Astrebrume

- Sous un ciel clair, éclairée par quelques rayons du soleil traversant un arbre géant dont j’ignore le nom, il y avait une enfant. Un peu excentrée d’un groupe de demoiselles qui dégustaient des gâteaux, il y avait cette enfant. Je me rappelle avoir continué sur le petit chemin qui bordait le lac pour profiter de ma promenade digestive et, au rythme de mes pas, je constatais mon erreur. Ce n’était pas une enfant, c’était une jeune femme. Contrairement aux autres, celle-ci ne parlait pas. Elle était assise, ses jambes repliées vers elle et, nulle doute que si sa jupe n’était pas si longue sa posture serait inconvenante. Le groupe éclata d’un rire commun et je la surpris à rouler des yeux avant que nos regards se croisent. Deux yeux clairs - bleus je crois - me dévisagèrent avant qu’elle ne m’ignore et ne reprenne sa lecture. Après un léger rire nerveux quant à cette réaction inattendue, j’ai pu détailler ses longs cheveux bruns et sa peau pâle alors que ses traits semblèrent trouver une réponse dans ma mémoire.
Et ce visage, je le connaissais. Sa mère avait le même quand elle était plus jeune. En face de moi, Lili Cassandre. A l’époque, elle avait à peine vingt ans. Et déjà à l’époque, comme sa mère pouvait la vanter, on voyait sa beauté. C’était une poupée. Et pourtant, elle ne détonnait pas. Elle était “normalement parfaite”. Je l’ai vu en soirée aussi, elle était toute aussi mignonne que polie, elle tenait des discussions d’adulte et portait déjà le masque social que toutes les gamines de famille élevées avaient.



- C’est pas le souvenir que j’en ai. Mais alors pas du tout! J’ai rencontré la petite Cassandre quand elle a été nommée Tenor. Elle était bien plus vieille. Plus d’une centaine d’années c’est certain ! Elle avait des mèches blondes, plein de bijoux extravagants, ses tatouages et ses formes parfaitement visibles. Elle avait cette attitude rebelle, mâchant quelque chose avec un air de défi. Elle toisait sa mère. Elle portait une veste brillante, courte, un débardeur noir et un serre-cou. Son pantalon était moulant, son fessier mit en valeur et son attitude… Son attitude n’avait rien à voir avec celui de sa mère. Si la Prima Donna était droit et fière, sa fille semblait préférer une attitude lascive. Et, lorsqu’elle est partie, me passant devant, le parfum herbé qui la suivait était clair sur l’origine de sa sensualité. Elle était accompagnée d’un homme, qu’elle attrapa par le bras et qu’elle regarda. Son regard pétillait. Elle était radieuse avec lui.



- Vous êtes chanceux. Je n’ai jamais vraiment vu Grim. Pour moi c’est une voix et des actes. Des sons. Des claquements de langue quand elle est contrariée. Des sons de couteaux ou des demandes étranges. De Grim ou de Reaper d’ailleurs. Je les connais à travers leurs demandes. Surtout des demandes incongrues par ailleurs. Un jour j’ai dû lui apporter - à lui - une panoplie de torture avec des couteaux, des hachoirs et autres bidules du genre et - à elle - un vernis rare pour faire luire sa saloperie de batte. Comment elle s’appelle déjà… Mais peu importe. Ce qui est terrible, c’est son utilisation. Ça et sa folie. La folie qu’elle partage avec Reaper. Je n’ai jamais assisté à leurs… jeux. Mais j’ai vu le résultat. Je l’ai déjà rejoint et ai senti l’odeur omniprésente de sang. Je l’ai entendu parler de meurtres en riant, parfois déçue de la facilité à tuer. Si ça ne tenait qu’à moi, on devrait les exécuter. Puissants ou non, ils sont un danger pour tout le monde. Je ne suis même pas sûr qu’ils aient des alliés.    

Comme tous les Strigoi, elle est légère. Discrète, ça, par contre, non… Elle pourrait ! Techniquement elle pourrait! Mais dans la pratique… euh…

Sa batte de baseball, nommée affectueusement “Malice” sur laquelle elle s’est amusée à graver divers dessins plus ou moins reconnaissables.

Elle a sa batte et diverses armes, variées. Parmi sa game d’accessoires on compte des poings américains, de la dynamite, des sabres, des dagues, des épées, des poisons… Et tout plein de trucs pour faire mal.

Les cinquante premières années de son existence, n’importe qui ayant croisé Lili Cassandre l’aurait dépeinte comme un exemple de ce qu’une petite fille éduquée devait être. Camélia - sa mère - a fait un excellent travail. Petite, menue, silencieuse, s’il y avait un être qui pouvait prétendre à être l’Incarnation de la Perfection c’était la petite Strigoi. Formatée, elle n’a jamais été autre chose que la parfaite marionnette de sa génitrice. Jamais un mot plus haut que l’autre, toujours une argumentation mesurée et des tenues marquantes sans réellement détonner de celles de ses camarades.


