Ven 8 Mar - 2:51
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
De tous les lieux d’exercice de ses talents, c’était encore devant l’écritoire que lady Ellendrine Brightwidge-Dalmesca était la plus affûtée. En dépit de sa blessure au bras, sur laquelle Seraphah Von Arendt avait fait un bon travail de médecine de guerre, elle s’était assise avec sa plume d’oie dès son arrivée dans l’hôtel particulier des Dalmesca à Aramila, non loin du Concile.
L’archaïsme de l’encre liquide bue par le parchemin donnait une grâce à l’exercice de calligraphie qui confinait au sacré. Si elle ne se rendait que peu souvent aux cérémonies religieuses des Temples, la notable honnorait sa nation en y déversant savoir et idées. Le rituel consistait ici à purifier le sel de l’outrage qui avait été fait à la souveraineté d’Aramila par un ambassadeur de l’Alliance un peu trop zélé qui, pour un peu, l’aurait presque brutalisée de s’être élevée pour défendre la prise de décision de sa nation sur des événements survenue sur son propre sol.
Quelques passages volés mentionnaient : « Il est tout de même extraordinaire de force et d’oubli pour l’Alliance de flouer l’une des deux nations restantes qui maintiennent un semblant de squelette à une carcasse bien affaiblie sur la scène internationale… », Epistopoli et Opale faisant en grande partie bande à part depuis bien des années. Elle soulignait également : « le risque inutile auquel avaient été exposé un grand nombre de citoyens d’Aramila, ville capitale, dans le transfert d’une terroriste ayant occasionné des destructions massives dans la capitale voisine le jour même, sans que les moyens de sécurité adéquats ne soit déployés ». Qu’auraient-ils fait si elle était une portebrume d’autodestruction ?
En conséquence de quoi, elle concluait en demandant au Concile et aux archevêques en tant que témoin de confiance, que les autorités nationales prennent toute la mesure du camouflet et du mépris pour la sécurité aramilane, afin d’en tirer les conséquences sur la considération de l’Alliance à leur égard. Elle laissait entrevoir la possibilité de limoger ou sanctionner l’ambassadeur en question. Ou, à défaut, de faire sentir à Panoptès les conséquences d’un scénario où Aramila retirerait son soutien aux forces de l’Alliance, qui n’en serait de plus une de facto.
Il s’avéra que le Concile était d’accord pour rapatrier Yodicaëlle à Opale pour son interrogatoire. L’avis avait été émis depuis la capitale Opaline, puisque la plupart du personnel politique d’envergure avait convergé vers la réunion internationale. Mais Ellendrine insista sur une politique délétère du fait accompli, qui ne seyait pas une institution internationale dépourvue d’autorité exécutive. Le signal envoyé envers les témoins étrangers, dont un Sapiarque Epistote et d’autres personnes peu recommandables, peut-être même issues du monde criminel, est que l’on pouvait flouer leur nation sans vergogne : sans encourir son courroux.
Ses missives envoyées, Ellendrine se reposa quelques jours de ce long périple dans le désert. Son esprit était cependant déjà en train de penser à l’après. Ce n’était pas par hasard si l’inconscient de la terroriste, sur le point de s’étioler dans les Limbes, l’avait conduit à Doulek. Il fallait investiguer tant que la piste était chaude, avant que d’éventuels complices du XIIIème Cercle ne dispersent les indices pertinents.
L’archéologue parvint à joindre brièvement son époux grâce aux moyens expresses déployés pour les tractations au sujet de Yodicaëlle. Pietro l’informa succinctement du décès de l’archevêque d’Etyr, lui témoignant son respect, avant de préciser qu’il était un candidat actif à son remplacement. Inutile d’en dire plus pour qu’Ellendrine imagine sa fébrilité, après tant d’années attendues pour saisir ce type d’opportunité d’ascension politique. Il lui parut évident qu’elle pouvait pousser son avantage en demandant son soutien et sa protection durant l’investigation sur le passé de Doulek. Si les forces d’Etyr parvenaient à obtenir des informations grâce à son soutien, cela ne ferait que renforcer son aura et son influence politique à Aramila. Le poste lui serait acquis d’office lors de la prochaine élection.
