Astrebrume

Le froid mordait sa peau, sa chair, et pénétrait ses branchies. Comme à son habitude, Kailan avait eu ses élans d’aventures et de voyages et était partie pour Xandrie pour une évasion, loin d’Epistopoli et de sa machine interminable. Elle n’avait pas eu l’ombre de penser qu’elle aurait dû mieux se préparer pour ce voyage. La tempête l’avait surprise, et sans s’en rendre compte, la voilà en train de geler, luttant pour faire un pas devant l’autre malgré les couches de vêtements qu’elle avait enfilé pour affronter ce pays de froid et de montagnes.

Puis elle l’aperçut, au loin, silhouette sombre qui se découpait dans le blanc poudreux. Une maison, d’où se dégageait une douce lumière. C’était sa chance : elle qui avait espéré tout au plus une grotte sombre à flanc de montagne, elle avait bien de la chance de trouver une maison habitée. Cependant, en s’approchant de la bâtisse, elle s’aperçut que la demeure était dans un état quelque peu délabré. Tant pis : il y avait cette lumière qui ressortait toujours, cela voulait dire chaleur. Elle ne s’attendait pas à du luxe au beau milieu d’une montagne, et sa vie jusqu’alors n’a jamais été dans la volupté.

Elle trouva enfin le chemin vers la porte d’entrée, après avoir lutté pour que ses jambes engourdies par le froid glacial lui obéissent. Elle frappa quelques coups à la porte, d’un bras tout aussi gourd, en espérant que la personne à l’intérieur daigne lui ouvrir. Une voix lui répondit, celle d’une femme, du moins Kailan l’entendit ainsi.

— Ouvrez-moi, s’il vous plaît !  répondit-elle de la voix la plus forte possible, étranglée par le vent de la tempête. J'ai nulle part où aller, je m’en vais quand la tempête sera levée.

Elle s’appuya contre la porte, le corps engourdi par le gèle, en espérant que l’autre, de l’autre côté, daigne lui offrir un refuge de chaleur.

La porte de la demeure s'ouvrit enfin, faisant glisser en elle le froid extérieur. Kailan s'engouffra aussi rapidement qu'elle le put dès que la personne en face d'elle lui laissa l'espace pour entrer. Il faisait chaud, et il y avait un toit, elle n'en demandait pas plus. Elle s'installa rapidement à la cheminée en écoutant la jeune femme parler. Elle aussi avait été surprise par la tempête et venait tout juste de trouver ce refuge.

— C'est grâce à la lumière de la cheminée que j'ai trouvé cette maison. Je serais perdue, ou pire, sans toi. Moi, c'est Kailan.

La jeune femme avait l'air sympa, et elles demeurèrent silencieusement face au foyer pour se réchauffer. Kailan était soulagée de ne pas être tombé sur une personne bizarre ou mal intentionnée, voire un groupe entier. Il y en avait, des histoires de guet-apens dans le genre, à Epistopoli.

À la proposition d'Éliza, elle répondit par un hochement de tête. Elle avait à peine du poisson séché dans son sac, pas sûr que ça plaise à sa camarade d'infortune. Elle se leva de sa place en réfléchissant.

— Je suppose qu'ici, c'est la pièce à vivre. La cuisine doit pas être loin.

Elle devina dans l'obscurité une porte discrète, et paria que ce devait être la cuisine. Suivi d'Eliza, elle entra dans la pièce. Bingo, c'était bien la cuisine, mais du peu qu'elle pouvait voir dans le noir ambiant, c'était poussiéreux.

— Avec un peu de chance, il y a peut-être quelque chose qui soit encore mangeable, dit-elle en entrant dans la pièce.

Eliza revint quelques minutes plus tard, une lampe à l'huile remplie à la main. Décidément, cette maison était plutôt bien entretenue même si à l'abandon. Si sa compagne d'infortune dénichait rapidement du riz, il n'en était pas de même pour Kailan, qui ne trouvait que de la vaisselle délaissée, recouverte de poussière et de toile. Elle reporta son attention sur Eliza lorsqu'elle indiqua une chose vivante dans l'un des placards.