Savez-vous ce qui rend Camélia Cassandre aussi puissante? Ne réfléchissez pas. Ce sont ses mots. Son comportement. Ses intentions sont aussi noires que l’ébène et aussi impures que peuvent l’être les volontés. Mais elle les assume toutes. S’il y a une chose qu’aime la Prima Donna c’est le contrôle. Car contrôler les autres l’amènera à ses buts et c’est bien là la seule chose qui compte. Et pour augmenter son influence, elle usa de chaque arme dont elle disposait. Son intellect, sa verve, son corps. Sa fille.

N’y avait-il meilleur atout qu’une enfant malléable à la gueule d’ange? Non. Malheureusement il semblait y avoir deux facettes chez la petite. Il y avait cette fausse perfection qu’elle jouait constamment en public. Et il y avait l’Autre. Une enfant autoritaire, violente, colérique. Une enfant qui voulait et qui exigeait. Une enfant qui prenait. C’est d’ailleurs parce qu’elle était impulsive et incontrôlable qu’on la mit en entraînement. D’abord pour essayer de canaliser son énergie. Ensuite, lorsqu’il fut clair qu’elle s’amusait à se battre, pour augmenter ses capacités. Elle était… Elle était un jouet. Une arme modulable pour la loge. L’arme de Camélia.


Armen et Lili riaient souvent tous les deux. Armen se laissait gronder sa soeur et prendre “l’ascendant” pendant qu’elle se laissait montrer ses émotions, pleurer entre autres. Jusqu’à ce qu’elle parte pour un entraînement de longue durée et qu’en revenant son frère n’existait plus. Elle allait fêter son demi-siècle et c’est, sans émotions, Camélia qui lui annonça qu’elle était devenue son “unique” enfant. Ne restait des Cassandre des cousins de Lili - cousins avec qui elle n’avait jamais vraiment interagit. Les rumeurs de l’époque lui viendront aux oreilles. Armen n’était pas mort de maladie comme sa mère l’avait sous-entendu. Visiblement Camélia aurait péter un câble et décimer les Cassandre. La gamine n’accepta pas cette simple révélation. Perdre frère et père sur un coup de tête? Non. Ce n’était pas possible. Ce n’était pas possible hein…? Le déni dura autant qu’elle pu le faire durer. Au prix de sa santé mentale, elle tenta de croire Camélia. Elle tenta jusqu’à ne plus y arriver.


Ah. Gaspard. Un strigoi comme tous les autres qui lui a fait du rentre-dedans comme tous les autres et qu’elle a envoyé chier comme tous les autres. Avant de le retrouver des heures plus tard, hors de la boîte, en train d’éclater un visage au sol. Il ne l’avait pas vu et se défoulait sur le pauvre agonisant. Le sang embaumait l’air et la petite, gourmande, ne put y résister. Elle s’arrêta. Il prit une sorte de pavé qu’il planta dans la tête de la victime. N’importe qui aurait pris soin de s’éloigner de lui.

“Putain mes chaussures !”


La recherche de jeux et de liberté dirigea le siècle qui suivit. Ensemble dans la connerie et la violence, se partageant un amour constitué de challenges et de duels, les deux Strigoi menaient une vie de délinquance. Et ils s’y développèrent en empruntant le même chemin. Un chemin sous le signe de l'Ivresse. C'était une vie simple à défaut d'être saine. Vivre ivre d'alcool et de drogue, de drague, de luxure et de bons repas entrecoupée par l'ivresse de la violence et de l'adrénaline, du jeu continue et partagé. L'Ivresse devint leur slogan. Ainsi naquirent Grim et Reaper. Ça a quand même plus la classe que Lili et Gaspard, il faut l'avouer. Et, étant une Cassandre - malgré elle - Lili ne pouvait pas avoir la liberté qu’elle voulait quand elle était à Opale. Pourtant, l’influence de son nom était un atout non négligeable. La fortune de la vieille aussi. Vivre une vie libre à travers le monde à deux était un bon voyage. Mais de deux ils devinrent trois.

C’est ainsi qu’ils découvrirent qu’éduquer un enfant prenait du temps. Et non, un bébé n’aimait pas la violence "instinctivement". Et oui Lili était un cas à part. On n’emmène pas un bébé en mission non plus. A ce moment-là, comme si Camélia n’avait jamais arrêté d’observer sa fille, la Matriarche proposa un poste à sa fille. Un job, une protection et une éducation pour la petite. C’était un bon plan. Quand Camélia ira trop loin, elle récupèrera sa petite pour qu’elle ne subisse pas les délires de sa grand-mère. Et voilà, le plan était parfait.