Astrebrume

Après son voyage à Aramilia, Halie était rentrée au Havre pour une pause bien méritée. Elle en profita pour réfléchir. Elle avait beaucoup voyagé, dernièrement. Par conséquent, sa curiosité devrait la laisser tranquille pendant un moment. Elle pourrait donc se concentrer sur autre chose, un autre aspect de sa vie qui méritait son attention ? Voyons...

Rapidement, elle sut. Ce qui l'handicapait le plus, c'était son pouvoir. Les maux de tête, dès qu'elle se rendait en ville, l'handicapaient. Néanmoins, elle sentait, au plus profond d'elle-même, qu'elle n'en avait pas fini avec les visites de villes. Alors, il lui fallait se renforcer mentalement, afin de mieux supporter ses futures expériences. Et pour cela, il y avait deux villes candidates : Opale et Xandrie. Le choix fut vite fait : elle ne pouvait se souvenir d'un moindre passage à Opale, et son expérience à Xandrie avait été somme toutes positive. Elle avait eu du mal avec l'homme, c'était vrai, mais la femme qu'elle y avait croisée, elle l'adorait. Néanmoins, elle doutait de les revoir, et, de toutes manières, elle n'y allait pas pour ça. Elle y allait pour faire face à l'une de ses plus grandes faiblesses et tenter d'y résister. Elle le savait, si elle voulait pouvoir ignorer cette saturation de ses sens, ce n'était certainement pas au cours de ce voyage qu'elle y arriverait. Mais elle pouvait essayer de progresser un peu dans cette voix.

Avant de partir, elle pit soin de faire des réserves de miel. Elle le savait, à présent, sans astra, elle n'irait pas loin en ville. Il lui fallait donc quelque chose à vendre. Après une hésitation, elle finit par décider de se charger également de sa réserve d'herbes médicinales, qu'elle compléta grâce à une petite récolte expresse. Après tout, les herbes les plus fraîches étaient plus efficaces pour certains remèdes. À présent, elle avait de quoi vendre : son miel visiblement exceptionnel, et ses services de guérisseuse. Il fallait à présent espérer que cela suffise pour financer un court séjour à Xandrie... Elle ne comptait pas rester longtemps, mais pour s'habituer à l'environnement citadin, elle le savait, il lui faudrait rester sur place au moins quelques jours. Et elle n'avait aucune idée du prix du logement et de la nourriture là-bas, pas plus que celui de ce dont elle comptait se servir pour obtenir les premiers astras de sa vie... Enfin, elle verrait tout cela sur le moment.

Cette fois, elle n'infiltra aucun convoi de marchand. Se fiant à ses souvenirs, elle emprunta simplement la même route que la dernière fois. Et, visiblement, cela eut plus de succès que dans le désert, car elle arriva bientôt aux portes de la ville. Au moment d'expliquer les raisons de sa venue aux gardes en faction à l'entrée, elle dut s'adonner à une négociation perdue d'avance... Mais qu'elle finit par gagner au prix d'un pot de miel. Elle put donc entrer en étant catégorisée comme commerçante. Bien. Ce n'était pas exactement ce qu'elle voulait, mais peu importait, elle était entrée, et dans la légalité la plus complète.

Rapidement, elle fut de nouveau submergée par les émotions de toutes ces personnes qui l'environnaient. Mais, cette fois, elle était prête. Elle ne laisserait pas tout cela l'atteindre. Du moins, pas au point de saturer son esprit. Evidemment, elle souffrait encore, mais se força à penser à autre chose. Où trouver quelqu'un qui pourrait lui acheter quelque chose, par exemple.

Il fut assez facile de trouver le marché. En effet, il suffisait de suivre les traces émotionnelles les plus puissantes, témoins de nombreuses personnes en pleine négociation archarnée... Attendez, à cet étal, était-ce vraiment une négociation, qui avait lieu ? N'était-ce pas plutôt une joute verbale ? Les deux s'énervaient, en tous cas. Cela lui donna une idée. Après tout, elle avait récemment acquis une nouvelle variante de magie...

La colère du marchand apaisée, la transaction put s'achever, au profit du client. Satisfaite, Halie s'éloignant, ne laissant aucune impression qu'elle ait eu quoi que ce soit à voir dans la résolution du conflit avant qu'il n'éclate. Tiens, d'ailleurs... Elle cherchait à gagner de l'argent, non ? Existait-il un métier de médiation, destiné à désamorcer les conflits ? Si tel était le cas, ce serait certainement plus rentable que la vente de services de guérison peu développés ou de miel brut... Cela valait sans doute la peine de se renseigner.