Une douzaine de soldats de la garde sacrée furent attitrés à son voyage vers Doulek. Parce qu’elle avait besoin de pouvoir faire confiance à quelqu’un sur place, elle envoya quelqu’un chercher son beau-frère, avant qu’Arno ne s’évapore comme à son habitude. Elle lui témoigna son empressement à le sentir auprès d’elle dans ces moments critiques pour leur clan et leur faction.
A peine eut-elle enlacé ses enfants, que déjà, le convoi sécuritaire était sur le départ à la tombée du jour dans le désert. Elle chevauchait son tamanain aux côtés de Farouk aux portes de la ville, cernée par une escorte armée, dont au moins deux Sentinelles émérites.
Alors que le disque orangé du soleil s’enflammait en rasant les dunes du ponant, elle jeta un dernier regard en arrière, en rabattant le voile qui flotta devant son visage dans un souffle de vent. La silhouette d’Arno se détacha entre les bâtiments.
-« Je suis contente que tu te joignes à moi, mon frère. » se permit-t-elle de l’appeler avec affection, pour lui signifier toute sa reconnaissance. Ils n’avaient jamais eu la chance de mieux se connaître pour devenir si familier. Ellendrine elle-même n’était pas versée dans les grandes déclarations. Les tragédies avaient néanmoins l’avantage de permettre de resserrer les rangs, alors que les familles sentaient le sol vaciller sous leurs pieds. Famille par alliance ou pas, c’est toute la famille qu’elle avait, celle sur laquelle elle pouvait compter.
-« Sans toi, j’aurais sans doute perdu la vie, comme tant d’autres dans la mer de sang de cet attentat. J’ai perdu l’esprit en voyant ma sœur rendre l’âme. Gloire à Phtelior pour ton courage. » Les expressions religieuses n'étaient pas totalement dans ses croyances. Elles étaient pourtant emplies de sincérité, davantage preuve d'amour et de respect pour la sensibilité de ceux auxquels elle s'adressait.
Son regard digne et plein d’humanité s’ombragea un moment à l’évocation de ce souvenir bien trop cuisant. Il lui avait fallu abandonner la dépouille de Darya dans les Limbes et s’imposer à ses funérailles symboliques contre l’avis d’Amal Brightwidge, son frère ennemi. Ses jours étaient désormais comptés à Opale, sans une prudence maximale contre les tentatives d’empoisonnement ou d’assassinat.
Malgré ses préoccupations, elle n’oubliait pas la douleur spirituelle dues aux convulsions des révélations sur la mort de Demephor. Peu de personnes étaient informées en dehors des cercles supérieurs, mais la nouvelle finirait éventuellement par se diffuser à l’ensemble de la société pour arracher larmes et cris d’horreur. Un séisme religieux à portée sociale et politique attendait Aramila, qui aurait besoin de personnalités fortes pour absorber le choc et, elle l’espérait, moderniser une partie de ses doctrines.
Il était temps de quitter Aramila, sauf à courir le risque que des sbires du Cercle les prennent en filature. Elle tourna le dos aux tours et leurs dômes dorés étincelant bordant les temples et fit avancer son tamanain, qui la fit dodeliner sur son dos. Jamais elle ne permettrait que le sort d’Opale ne soit imposé à Aramila. Ils devaient réussir, pour débusquer les vermines du Cercle dans leur terrier et protéger l’Arbre-Dieu. Si sa mission de vie n’était pas claire, elle choisissait désormais de s’attacher à cette quête pour le bien de tous les Uhrois, prête à y dédier les connaissances qu’elle avait mis toute une vie à accumuler.
