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Samedi soir

Samedi soir Brandw10
Ven 15 Juil - 19:47
L'orchestre inonde le hangar d'ondes électriques, c'est un son hystérique faisant tourbillonner les âmes. Dansant à s'en dévisser les hanches, les dizaines de silhouettes glissantes sous les stroboscopes... Tu devines derrière les fumigènes colorés des excroissances, des tentacules, des queues ou des museaux, des ventres gonflés ou des fractales de jambes, ou encore des yeux vadrouillant hors de leurs orbites -mais toujours bien fonctionnels.

Ils sont les enfants de Ratamahatta, c'est-à-dire mes enfants, ils sont aussi mes parents et parfois mes amants et bien plus encore lors des cérémonies de fusion d'âmes ! Ils sont aussi mes oeuvres d'Art et lorsque j'ai envie de les exposer, c'est dans mes cérémonies festives, mes grosses teufs, que ça se fait. L'Art de la Chair et de la Brume nécessite du Mouvement pour être complet : je suis un sculpteur du VIVANT, et en tant que tel je me nourris du Mouvement et surtout surtout, de l'HYSTÉRIE. Lorsqu'ils dansent, qu'ils suent, à moitié nus et souvent imbibés de mes drogues jusqu'aux os, mes compagnons dévorent goulument leur vie, sans se préoccuper des lendemains moroses.

Et si cette vision te rend pas heureux alors tu n'as rien à foutre là. Je suis un sculpteur du VIVANT et je me contrefous des cadavres.

Les cadavres c'est dans la Haute-Ville que tu en verras, ils peuplent les opéras et les bals masqués.

Nous sommes dans un hangar désaffecté, à cinq kilomètres du coeur d'Epistopoli. Dans les quartiers ouvriers peuplés par les esclaves de la Ville-Lumière. C'est ici que les rêves meurent, mais moi je les ressuscite.

- R, ta poudre brune, elle était, wow, démente, il me dit. Elle a transformé mon cerveau en caramel et il me coule dans la bouche.

Je suis assis sur un fauteuil aux côtés de l'un de mes nombreux amigos. Cet amigo là je ne le connais guère que depuis quelques semaines seulement. Transformé récemment. Je l'ai bien réussi, je me donnerais 7/10. Non, plutôt 6,5/10. La restructuration oculaire aurait du être... plus fine... Il voulait de gros yeux, "comme les mouches" disait-il, mais je n'ai pas réussi à lui peindre les parfaites sphères globuleuses qui s'imposaient, j'ai raté le lissage, et la symétrie est inexacte à hauteur de 2 millimètres.

Quel gâchis ! Il est très satisfait de son corps, mais moi, quand je le vois, je voudrais lui arracher ses yeux et lui en peindre illico presto de nouveaux, et ceux-là seraient exactement tels le chef d'oeuvre que je visualisais dans ma tête.

Il s'appelle Hector. Hector est un 6,5/10. Mais dans sa tête, il est un 12/10. Tant mieux pour lui. Tant mieux.

- Tant mieux, que je lui réponds, je t'avoue que je ne sais plus trop ce que c'est cette poudre brune ? C'était peut-être du phénoxamol C en cristaux ? Se faire caraméliser le cerveau c'est bon signe : ton esprit va devenir doux et sucré. On pourra se faire des tartines avec !

Il ricane mais cesse rapidement lorsqu'il remarque que je plaisantais pas : alors il se repongle dans sa poudreuse. Je mentais pas, je sais plus ce que c'est. Ratamahatta, ange de la liberté, est béni d'une rigueur scientifique irréprochable lorsqu'il s'agit de développer de nouvelles drogues visant à tartiner des esprits caramélisés. Mais parfois, il oublie d'étiqueter ses nouveaux produits, tout simplement ! Avoir un corps parfait ne dispense pas d'être un petit peu tête en l'air.

- Dis moi si tu entends des voix dans ta tête à un moment, d'accord ? Ça me confirmera que tu as tapé dans mon phénoxamol.

- Ok R ! Super fiesta, R ! Géniaaal !

- Ah ?

Cependant, tu l'auras remarqué, Ratamahatta n'est pas, ce soir, exactement immergé dans sa propre fête. Il se contente de la contempler de loin, assis dans son fauteuil en velours, au chaud sous son peignoir, comme à son habitude. Une mélodie accablante parasite le malheureux cerveau de Ratamahatta. C'est immensément beau mais pas suffisant. Si mon Oeuvre est belle mais pas PARFAITE, ben, à quoi bon, je ferais aussi bien de tout arrêter et de me trancher les veines avec des éclats de miroir, tu ne crois pas ?

- Une super fiesta ? Non, ça va pas. Ça va pas du tout cette fête. Il manque un piment, une épice ! Elle est fade. Elle manque de barbarie ! Belle mais fade. Raah !

