Astrebrume

❝ 　Méfiez-vous de la caresse du vent. De la douceur de ses traits, du tranchant de ses yeux bleus. Ne vous laissez pas berner par son doux minois, ses cheveux d'argent qui chatouillent son visage, ses mouvements gracieux et sa démarche fluide de danseuse ; sans un bruit, furtive. N'accordez aucune confiance à cette bouche qui ne sourit pas, cette voix mélodieuse, captivante, trouvant toujours la tonalité exacte, la sonorité parfaite. Fiez-vous à son silence, à ses regards sévères et remarques sans chaleur. Admirez sa justesse, sa brutalité, ses mots incisifs qui cinglent à vos oreilles. Constatez le maniement des mots, son égoïsme, à ses gestes agressifs, et rendez-vous à l'évidence : la brise ment, manipule effrontément. Méfiez-vous de la caresse du vent. 　❞

❝　Furtive est la furie. Drapée d'une apparence humaine factice, elle n'est qu'air et peut le contrôler et le redevenir à volonté, ne laissant derrière elle qu'un amas de vêtements. Ainsi elle virevolte, glane des informations, créer des bourrasques et des tourbillons ; et armée d'un poignard ou d'un éventail, le vent se change en lames plus tranchantes que le plus fin des scalpels, pourfendant ses proies par une danse macabre.　❞

❝　Au commencement, il n'y avait rien. Du sable à perte de vue, une étoile en fusion, des dunes vibrant au rythme du vent. Le sifflement de la brise sillonnant dans les tranchées, suivant les courbes désertiques et arides. Des grondements, parfois, en provenance de cavités dissimulées çà et là, menant aux entrelacs du monde, tunnels sinueux où les ténèbres règnent et s'emmêlent aux bourrasques capricieuses. Au commencement, il n'y avait rien. Rien de plus que le chant du vent. Et soudain, l'éveil d'un souffle.　❞

⸻ 「1500」 ⸻

❝　Petite brise s'évade par l'interstice d'où tombe au-dessus d'elle les grains de sable. La lumière la transperce, la chaleur alourdit son aura. Etrange, comme l'air possède une texture différente ; plus lourde, plus sèche. Presque aucune surface sur laquelle rebondir, le courant est maigre, inhospitalier, et pourtant, elle le sent, il lui faut voyager. Quitter les serpents rocheux pour explorer le monde, goûter à la liberté, se dissocier de la masse, prendre son indépendance, tout en restant intrinsèquement liée à son élément. Elle est air. Elle est l'air. L'air est elle. Consciente de l'omniscience, la brise se détache et vogue parmi les siens, à l'intérieur des siens, traverse, effleure, transperce, se laisse porter, jusqu'à se mêler aux autres espèces. Un troupeau d'hebai elle croise, un troupeau d'hebai elle rejoint, sifflant avec eux à travers le vent, ébouriffant leur pelage et gonflant leurs poumons, s'amuse de leur course effrénée et se rêve leur semblable, un corps matériel, qu'est-ce que ça fait ? Première métamorphose hasardeuse, mirage d'animal venteux, la brise devient galopante un court laps de temps ; il lui en faudra beaucoup plus pour parfaire l'art du déguisement. Des tentatives acharnées au fil de ses avancées sur les Dunes de Saleek, où la brise devient scorpion incertain, bousier déterminé, crotale vaillant, grossissant au rythme de ses rencontres, tombant finalement sur cette oasis, ce campement nomade où sous des yeux ébahis, la brise se change en femme, et l'on chante les louanges de l'Esprit.　❞

