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Tous les matins du monde sont sans retour

Tous les matins du monde sont sans retour  Brandw10
Jeu 12 Jan - 12:12
Le soleil peinait à poindre à l'horizon, mais on n'aurait de toute façon pu le voir. Sous le clair-obscur des arbres, Jeleb n'était jamais très à l'aise, et son errance actuelle ne faisait pas exception. Les branches entrecroisées loin au dessus de sa tête pesaient comme autant de mains aux doigts crochus, porteurs d'une funeste volonté, l'enfermant dans un lieu exhalant le fumet acre et mouillé de la végétation humide et de la pourriture terrestre. Tout était à la fois bien trop immobile et pourtant l'endroit grouillait, souvent silencieusement et parfois avec force éclat, d'une vie rampante ou bondissante, émanant de ce sol sombre dont la nature même repoussait celle, contraire, de l'élémentaire.

Pourtant ses pas le portaient toujours plus profondément dans la forêt, malgré cette aversion, malgré ses doutes et ses craintes. Peut-être même en partie à cause de cela. Mal à l'aise, certes, mais pas maladroit pour autant, sa progression restait fluide, légère, comme si ses pieds répugnaient à faire peser le poids de son corps sur l'humus et les racines. Sa grande et sombre silhouette glissait entre les troncs et les fourrés, sans qu'une cape autrement pourtant très à son goût ne vienne couvrir les étroites épaules, sur lesquelles ses longs cheveux flottaient librement.

Tous les matins du monde sont sans retour. Une longue existence donnait un sens tout spécial à cette phrase, s'éloignant radicalement d'une exaltation du moment présent, de l'importance de profiter de ce qui ne ne pourra pas durer. Jeleb goûtait de plus en plus à la douce amertume de voir le monde mourir et renaître quand, pour sa part, tout ne faisait que s'étaler dans une continuité qui n'en finissait pas de s'allonger, et où le sens se diluait inexorablement dans une volonté usée mais pourtant tenace de ne pas tout laisser glisser dans l'oubli. Les souvenirs prenaient une place de plus en plus grande et paradoxalement leur importance ne cessait de décroître, singulière situation. Mais les souvenirs ne sauraient suffire à décrire qui l'animait dans cette excursion.

Devant un enchevêtrement végétal particulièrement noueux et massif, l'élémentaire marqua un petit temps d'arrêt. Sa présence en ces lieux n'avait elle-même qu'un sens très ténu, à peine rattaché par une vieille... Par quoi finalement ? Quoi qu'on pouvait se raconter à soi-même certaines choses tenaient de l'évidence, pourtant cela ne suffisait pas toujours. Alors quoi, l'espoir de reconnaître quelque chose d'elle une fois les yeux posés dessus ? Peut-être, et en parlant d'yeux...

- M'observe-t-on depuis longtemps ?

Une question lancée à voix haute, sans forcer le ton. Jeleb se trompait peut-être, ce ne serait pas la première fois.
Jeu 12 Jan - 14:03
Dernièrement, Halie en avait rencontré, des êtres étranges. À commencer par cette tritonne voulant l'entraîner dans son royaume aquatique, puis en continuant avec l'être aux si belles ailes, qui lui avait offert une perspective de vouage-éclair... Voilà qu'à présent, elle voyait passer une autre créature étrange. Qu'est-ce qui était réellement étrange en lui ? Elle n'aurait su le dire. La demoiselle n'était pas du genre à juger sur le physique, se sachant elle-même en décalage avec les attentes de sa seule vraie possibilité de comparaison, les humains. Néanmoins, quelque chose en cet être l'intriguait. Elle ne pouvait pas mettre la main dessus, c'était intangible, comme... un souffle d'air. Elle percevait une émotion, sorte d'amertume qu'elle ne comprenait pas. Mais elle était éagalement curieuse, comme toujours : comment quelqu'un pouvait-il passer sur un sol forestier sans faire le moindre bruit, sans briser la moindre branche ? Elle-même savait épargner les débris que les arbres laissaient au sol, mais parce qu'elle en avait l'habitude. Et, même ainsi, elle faisait du bruit, laissait une trace de son passage.