- Q-Quoi, tu délires ? Elle est trop cool, ton phénomachin est trop bon, tout le monde s'éclate, et la voix dans ma tête me raconte des blagues totalement déglingos, YAHAAAA ! C'EST UNE GIGA SUPER FÊTE, R !

- Retourne utiliser ton petit cul à bon escient : en le faisant bouger sur le dancefloor ! Comme ça j'aurai de la place mentale pour réfléchir... Je peux pas réfléchir quand une jolie bestiole que j'ai fabriqué (toi par exemple) danse à côté de moi. Laisse-moi tranquille. Ratamahatta a besoin de réfléchir et-

- Ouais ouais j'ai compris, je m'en vais... Oh la la la toi alors hein dis donc pfff...

Ainsi donc, au milieu de cet ouragan d'hystérie, je réfléchis à ce qui pourrait bien manquer à ma fête pour qu'elle en devienne parfaite. Je ne sais pas. Qu'est-ce qui manque ? Un incendie, une incursion de la Brume, une anomalie temporelle ? Ou tout simplement une rencontre amusante ? Là, l'imperfection de ma fête me donne envie de l'annuler, et de tout faire exploser derrière moi.
Sam 16 Juil - 11:21
Epistopoli.
Ce mot suffit, pour ceux ayant déjà visité cette cité, à faire remonter une montagne russe de souvenirs.

Epistopoli.
Un joyau dans son écrin de misère. Pour les chanceux, un bijou de technologies alloué au confort. Pour les miséreux, un engrenage de crasse tâcheté où le sang se mélange à la rouille.
L'air, vicié par le progrès, ampli les poumons d'une lourdeur ferrique et dégrade le moral. Je ne m'y suis jamais vraiment habituée à cette atmosphère pesante. Depuis que je suis partie, revenir dans ses murs et marcher sur ses pavés, d'entre lesquels suintent un florilège de liquides visqueux et nauséabonds, est chaque fois une nouvelle épreuve : un éternel apprivoisement.

Non par plaisir ni par visite de courtoisie, j'arpente les dédales de la cité basse l'œil aux aguets et l'oreille tendue. J'ai reçu, il y a de ça plusieurs jours, la missive d'un ancien collègue d'armes, Alex Terosvich, capitaine dans le troisième RAE, régiment de l'armée épistoplienne, me demandant de le rencontrer. Ce que j'ai fait. Et me voilà embarquée dans une enquête qui ne me concerne pas. J'ai accepté sa requête bêtement, en souvenirs du temps passé, pour Geremy aussi. Alex veut que je le retrouve. Geremy ? Un autre soldat avec qui j'ai réalisé mes premières classes. Un énième porté disparu au bataillon. L'armée ne cherche pas les déserteurs, une perte de temps et de moyens. Ils sont inscrits dans le registre noir et gare à eux si l'armée leur met la main dessus. Leur sentence est irréversible. Alors pourquoi Geremy fait exception ? Ce n'est aucunement le cas. Il s'agit d'une demande personnelle, en dehors des sentiers battus par les bottes à clous et les étendards de guerre... Ça pue. Pas de protection, pas de laisser-passer ou autre petit privilège me facilitant la vie. Qui plus est, la récompense est loin d'être attrayante. Je me suis laissée amadouer par mes souvenirs et la curiosité, il a bien joué son coup le Alex.

La nuit a planté depuis longtemps son décors et les passants honnêtes sont rentrés dans leurs pénates depuis plusieurs heures. Ma seule piste, la basse ville et un rade des plus miteux. Un bar à l'ancienne où l'alcool colle aux semelles et le tabac aux murs.

- 'Soir Mam'zelle, j'vous sers quoi ?

- Des renseignements. J'cherche Geremy.

- 'Connais po.

- Et moi j'pense le contraire... Un bon mètre quatre-vingt, brun aux yeux verts. On m'a dit qu'il venait souvent.

- 'Connais po j'vous dis.

- Dommage... Bon, une bière alors.

Le barman, certainement le patron aussi, est un quarantenaire bien tapé par la vie et ses substances, dégarni sur le dessus mais bien garni de la brioche.

- 'F'ra 10 Astra.

Je cherche dans mes poches, chope un billet et le pose juste devant moi. Obligé de tendre la main, j'attrape son poignet et le tire d'un coup sec. Surpris et décontenancé, son corps gras s'affale sur le comptoir tandis que je tord son bras et bloque la position de mon autre coude dans une complainte de gémissements et de râles douloureux.

- J'cherche Geremy. Un bon mètre quatre-vingt, brun aux yeux verts. On m'a dit qu'il venait souvent...

- 'Tain ! T'm'fais mal, S'lope !