⸻ 「1550」 ⸻

❝　La brise devient bourrasque lorsque l'adoration se change en détestation. Ils n'ont pas compris, ces Hommes, la profondeur de son art. Se sont arrêtés à l'émerveillement, aux messes basses faîtes entre eux lorsque de miracles elle épataient leurs yeux. Bourrasque n'est pas divine, ne peut répondre aux prières, et elle apprend bien des choses en compagnie de ces hommes et de ces femmes qui l'adulent, l'accueillent à bras ouverts dans leur campement, érigent une mythologie à sa gloire. Les espoirs se muent en désespoir et la détresse donne naissance à la folie ; si bourrasque ne peut répondre à leurs demandes, alors elle n'est pas un Esprit, mais un démon envoyé pour les leurrer, mettre leur foi à l'épreuve. Aucun doute, il faut la sacrifier, ainsi les Esprits arrêteront l'hécatombe du troupeau. Elle s'explique, bafouille, mais rien n'y fait, aveuglés d'angoisse, ils foncent sur elle et la bourrasque disparait, les propulse en arrière, s'enfuit sans demander son reste, ne laissant derrière elle que les vêtements dans lesquels son enveloppe artificielle se promenait. Et elle file, file à toute allure loin de la menace, libérée de ce corps qui la ralentissait, se permet des loopings, prend de la hauteur, fuse jusqu'aux étoiles, le plus haut possible, jusqu'à ce que la résistance atmosphérique se fasse ressentir. Trop jeune encore pour comprendre que c'est la peur qui guide ses mouvements, la bourrasque se calme et redescend, reprend la filature des grains de sable qui glissent sur son passage. Non loin du Bazar de Qadsak, alertée par les bruits de la cité, mais trop craintive pour s'en approcher, bourrasque redevenue brise rencontre la route du Tamanoir, troupe de performeurs itinérants dont la musique, les rires et la bienveillance ont résonné à travers elle de nombreux kilomètres à leur suite, avant qu'elle ne se décide, un soir d'entraînement, à apparaitre devant eux. À la danseuse gracieuse ensorcelant les dunes de l'harmonie de ses mouvement, elle demanda de devenir l'apprentie, et sillonna ainsi Aramila aux côtés de cette nouvelle famille. 　❞

⸻ 「1740」 ⸻

❝　Les membres changent mais la troupe perdure, Tamanoir voit la famille s'étendre, disparaitre, de nouveaux venus se greffent au noyau central. C'est l'amour, le partage, le soutien, la passion. La brise découvre de nouvelles émotions, des sensations humaines et apprend à faire confiance. Elle se dévoue corps et âme à eux, performe, danse et enchante les publics de ses mouvements d'une fluidité déconcertante ; elle flotte, ne tient pas compte de la gravité, ne fait qu'un avec la musique, semble même la contrôler. Tilikum, c'est son nom désormais. Le périple religieux ne semble qu'un lointain souvenir ; les humains peuvent être bons, mieux vaut se concentrer là-dessus, laisser derrière ce qui n'est plus. Adieu Aramila, tes dunes d'or et ton soleil accablant, l'heure est venue de découvrir de nouveaux horizons, de passer la frontière pour découvrir la nouvelle cité émancipée. Les mœurs changent, les croyances aussi. Le peuple se façonne au gré d'un nouveau Messi, d'une Science toute-puissante aux opportunités infinies. La boîte de Pandore s'ouvre sous ses yeux innocent, comme tous, elle se laisse porter par ce nouveau vent. Petite brise est bien curieuse, observe de loin les progrès technologiques, la troupe s'éparpille, éclate au fil des années ; les rêves de gloire ont changés.
Etrange sensation, ce corps devient lourd, de plus en plus lourd, suffoque au rythme des progrès. La famille n'est plus qu'un vestige, des souvenirs que l'on croise aux coins des rues, des remembrances agréables qui apportent une douloureuse nostalgie. La solitude revient, et la brise l'accepte en observant les humains évoluer : des dizaines d'années à les voir grandir, évoluer, mourir, ont laissé l'inéluctable fatalité de la mort faire son office et rendre les disparitions acceptables, dérisoires. Pourtant le ciel s'assombrit, d'épais nuages s'entassent au-dessus des bâtiments, une odeur persiste à l'intérieur d'elle, imprègne ses tissus métaphoriques, la rend morose, parasite l'entité profonde, l'air qui la compose. La noirceur polluée s'incruste dans les atomes, et le Mal s'agrippe à sa conscience. Brise devient rafale, tornade de rancœur, de colère, de rage envers ces Hommes qui massacrent la pureté de son Être.　❞

⸻ 「1900」 ⸻

❝　Changement de décors ; rafale se réfugie en terres xandriennes pour échapper à la pollution et résorber le cancer, les métastases purulente entassées en son sein. Mais les dégâts sont là ; de son innocence, il ne reste presque rien, et son empathie avec l'humanité s'est métamorphosée en haine viscérale difficilement contrôlée. Vengeance occupe son esprit, colère contracte son corps mais patience sait raisonner les penchants dévastateurs : rien ne sert d'agir sans réfléchir, la violence ne s'apprécie qu'avec parcimonie. On s'en délecte lorsque les proies sont terrifiées, lorsqu'elles ont tenté de s'échapper, et qu'une fois prise au piège, elles se résignent à la fatalité. La brume décime, mais pas assez. L'Humain s'autodétruit et emporte avec lui l'harmonie des choses, intolérable est l'idée de le laisser rendre seul son dernier souffle. Elle a souffert, elle souffre encore. Ils soufreront. Tous, jusqu'au dernier... Le cancer ne s'est jamais résorbé, dorénavant partie intégrante de son métabolisme, c'est sans relâche qu'il continue de la ronger.　❞