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Morbide accointance (+MJ)

Morbide accointance (+MJ) Brandw10
Mar 16 Jan - 5:42

Morbide accointance

Un vestige du passé




Son corps était toujours en bon état. Si l’on faisait abstraction de quelques ecchymoses et petites écorchures, sa peau restait diaphane, sa taille menue. On le reconnut sans mal dans le hall du Marquis quand il franchit les portes avec son paquetage troué, de retour depuis l’aérogare d’Opale.

Mais les agents de réception se rendirent vite compte qu’ils faisaient face à une personne différente. Son regard améthyste semblait voilé, comme s’il ne s’arrêtait sur personne. Surtout pas sur les grands panneaux miroitant, auxquels il n'offrait que son profil. Et même, une aura sombre planait autour de lui, comme s’il avait vu des choses que les bons esprits ne sauraient supporter.

Lycia Cassandre passait par là avec un de ses amants, en route pour un gala de bienfaisance. Tous deux avaient fini par se rapprocher au fil des mois. Mais depuis son départ à Aramila, Xandrie, Yfe… c’était à peine s’ils s’étaient croisés.

-« Tu as changé… » dit-elle simplement.
Le groom le débarrassa d’autorité de son sac et le mena vers le grand comptoir de la réception où le maître d’hôtel lui livra l’information qui l’intéressait.

« Ils ne sont pas là… Nous avons reçu un, hmm, un télégramme de la part de l’Alliance, chacun ses usages… ils reviennent d’Aramila et seront là dans quelques jours après avoir réglé certaines affaires et emprunté un Zeppelin. »
Alors ça, il ne s’y attendait pas. Non seulement il avait échappé à l’enfer pour retrouver une Opale dévastée, mais en plus son mentor et son meilleur allié s’étaient catapultés pour une obscure raison à l’autre bout du monde, de manière « quasi-instantanée et contre leur gré », s’il en croyait ce qui avait été retranscrit. Après un séjour imprévu de plusieurs jours dans les locaux de l’Alliance à Opale, il devançait encore Seraphah et Maëlstrom de plusieurs jours à Epistopoli. Une solitude… inattendue. Et malvenue.

-« Merci. Je monte dans mes appartements. » conclue-t-il, l’air morose.
-« Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire pour vous être utile, monsieur Evangelisto ? »
-« Oui. J’ai faim. Extrêmement faim. J’apprécierais beaucoup un plateau garni par le chef Xavier. Mais après, qu’on ne me dérange sous aucun prétexte, s’il vous plaît. »
-« Ce sera fait. »

La vue des gratte-ciel lui donnait l’impression d’un calme immuable malgré les mouvements agités des phares des voitures qui s’étiraient dans les longues avenues en contrebas. La grisaille de la pollution s’accordait à merveille à son humeur délavée et son immobilité. Pourtant, intérieurement, il avait envie de crier.

Son repas fut dévoré avec une rage animale plutôt que dégusté. Il abandonna très vite le plateau et retira un draps de son lit pour en recouvrir le grand miroir de la salle de bain en faisant bien attention à ne pas s’y refléter.

Que faire maintenant ? Le mal le rongeait de l’intérieur. Personne ne pouvait le comprendre ou l’aider.

Il aurait bien fait appel à Raphaël, mais le pauvre homme avait disparu depuis longtemps pour ne plus jamais revenir. Il était seul face à son démon. Il ne pensait qu’à dormir. Mais il savait qu’il ne pourrait s’y résoudre. Sa télépathie avait pris de l’ampleur depuis son voyage à l’astrolabe. En conséquence, il se glissait involontairement aux marges des esprits assoupis, à travers ce couloir de portes éthérées.

La chose qui le traquait n’avait pas nécessairement besoin de cet artifice pour l’atteindre, mais utilisait le théâtre des rêves pour se montrer bien tangible face à lui et le harceler en s’infiltrant dans les portes qu’il laissait entrouvertes. Ainsi, les songes des enfants devenaient cauchemars. Le Liechi prenait vie dans la tête des petits d’Opale pour les traumatiser.

Il finirait peut-être par succomber d’un seul coup. Elle le savait et attendait patiemment.