Je tords un peu plus. Il grince des dents et je crois même entendre un plombage sauter sous la pression.

- C'va C'va ! Ç'fait un bail qu'on l'voit po ton Geremy !

- Où j'peux le trouver ?

- J'sais qu'il traîne vers l'coin d'l'entrepôt ch'lou. Plusieurs fois qu'est v'nu après leurs fêtes.

- Et j'le trouve où cet entrepôt ?

.
.
.

De l'angle de la rue, j'entends la petite musique mécanique se répéter inlassablement. Un mélange de métal et de basses qui se cumulent pour donner un tempo constant parsemé, à de rares moments, de variations électriques.
Je bifurque. La musique se fait plus forte, plus grande. J'observe. Des fenêtres, bien trop hautes, un orage de couleurs bigarrées éclaire la nuit alentours. Des groupes d'individus, mutants pour la plupart, parsèment mon champ de vision. Ce sont des animaux, des insectes, des mélanges hétérogènes et éclectiques de toutes choses. Les uns vomissent, les autres rigolent à becs déployés tandis que les derniers discutent, les pupilles dilatées.

* Dans quoi tu t'es fourré Gerem'...*

J'approche de l'entrée. Pousse doucement un zèbre et joue du coude avec un lézard pour m'avancer. Il m'interpelle. J'ignore. Un ruban me barre la route derrière lequel deux gorilles et un taureau, littéralement, me dominent de plusieurs têtes. Le taureau... Plutôt un minotaure avec des petites lunettes de soleil rondes, s'approche de moi. Sûrement le boss d'entre les trois.

- Tu t'es perdue jeune fille ?
- Non, j'viens pour la fête.
- On t'a jamais vu ici.
- Normal. C'est ma première fois.
- Et tu cherches quoi en venant ici ?

Je tourne la tête à droite, rien, à gauche, un de ces groupes de viandes saoules.

- La même chose qu'eux.

Il a un sourire. Il m'observe et me reluque de haut en bas, pèse le pour et le contre.

- J'veux tester quelque chose de nouveau et on m'a conseillé ici... Si ça pose problème, j'peux toujours aller ailleurs...

- Héhé, sacré caractère. J'aime bien ça. Y'a pas de soucis pour rentrer.

Il pose la main sur le cordon, commence à enlever le cran, j'avance un pied, il se stop.

- Par contre... Pas d'armes, pas d'embrouilles et pas de bagarres sinon ça ira mal pour toi.

- Parfait.

- Dans ce cas... Parfait. Bonne soirée.

Le gorille en tee-shirt rouge m'ouvre la porte. Derrière un long couloir avec pour seuls néons des lumières noires. Mes cheveux blancs se mettent à briller de milles feux fluorescents.

De chaque côté, des salles ouvertes, des couloirs, des bureaux, où se mélangent des langues et des corps. L'une d'elle est composée uniquement de mannequins en plastique blanc accrochés au plafond. Une autre est recouverte, en partie, d'une sorte d'aluminium où une libellule nue joue de ses doigts devant un papillon aux ailes battantes.
Déterminée, je continue tout droit sans me détourner à l'image de ma vie.
Déterminée, j'ouvre les deux portes battantes et entre, comme dans un vieux saloon de Ventdune.
La musique, bien trop forte, me tape les tympans. Les lumières vives contrastent avec le couloir et m'aveuglent.
On m'observe et me dévisage.

- Que la fête commence...
Dim 17 Juil - 14:55
Que je fais alors les 100 pas dans les coulisses en creusant, creusant dans mon cerveau à la recherche de l'idée qui me sortira de mon obsession... Tu les vois s'amuser, consommer des quintaux de mes substances, hurler des insanités en désarticulant leur corps au rythme de la sonate électrique, ils s'amusent et j'adore regarder mes créatures s'épanouir à la manière d'un jardinier matant ses roses éclore sous un furieux jazz.

J'ai converti les anciens bureaux de l'entrepôt en salles d'exposition mineures, dans lesquelles mes petits amis peuvent laisser s'ébattre leur propre fibre artistique. Ainsi, chacune de ces petites salles reflète les passions déviantes d'une âme en déroute que Ratamahatta est venu sauver.

Regarde par exemple cette pièce fantastique. Plusieurs de mes amigos, tout de cuir vêtus, immobilisés dans une gigantesque toile d'araignée. Ou encore celle-ci. Une machine à vapeur au centre de la salle, qui vomit des torrents de chaleur, ils y pataugent dans un marais constitué de leur propre sueur. Tu sais ce qu'on obtient lorsqu'on mélange de la perversion et de l'Art ? On obtient des Miracles.