En émergea une créature de glace – un élémentaire entre chat et chien, qui sembla curieuse de leur présence, avant de les quitter à la présence de la chaleur de la lampe, glissant dans une chatière loin d'elles. À la question d'Eliza, Kailan haussa les épaules

— Aucune idée. Mais il vaut mieux lui expliquer que nous ne sommes là que pour la nuit ? J'ai pas envie de finir congelée à cause d'une glace à quatre pattes en colère.

Sur ce, elle s'approcha doucement et ouvrit la porte, qui menait non à une pièce, mais à des escaliers descendant sous le sol.

— On dirait qu'il n'aime ni la chaleur, ni la lumière…

Kai s'engagea dans l'obscurité et descendit les marches menant au sous-sol de cette maison abandonnée. À la lumière de la lampe, elle put distinguer la silhouette de l'élémentaire, qui vint se blottir aux pieds de… Ah non, aux genoux de quelqu'un. Un homme était assis, dans une position des plus inconfortables, avec la moitié des deux jambes en moins. Ses bras n'étaient pas en meilleure forme, mais il sourit tout de même à leur approche.

— J'ai demandé à mon ami de bien vouloir vous guider jusqu'ici. Il y a tout ce que vous désirez dans ce sous-sol.

— Merci, répondit Kailan, pas sûre de savoir comment réagir. C'est votre maison ?

— Elle est à lui, dit-il en désignant du menton l'élémentaire. Comme vous, j'ai trouvé refuge ici, il y a bien longtemps.

Une quinte de toux secoua l'homme, faisant trembler son corps comme s'il allait se disloquer. Kailan s'en approcha pour l'aider à avoir une position plus confortable.

— Vous ne voulez pas partager un repas avec nous ? lui demanda-t-elle en tournant la tête vers Eliza pour vérifier ce qu'elle en pensait.

Ce type était bizarre et en bien mauvais état. Eliza avait bien raison de se méfier de lui, mais quelque chose intimait à Kailan d'attendre et d'écouter ce qu'il avait à dire. L'homme raconta finalement son histoire. Il était de ces âmes damnées que l'on appelait spectre et avait besoin d'aide pour quitter ce corps pourrissant. Dartin devait trouver cet élixir pour trouver un nouveau corps. Il n'avait pas l'air dangereux, et déballer sa vie ainsi montrait qu'il leur faisait confiance.

— Aidons-le, dit-elle à Eliza. On a de quoi passer une nuit tranquille grâce à son aide, on doit bien lui rendre la pareille.

S'ensuivit la fouille des pièces, petit à petit. Frozby tenait compagnie aux deux femmes durant leur recherche, leur indiquant la direction des pièces qui valaient la peine d'être fouillées en ronronnant, aboyant. Kailan pénétra dans l'une des chambres à l’étage et chercha dans les placards, sous le regard de l'élémentaire roulé en boule sur le lit.

— J'ai connu de meilleures soirées, plaisanta Kailan. Mais celle-là n'est pas la pire de toutes. Je dirais même que c'est amusant, même si c'est très bizarre.

Les deux femmes durent encore fouiller deux pièces avant d'enfin trouver l'objet de leur quête. Kailan trouva un flacon trop étrange pour être une lotion nettoyante dans ce qu'il restait de la salle d'eau de cette demeure abandonnée. Elle fronça les sourcils. Le dernier visiteur était le genre à faire des blagues de mauvais goût.

— Je crois que j'ai trouvé ! dit-elle à Eliza. Allons le retrouver et finissons en, j'ai la dalle et je veux dormir au chaud.

Kailan rebroussa chemin jusqu'à la pièce à vivre, dans laquelle l’homme attendait patiemment devant l’âtre – enfin, il n’avait pas tellement le choix. Son regard s’illumina en apercevant le flacon :

— C'est bien ce qu’il m’avait montré ! Merci infiniment.