Que faire, sinon espérer, qu’à son réveil, Maëlstrom serait rentré et lui dirait quoi faire, comment se protéger. Et connaître les propriétés spéciales de cette abomination qui grandissait chaque jour en lui.

En attendant, Keshâ’rem avait une très mauvaise idée.

Il y avait au fond de son dressing, une grande boîte à chaussures, dans laquelle se trouvait un petit souvenir des pyramides d’Aramila. Ou plutôt, il s’agissait de parler de passager clandestin pour désigner le crâne aux orbites creuses qu’il avait entreposé là, comme si de rien n’était. Le vestige s’était endormi, lassé de murmurer dans le vide après des semaines et s’en était retourné à son sommeil séculaire.

Quand il l’attrapa sans cérémonie pour le placer dans sa main, ses orbites s’allumèrent de lueurs violacées, comme si la conscience spectrale qui l’habitait le regardait à présent.

-« J’ai changé d’avis. Je suis prêt à parler. Tu ne me parais plus aussi maléfique que par le passé. Qui sait? Peut-être auras-tu pour moi de sages conseils.»

Le spectre prisonnier de ce crâne était une énigme. Il était intrigué par lui et par son histoire autant qu’il le craignait.

S’il l’avait tiré d’un mauvais pas dans les couloirs emplis de pièges de la pyramide de Rheel, le jeune homme ne s’en était jamais vanté auprès des autres. Pour une raison obscure, il avait caché cette rencontre insolite à Seraphah et Maëlstrom. Pour une raison encore plus étrange, il n’avait pu se résoudre à laisser le vestige où il se trouvait et l’avait mis dans son sac.

Depuis, le spectre mystérieux dormait dans son placard. Ses tentatives infructueuses de lui parler s’étaient heurtées à sa ruse et à la peur qu’il lui inspirait. Mais il n’en était plus là aujourd’hui, pas vrai ?

Il était décidé à apprendre ce qu’il pouvait des secrets de son lugubre familier.
Dim 28 Jan - 17:03

POST MJ



Cela faisait si longtemps qu’il n’avait pas vu la lumière du jour ! Lorsque le garçon l’avait sorti de cette pyramide maudite, il avait cru qu’enfin, quelque chose lui permettrait de tromper l’ennui duquel il était prisonnier depuis que ses jambes avaient arrêté de le porter. Quel enfer d’être prisonnier d’un vestige pendant toutes ces années ! Mais ses espoirs avaient été vains. À peine sorti du désert, il avait été relégué au fond d’un placard telle une vulgaire babiole. Lui ! Quel culot !

Le garçon semblait toujours aussi chétif, mais son regard, lui, avait changé. Quelque chose s’agitait au fond de ses pupilles fantomatiques, quelque chose qui l’amena à sortir de cette sorte de sommeil dans lequel il s’était plongé. La mâchoire du crâne s'anima, déclenchant une voix pleine de sarcasme qui résonna dans la pièce.

— Ah ! Alors tu te décides enfin !

Un rire sonore s'échappa du crâne, comme s’il riait d’une plaisanterie qu’il était le seul à comprendre. Cependant, le spectre, conscient des intentions du garçon, ne tarda pas à enchaîner, craignant d'être relégué une fois de plus dans l'obscurité d'une boîte à chaussures.

— Ce que tu es naïf, petit Keshâ’rem ! Qu’espères-tu obtenir de moi ? De sages conseils, et puis quoi, encore ?

Le ton du crâne oscillait entre le sarcasme et une curiosité mal dissimulée. Que voulait le garçon ? Le silence s'installa, tendu, alors que les deux entités, l'une vivante et l'autre en esprit, se faisaient face.
Mar 30 Jan - 6:05

Morbide accointance

Un vestige du passé

-« Oui, il vaut mieux tard que jamais, n’est-ce pas ? »

Parce qu’il était étrange de tenir un authentique crâne humain en lui parlant. Et, plus encore, de voir sa mandibule en dessiccation articuler une réponse, il rapporta son trophée spectral dans la chambre. Et il le déposa précautionneusement sur la table de chevet, comme s'il craignait de voir les sutures crâniennes partir en morceaux.