Pourtant je n'arrive PAS à m'en SATISFAIRE. Ça manque de barbarie, de drame, d'un soupçon de haine. C'est trop... monotone, voilà ! Comment jouir de la beauté sans laideur autour de toi pour la mettre en relief ?

Silice, une amiga dont j'ai changé positivement la trajectoire de vie en la transformant en femme-hérisson-singe, m'attrape par l'épaule puis me murmure une agréable nouvelle.

- Y a une humaine qui vient d'arriver, elle murmure en pouffant, une cliente pour toi tu penses ?

- Silice... Tu vends du rêve à ce pauvre Ratamahatta... Il était en train de se décomposer d'ennui...

J'ai espoir que cette humaine soit la perle de laideur que j'attendais. J'espère qu'elle est moche, ou que son âme est moche, ou les deux. J'ai bon espoir que !

- J'ai bien vu que tu faisais la tête. Content de te revoir sourire ! Viens te déhancher maintenant putain, on attend que toi !

- Pas tout de suite !

- Mais siiiii !

- J'attends le moment opportun pour venir bouger mon cul.

Tant que je n'aurai pas trouvé la composition parfaite, ce cul ne bougera pas. Tu imagines pas quelle frustration me tord les tripes tandis que j'ai devant moi cette beauté que je suis incapable de sublimer, j'ai l'impression de pourrir vivant. Tsssk. Et si j'utilisais l'humaine pour injecter des stéroïdes à ma fête mollassonne ?

- Où est cette humaine ?

- Chais pas. Perdue de vue.

- Si tu la vois, préviens là. Préviens là que Ratamahatta est intrigué par sa présence et qu'il l'encourage à se montrer aussi laide qu'elle est capable de l'être !

"Cool !" elle me dit en partant, en haussant les épaules, en se roulant en boule, en roulant dans les couloirs, en poussant un ricanement strident.

Silice est une petite tête qui ne se préoccupe pas de mes démarches artistiques. Elle vient s'empiffrer de drogues et suer toute la flotte de son corps sur le dancefloor, et il n'y a rien d'autre qui la motive ici. Lorsqu'il s'agit de dessiner un sens plus profond à mes fiestas, je suis souvent livré à moi-même. Je suis un petit Dieu isolé dans son univers de poche, à la fois dedans et dehors, je veille silencieusement sur mes créatures.

Tu sais, tout est le bienvenue ici, j'ai bien dit tout. Toutes les races, toutes les anomalies, toutes les erreurs, toutes les folies. Mais les humains, c'est rare. Les humains qui se pointent chez R ont une raison précise d'être ici : un fétichisme à assouvir, très souvent, une vengeance sanglante, parfois, ou bien simplement, ils cherchent Ratamahatta car c'est dans mes fiestas que je suis le plus accessible et le plus facile à trouver. Alors quand un humain s'amène, c'est bon signe. Parce qu'un humain c'est de la peinture brute à étaler sur ma Toile. La question est : quelle couleur ?

Coquine... Que vas-tu faire ? N'espère pas te faire discrète. L'anormal, c'est toi ici. Une portion de la réalité qui s'est glissée dans notre monde magique. Tu vas attirer tous les regards.

Me traînant lentement au premier étage, j'ai grimpé sur les passerelles qui surplombent le dancefloor. Mon regard tombe sur l'orchestre. Je leur fais signe d'accélérer le tempo. Même son, tempo multiplié par deux, par cinq ou par trente trois mille cent quatre, vous vous démerdez, moi je veux juste sentir vos ondes se déchaîner, je veux sentir cette musique m'arracher des morceaux de peau. J'ai besoin de me sentir vivre.

Oui oui oui... Je les sens, les ondes, elles envahissent ma chair, elles envahissent ma magnifique prison de viande. Je serai bientôt prêt à danser, je le sens. La musique s'emballe, mes amis bougent encore plus vite, crient encore plus fort. Et qui vois-je ?

Haha ! Oui, elle est bien en bas, dans un coin, accoudée au bar, presque immobile, pensive, comme si ma musique ne l'atteignait pas. C'est l'humaine. Beaux cheveux, ils reflètent les millions de couleurs de la fête, tu crois qu'elle accepterait de me prêter ses cheveux ? Eh, tu me vois ? Je te vois aussi. Coucou que je te fais, de la main, assorti de mon plus gentil sourire, qui se propage à travers mes joues. Vas-y, mets toi à l'aise, fais comme chez toi.

