Light
Dark
Bas/Haut

Rumeurs et Destinées, Clamées à la Céleste

Rumeurs et Destinées, Clamées à la Céleste Brandw10
Sam 28 Jan - 22:42
Journal de recherche – Observation sur le protocole J-47, entrée 08

Nous touchons finalement le sujet des mandibules. Les mesures pour ne pas en faire une pure boucherie chirurgicale ont été si nombreuses… J'évoquais la dernière fois l'apport considérable fourni de concert par la vivisection de différentes espèces reptiles aux capacités de régénération et par le recours au cristal de guérison de l'IRBEM, mais ces pistes tendent à augmenter les risques de rejet du cartilage banshee. Nous testons actuellement un nouveau traitement, plus agressif, qui devrait anéantir une bonne part des réactions auto-immunes. Une solution temporaire, il va sans dire. Théoriquement ce protocole n'aurait pas dû être soumis à des candidats humains. Dans la pratique les résultats seront précieux.
Si seulement nous pouvions isoler les marqueurs de la mutation spontanée qui paraît se produire naturellement, il serait possible d'éviter de tels écueils. Malgré la cohorte d'études sur la question les causes semblent toujours aussi surnaturelles. Cet espoir tient probablement plus de la fabulation.

- Tiens ! Dans le genre fabulation, pas plus tard que ce matin, la bouchère qui me raconte qu'elle a vu une sorte de femme ailée nimbée d'un ramage blanc colombe.

Je relève la tête de mes notes, plus étonnée par l'incongrue concomitance du tournant de la discussion que par le propos même.

- La bouchère ? La gnome de l'avenue Hulule ? Pas une source fiable en matière d'observation à distance…
- Détrompe toi ! Elle fait parti de l'association d'astrométrie de la ville ! C'est en pleine prise de notes, armée de son sextant de longue-vue, que c'est arrivé !
- Une femme ailée ?
- Oh... entre la vérité et ce qu'elle pense avoir vu…
- Ouais, un gros oiseau ou je sais pas… un nuage ? Ce ne serait pas une première.
- Encore un cryptide… Au moins si ça fait ornithe il y a moins de chance que ce soit un de nos spécimens qui ait été aperçu.
- Ahah, vrai, le Siège à horreur des fuites…
- Ce genre d'histoire ça n’arrête pas… C'était quoi la dernière fois ? Une dame blanche à l'aura de sang ? C'est fou l'esprit fécond qu'ils ont dans le Nord !
- Boarf... C'est les deux trois même légendes qui sont déclinées tous les ans, ça revient inlassablement… Mais c'est vrai que t'es épistote pur jus, toi, à l'origine !?

Soupire. Test concluant, si je ne bouge pas dix minutes durant, ils finissent par m'oublier et se détendent, reprennent leurs naturels ; et si je claquai le compte-rendu sur la table ou même, sans aller sur des extrêmes bruyants, si je passai, simplement, devant eux, ils reprendraient instantanément ce semblant de discipline qu'ils ont à chaque inspection technocratique. Une manière subtile d'exprimer leur malaise.
Soupire. Une journée tranquille, vraiment, un peu trop banale, un peu trop vide… En comptant le réveil post-opératoire, il faudrait bien deux heures pour pouvoir confirmer la prise de la greffe et surtout si la reconstruction faciale serait viable. Le volontaire 256 était un gnome hargneux qui s'était laissé convaincre par la promesse d'éviter la cour martiale contre une simple participation à une expérience. Un profil typique, mais pas nécessairement de ceux qui se montrent les plus réceptifs lors de la pleine réalisation de leur devenir. Chaque chose en son temps.
Soupire. Bref instant d'hésitation pour un repos. Ni a-t-il rien de plus intéressant à faire ? Si l'air de Marie-du-Val est plus respirable, moins chargé en particule goudronnée, la vie s'y déroule bien plus lentement qu'à Epistopoli. L’effervescence de klaxonne laisse place à un calme quasi-campagnard en comparaison. Ce qui n'est pas pour me déplaire, mais le pli de l'habitude doit jouer : c'est l'ennuie, le manque de la capitale… et d'Eux. Déjà trois jours… mais si tout se passe bien je devrais être de retour pour dimanche.