D'un autre côté, elle ne cherchait pas à s'enrichir, simplement à vivre pendant quelques jours. L'objectif était qu'il ne lui reste aucun astra le jour de son départ, car, dans la forêt, ces derniers ne servaient à rien. Ces objets étaient nécessaires en ville, qu'ils y restent.

Quoi qu'il en soit, elle devait toujours trouver un moyen d'en gagner. Car même si elle n'en voulait pas beaucoup, il lui en fallait tout de même.

Elle en était là de ses réflexions lorsque quelque chose l'intrigua. Il y avait comme... Un trou dans la toile émotionnelle dessinée par ces personnes. Autrement dit, elle sentait les émotions émaner de tout le monde... Sauf de cet être étrange. Et, instantanément, cela réveilla sa curiosité, qu'elle pensait avoir réussi à endormir. Qui était-il ? Qu'était-il ?

Poussée par la spontanéité, parlant sans réfléchir, elle s'approcha de lui et lança :

- Bonjour ! Qu'est-ce que vous avez fait de vos émotions ?

Aucune surprise, aucun agacement... Décidemment, elle était tombée sur une énigme, qu'elle comptait bien élucider. Quoi que... Réfléchir n'était pas conseillé, au milieu de tant de stimulations... Il faudrait déjà trouver un endroit plus calme.

Méca... Quoi ? Il l'avait très vite perdue. Enfin, toujours était-il qu'il lui avait donné une information importante : il ne faisait que mimer les émotions. En voilà un avec qui elle pourrait discuter sans souci ! Mais avant tout, il fallait qu'il accepte de la suivre dans un lieu plus calme, sans quoi, elle ne serait pas capable de converser correctement.

- Ah, hum. Mes... Capacités ? Ma malédiction, vous voulez dire. Il n'y a rien à maîtriser. À supporter, par contre... D'ailleurs, ça vous dirait d'aller ailleurs ? Loin de la foule ?

Et tant pis pour les astras. Elle verrait cela plus tard... Ou pas. On verrait bien. D'un autre côté...

- Mais comment vous avez su ?

Et voilà que cette curiosité revenait à la charge ! D'un autre côté, pouvait-il s'agacer ? Elle sentait qu'elle avait beaucoup à apprendre de lui... Et cela lui plaisiait !

Au moins, il acceptait de s'éloigner. Elle ne put retenir un soupir de soulagement. À l'écart et en compagnie d'un être sans émotion, elle n'en doutait pas, elle serait capable de reprendre pleinement possession de ses sens. Elle le suivit donc, l'écoutant en silence pendant qu'il s'expliquait. Enfin, en silence... Jusqu'à ce que la curiosité, qui n'était visiblement pas partie très loin, revienne à la charge.

- Zoane ? Mutante ? Honnêtement, je ne connais pas ces mots. Qu'est-ce que c'est ? Enfin, je suppose que ce sont des peuples... Dans ce cas, est-ce que vous connaissez les hespérides ? Et leur malédiction émotionnelle ? D'ailleurs, vous êtes déjà venu en forêt ? Je ne sais pas si vous apprécieriez le calme ou si vous seriez capable de ne pas faire peur aux animaux, mais... C'est une expérience à tenter non ? Je peux vous guider, si vous voulez ! Oh, euh... Désolée, je parle trop.

Penaude, elle baissa la tête... Avant de vite la relever. Non. Il ne manquerait plus qu'elle encorne quelqu'un par erreur... Décidemment, ces cornes étaient bien encombrantes.

Bon. Au moins, il semblait que ce n'était pas elle qui parlait le plus. En cela, elle pensait pouvoir être rassurée. Néanmoins, toutes ces paroles furent riches en informations qu'elle but avidement tout en se retenant de poser plus de questions. Même s'il lui semblait se trouver face à une encyclopédie ambulante... Terme qu'elle ne connaissait pas, d'ailleurs.

Mais le voilà qui, lui aussi, lui posait des questions. Elle laissa échapper un petit rire:

- On dirait que je ne suis pas la seule à être curieuse. Alors, d'abord, vous devez savoir que je ne connais pas d'autre hespéride, donc ce que je vais vous dire concerne uniquement ce en quoi je me sens différente des autres animaux ou humanoïdes, ce ne sont peut-être pas de vrais traits de mon peuple. Cela dit, je dirais que je suis en symbiose avec l'écosystème forestier, même si j'essaie de m'habituer aux villes, c'est d'ailleurs pour ça que je suis là. Et en ce qui concerne cette "malédiction"... C'est plutôt une sorte de pouvoir passif, en fait. Je l'ai toujours eu. Quand je suis seule, ça ne me dérange pas, mais... Bon, en fait, je ressens les émotions de tout le monde autour de moi.