Tout cela, bien sûr, c'était lorsqu'elle se mettait au défi de marcher sur le sol. Passant la majeure partie de son temps dans les branches, il était évident qu'elle soit moins douée sur la terre ferme. Mais trêve de plaisanterie, elle allait perdre sa cible. Sautant silencieusement sur la branche suivante, elle continua à le suivre. Que pourrait-il lui apprendre ? Car oui, lorsqu'elle suivait quelqu'un, c'était pour en ressortir plus riche de connaissances. Bon, à chaque fois, elle avait fini par se faire surprendre. Par conséquent, quelque chose lui disait que cette fois-ci ne ferait pas exception.

La validation de cette théorie ne se fit pas attendre. Encore une fois, on avait perçu sa présence. Il faudrait vraiment qu'elle songe à revoir ses techniques de traque...

Néanmoins, trouvant impoli de ne pas répondre à une question qu'on lui posait, même s'il était évident qu'elle n'en était pas la destinataire directe, elle sauta sur l'arbre suivant, afin de se trouver devant l'inconnu, puis se laissa gracieusement glisser au sol.

- Oui, désolée. En fait, vous m'intriguez. Vous ne semblez pas être un humain... Qui êtes-vous ? D'où venez-vous ? Et qu'est-ce qui vous contrarie ?

Elle posait beaucoup de questions ? Et alors ? Après tout, lui aussi l'avait saluée avec une question, elle avait le droit de lui rendre la pareille, non ? Elle posait bien plus de questions que lui ? Blâmez sa curiosité.
Mer 18 Jan - 21:58
Tombée comme une feuille de la canopée, elle était d'une grâce familière, de la courbe délicate de ses cornes à la profondeur de son regard cristallin, en passant par le flot de ses cheveux aussi fins que pâles. Si de son coté elle ne se priva pas de lancer une bardée de questions au débotté, Jeleb resta dans le silence, pourtant son esprit en était rempli. Encore une vilaine farce de la Brume ? Le trouble, en tout cas, ne cessa de grandir, alors que, figé sur place, alors plongé dans ses souvenirs et ses remords, il se retrouvait comme en face de l'un d'eux. Impossible de l'avoir vraiment trouvé pourtant, du moins c'était sa pensée jusque maintenant...

Le moment ne dura pas. Malgré les remous et les conflits internes sa lucidité ne se perdait pas aussi facilement, et l'absurde de sa réaction initiale apparut bien vite. Cette inconnue ou illusion lui ressemblait, elle dégageait une impression similaire, mais elle se trouvait à la fois plus petite et, dans une myriade de petits détails, irrémédiablement différente, étrangère. Sans même parler de ses propos, qui à eux seuls entérinaient son statut. De là, supposer un tour de la Brume perdait un peu de sens, elle aurait sans doute fait "mieux" que cela. Ou tout du moins, voilà la ligne raisonnable que la longue expérience du voyageur pouvait tracer, en dépit du reste. Et quel reste. Mais Jeleb reprenait petit à petit contenance.

- Je crois que... Disons que vous m'ôtez certains mots de la bouche. Mes questions sont les vôtres, pour la plupart. Mais n'oublions pas nos manières.

Sans s'approcher, l'élémentaire salua souplement d'un geste du buste et de la main, un fin sourire sur ses lèvres pâles, le regard flottant autour de la petite curieuse.

- On m'appelle Jeleb, j'ai eu beaucoup de rôles et de titres mais ici je ne suis qu'un voyageur. Difficile de dire que je suis humain, en effet. Quand à ce "où"... Je ne saurais le dire précisément, non par malice ou envie de cultiver le secret que par manquement; je tricherais donc en vous disant Epistopoli. Et pour le reste, vous me surprenez. Mes sentiments sont-ils si transparents ?