Je finis par me décider à faire un tour des environs ; mon déplacement produit un gros blancs dans la conversation, des sursauts affolés, bien vite contenus.
Laissons les… Si la promenade ne m’amènera vraisemblablement pas à croiser ce fameux homme-oiseau, au moins me permettra-t-elle d'éviter la suite de la réunion potin de l'équipe valinoise soudée. L'austérité formelle du Pôle me convient bien mieux. Sans un mot, j'échange ma blouse blanche pour un pardessus tout aussi neutre et me coiffe d'un feutre gris ajusté. Un autre des points positifs de la culture épistote : une mode plus pratique, moins guindée qu'à Opale ; enfin, corset ou non, ce n'est pas ce qui me donnera plus envie de rejoindre les sphères mondaines.

L'ouverture du sas est, comme toujours, accompagnée de cette légère appréhension sur l'odeur portée par les effluves de la Céleste, usines chimiques et autres producteurs de pharmacopées y déversant leurs déchets. Rien de bien terrible aujourd'hui, néanmoins le passage de l'environnement aseptisé à l’insidieuse pestilence enflamme mes narines jusqu'à la névralgie. Col rabattu sur le nez, je file réquisitionner un véhicule de service. Suite aux vérifications d'usage, je quitte le complexe scientifico-militaire de l'IRBEM, dans la large périphérie de Marie-du-Val, et prends la direction du centre-ville.

Les miradors menaçants disparaissent bien vite au profit du petit coin boisé qui cache une bonne partie de nos expérimentations aux yeux curieux. Le chemin cahoteux ne permet pas la conduite fluide promise par le nouveau modèle… et au sortir du couvert des arbres, l'agréable petit tour en ville s'annonce par un soleil de face, de ceux des débuts de soirées encore éblouissant… me laissant, un écart plus loin, une soudaine envie de faire demi-tour. À peine à quelques centaines de mètres des premières habitations ? Pare-soleil baissé, je poursuis à une allure ralentie ; une ombre passe dans le ciel, heureux présage sur le moment, épargnant quelques rais de lumière à mes yeux.
Jeu 2 Fév - 17:02
Si ce monde avait jadis un Créateur tout-puissant, alors il était un artiste. Un peindre de talent qui dans sa solitude parfaite n'avait pas d'égal. Un être sensible qui, en voyant la tristesse de ses nuages d'un blanc immaculé, avait ressenti un manque profond, un vide aussi pâle que la lune, cette pierre ovale à qui il avait promis de trouver un partenaire avec qui elle régnerait de nuit sur son gigantesque royaume céleste. Une palette de couleurs harmonisant le bleu marin endormi de la nuit et l'orange ardent du soleil couchant avait été déployée. Avec une passion infinie, avec l'amour d'un parent, avec les premières étincelles d'émotions, il avait peint les nuages dans un spectacle qu'il pensait alors être à jamais le seul à pouvoir contempler. Mais, maintenant que ce Créateur tout-puissant n'est plus, l'une de ses créations, celle qui s'élève sans âme-sœur dans ce domaine sans souverain, contemple l'œuvre du crépuscule puis réalise une fois de plus... Qu'il ne s'agit que du simple reflet de l'entre-chemin que tisse le jour et de la nuit lorsque leur monde se croise. Un simple miroir des couleurs de ceux qui ont le droit de porter des couleurs. Les nuages manqueront à jamais de leurs propres émotions. Royaume céleste bâclé qui ne fait rêver que ceux qui n'ont pas d'ailes. Quelle hérésie de penser ainsi... Mais qui oserait ainsi juger le Créateur tout-puissant ? Pourquoi pas cette lune solitaire, rancœur de celle condamnée à attendre une promesse qui ne peut plus être tenue.