La voilà qui avait encore failli s'égarer, et qui en avait dit bien plus que ce qui était demandé. Néanmoins, lorsqu'il évoqua ses expériences forestières, elle fut bien obligée de hocher la tête :

- Oui, je comprends... Et j'allais proposer de faire l'expérience de les faire nous voir ensemble, mais... Ils risquent d'être plus perdus qu'autre chose, je ne sais pas si c'est une bonne idée, finalement...

Ce qu'elle ne disait pas, c'était qu'elle avait peur que cette expérience lui coûte sa relation privilégiée avec ces animaux. Après tout, c'étaient ses colocataires, il leur fallait donc s'entendre un minimum, ne serait-ce que pour pouvoir cohabiter pacifiquement.

- Cat ?

Il s'agissait probablement d'une connaissance. Alors, elle préféra répondre à la proposition qui suivit :

- Euh, ça dépend. Est-ce que ce quartier est très peuplé ?

D'un autre côté, elle était là pour se confronter aux émotions environnantes...

- Oubliez ça. Je vous suis.

Il s'en remettait à elle ? D'accord, mais... Le problème, c'était qu'elle ne savait absolument pas comment ses comptriotes pourraient réagir face à un tel être.

- Je ne suis pas plus avancée que vous à ce sujet, nous n'avons jamais rencontré quiconque comme vous.

Comme elle en avait l'habitude, elle parlait sans vraiment y mettre les formes, guidée avant tout par l'honnêteté.

Puis il lui expliqua qui était la personne dont il avait fait mention. Une... Mère ?

- Mère... Ce n'est pas la première fois que j'entends ce mot, mais j'ai encore du mal à savoir à quoi ça fait référence. C'est une personne proche, c'est évident. mais à quel point ? Quelqu'un qu prend soin de vous, oui. Mais en quoi est-ce nécessaire ? Prendre soin de soi, ça s'apprend sur le tas, en se confrontant à la réalité, non ?

Le concept de parentalité était très difficile à comprendre pour elle qu n'avait jamais eu de parents, avait toujours pris soin d'elle seule et, selon certains médisants, n'avait même pas eu d'enfance. Pour elle, oui, elle en avait eu une. Un siècle plus tôt. Jusqu'à ce qu'elle trouve l'arbre où elle s'était réfugiée, en fait. Pour elle, l'enfance, c'était une vie d'errance qui durait jusqu'à ce qu'on trouve ce qu'on voulait faire de sa vie. C'était la portion la plus difficile de la vie.

Toujours était-il qu'elle devait à présent le suivre. Inconsciemment, elle se rapprocha un peu plus que nécessaire. Mais, voyez-vous, il était désormais son guide, il était hors de question qu'elle le perde. Elle ne réalisait pas que, même avec des personnes entre eux, il lui serait probablement difficile de ne pas le repérer.

Maintenant qu'il le disait... Oui, c'était vrai. Elle avait déjà vu de tels agissements chez ses colocataires. En effet, si l'on considérait la forêt comme son jardin, c'était également celui des diverses espèces animales qui y vivaient.

- Alors... Maintenant que vous le dites... On pourrait dire que la nature et les animaux sont mes parents... La nature me protège, les animaux me permettent de trouver la meilleure nourriture...

Ces mots n'étaient pas vraiment adressés à l'automate. Elle réfléchissait à voix haute, voilà tout.

Néanmoins, lorsqu'il entra dans le logis, Halie marqua une hésitation. Etait-elle vraiment invitée ? Avait-elle raison de le suivre, finalement ? Et puis, n'était-il pas censé faire un simple aller-retour ? Elle pourrait l'attendre à la porte, non ?

Mais elle réalisa vite qu'il semblait partir du principe qu'elle le suivait. Alors, elle n'avait plus trop le choix. Elle se fit donc violence pour passer le palier. Et ce fut à ce moment qu'on la salua, de façon totalement imprévue, ce qui la fit sursauter. Pourquoi, d'ailleurs, n'avait-elle pas perçu cette présence ? Elle fronça le nez en direction de la fumée qui s'échappait de la pièce. Voilà pourquoi, certainement. D'ailleurs, cela lui rappelait le feu... Le feu, qui était, comme chacun savait, l'ennemi numéro un de la forêt et des nombreuses créatures qui y trouvaient refuge. Quelle ironie, sachant que, bientôt, elle devrait tenter d'apprivoiser ce même feu qu'elle craignait tant...

