faisant piou piou. Elle me regarde comme si j'avais cuisiné un carpaccio d'enfants et que je l'invitais à venir le déguster sur une musique lounge. Je me demande ce qu'elle branle là ? Elle a pas mieux à faire que d'aller picoler dans une auberge à l'autre bout d'Uhr, c'est à ça que servent les impôts des honnêtes gens ? Elle veut pas plutôt me suivre de l'autre côté du miroir et venir se rencontrer ? Peut-être qu'elle voudra me tuer ? Oh ça tuerait l'amour ça !

Et qui sont tout ces gens qui dorment par terre ? Dis donc, voilà que mon aventure prend déjà un tournant plus coquinou que prévu ?

« Vous rigolez bien ? »