La morsure du froid glacial des cieux ne m'a jamais importunée. Elle n'était qu'une sensation parfaitement normale, accompagnant amplement l'effort et la fatigue d'un vol prolongé et chargé. Lorsque je ne chutais pas à travers les nuages mourant pour gagner en vitesse, les derniers rayons de l'astre du jour venaient doucement effleurer les plumes de mes ailes, offrant une sensation indésirable de tendresse. C'était comme si on avait pitié de moi. C'était comme si on se souciait de moi. Tout cela me laissait dans mon indifférence habituelle. Le Créateur ne m'a pas encombré de couleurs, de ces sentiments et de ces émotions qui guident un être dans ses choix et ses décisions. Qui font son bonheur et son malheur... Suis-je vraiment affaibli ? Mes ailes s'étaient rabattues contre mon dos, me laissant chuter tête la première. Mon esprit s'était vidé. Mon souffle s'était coupé. Mes bras fins souffraient de leur charge. Mes ailes semblaient constamment sur le point d'atteindre leur limite. Mon corps tremblait sous le labeur, mais je voyais déjà ma cible qui, profitant de mes quelques démons intérieurs, m'avait légèrement devancé. Mais on échappe bien plus facilement aux griffes du destin qu'à cette logique innée qui dicte à un être d'en tuer un autre. Tuer ou être tué, c'était tout le salut de ma violence. Ouvrant soudainement mes ailes, j'avais gracieusement et rapidement reprise de l'altitude. Mon regard, abandonné dans un excès d'animosité, s'était attardé avec jugement vers le sol. Puis, après avoir calculé quelques éléments simples pour maîtriser ce qui allait suivre... Mes bras avaient lâché l'énorme pierre qu'ils transportaient, offrant un sentiment douloureux d'abandon à mes membres épuisés. La pierre avait chuté à une vitesse qui l'avait rapidement transformé en quelque chose de bien plus redoutable d'un vulgaire gros caillou...

Le véhicule de ma cible avait subitement été touché par un projectile lourd en provenance du ciel. Pas assez pour que l'engin de malheur daigne se détruire de lui-même, mais suffisamment pour que la machine s'abandonne à la route peu stable, faites de grosse pierres et de terre boueuse, et à ses bois environnent que la nuit dévorait lentement. Durant quelques instants, perdue dans l'éclat le plus rouge du crépuscule, j'étais resté interdite. J'en avais presque perdu mon éternel sourire. En fait... Pourquoi n'ai-je tout simplement pas lâcher cette pierre sur cette dépouille de congénère conduisant le véhicule ? Elle serait définitivement morte sur le coup... Le déni a ses limites. Depuis cet événement, quelque chose en moi s'était brisé... Étais-je devenue faible pour tuer ? J'avais serré les dents. Mon regard rose s'était perdu vers un éclat cramoisi. Cette question ne devrait pas même me traverser l'esprit... Je suis un être de logique, pas de sentiments. Ma main droite avait attrapé la lance soigneusement attachée dans mon dos puis... C'était comme si un rapace venait subitement de fondre sur une souris. Dans le fracas soudain d'un impact qui n'avait rien à envier au précédemment, quelques plumes flottaient dans l'air, leur grâce et leur élégance avaient quelque chose d'hypnotisant... Mais même le plus sot des enfants ne ferait pas la folie de s'y attarder. Il y avait dans l'air cet empressement propre au danger. Le blanc parfait de mes ailes encore déployés rappelait plus la fatalité pâle de la faucheuse qu'un quelconque ange bienfaiteur. Forte de mon attaque en piqué, la pointe de ma lance venait de transpercer de toute part l'un des sièges avant. Si je manquais de force, je savais parfaitement tiré profit de ma vitesse et des lois fondamentales de ce monde pour infliger la... Une seconde ! Je l'avais manqué ?! Sérieusement ?!! Non... Elle avait esquivé ? Mon regard s'était doucement balancé vers le sien, marquant le début de la confrontation. Aucun mot n'avait quitté mes lèvres. Je n'avais aucune considération pour la vie que je m’apprêtais à prendre. C'était ainsi. C'était l'ordre naturel de ce monde. J'avais pris appui sur l'engin à l'aide de mes deux jambes, maltraitant davantage mes bras afin que la lame au bout de ma lance se libère puis, dans un mouvement habile de mes mains, la pointe de mon arme s'était jetée vers la gorge de ma proie.

Cela n'a rien de personnel. Je t'observe depuis assez longtemps pour ne plus avoir le droit au doute... Je pensais même, dans un égarement, que toi aussi, tu avais réalisé ma présence. Tu ne peux pas même voler... En réalité, cela m'arrange considérablement. Le minuscule point final qui vient conclure ton histoire, c'est moi.
Ven 3 Fév - 19:31
Masse indéfinie en chute libre, traverse la tôle du toit renforcé comme un simple film aluminium. Cloué sur place, les roues couinent hors du sentier, mobilité anéantie, encastré dans un saule.
Arrêt brutal. Le nez explosé contre le volant. Présence d'esprit. Couper le contact.