L’archaïsme de l’encre liquide bue par le parchemin donnait une grâce à l’exercice de calligraphie qui confinait au sacré. Si elle ne se rendait que peu souvent aux cérémonies religieuses des Temples, la notable honnorait sa nation en y déversant savoir et idées. Le rituel consistait ici à purifier le sel de l’outrage qui avait été fait à la souveraineté d’Aramila par un ambassadeur de l’Alliance un peu trop zélé qui, pour un peu, l’aurait presque brutalisée de s’être élevée pour défendre la prise de décision de sa nation sur des événements survenue sur son propre sol.
Quelques passages volés mentionnaient : « Il est tout de même extraordinaire de force et d’oubli pour l’Alliance de flouer l’une des deux nations restantes qui maintiennent un semblant de squelette à une carcasse bien affaiblie sur la scène internationale… », Epistopoli et Opale faisant en grande partie bande à part depuis bien des années. Elle soulignait également : « le risque inutile auquel avaient été exposé un grand nombre de citoyens d’Aramila, ville capitale, dans le transfert d’une terroriste ayant occasionné des destructions massives dans la capitale voisine le jour même, sans que les moyens de sécurité adéquats ne soit déployés ». Qu’auraient-ils fait si elle était une portebrume d’autodestruction ?
En conséquence de quoi, elle concluait en demandant au Concile et aux archevêques en tant que témoin de confiance, que les autorités nationales prennent toute la mesure du camouflet et du mépris pour la sécurité aramilane, afin d’en tirer les conséquences sur la considération de l’Alliance à leur égard. Elle laissait entrevoir la possibilité de limoger ou sanctionner l’ambassadeur en question. Ou, à défaut, de faire sentir à Panoptès les conséquences d’un scénario où Aramila retirerait son soutien aux forces de l’Alliance, qui n’en serait de plus une de facto.
Il s’avéra que le Concile était d’accord pour rapatrier Yodicaëlle à Opale pour son interrogatoire. L’avis avait été émis depuis la capitale Opaline, puisque la plupart du personnel politique d’envergure avait convergé vers la réunion internationale. Mais Ellendrine insista sur une politique délétère du fait accompli, qui ne seyait pas une institution internationale dépourvue d’autorité exécutive. Le signal envoyé envers les témoins étrangers, dont un Sapiarque Epistote et d’autres personnes peu recommandables, peut-être même issues du monde criminel, est que l’on pouvait flouer leur nation sans vergogne : sans encourir son courroux.
Ses missives envoyées, Ellendrine se reposa quelques jours de ce long périple dans le désert. Son esprit était cependant déjà en train de penser à l’après. Ce n’était pas par hasard si l’inconscient de la terroriste, sur le point de s’étioler dans les Limbes, l’avait conduit à Doulek. Il fallait investiguer tant que la piste était chaude, avant que d’éventuels complices du XIIIème Cercle ne dispersent les indices pertinents.
L’archéologue parvint à joindre brièvement son époux grâce aux moyens expresses déployés pour les tractations au sujet de Yodicaëlle. Pietro l’informa succinctement du décès de l’archevêque d’Etyr, lui témoignant son respect, avant de préciser qu’il était un candidat actif à son remplacement. Inutile d’en dire plus pour qu’Ellendrine imagine sa fébrilité, après tant d’années attendues pour saisir ce type d’opportunité d’ascension politique. Il lui parut évident qu’elle pouvait pousser son avantage en demandant son soutien et sa protection durant l’investigation sur le passé de Doulek. Si les forces d’Etyr parvenaient à obtenir des informations grâce à son soutien, cela ne ferait que renforcer son aura et son influence politique à Aramila. Le poste lui serait acquis d’office lors de la prochaine élection.
Une douzaine de soldats de la garde sacrée furent attitrés à son voyage vers Doulek. Parce qu’elle avait besoin de pouvoir faire confiance à quelqu’un sur place, elle envoya quelqu’un chercher son beau-frère, avant qu’Arno ne s’évapore comme à son habitude. Elle lui témoigna son empressement à le sentir auprès d’elle dans ces moments critiques pour leur clan et leur faction.