TOUTES les boissons du bar sont des cocktails maison, dont j'ai conçu moi-même les recettes, dont j'ai choisi chacune des molécules. J'espère qu'elle va se laisser tenter.
Mar 19 Juil - 11:00
La petite musique mécanique s'est transformée en une cascade de sons et de convulsions crescendos.
Le bruit martèle mes tympans et mon coeur.
La violence des notes et des sons me transpercent la peau et secouent mes os.
Le sol transporte cet hymne à la débauche jusque dans les entrailles de chaque fleur.
Ça cassent leurs têtes sur le tempo violent, écarquille leurs sourires et dilate leurs pupilles.
Tous ces êtres, plus tout à fait humain ni tout à fait animal, éclosent comme des volcans.
Ils attrapent la vie et la dégoupille.

Accoudée au comptoir, J'observe les lieux.
De l'autre côté du bar, une sorte de... un mélange de... je ne sais pas, m'adresse quelques mots.

- .. Veux .... Qu.. ...cle blan... ..
- Quoi ?

Seule sa voix, féminine, qu'elle porte haut pour supplanter l'orchestre, me donne une indication sur elle.

- TU VEUX BOIRE QUOI BOUCLE BLANCHE ?!
- De l'eau !
- QUOI ?!
- DE L'EAU !

Elle a un mouvement de recul surpris suivi d'un sourire amusé. Se penchant au dessus du bar, une patte de chat, sa patte, se pose sur ma mains (je sens ses coussinets).

- PREMIÈRE FOIS ?

J'acquiesce d'un signe de tête. L'instant d'après, elle cherche derrière elle, sous elle, sort deux verres et un shaker. Elle tourne sur elle-meme tout sourire, elle prend du plaisir ça se voit. Attrape plusieurs bouteilles et entame une préparation aux couleurs extravagantes. Du rouge coule dans un mélange passion. Un bleu cristallin s'insert pour former des bulles suspendues dans le mélange. Un liquide transparant passe dans le shaker, entre ses mains avant de plonger au fond du verre qu'elle fait glisser, du bout de la griffe, à côté de moi. Le second verre, rempli d'eau, se colle au premier.

- C'EST COMBIEN ?!
- CADEAU DE LA MAISON !
- MERCI !
- REPASSES QUAND TU VEUX BOUCLE BLANCHE !

Elle me laisse seule après un clin d'œil et un baiser laissé en suspend dans le vide. Est-ce que je viens de me faire draguer ? N'étant pas, en dehors, à l'aise et habille des méthodes. Ici, je le suis encore moins. Mes repères sont biaisés, éparpillés mais, surtout, épiée. Ça détourne les yeux au contact des miens. Ça a des mines stupéfaites, ébahis, consternées, parfois agacées, par ma présence. Gênée, presque décontenancée, je lève les yeux pour éviter d'en croiser d'autres.
Erreur.
Là haut, au loin, quelqu'un, une forme, semble me saluer. Le jeu de lumières, les fumigènes, m'empêche de distinguer les détails. Je lève mon verre à son attention, le porte à mes lèvres et le repose sans y toucher. L'odeur est alléchante, presque enivrante. Les couleurs, si claires, donnent envie de s'y plonger comme dans une rivière en plein cagnard. Je résiste (pour combien de temps ?). Je ne suis pas là pour me bourrer la gueule. J'ai une mission à réaliser. Je suis une Aventurière, une soldat, une professionnelle.
Un signe de main. La femme aux pattes de chat s'approche.

- OUI ?
- JE CHERCHE GEREMY, TU L'CONNAIS ?
- QUI ?!
- GEREMY ! UN MÈTRE QUATRE-VINGT, BRUN AUX Y... AUX YEUX VERTS.
- GEREMY ?! hmm..

Une idée m'a transpercé l'esprit me coupant au milieu de ma phrase. Je suis la seule femme, la seule à l'apparance humaine ici. Tout le monde ici est un mutant mais, un mutant avec une pointe d'humanité.
Je recherche Geremy d'après mes souvenirs. Je recherche l'homme que j'ai jadis connu mais, cela fait plusieurs années maintenant. Un frisson me parcours alors que l'hypothèse se pose en moi : aurait-il été transformé ?

- ..mmm, NON. CONNAIS PAS ! FAUT QUE TU DEMANDES À R.
- QUI ?
- R. ! RATAMAHATTA ! TU VIENS ICI SANS L'CONNAÎTRE ? T'ES DRÔLE TOI !
- ET J'LE TROUVE OÙ CE RAMATARATATA ?
- RATAMAHATTA !
- RATAMATATA ?
- RATAMAHATTA !
- RATAMATMATA ?
- RATAMAHATTA !
- J'LE TROUVE OÙ R. ?!
- PAR LÀ-BAS !
- MERCI !

J'attrape les deux verres et me dirige dans la direction indiquée. Le dancefloor est un véritable chemin miné. J'esquive les bras, les tentacules et autres appendices gesticulant dans des postures et angles inappropriés. Mes entraînements m'aident à cet exercice et me retrouve, une nouvelle fois, face à une cordelette de sécurité. Derrière elle, un rhinocétaure garde le chemin.