Putain, mais c'était quoi ?!

Marie-du-Val avait de quoi surprendre finalement ? Frotter l’arête douloureuse. Un bourdonnement dans les oreilles et une nausée céphalique – ça c'était habituel. Je peux bouger, c'est le principal. Constat : plage arrière laminée, aile droite lacérée, pare-choc défoncé. Je peux bouger, ce n'est plus le cas de la voiture. Un rictus moqueur, alors que je me demande si mon chauffeur à Epistopoli aurait pu faire mieux… Je dois sortir de là ! Je tâtonne à la recherche de la poignée. Grippée. Je pousse par une… deux fois, une ouverture se fait et l'extérieur me happe.

Un bruit de métal broyé retentit derrière moi.

Une lance est tombée du ciel, embrochant le siège sur lequel j'étais encore un instant auparavant… Bien… de mieux en mieux… Et plus besoin de chercher la femme-oiseau… Qu'est ce qu'elle me veut ? Me trouver là, à côté de son coup porté, à moitié à ramper sur le sol semble la déstabiliser… Le coup était supposé m'achever ; c'est limpide. Un spécimen échappé d'un labo clandestin, en croisade contre ses bouchers ? Mais, ma grande, je n'y suis pour rien dans ton apparence… Je le reconnais à regret. Quelle qu'ait été la méthode qui en est à l'origine, elle a produit une véritable réussite.

« … J-31.9… »

Elle m'y fait penser, dans ses cheveux achromes, dans sa fougue impitoyable, mais ses iris semblent trop pâles… et ses ailes… surtout ses ailes, blanches éclatantes, plumeuses. Je dois être encore sonné pour les avoir assimilés même une fraction de seconde. Tiens… à parler, je constate une dent déchaussée à ajouter à la liste des traumatismes. Salive épaisse à la saveur ordinaire. Face à moi, debout sur les restes du véhicule, l'être tout entier suinte la pureté en un éclat blanchâtre qui la nimbe…

Comme dans les légendes…

Plongée dans la pénombre du sous-bois, mon aura sanguine lui fait écho… J-31.9… N'est-ce pas à mon reflet auquel j'aurais dû penser en premier ? Pas le temps de penser… La pureté voulait ma mort ; sentence express. D'à moitié au sol, m'y voici complètement. Une sensation chaude court le long de mon cou. Je dois passer une main pour m'assurer de ma blessure, tout mon corps est affolé, les impressions se confondent, sang, excitation ou peur… je n'arrive plus à savoir ce qui rend erratique mon souffle.

Faut que j'appelle les gardes !

Bien, merveilleuse idée… sauf que le complexe est à une bonne dizaine de minutes à pied. Évidement, je n'ai rien sur moi qui puisse mettre utile… ce n'est pas au canif que je lui couperait les ailes. Pas le genre d'incident que j'anticipe habituellement, il faut dire. La prochaine fois je céderais à la tendance épistote de toujours sortir armée. Après tout, mon statut m'autorise à porter toutes armes de catégories 3 ou inférieur. Si, bien sûr, prochaine fois il y a…

« Que… me veux-tu ? »

Tête en vrac, j'ai mille question à poser, mais une seule qui filtre mes lèvres, banale, pourtant si capitale sur le moment… Mais la réponse paraît si évidente : Éradication ; Extinction programmée des spécimens défaillants. Cruelle remise en place que de goûter à une tentative d’euthanasie. Le manque de protocole et de rigueur est pour l'instant tout ce qui me rattache à la vie. C'est brouillon ; rageur, certes, mais je sens plus un manque de conviction que de la maladresse.