A peine eut-elle enlacé ses enfants, que déjà, le convoi sécuritaire était sur le départ à la tombée du jour dans le désert. Elle chevauchait son tamanain aux côtés de Farouk aux portes de la ville, cernée par une escorte armée, dont au moins deux Sentinelles émérites.
Alors que le disque orangé du soleil s’enflammait en rasant les dunes du ponant, elle jeta un dernier regard en arrière, en rabattant le voile qui flotta devant son visage dans un souffle de vent. La silhouette d’Arno se détacha entre les bâtiments.
-« Je suis contente que tu te joignes à moi, mon frère. » se permit-t-elle de l’appeler avec affection, pour lui signifier toute sa reconnaissance. Ils n’avaient jamais eu la chance de mieux se connaître pour devenir si familier. Ellendrine elle-même n’était pas versée dans les grandes déclarations. Les tragédies avaient néanmoins l’avantage de permettre de resserrer les rangs, alors que les familles sentaient le sol vaciller sous leurs pieds. Famille par alliance ou pas, c’est toute la famille qu’elle avait, celle sur laquelle elle pouvait compter.
-« Sans toi, j’aurais sans doute perdu la vie, comme tant d’autres dans la mer de sang de cet attentat. J’ai perdu l’esprit en voyant ma sœur rendre l’âme. Gloire à Phtelior pour ton courage. » Les expressions religieuses n'étaient pas totalement dans ses croyances. Elles étaient pourtant emplies de sincérité, davantage preuve d'amour et de respect pour la sensibilité de ceux auxquels elle s'adressait.
Son regard digne et plein d’humanité s’ombragea un moment à l’évocation de ce souvenir bien trop cuisant. Il lui avait fallu abandonner la dépouille de Darya dans les Limbes et s’imposer à ses funérailles symboliques contre l’avis d’Amal Brightwidge, son frère ennemi. Ses jours étaient désormais comptés à Opale, sans une prudence maximale contre les tentatives d’empoisonnement ou d’assassinat.
Malgré ses préoccupations, elle n’oubliait pas la douleur spirituelle dues aux convulsions des révélations sur la mort de Demephor. Peu de personnes étaient informées en dehors des cercles supérieurs, mais la nouvelle finirait éventuellement par se diffuser à l’ensemble de la société pour arracher larmes et cris d’horreur. Un séisme religieux à portée sociale et politique attendait Aramila, qui aurait besoin de personnalités fortes pour absorber le choc et, elle l’espérait, moderniser une partie de ses doctrines.
Il était temps de quitter Aramila, sauf à courir le risque que des sbires du Cercle les prennent en filature. Elle tourna le dos aux tours et leurs dômes dorés étincelant bordant les temples et fit avancer son tamanain, qui la fit dodeliner sur son dos. Jamais elle ne permettrait que le sort d’Opale ne soit imposé à Aramila. Ils devaient réussir, pour débusquer les vermines du Cercle dans leur terrier et protéger l’Arbre-Dieu. Si sa mission de vie n’était pas claire, elle choisissait désormais de s’attacher à cette quête pour le bien de tous les Uhrois, prête à y dédier les connaissances qu’elle avait mis toute une vie à accumuler.