A son tour, il glissa un coussin sous ses fesses au sol et s’adossa contre le mur, le corps lourd et lasse. Le crâne avait l’air d’être un sacré râleur. Ou alors, il prenait vite la mouche. Le néo portebrume se garda bien de rappeler que sans lui, il serait toujours au fond d’une fosse, le regard tourné vers un mur, dans le noir le plus complet. Même s’il fallait reconnaître que le fond d’une boîte à chaussure, même propre et parfumée au cèdre, ce n’était pas beaucoup plus stimulant.

-« Allons, ne soit pas susceptible… » Il semblait parti pour jouer avec l’entité, mais son regard était vague et il se sentait si fatigué.

« Je me suis dit que ce ne devait vraiment pas être drôle de rester seul aussi longtemps. Peut-être aurais tu envie de voir autre chose ? Après tout, que sais-tu du monde d’aujourd’hui ? Sais-tu seulement en quelle année on est ? »


Une partie de lui ne pouvait pas refouler la sensation que ces lueurs mystiques violacées tentait de l’aspirer au fond du vide de l’orbite qui les entourait pour lui voler son âme. D’un autre côté, qui pouvait se prévaloir de vivre pareille expérience ? Même Seraphah serait jaloux d’une telle trouvaille, s’il n’était pas d’abord furieux en l’apprenant.

-« On est au mois d’Urh, en 1900, si tu veux tout savoir… et aussi, fini de moisir dans les dunes du désert de Saleek. Je t'ai amené à Epistopoli... Peut-être pourrais-tu me raconter ton histoire ? … Après tout, ce n’est pas comme si on avait quelque chose de mieux à faire."

En réalité, il y avait beaucoup de choses que Keshâ’rem aurait pu faire en cet instant. De la plus créative, comme rédiger l’histoire de ses aventures à Aramila et Yfe, que Mielo Lewis ne désavouerait pas, ou se préparer pour ce qui viendrait ensuite. Quoi que cela puisse être, la fin du monde, son récital, une nouvelle aventure… Mais il préférait se réfugier dans tout ce qui n’était pas tourné vers l’action et l’effort alors que ses ruminations allaient bon train et que cette chose obscurcissait son futur un peu plus à chaque minute.

Au moins, le crâne sans nom avait l’air curieux d’interagir avec lui, même s’il était bien compliqué de deviner une expression sur ses os inexpressifs.
-"Au fait... dis-moi, Crâne, as-tu un nom?"
Dim 10 Mar - 13:34

POST MJ



— Tu ne mérites pas de connaître mon nom, petit ingrat ! cracha le crâne d'un ton empreint de mépris.

En vérité, celui-ci était troublé. Le nom d'Epistopoli ne lui disait absolument rien, et l'année n'avait pour lui aucun sens. Seul le nom des dunes de Saleek lui rappelait quelque chose. Plus que quelque chose, même, puisqu'il était pleinement conscient d'y avoir été piégé. Combien de temps s'était écoulé ? Il se rappelait avoir été dans une sorte de stase, sans pour autant pouvoir se rappeler précisément d'où il venait ni pourquoi il était là. Un voile couvrait ses souvenirs, insaisissables. Son nom... la question le perturba, non pas parce qu'il refusait de le donner, mais parce qu'il se rendait compte qu'il l'ignorait lui-même. Qui était-il ?

Malgré tout, parler lui apportait un certain réconfort. Peut-être qu'à force d'échanger avec l'autre malotru, il parviendrait à se souvenir de qui il était ? Il observa l'autre avec une intensité silencieuse, comme s'il cherchait quelque chose au-delà de ses paroles.

— À quel point es-tu désespéré pour rester ici, à parler à un crâne oublié depuis des temps immémoriaux ? demanda-t-il, sa voix portant une nuance de curiosité teintée de dédain.

Il marqua une pause, laissant ses paroles flotter dans l'air. Les ombres dansaient autour d'eux, éclairées seulement par la lueur pâle d'une lune invisible au-dehors.

— Peut-être que nous sommes tous désespérés, à notre manière, murmura-t-il, son regard vide se perdant dans les ombres de la salle. Peut-être que c'est là le lot des oubliés, des perdus, des damnés...

Son esprit, tel un navire à la dérive, naviguait à travers les souvenirs fragmentés, tentant désespérément de rassembler les pièces éparses de son identité. Mais comme des vagues implacables, les ténèbres du passé semblaient le submerger, le tirant toujours plus loin du rivage de la clarté.