« Aaah… Oublie. Pas moyen que… t'abandonnes ? »

Je fouille le sol proche, mes doigts se serrèrent sur une branche que je ne peux qu'espérer assez solide et longue pour être un tant soit peu dissuasive pour le prochain assaut à venir.
Cœur sauvage. Ne pas cligner des yeux. Pensées au clair. Garder le contact.
Dim 12 Fév - 16:51
L'histoire a toujours prouvé le désintérêt des Dieux pour leurs créations... Ou peut-être ces dernières ont tué leurs Créateurs ? Peu importe les théories, les croyances et les déviances, il existe un fait inévitable : les Dieux ne sont pas là où se trouvent leurs peuples. Peut-être est-ce une règle divine de ne pas intervenir sur les conflits et le sort des races peuplant le monde ? Si même le Céleste a des lois à respecter... Mais je m'égare. Là où je veux en venir, c'est que toute créature proche du Divin ne doit pas se mêler aux races peuplant ce monde. Oh, je ne me soucie guère des lois, qu'elles soient celles des Hommes ou des Dieux, le problème étant que cela a un effet néfaste sur les Célestes... Plus l'activité est dense et industrielle, plus les villes grouillent de vies et d'individus, plus un Grigoris s'affaiblit. Dans le cas de ma cible... Sa traque m'avait poussé à m'attarder dans l'un des endroits les plus toxiques qu'il soit, en déplaise à la Brume. J'étais néanmoins presque admirative, probable symptôme de mes maux, qu'elle est vécu à Epistopoli, respirant le poison à pleins poumons, aussi longtemps... Un seul séjour avait suffi à rendre mon corps faiblard et à bouleverser le cheminement de mes pensées, leur faisant prendre moult détours aussi inutiles que dangereux. Dans quel but, s'est-elle ainsi mêlée à cette triste réalité ? Peut-être est-ce le sort de ceux qui ne possèdent plus d'ailes... Oh et puis, qui s'en souci ?! Elle va mourir. Il n'y a pas d'autre issue possible.

Ma cible était sonnée, mais bien loin d'être neutralisée. Son aura, rouge à l'image de ses iris, venait presque m'encourager à ne pas me laisser duper par le doute. Mon regard, impitoyable, s'était attardé sur les jambes de ma proie. De lugubres pensées bouillonnaient dans mon crâne encore troublé par les toxines urbaines. Si elle ne peut plus courir, c'est fini. Mes pieds avaient quitté la carcasse du véhicule, mon corps entier avait été soulevé dans les airs par un seul et grand battement d'ailes. Mes doigts jouaient avec le corps de ma lance, préparant la valse du prochain assaut.

- « Que… me veux-tu ? » Hum ? Ce n'était pas dans les habitudes de mes cibles de se montrer plus bavarde que moi... Une lueur interrogative, trop humaine pour me convenir, avait traversé mes prunelles. Qu'est-ce qu'elle ne comprenait pas ? Ne venais-je pas de faire démonstration de ce pourquoi nos chemins s'étaient entremêlés ?

- « Aaah… Oublie. Pas moyen que… t'abandonnes ? » C'était une façon de gagner du temps... Elle ne semblait même plus capable de démêler sa gauche de sa droite. C'était la façon la plus logique de penser, après tout, il était impossible que nous soyons deux à voir demain se lever.

- « Non, tu vas mourir cette nuit. » Répondis-je en affichant cet éternel sourire tendre. Mais ma nature n'est pas celle d'une créature qui affectionne le mensonge. Et la chose cadavérique face à moi me rappelait étrangement une Strigois, et autre chose que je préférais ignorer pour le moment... - « Bien que... Il existe bien une possibilité, une corde à laquelle tu puisses t'accrocher, bien qu'elle soit aussi fine qu'un cheveu... » Lançais-je, un air pensif sur mes traits. J'avais levé un doigt vers le ciel crépusculaire que le voile de la nuit ne tarderait pas à recouvrir totalement. - « Tes véritables ennemies sont la nuit et la lune ! Si demain se lève pour toi, alors j'aurai perdu... Ce n'est pas grand-chose, mais c'est mieux que rien, non ? Alors, accroche-toi ! » Lançais-je, terminant avec un clin d'œil.

Pour le moment, tu ferais mieux de courir vers les bois... Ma lance, d'une seconde à l'autre, va transpercer ta jambe droite si tu ne te motives pas à réveiller cette larve qui te sert d'instinct de survie !