- J'peux entrer ?
- Non.
- J'dois voir Ratta... J'dois voir R.
- Non.
- J't'offre un verre.
- Non.
- Bon...
- Non.
- Ça va ça va j'ai compris !

Je tourne les talons. Faut que j'trouve une autre solution. Le gars de tout à l'heure... Comment il a fait pour arriver là haut ? J'aurais peut-être possibilité de contourner la sécurité...
Ven 22 Juil - 21:42
Lorsque je mate une scène emplie de rires, de danses, de FUN, il m'arrive d'imaginer la même scène superposée en version chaotique, tourmentée, avec des morts, des incendies, des massacres. Suite à quoi j'apprécie d'autant plus voir mes amigos s'amuser puisque je les ai vus souffrir dans mon esprit. C'est ça ben oui c'est ça : la beauté devient banale et vaine, sans laideur pour faire contraste.

Il manque du moche, du violent, pour compléter le cadre. Mais attention à bien doser ! En aucun cas le moche ne doit supplanter le beau, il doit rester extrêmement minoritaire... Je dirais... 5% ? 5% de laideur dans mon tableau ? C'est pas trop extravagant ça non ?

Regarde là, ce qu'elle est mignonne. Elle ne sera pas la touche de laideur que je recherche, impossible, trop mignonne. Elle tourbillonne comme un moustique sur la piste, oui, si j'en viens à la repeindre, je sens que des atours de moustique lui iraient comme un gant, un délire insectoïde, des ailes de libellules, deux paires d'ailes, trois paires, d'indénombrables rangées de pattes, elle aurait un corps labyrinthique, à te coller la migraine par simple contact visuel.

J'ai une image très nette de ce que je prévois pour elle dans ma tête, mais, hum, faudra qu'elle soit d'accord, ou faudra qu'elle soit méchante, méchante ou très moche, probablement les deux, et c'est mal parti.

L'étage est avant tout réservé à bibi, j'ai besoin de pouvoir surplomber mon petit monde afin de le contempler et de dire ce qui va et ce qui va pas ou encore ce qu'il faut détruire illico presto. Elle se casse les dents contre Marcel, l'ami rhino à la corne impeccablement lisse, elle part se casser les dents ailleurs, contre Tony, l'éléphant-ours aux cent trompes, elle se lasse pas, elle persévère. Et puis je la perds de vue. Elle a une raison pour vouloir aussi fort fouiner dans mon hangar ! Elle y cherche un trésor. Et ce trésor, je suppose que c'est Ratamahatta ! C'est un beau trésor, qui se mérite, et qui reste à tes côtés toute ta vie une fois que tu l'as trouvé, j'espère que tu en as conscience, ma potesse,

Alors je vais pas te faciliter la tâche. Et je retourne me perdre dans mon premier étage à moi. Tu sais ce que je cherche ? Mais oui, tu sais très bien ce que je cherche. On va commencer à bosser un peu, à se sortir les mains du slibard, on va prendre ces jolies petites mains et on va sculpter la soirée à mon image. Tu sais ce que je cherche, évidemment, je cherche les fumigènes. Celles qui harcèlent l'oeil de couleurs irréelles qui n'existent que par la Brume. Celles dont la fumée enivre, puis rend dément, puis rend vivant, puis rend lucide.

J'y trouve ce type, dont je me souviens pas le nom, un brouillon indescriptible, un humain, bien humain, composé de bras et de jambes répartis là où tu ne t'attendrais pas du tout à en voir, si bien qu'il est capable de littéralement marcher sur la tête ou encore d'attraper des objets avec son zob. Je ne me souviens pas de son nom, et honnêtement, je ne me souviens pas non plus des substances que j'avais dans le sang lorsque je l'ai métamorphosé, celui-là.

Ce qui compte, c'est qu'il est plutôt doué en effets spéciaux. Les fumigènes hallucinatoires ça le connaît. Et donne lui quelques ampoules colorés et quelques stroboscopes trafiqués, et il est capable de filer une épilepsie à un aveugle.

- Salut saluuuut.

- Wah ! R ! T'es pas en bas ?

- Eh non je suis bien là, devant toi, copain. Il te reste des fumigènes hallucinogènes ?

- Pas trop... Il m'en reste juste assez pour le climax. C'est cher ces trucs-là, tu sais, euh...

Zut désarroi. Il remarque mon désarroi. Lorsque je suis déçu, tout le monde autour de moi devient déçu. Mes états d'âmes sont très contagieux : c'est pour ça que tout le monde est si gentil avec moi, parce qu'en me rendant heureux ils le sont aussi.

- "C'est cher ces trucs-là" ? Tu me parles de fric, alors que je te parle de fête ? Tu veux que je te défenestre ?