— Si les oubliés peuvent se révéler, alors peut-être il y a de l'espoir pour nous, après tout, murmura-t-il, comme s'il parlait autant à lui-même qu'à son étrange interlocuteur.
Lun 18 Mar - 0:58

Morbide accointance

Un vestige du passé



La véhémence du Spectre le fit reculer par instinct. Il ne s’attendait pas à autant de ressentiment. En même temps, il serait sans doute assez soupe-au-lait si on l’avait rangé dans une boîte à chaussures et oublié comme un bibelot durant des semaines.

Le vestige s’abîma dans le silence. On aurait pu le croire « endormi », n’étaient ces deux lueurs violacées qui virevoltaient avec animation sans ses orbites vides de manière tout à fait surnaturelles. Il semblait cogiter activement.
-«… je suis… désolé. » tenta-t-il comme on tend le rameau du salut.

La crainte le disputait à la compassion tandis qu’il patientait à côté des ossements froids. Le crâne allait-il dorénavant refuser le dialogue avec lui ? Alors que le crâne reprenait vie pour lui asséner ses remarques, il se tordait les doigts, le visage ombragé, un brun mélancolique.

-« Il est vrai que je n’ai pas beaucoup d’amis, Crâne. Donc tu as raison, je traverse des moments assez désespérés. Je me demande si mon âme sera assez forte pour tenir jusqu’au retour de ceux qui me restent. »

Le vestige était quand même assez déprimant. Mais Keshâ n’arrivait pas à lui en vouloir, il semblait vivre un grand tourment. Sa prise de conscience actuelle semblait tendue et il ne voulait pas démontrer un nouvel acte de maladresse, lui laissant l’espace de réflexion et de parole, dans l’environnement des soieries noires et rouges de son lit gothique.

-« Cela doit te faire un choc de revenir au contact de l’extérieur après un tel enfermement… voudrais-tu que je te laisse un moment seul ?... » proposa-t-il en arrondissant les angles. « Ou alors, si tu préfères, on pourrait mettre de la musique ? » avança-t-il sur la défensive.

Il se figurait que promener le crâne sur une desserte roulante à travers les couloirs du Marquis serait un spectacle trop violent pour les invités et lui causerait des problèmes. Par contre…

-« Si tu m’autorises… désolé encore. » s’excusa-t-il, ne voulant pas faire affront au crâne anonyme, avant de le soulever délicatement.

Il prit soin de placer son occiput contre lui de manière à ce que ses orbites découvrent la pièce en avant, veillant à ne pas trop l’agiter ou l’incliner par sa démarche. Il se fit sourd aux protestations du vestige, aussi dépressif qu’un alcoolique et aussi ronchon qu’un vieillard.

-« Peut-être que cela te ferait du bien de recevoir un autre genre de stimulation. Ou en tout cas, de percevoir un horizon dégagé avec un peu de lumière naturelle. »

Le jeune homme atteignait le salon de sa suite et s’assit sur le grand canapé sous la grande bibliothèque de récits d’aventures. La baie vitrée s’ouvrait, immense, sur un ciel nocturne voilée par une tranche de pollution, mais d’où perçait néanmoins l’éclat de la lune et, bien plus forts, les innombrables lumières émises par les tours et les lampadaires le long des grandes avenues parcourues par les voitures à cette heure tardive.

Keshâ’rem déposa lentement le crâne sur un énorme atlas, déposé à plat sur la table basse, afin qu’il puisse contempler la ville aux lumières pétillantes.

-« C’est Epistopoli. » décrit-il sommairement.

-« Peut-être l’as-tu plus connue sous le nom de Sancta ? » précisa-t-il en se souvenant que le nom de la capitale Epistote appartenait finalement à l’histoire récente et que personne ne s’était a priori aventuré au cœur des pyramides depuis l’époque de l’inquisiteur Ader’rhazak.