Dernière édition par Fleur de Lune le Sam 18 Mar - 16:56, édité 2 fois
Mer 8 Mar - 22:26
Affable créature au verbe de fatalité. Ma respiration est trop vive pour permettre un simple soupire face à ses inepties. Sans reddition permise, c'est l’exécution qui est scellé, jugement rendu sans cause aucune, il doit en être ainsi pour cet esprit étriqué.  Un nouvel élan s’amorce sous les dernières lueurs crépusculaires. Pense-t-elle réellement qu'un éveil de volonté saurait m'animer pour suivre sa cadence toute la nuit durant ?

Lèves toi et fuis !

L'injonction résonne dans la tempête céphalique ; la latence est énorme ; j'ai beau me relever en sursaut, pivoter hors de l'axe de l'attaque, je ne peux y échapper entièrement.
Mon pantalon déchiré se tâche bien vite, laissant la sensation chaude du sang qui s'écoule le long de mon mollet prendre le pas sur ma pensée.

Je hurle. À qui m'entend, à qui m'écoute.

Le froid calcul du temps qu'il faudrait à une patrouille pour parvenir sur les lieux de l'accident une fois reçu le témoin de la balise ? Oublié, si il n'a jamais été. En deux passes d'armes et un court échange, le temps s'est déjà bien trop écoulé.
Qu'attendent-ils ?
Ma voix s'enraille. L'être est si proche. La distance d'une lance n'est-elle pas supposée être longue ? L'ennemie plein le champs de vision, qui de son pâle sourire aspire l'espoir même. Elle n'est pas guerrière ni même bourreau, c'est l'émissaire de la Mort qui s'est présentée à moi. Si blanche et immaculée uniquement pour porter aux lettres de sang le poids de ces meurtres. Je ne le sais que trop, je suis de la même engeance, même si mes mains ne se chargent pas de la besogne, en marge des rapports la balance est similaire.

Seul le frémissement perturbé du sous-bois me répond. On demeure sourd à mon appel.

Je ne passerais pas mes derniers instants à m'échiner contre l'improbable ni à fuir ; là sont mes dernières forces, à faire barrière à la térébrance, à hausser ma tête vers Elle, dans l'ultime défis. Mon cœur bat et son regard m'assaille. Je tente de mon mieux de refléter son sourire, de l'accepter pleinement ; comme si il pouvait là être une juste punition pour mes erreurs, mes crimes. Je voyais tout cela encore si lointain. Je n'ai pas encore achevé ce que je voulais ; ce que l'on m'avait permis d’espérer.
Demain ne se lèvera pas.

« Rend ça bref… »

Ainsi l'une de mes rares prières aura été de ne pas être tombée sur une sadique.
Je force tant que je peux, je veux garder les yeux ouverts jusqu'au bout.
Mon corps n'est pas de cet avis, le monde perd en netteté, vire pastel.
Trop de sang perdu, trop d'émotion vaine.
Je défaille.
Sans même pouvoir entendre les premiers staccatos des automatiques s'approcher.
Sam 18 Mar - 16:57
Tout ce qui touche à la mort est tabou dans de nombreuses cultures. Pour ainsi dire, on ne peut que s'y brûler. Les valeurs et les normes populaires peuvent se résumer à "tuer est le pire des crimes". J'erre parmi les peuples, considérés comme primitifs par les plus hauts oiseaux, depuis un petit moment déjà et pourtant, jamais je n'ai entendu plus dérangeant... Il va sans dire... Je n'ai pas besoin de vos sociétés. Je n'ai nul besoin de vos leçons de morale. La mort fait partie de la vie, elle est sa finalité. Rejeter la mort, c'est renier la vie. Je ne pense pas qu'on naît pour tuer, mais je ne pense pas non plus que ceux qui tuent leurs semblables sont coupables de crimes. Ô combien cela m'arrange, me direz vous, mais j'ai la bonté de vous rappeler que le regret et le chagrin sont vos démons, pas les miens. Chaque fois que j'ai ôtée la vie à l'un de mes semblables, ce fût en appliquant scrupuleusement les règles du jeu. Celui de la survie. Si je ne les tue pas, si je ne les devance pas pour les surprendre fatalement alors, ils me trouveront les premiers. Nous sommes ainsi faits. Nous soumettons les autres pour nous élever vers les hauteurs interdites, ou nous plions le genou pour nous condamner à vivre la tête inclinée vers le sol. À vrai dire, je n'ai jamais été très douée pour obéir et porter du blanc rend l'idée de ramper assez déplaisante... Disons que le maximum que je puisse faire, dans des élans qui me surprennent la première, c'est coopérer temporairement.