- T-Tu veux en faire quoi ? que ce tocard me répond, les yeux écarquillés. Parce que j'ai bien une caisse en trop là ! Mais ils sont défectueux et un peu dangereux...

- On va enfumer tout l'étage ! Si on fout le feu c'est pas grave. Les volutes descendront en cascade sur le dancefloor, en contrebas. Nos potes penseront que le cosmos leur dégouline sur le crâne.

Il fait chaud, tu trouves pas ? Je déboutonne mon peignoir, qui s'en va de suite lécher la poussière. La fête commence à me monter à la tête, je le sens. La température augmente, le point d'ébullition est proche.

- Tu vois les paillettes sur mes pectoraux ? Elles ont un sens très précis. Elles sont une invitation au voyage, et à la contemplation. Elles rappellent notre petitesse dans ce vaste et imbitable univers.

- Euh, ah ?

- Ce sont des constellations ! J'ai transformé mon corps en un magnifique ciel étoilé. Quand tu le fixes trop longtemps, tu as la sensation de tomber dedans...

- Je... Est-ce que je me charge des fumigènes, R ?

- Descends mon gros. Retourne en bas. Je prends la suite.

Il est mou lui, tu trouves pas ? L'information arrive pas au cerveau, y a un bouchon ?

- JE TE DEMANDE DE DESCENDRE !

Qu'il demande pas son reste ! Il se carapate, la queue entre les jambes, n'osant même pas m'adresser un dernier regard.

Quand je crie je fais peur à tout le monde ! Pourtant y a pas une once de méchanceté dans mes hurlements : c'est de l'impatience, j'ai de l'énergie qui gicle de mes pores ! Tandis que j'accroche à l'adhésif des fumigènes autour de mes bras et que je m'en enfonce dans la bouche et dans le slip, mes jambes sont hantées par les pulsations qui se propagent dans le fer et dans le béton !

Alors je danse, en tête à tête avec moi-même, en hurlant d'élégants blasphèmes, en frappant de toutes mes forces mes cordes vocales !
Mar 26 Juil - 12:03
Après le rhinocéros, encore un mur humanimalomutant. Un autre énergumène du genre mi-ours mi-éléphant à la trompe en kaléidoscope avec la négation en seule mot de discution. Il commencent à me faire tous chier. C'est pas bien compliqué, où est Geremy ? Pas ici ou ici, où je peux le trouver ? Là-bas. Point. Fini. Basta. Hasta la vista et adiós. Mais non. Pourquoi faut-il que tout ce complique toujours de manière aléatoire ? À croire que le monde cherche sans cesse à embrouiller les pistes, à ajouter des couches d'incompréhension de peur qu'on découvre le sens de la vie et de tout ce qui est.

- PUTAIN !

Plusieurs têtes se retournent sur mon passage. En plus de ma flagrante différence, la colère est lisible sur mon visage. Sentiment qui me démarque encore du reste de la population présente. J'entends pouffer et rire tandis que je m'éloigne d'un groupe. Je sers les poings et les dents pour contenir cette colère qui me suit depuis de nombreuses années.
La musique a perdu de sa force, de son volume, je suis de retour dans le couloir. Les ébats et autres scènes, soit disant artistiques, dans les pièces et couloirs alentours, ne me font pas détourner les yeux. Chacun ses délires, ses fantasmes, ceux ne sont pas les miens et je n'approuve pas tellement tout ça. Mais, si c'est leur choix...
À quelques pas de la porte principale, prête à entamer ma sortie, un faible point lumineux chope mon inconscient, mon angle mort.
Je bifurque dans le tunnel, d'autres pièces. J'arrive au bout et découvre le symbole d'une sortie de secours : l'élément le plus rationnel de toute l'infrastructure.
Seule voix, à gauche. Je bifurque et continue. La musique est maintenant qu'une légère vibration où seules les basses se font encore ressentir. Je plonge dans un corridor sombre, presque sans lumière. Le panneau, encore au loin, se répète. Attirée par celui-ci comme un insecte par la lumière, je laisse mes pas me guider. Fin du couloir, deux solutions, je tourne à droite. La senestre me ramènerai, je crois, vers la fête. La dextre m'en éloigne. Plusieurs pièces se succèdent. J'en dépasse une et reviens sur mes pas. De l'autre côté, une créature informe et difforme de bras et de jambes disparaît... Qu'est-ce qu'il fait là ? Pourquoi est-il si loin de la "fiesta" ? La chambre est bourrée d'objets en vracs, de pots en terre cuite, de jarres et autres contenants amplis de produits chimiques. Pourquoi chimique ? À l'odeur qui s'en dégage. Je la traverse en faisant attention de ne rien toucher.