Mais là n'était pas la question, pas encore. Il lui fallait répondre. Avec un signe de tête en direction de la femme, elle se lança :

- Halie des hespérides. Je suis désolée d'être venue chez vous sans prévenir... Je peux repartir, si vous préférez. Je suis déjà ravie d'avoir vu à quoi une mère pouvait ressembler.

Elle attendit une réaction, anxieuse, prête à tourner les talons au moindre mot sous-entendant que ce serait la meilleure chose à faire.

Elle ouvrit de grands yeux. Quelle violence ! Et tout cela, juste parce qu'il ne s'était pas présenté ?

- Euh, ce n'est pas grave, hein. Moi non plus, je ne m'étais pas présentée avant maintenant ! Euh... Vous pouvez le libérer ?

Finalement, il faudrait peut-être se méfier de cette femme... Elle avait l'air inoffensive à première vue, mais après ce qu'elle venait de voir... Elle réalisait que le mensonge existait. N'était-ce pas, d'ailleurs, ce qu'avaient tent de lui apprendre les personnes rencontrées plus tôt dans cette ville ? Que tout le monde n'était pas bien intentionné ? Et à présent, elle se trouvait chez eux, donc sur leur territoire...

C'est pourquoi elle s'empressa de renchérir sur les paroles de son ami de métal :

- Oui, c'est ça ! Je ne sais d'ailleurs même pas pourquoi je l'ai suivi jusqu'ici, j'aurais pu l'attendre...

Elle s'interrompit. En fait, elle savait très bien pourquoi elle l'avait suivi. Parce qu'il le lui avait demandé, tout simplement. Alors... Venait-elle de prononcer son premier mensonge ? Se sentait-on toujours aussi mal lorsqu'on le faisait ?

Halie assista à la conversation telle une spectatrice, bien consciente qu'elle en était à présent exclue. Alors, avec un signe d'au-revoir pour cette mère, elle se dirigea vers la sortie, prenant son temps pour que l'automate puisse la rejoindre. Néanmoins, elle eut le temps d'entendre la gnome lui recommander cette créature et de hocher la tête, tout en se faisant la réflexion que cet être de métal était probablement bien plus dangereux qu'elle. Alors, s'il se retrouvait en danger... Elle-même n'y survivrait pas. Mais inutile d'inquiéter la femme pour rien.

Lorsqu'il la rejoignit, elle ouvrit donc la marche, mais ne put se retenir très longtemps d'exprimer son inquiétude :

- Euh... Tout va bien ? Parce que vu la manière dont elle vous traite... Une mère n'est pas plutôt censée protéger ses petits ?

Quoi qu'il en soit, arrivée au centre-ville, elle hésita. Il avait été bien plus pratique et rapide de voyager avec les marchands... Mais après tout, elle avait à présent un compagnon de voyae qui saurait probablement le lui signaler si elle déviait. Certes, il ne connaissait pas le chemin, mais la reconnaissance des points cardinaux devait être instinctif chez ce genre d'êtres, non ? D'ailleurs, l'instinct existait-il seulement ? Il y avait tant de questions qu'elle voulait lui poser... Mais, pour une raison inconnue, elle n'osait pas.

- D'accord...

Soudain, elle fit un bond en arrière. Pardon ? D'où venait cette voix ? Elle promena un regard fébrile à la ronde, mais ne perçut personne, pas d'émotion non plus. Qu'est-ce que... Soudain, elle se souvint. Quelques jours auparavant, dans sa forêt... Que lui avait dit cette homme ? Sans émotions... Des monstres, hein ? Y en avait-il un deuxième ?

Méfiante, elle lui fit néanmoins signe de la suivre alors qu'elle quittait la ville, guettant toujours la deuxième être mystère.

Une fois hors de la ville, elle décida d'enfin en avoir le coeur net. Se plantant devant lui, elle lança :

- Alors. Qui est ce deuxième être et pourquoi je suis encore en vie ? Je vous conseille de répondre de façon satisfaisante !

Tentant de se donner un air menaçant, elle enflamma alors la main qu'elle venait de lever, ignorant totalement que le feu ne pouvait faire aucun mal au métal.