-« J’imagine que cela doit te faire tout drôle. En tout cas, j’ai eu le vertige la première fois en montant si haut. Ça me donne toujours l’impression que je vais tomber ou être aspiré par le ciel si je me colle trop près de la fenêtre. »

L’Epistote laissa le silence retomber, pris lui aussi dans sa contemplation silencieuse aux côtés du crâne. Cela lui faisait du bien de parler, mais il avait aussi grand besoin de silence pour endurer son vécu. La nébula frappait toujours contre les défenses de la prison d’eau qu’il était parvenu à bricoler dans sa psychée profonde. Il était reconnaissant de ne pas être seul en cet instant d’épouvante, quand bien même c’était en une présence aussi intriguante. Et il comprenait que le rescapé des pyramides avait droit à ses humeurs moroses ou à un temps d’actualisation.


Ven 3 Mai - 12:58

POST MJ



Le crâne reposait silencieusement sur l'atlas, ses orbites vides fixées sur la ville lumineuse qui s'étendait devant lui. Pourtant, malgré son silence apparent, il semblait absorber chaque mot prononcé par Keshâ’rem, comme s'il tentait de comprendre le monde qui l'entourait après un si long sommeil. Ce jeune garçon ? Il n'était pas si méchant, finalement. Sans doute un peu poltron, mais pouvait-il lui en vouloir ?

— Sancta... murmura-t-il, comme s'il testait ce mot dans sa bouche après une éternité. Oui, ce nom me semble familier...

Son ton était empreint de confusion et de frustration. Il semblait lutter contre les ombres de l'oubli qui enveloppaient son esprit, oubliant sa véhémence.

— La lumière de cette ville... Elle me rappelle quelque chose, mais je ne peux pas mettre le doigt dessus.

Il se tut un instant, laissant ses pensées vagabonder dans les méandres de sa mémoire perdue.

— Fait-il toujours aussi sombre dans cette ville ? demanda-t-il soudainement, ses orbites se tournant vers Keshâ’rem. Ou bien est-ce juste une illusion causée par mes propres ténèbres intérieures ?

Sa question était teintée d'une curiosité sincère, comme s'il cherchait à comprendre non seulement le monde qui l'entourait, mais aussi lui-même. Soudain, une image transcenda sa mémoire : des constructions à l'allure gothique, des temples, des religieux qui déambulaient, le soleil qui inondait les rues... Sancta.

— Que lui est-il arrivé ? marmona-t-il, troublé. Pourquoi Sancta est-elle ainsi ? demanda-t-il, une certaine angoisse perçant dans sa voix.

Il n'y était pas venu souvent. Cette certitude pulsait en lui. Ce n'était pas d'ici qu'il venait, il en était convaincu. Mais alors, d'où venait-il ? Le monde semblait avoir tant changé... Cette ville, Epistopoli... il n'avait jamais vu rien de tel. Elle n'avait plus rien à voir avec ce qu'il avait connu, lui... Lui ?

— Je... je crois... je suis Dayi.

Prononcer ce nom déclencha une vague de soulagement chez le vieux crâne. Pourtant... il lui semblait qu'il avait été autre chose, aussi. Il se le répéta en litanie, ému de retrouver cette part d'identité, mais incapable de comprendre pourquoi ce nom, malgré tout, ne lui semblait pas être pleinement familier. Peut-être...

— Parlez-moi du monde, Keshâ’rem, dit-il avec un respect qu'il n'avait pas manifesté jusqu'alors. Racontez-moi ce que j'ai manqué. Peut-être ainsi pourrais-je retrouver la trace de celui que j'étais...
Mer 8 Mai - 6:59

Morbide accointance

Un vestige du passé



La séquence devenait presque touchante. Le crâne observait un profond silence. Jamais, avant aujourd’hui, Keshâ n’avait pu envisager les effets de journées entières, dans la solitude la plus totale, sans aucune stimulation. Chaque seconde. Dans le noir. Les mois. Les années. Obscurité. Jusqu’à pourrir. Se délabrer. Perdre ses souvenirs. Le sens même de son identité.

S’il avait pu juger le crâne durement pour avoir fait le choix d’être un spectre, la compassion prédominait à présent. Ils faisaient bien le choix de détruire une âme et de voler un corps parce qu’ils s’accrochaient à un temps qui n’était pas le leur, n’est-ce pas ? C’était pire que le meurtre. Une abomination. C’est ce que disait l’Eglise en tout cas. Et même les plus cartésiens redoutaient cette menace fantôme qui pouvait à tout moment les broyer. Par chance, peu de spectres parvenaient à franchir le voile des Limbes. Et si ? Et s’ils n’avaient pas le choix ? Peut-être étaient-ils perdus après tout.