Personne.
La chose a disparu mais je découvre un chemin étroit et obscur, un escalier de fer d'où semble parvenir une fumée qui me paraît irréelle. L'ascension commence dans le grincement des gonds. Les volutes s'épaississent, s'enroulent sur elles-mêmes et cascadent le long des marches telles une rivière dans laquelle je suis le saumon qui remonte le courant. La musique reprend de l'ampleur. Je me suis revenue aux festivités. Revenue certes, mais surélevées. Je découvre la scène sous un angle nouveau. Je vois les fourmis perdues qui s'agitent sous les coups électroniques des musiciens. La brume coule sur les invités. Je redécouvre le bar et l'endroit où j'étais plus tôt. La petite serveuse continue de gesticuler ses pattes et ses hanches au rythme des boissons... Il était là. Je me tiens au même endroit que l'inconnu...
Un chant, non, plutôt un cri de plaisir me rappelle à ma mission.
Il fait de plus en plus chaud non ?
Je poursuis l'appel du bonheur.

Là... Un être immensément grand danse de tout son corps et son âme.
Son sourire s'étend entre ses deux oreilles. Son visage, celui d'un équidé.
Son corps, une voix lactée.
Le décorum, des couleurs de paon.
De ses membres, des artifices d'où s'échappent les fumées sans émotion.
Contrairement à lui qui en déborde.
Il fait vraiment chaud, non ? J'ai l'impression que ses mouvements se tordent.

- HEY !

Il se stoppe net.

- C'est toi R. ? Tu connaîtrais pas un Geremy ?!
Jeu 13 Oct - 20:52
<< Geremy ? C'est quoi ça ? >>

Je pouffe de rire. La voilà qui me donne un nom comme si un nom avait un quelconque sens ici. Un nom ! Que je me marre, en crachant par terre quelques tripes fluorescentes. Les fumigènes m'ont pas réussi : c'est lorsque j'en ai avalé un que j'ai commencé à sentir l'envie de vomir.

Mon mollet se tord tandis que j'improvise un dangereux pas de danse. Se casser un os ou deux lorsque l'on danse est commun ! Le corps est un instrument qu'il faut briser pour le faire chanter.

Je la vois de plus prêt, enfin, l'humaine, la toile vierge ! Peau blanche, crinière blanche, yeux blancs, elle est une invitation à la colorier, à dessiner dessus. Je reprends la parole, tout en continuant à me dandiner devant elle. Les fumigènes accrochés à mes bras s'épuisent, mais pas moi !

<< Je suis Ratamahatta, effectivement. On m'invoque lorsqu'on a un voeu à exaucer, lorsqu'on a besoin d'un artisan qui fabrique des rêves. Tu veux Geremy ? Les noms ne veulent rien dire chez moi. J'ai besoin que tu me décrives une texture, une saveur, une âme, et là je saurai te dire ce qu'est ce Geremy. >>

Tu es visiblement confuse. C'est normal, mes arômes t'embaument, accélèrent tes sens et s'incrustent dans ton cerveau. Si tu restes ici plus de quelques minutes tu t'endormiras et alors tu viendras me rejoindre dans mon rêve, n'attendons pas, suis moi. D'un majestueux bond je suis sous tes yeux, la main tendue vers la tienne.

<< Suis moi. Cherchons ce "Geremy". >>

Mais ta main ne répond pas à la mienne, car tu es méfiante. Tu as une résistance que la majorité des humains n'ont pas. J'ignore ce qui t'a amené ici mais je commence à voir sous quelle forme tu en sortiras. Je suis impatient de commencer mon travail sur toi ! Mais ne précipitons pas les choses.

<< Suis moi. Cherchons ce "Geremy". Tu n'es pas d'ici toi ? C'est ta première fois ? Ça se sent. >>

Elle est intimidée. Elle l'est d'autant plus lorsque je gerbe une seconde salve de vomi fluo. Détends-toi, c'est pas grave, c'est la fiesta qui commence.

<< Tu vas devoir te laisser totalement aller, sinon tu ne retrouveras jamais ce Geremy. Tu dois te connecter à l'énergie de cette fête. Alors, c'est quoi, Geremy ? Un savant, un artiste, un soldat ? Si tu me le décris, je saurai aussitôt de quoi tu parles.

... Euh, non, en fait, tais-toi. >>

Elle a failli en placer une, mais je lui ai rabattu le caquet. Je viens de réaliser qu'on est pas ici pour bosser non ? Merde quoi hein, tu m'as pris pour ton fabricant de rêve personnel ? Je ne fabrique des rêves que du Lundi au Vendredi, de 8h à 17h.

<< Tais-toi. D'abord, on va redescendre au bar, et je vais te faire goûter mes cocktails favoris. Rien ne presse. T'es pressée ? Parce que pas moi. >>