Cette dernière tirade était presque rhétorique, dans la mesure où, par l'interrogation même, l'inconnue dévoilait sa nature à qui en savait un peu sur les petites raretés de ce monde, mais l'objectif était autre. Après une réponse honnête mais lacunaire, allait-elle se révéler un peu plus ?
Jeu 19 Jan - 11:00
Les pensées semblaient se bousculer dans la tête de l'inconnu. La confusion était certaine. Poussée par son bon coeur, Halie esquissa un pas vers lui, pour tenter de le calmer. Mais, visiblement, lui ne voulait pas réduire la distance. Alors, elle refit un pas en arrière, pour rétablir leur écart originel. Soit. S'il se sentait déjà perdu, elle n'arrangerait pas les choses en lui imposant quoi que ce soit.

Elle décida de ne pas faire de commentaire, et se contenta de hocher la tête lorsqu'il mentionna ses questions. Elle y répondrait. Quand elle en aurait l'occasion. Pour le moment, il faisait de son mieux pour répondre à sa myriade de questions... Ce qui fit apparaître un petit sourire d'auto-dérision sur ses lèvres. Elle le laissa terminer sa tirade, puis, avant de répondre, crut bon de lui assurer quelque chose :

- Surtout, si je suis trop curieuse... Ou indiscrète, n'hésitez pas à me le dire, d'accord ? J'imagine que tout le monde n'apprécie pas de se sentir poussé dans ses retranchements... Même si ce n'est pas mon intention, évidemment, mais voyez-vous, la curiosité ne se maîtrise pas. D'ailleurs...

Soudain, elle s'interrompit.

- Désolée. Je parle trop.

Puis elle se concentra sur les paroles de l'étranger. Le voyageur, comme il se qualifiait lui-même. Finalement, il ne disait pas grand-chose, même s'il donnait l'impression de répondre à ses questions. Etait-ce de la méfiance, qu'il aurait réussi à dissimuler ? Ou alors, ces questions innocentes étaient-elles si difficiles à l'heure d'y répondre ? Et... Epi...Quoi ? Etait-ce une autre ville ? Les réponses à ses questions en amenaient tant d'autres... Mais elle devait se contenir. Quelque chose lui disait que cette personne n'était pas spécialement du genre bavarde. Alors, elle devrait s'y adapter. Néanmoins, il lui posa une question qui l'amusa. Néanmoins, elle lui répondit volontiers :

- Pour moi, oui, ils sont parfaitement limpides. Mais ça me permet... De donner l'illusion que je sais interagir avec autrui.

Une ombre était passée sur son visage. Oui, qu'elle le veuille ou non, sa solitude volontaire l'empêchait de développer des compétences interpersonnelles. Bien que cela ne l'empêche pas de vivre, elle devait bien admettre que, lorsqu'elle rencontrait quelqu'un, elle aurait aimé mieux savoir s'y prendre. Enfin ! Elle secoua la tête pour se débarrasser de ces sombres pensées.

- Enfin ! Vous m'avez dit avoir les mêmes questions que moi ? Laissez-moi donc répondre à mes propres interrogations. Je suis... Juste une habitante de ces lieux qui a l'ambition de s'en croire la gardienne. Je ne viens de nulle part, j'ai toujours vécu ici et ne connais rien d'autre... C'est pourquoi vous m'excuserez si je fais des erreurs en interagissant avec vous, je vous en prie. Je ne veux pas aller dans ces villes pleines de trop de personnes, mais j'ai conscience qu'ainsi, je ne peux pas apprendre à interagir correctement. J'aimerais tant pouvoir apprendre autrement...

Etait-ce là une invitation à devenir son mentor ? Une confidence venue spontanément ? Halie elle-même serait bien en peine de répondre. Elle avait simplement laissé les mots s'échapper comme ils le voulaient. À présent, il faudrait voir comment cet homme les interpréterait.