Le jeune homme n’osait pas interrompre les ruminations mentale du spectre. Le flux de ses paroles était si fragile, si ténu. On aurait cru une source tarie, dont l’eau n’apparaît plus que goutte après goutte. Dévier son esprit de ses sensations auraient pu le murer dans le silence.

La question le décontenança. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre où le vestige voulait en venir.

-« Je crois qu’il faut clarifier un point. Actuellement, il fait nuit noire… tout ce que tu vois devant toi, ce sont des illuminations que la ville parvient à créer en utilisant les avancées scientifiques récentes… cela permet aux gens de s’éclairer et d’y voir de jour comme de nuit… mais c’est vrai que le ciel est pollué et que le soleil paraît un peu gris parfois. »
L’esprit du spectre devait déjà vriller. Mais de ce choc surgit un éclat de son identité.
-« Enchanté Dayi ! »

Ce n’est que face à l’hébétude du spectre qu’il se rendit compte du trauma que pouvait générer un tel décalage chronologique. Lui-même ne pouvait que se l’imaginer. Sa jeunesse ne lui permettrait jamais de se rendre compte d’un tel hiatus. Mi figue-mi raisin, il se hissa sur a pointe des pieds sur un fauteuil et tendit e bras vers la plus haute étagère de livres. Du bout des doigts, il tira un livre à la reliure épaisse, qui manqua de lui écraser le nez lorsqu’il réussit enfin à le déloger de son voisinage poussiéreux.
-« Regarde. C’est une sorte d’Atlas historique concernant Sancta, alias Epistopoli… »

Son séant poser sur un maroquin face au crâne, il tenait le livre grand ouvert sur des illustrations de temple et de murailles, tout en essayant de déchiffrer le texte à l’envers. La tâche était d’autant plus difficile pour lui, que c’était un très jeune lecteur :
-« Ja… jadis, Sancta était l’une des trois saintes cités… »
Il tourna quelques page avant de parvenir sur une illustration d’homme barbues en robe autour d’alambic.
« Elle a-britait des hommes amoureux du s, amoureux du savoir. Ils voulaient repousser les limites de… la connaissance, pour offrir une meilleure vie à tous… »
La page d’après délivrait la vision d’un bûcher qui dévorait l’encadré même de l’image et se propageait au texte alentour.
-« Ca c’est l’âge noir. Toutes les savants ont été pourchassé et tué. Cela a été terrible. »

La prochaine page représentait Demephor dans toute sa splendeur. L’émerveillement était nuancé pour Keshâ, maintenant qu’il connaissait une parcelle de la vérité servant de sous-bassement au mythe. Les rayons de soleil qui irradiait du dieu du savoir se propageaient aux scientifiques pour leur inspirer la vision de…

-« La création de la cité des sciences… il y a eu une Révolution… et maintenant nous sommes dirigés par les scientifiques, la modernité… et le Grand Sapiarque, Elias Van Beck… beaucoup de gens sont athés de nos jours… en tout cas, leur religion est la science. »

Il s’abstint de dire que le peuple ne vivait pas nécessairement mieux.

-« C’est vraiment la version courte. Je ne suis pas très doué en histoire, mais je lis beaucoup dernièrement pour me rattraper… si tu as des questions… Aramila est toujours là, le Rempart de la Foi. Ils n’ont pas du beaucoup changer depuis ton époque. Les pyramides sont toujours un mystère… là où je t’ai rencontré… Xandrie est un peu sous la coupe d’Opale, qui est devenue également une grande puissance athée… par contre Dainsbourg a été englouti par la brume… ca a du arriver quelques années avant ma naissance… et depuis, tout a changé… le monde se livre à de nombreuses expéditions dans la Malice pour en apprendre plus sur ses origines… on vient d’apprendre que la chute de Dainsbourg n’était pas un accident… »
Mieux valait s’arrêter là. Natif de ce siècle, il se donnait déjà le tournis au son de sa propre voix. Pour Dayi, ce devait être un holocauste complet. Le but n’était pas non plus que son nouveau compagnon vire fou.