- « Rends ça bref… » Une prière qui ne pouvait atteindre ni Dieu, ni ses anges.

- « Ce n'est pas aussi simple... Prendre une vie est difficile. » Répondis-je d'une voix qui, si le sens de ses paroles venait à se perdre, ressemblerait plus à une invitation qu'on ne pourrait refuser.

Combien de fois la pointe de ma lance va-t-elle devoir transpercer ta chair pour que tu succombes ? Si je vise ta gorge et tes organes vitaux, tu souffriras ultimement, mais moins longtemps... C'était là le meilleur compromis à ma portée. Alors, le poignard de la lance s'était levé telle l'épée de Damoclès que rien ne saurait paré. Les yeux, de celle qui avait choisi ce crépuscule mourant comme l'horloge de ses derniers instants, s'étaient gelés tels des rubis éteints face à la lame qui ne saurait montrer une seule once de miséricorde. Je ne suis pas comme vous. Je n'ai ni vos valeurs, ni vos normes. Je tue, parce que la seule chose que je sais faire depuis mon aube, c'est exister. Encore et encore. En vain. Inutilement. Mes sourcils s'étaient froncés, marquant une expression volée à je ne sais quel humain insolent. Mes lèvres s'étaient serrées, retenant un râle d'agacement. Elle a raison. Rendons ça bref... Une dernière inspiration, gonflant mes poumons de brûlante détermination, puis...

- « Qu'est-ce que... »

Seule ma voix avait frappé.

Mes yeux, printemps infernal, s'étaient égarés vers la forêt dont le silence aurait dû m'alerter bien plus tôt. Là-bas, à l'ombre des arbres, une grande silhouette se tenait debout. Ses yeux ressemblaient à deux énormes points blancs grotesquement peints sur le voile de la nuit tombante. Depuis combien de temps était-elle là ? Non, la véritable question devrait être... Pourquoi était-elle là ? Cette chose... Elle ne devrait même pas exister en premier lieu. Sa tête, ce que je considérais comme étant sa tête, s'était subitement penchée vers un côté. J'en aurais presque entendu un sinistre craquement. L'instant d'après, seuls les réflexes et l'instinct avaient bougé. Il n'y avait pas, dans cette valse, la place pour la réflexion.

Elle s'était brusquement élancée. La chose avait bondi. Son arme lacérait l'air dans l'attente d'atteindre cette tête qui se trouvait pile dans son sillage. L'odeur du sang, suspendu dans l'air sec, murmurait qu'elle était coupable. Des longs doigts s'étaient ouverts dans un bruit lugubre ravalé par la prouesse de l'action. Ma cible n'avait pas la moindre chance. Incapable d'attraper en vol le cours des événements, elle serait morte avant même de réaliser la direction empruntée par le danger. Cette mort brève que je ne pouvais lui donner... Voici qu'elle venait à elle.

Un fracas, celui du bois pourtant robuste qui se brise. Un autre bruit, plus humide et glissant. Un silence dans le temps lui-même. Le bruit de gouttelettes s'écrasant une à une sur le sol. L'odeur de la mort remplissait l'air déjà étouffant. Il n'y a jamais eu la place pour la logique dans ces instants où, d'un moment à l'autre, vous cessez brutalement votre voyage pour atteindre subitement la fin effacée de votre chemin. Le mien... A-t-il seulement une fin ?

Elle ne pouvait voir qu'une merveilleuse vue sur mon dos. Mes longs cheveux dansaient encore innocemment après cette valse qui n'avait duré qu'un ou deux battements de cœur. Mes deux grandes ailes, d'un blanc immaculé, s'étaient déployées sur les côtés comme une barrière, oubliant à quel point elles étaient fragiles. Elle n'avait pas besoin d'en voir plus. Tout ce qu'elle avait besoin désormais, c'était de m'entendre et... De bouger !

- « Maintenant ! Les bois ! » Ordonnais-je d'une voix sans âme qui, subitement, venait de perdre tout le faux-semblant accumulé en plusieurs centaines d'années.