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Sam 12 Oct - 0:13, édité 5 fois
Dim 17 Mar - 20:54
Excavation du passé de Doulek
Ellendrine & Arno
Il était temps que nous nous remettions en route n’est-ce pas ? J’aurais beaucoup donné pour pouvoir rester encore un peu à la ferme, à panser mes plaies aussi bien mentales que physiques. Là où nous étions au bout du monde, rien n’avait vraiment d’importance et, même si mon lit était moins confortable que celui que je pouvais avoir à Opale, au moins avait-il la décence de ne pas se dérober comme le sol de la Grande Place. Je n’y étais pas retourné, Eustache n’y était pas retourné en tout cas. Mais déjà d’autres nouvelles venaient, ce soleil savait où me trouver. Il n’aurait pas fait le déplacement lui-même bien sûr, trop occupé à rassembler ses propres forces. Une missive m’attendait, même pour mère qui lisait peu ou les petits, l’écriture fine et le mot lapidaire ni trompait. L’aîné reprenait les commandes sur ma vie.
Arno, je sais que tu as ramené Ellendrine, merci. J’avais froncé les sourcils au fil de la lecture, les remerciements m’étonnaient vraiment de sa part. La suite devait lui faire retrouver la raison. Pas besoin d’user de sa persuasion même à distance pour m’engager dans la suite. Va savoir s’il y avait influence ou s’il était dans la confidence, mais il me donnait une excuse parfaite pour mener à bien ma mission. Je connais ma femme, je sais qu’elle va vouloir retourner à Doulek. Je veux que tu y ailles aussi pour continuer de la protéger en mon absence. Je vais avoir du travail pour changer les choses à mon retour. J’ai besoin de toi pour me sortir ça de la tête.
Rarement Pietro avait été aussi clair. Ce qu’il savait sur moi, il avait du l’apprendre d’une quelconque façon, certains confrères avaient beaucoup moins à se cacher, travaillant de concerts avec des grands pontes. Je ne doutais pas que mon grand frère avait réussi à tirer les vers du nez à qui de droit. Néanmoins, il ne se servait pas de cette carte comme il l’avait fait à Opale. Il jouait une carte qu’il savait fonctionné. Je relevais les yeux faces aux trois visages aux traits fins si similaires aux siens, si loin des miens. J’aurais donné beaucoup pour eux et par extension Ellendrine faisait partie de ce giron familial. C’est tout ce qui me restait si les Douze venaient à tomber.
Demephor…
Difficile de ne pas penser à lui, un mortel parmi tant d’autres… Les onze autres marchent-ils aussi parmis nous ? Peuvent-ils aimer ? Peuvent-ils haïr ? Comment naissent-ils C’était beaucoup trop à penser. Moi qui n’avait finalement jamais été aussi zélote que d’autres, je me retrouvais à croire d’autant plus en eux maintenant qu’ils s'ancraient dans le réel. Je repliais le courrier avant de le jeter dans l'âtre. Pas de place au sentimentalisme, ni aux traces écrites. Le sablier devait être retourné maintenant et le destin se mettre en marche.
Le lendemain, je me retrouvais à nouveau à Aramila sur la demande de l’intéressée. À chaque fois j’évitais ce lieu où mes pas m’amenaient autant que possible. Non pas qu’il avait mauvaise réputation, loin de là, mais c’était pour moi un coin que j’évitais autant que possible. La demeure de Pietro était exactement comme elle devait être. Ni trop riche pour ne pas montrer un matérialisme trop présent, ni trop pauvre pour quand même montrer qu’il savait entretenir sa famille. Une douzaine de gardes poireautaient devant la demeure alors que le maître de maison était encore absent.
Ellendrine finit par sortir de la demeure du Tribun. Je nouais un turban sur ma tête et attrapais mon paquetage pour suivre le convoi de loin, le porteur du message ayant rempli sa mission je le laissais partir vers d’autres demandes de clients plus ou moins fortunés. La troupe s’avança jusqu’à l’une des portes du désert et je leur avait emboîté le pas, enfin nous quittions cette ville arriérée. Je tapais sur ma tête par réflexe, comme pour punir les pensées parasitaires d’Eustache. Je finis par me présenter à ma belle-soeur, son aide de camp que j’avais déjà pu observé et son convoi. Elle m’accueillit chaleureusement et je m’en trouvais un peu gêné. Je ne pus qu'acquiescer pour la remercier pour ses mots, essayant de lui renvoyer un "ma soeur". Malheureusement, je ne voyais que les Limbes en la regardant, comme si nous étions renvoyés et que nous tenions à y rester.
