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Les perles se cachent pour naître (Eustache)

Les perles se cachent pour naître (Eustache) Brandw10
Ven 14 Oct - 9:23
(Quête : https://www.astrebrume.com/t111-quete-la-croisiere-ne-s-amuse-plus )

Il était un habitué des missions aux objectifs bizarres. Ca venait avec sa réputation : il faisait ce qu’on lui demandait de faire. C’était le topo de toutes les compagnies de mercenaires, mais normalement, il fallait y rajouter des astérisques. On fait ce que vous voulez, mais on ne garantit le résultat. Celui-là était commun. On fait ce que vous voulez, mais on questionne vos méthodes, pis on a nos sbires qui bavardent, quand ils sont bien pleins de bières et de drames. On fait ce que vous voulez, mais y’a toujours des complications après, si ce que vous voulez est compliqué. Tlaxlheel n’apposait qu’un seul addendum à cette promesse : ce que vous voulez sera fait. Mais c’est vous, qui ne questionnerez pas mes méthodes. Les étoiles étaient alignées, et ses principaux clients, qu’ils soient d’Epistopoli, comme aujourd’hui, ou d’Opale, comme hier et demain, ne trouvaient que peu de choses à redire sur le manque d’intérêt qu’il portait aux questions de morale. Et du coup, il était un habitué des missions aux objectifs bizarres. Aujourd’hui, il lui fallait récupérer un navire, perdu par un industriel. Un gros pachyderme d’acier, propulsé par un moteur rugissant sur les flots, qui venait de se volatiliser. Quand l’envoyé de ce dernier lui avait expliqué la situation, le saraph avait d’abord cru à une plaisanterie curieuse. Puis à un piège. Mais tout semblait concorder, et ses propres renseignements également. Il fallait dire qu’un bateau qui disparaissait le jour de son inauguration, ce n’était pas particulièrement discret. Surtout quand celle-ci avait généré autant de publicité.

Afin donc de calmer les investisseurs, il avait demandé le soutien du bon saraph. Il s’agissait de fendre la brume, lui avait-on expliqué, en remontant le sillage du navire fugitif. Il n’était pas si loin des cotes que cela, et était immobile. Sans doute s’était-il échoué sur une île. Il convenait donc de monter à son bord, de mettre la main sur le journal de bord, et de laisser le mécanicien qu’on allait lui demander de protéger faire son travail ; ce dernier serait sans doute capable de deviner la vérité en auscultant les entrailles mécaniques de la nef, et le cas échéant la faire redémarrer. Un tel engin, propulsé par un appareil aussi nouveau, risquait de ne pas être particulièrement coopératif, surtout après une telle escapade. Autre objectif, bien que bien plus secondaire : s’assurer de récupérer les éventuels survivants de l’équipage. Personne ne se faisait réellement d’illusion à leur sujet ; aucun d’entre eux n’était un combattant, et survivre plusieurs semaines dans la brume sans y être préparé était difficilement concevable. C’était plus par convenance, par politesse, que l’on le lui demandait. Pour faire bien. Il avait serré la main du messager avec un enthousiasme cannibale, ravi de pouvoir travailler avec quelqu’un d’aussi respectable.

Ils se comprenaient parfaitement, et la récompense promise était particulièrement juteuse. Pour limiter autant que possible les dommages faits à son nom, l’industriel, dont le nom lui échappait (c’était un patronyme aux consonnances liquides et mollassonnes, comme souvent chez ces animaux), avait mis sur la table une récompense plus qu’alléchante. Plus encore après que le saraph, sentant l’urgence et la vulnérabilité de son interlocuteur, se soit occupé de faire monter le prix. C’était là des pratiques de charognard opportuniste, et donc particulièrement savoureuses.

Le voyage jusqu’au mouillage avait été rapide. Embarquant avec lui une dizaine d’hommes et de femmes bien trempés, Tlaxlheel leur avait sur le chemin rapidement expliqué ce qui était attendu d’eux. Somme toute, pour eux aussi, ce devait être un exercice routinier. La forme qu’il prenait était certes originale, mais le fond était le même : pénétrer la brume, en extraire l’objet précieux du jour, s’en tirer avec le moins de morts possibles. Tout l’art délicat qu’ils allaient devoir mettre en œuvre serait de s’assurer qu’ils ne subiraient pas le même genre d’écueil que leur riche employeur du jour.

Débarquant de leur transport blindé pour regarder la corvette qui avait été affrétée, la compagnie prit rapidement la mesure des lieux. Quelques curieux oisifs les observaient de loin, et la délégation du client les attendait. Ce dernier était absent, préférant sans doute faire autant que possible profil bas. Un grand sourire vint fleurir sur le visage de Tlaxlheel, et il se dirigea vers les bougres chargés de l’accueillir. L’échange fut rapide. Tout avait déjà été dit, après tout, et il se tourna vers les mécaniciens qui devaient les accompagner. Quelques-uns étaient en permanence employés par l’industriel, et d’autres avaient été spécialement engagés pour l’occasion. Il continuait de faire l’étal de son désespoir. Sans doute aurait-il été possible de le saigner un peu plus encore.

« J’suis Tlaxlheel, s’adressa-t-il aux types d’une voix forte. Ca c’est mes hommes, continua-t-il en les désignant. Y’a pas grand-chose de plus à rajouter. On y va. On fait ce qu’on a à faire. On revient. J’suis un gars détendu, tant que personne ne me donne de raison de plus l’être, donc on reste bien sage ? Ok ? Absolument formidable, conclut-il sans réellement attendre qu’on répondre à sa question. »

Tout ce beau embarqua ensuite rapidement, le mouvement familier et atavique de la transhumance faisant beaucoup pour calmer les nerfs les plus échaudés. La s’annonçait calme et paresseuse, et leur vaisseau était de toute façon parfaitement capable de braver des conditions plus que difficiles. Le saraph, après s’être installé dans ses quartiers, en était sorti, et avait cherché comment s’occuper, jetant rapidement son dévolu sur un des membres de l’expédition. Un ingénieur qu’il comprenait être indépendant – il ne portait pas la tenue standardisée des employés – et qui semblait avoir des choses à dire.

Il n’en avait en vérité pas la moindre idée, mais ça faisait une excuse pour tromper son ennui, plus grand ennemi qui puisse venir le harceler.

« C’quoi ton nom ? fit-il après s’être approché de lui et lui avoir tendu une main ouverte. »