“... Phtelior pour ton courage.” Le nom de la figure du Roi me ramena, berger guidant son troupeau. Je sentais à nouveau toute la pesanteur de la tâche, que notre mission intéressait ceux qui bougeaient les pièces. Pietro, l’Oasis, Aramila, Uhr, nous étions sur les traces de quelque chose de clairement plus grand que ce que le destin aurait dû mettre dans la vie d’un pauvre marchand. Le marchand est loin Arno, tu sais à qui tu dois laisser la place maintenant, l’Oasis te l’a bien dit.
Je réajustais aussi mon tissu sur le visage, voilant ma face pour n’offrir que deux yeux d’aigle derrière des verres teintés. J’englobais le désert dans sa totalité alors que nous laissions la ville derrière nous. Mül avançait tranquillement, c’était toujours une sensation terrible, celle d’avoir le sentiment d’une urgence qui devait se marier à la lenteur d'un convoi dans le désert. Le temps serait long, peut-être l’occasion d’en apprendre plus sur ma belle-sœur. Je n’étais pas bien sûr que nos objectifs étaient les mêmes dans cette expédition, mais nous nous devions de découvrir le fin mot de l’histoire. Nous en avions besoin et si par la même occasion nous pouvions porter un nouveau coup au Treizième Cercle, c’était du bonus. L’un des miens était déjà en route, il nous avait précédé de plusieurs jours. Le matin et le soir nous avancions, le midi nous nous cachions du soleil dans les rares oasis que nous trouvions, la nuit nous dormions ou je prenais le temps pour discuter avec Ellendrine de la marche à suivre. Il était étrange de se sentir ainsi, dans une sorte de simili état-major sous les tentes.
Le désert devint peu à peu moins aride et violent, des bosquets brûlés bientôt remplacés par des palmiers. Les oasis devenaient de plus en plus nombreuses jusqu’à ce que nous ne pouvions que nous résoudre à ne plus appeler ça des oasis, mais bien la Jungle. Nous voilà donc presque arrivés alors que le crépuscule tombait. “Reposons-nous ici ce soir, demain nous serons à Doulek.” annonçais-je. Etrange sensation qu’avait été ce voyage, celui de revenir sur nos pas après le convoi aller, de revenir à l’épicentre de la catastrophe.
Car pour tous, la catastrophe était au nord-est à Opale. Pour moi, nous nous en approchions.
Lun 18 Mar - 7:16
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
Il était ardu de lire l’ombrage dans le regard de l’aristocrate, si tant est qu’il existât, après le silence d’Arno. Sa dignité s’exprimait toujours à travers un visage équanime au milieu de cette escorte et de ce paysage solennel. Les Limbes l’habitaient toujours, elle aussi. Pour ce que cela pouvait vouloir dire.
La dame était traitée avec déférence par les soldats emprunts de chevalerie, qui lui offraient un semblant de pudeur dans les haltes poussiéreuses. On ne devinait sa peau diaphane qu’aux contours de ses yeux verts perçants le voilage blanc qui la gardait de la morsure du soleil.
Du poids de la chaleur, elle était néanmoins abritée par la magnificence de son cristal de tempérance. Les heures chaudes constituaient son temps d’étude privilégié, alors qu’elle essayait de délaisser ses ouvrages la soirée afin de mieux cerner la personnalité de son beau-frère. Il n’était en rien pareil au portrait que lui avait dépeint son époux. Elle s’en était douté, mais évitait soigneusement de mettre du sel sur les blessures des querelles fraternelles. Le témoignage d'un excès de sollicitude pouvait devenir poison. Elle savait combien les meilleures intentions pouvaient éloigner de l’Isthe.
Enfin, quand ils parvinrent aux abord de la végétation dense de la jungle de Doulek, un souffle d’humidité les embauma, presque étouffant, avant de charrier sa fraîcheur une fois sous le couvert d’une canopée, encore peu dense. Ils montèrent un ultime campement avant d’atteindre leur cible. Ce serait le moment où jamais de se restaurer avant d’affronter les vérités de Doulek le lendemain.
Elle rompit le pain avec Farouk. Les hommes furent surpris de voir la noble dame rabattre son voile blanc en leur présence et s’asseoir à leurs côtés pour partager leurs histoires et raconter certaines des siennes. Si elle n’alla pas jusqu’à jouer aux dés avec eux, c’était assez pour les étonner.
Allant auprès d’Arno, elle s’adressa à lui à voix-basse.
-« Tu ne t’exprimes pas beaucoup de manière générale sur ce que tu ressens. Je respecte cela. Mais si quelque chose te trouble, tu peux avoir confiance en mon silence, je sais écouter. Pietro ne sait pas tout ce que je pense. C’est dans notre accord et il en sera toujours ainsi. Après tout, bien peu nombreux ont vécu ce qui nous est arrivé ensemble. Même Farouk ne comprend pas ma désorientation. »
Après leur conversation, l’archéologue partit se coucher. Elle était toujours d’avis que rien de grand ne pouvait être accompli en étant épuisé et préférait ménager ses efforts dans la durée. Quelques chants rigolards s’élevèrent après le départ de la dame, sans la déranger dans son sommeil. Au contraire, ces manifestations joyeuses des gardes se faisaient ronronnement rassurant à son oreille et elle s’abandonna bientôt à une noirceur réconfortante dans la grande tente.
Un tintement la tira de sa torpeur. Un gémissement de la théière en laiton. Une de ses paupières se souleva péniblement dans la nuit. Ellendrine se força à reprendre conscience de son environnement dans la pénombre. Le bruit assourdissant des insectes et les râles apeurant de singes araignées se répondant peuplaient la forêt, bien loin du calme du désert. Néanmoins, aucun animal de semblait présent dans la tente et sa théière grinçait toujours en se balançant. Sa main chercha instinctivement son nascent de chronomancie.
Quand ses doigts se refermèrent sur le manche de bois du lance-pierre, une ombre se jeta abruptement sur elle. Trahie uniquement par l’éclat de la lame en forme de vague, Ellendrine eut juste le temps de lever les bras pour se défendre et éviter un premier coup de poignard, qui lacéra la toile de la tente à son chevet.
L’assaillant était voilé et entièrement vêtu de noir. Mu par l’agilité d’un démon, il l’enfourcha pour tenter de l’occire. Elle plaça une manœuvre désespérée en frappant l’Ombre entre les côtes du manche de son nascent. Ce n’était pas véritablement l’usage prévu pour cette arme de jet, mais elle parvint à activer le pouvoir temporel qu’il renfermait au détriment de l’assassin. Et à se saisir grâce au ralentissement occasioné chez l’adversaire d’un oreiller en guise de bouclier. Un nouveau coup de poignard meurtrier fut ainsi évité. Un cri aurait pu l’aider, mais aucune aide ne parviendrait à temps malgré la magie temporelle. Aussi mordit-elle jusqu’au sang le poignet de l’Ombre, qui n’avait toujours pas le bonus de l’initiative. Dans son élan, elle réussit à faire basculer l'Ombre à terre, avant de s’engouffrer par la brèche ouverte dans la toile de tente tête la première.
Vêtue de sa robe de nuit blanche, sa toison rousse offerte au vent, elle se retourna sur le spectacle d’un camp pris en embuscade alors que des cris d’égorgés s’élevaient. Farouk était à demi nu à terre, aux prises avec deux Ombres. Il n’avait pas eu l’occasion de se saisir de sa mitrailleuse, sans doute surpris au lit comme elle l’avait été. L’ancienne Sentinelle méditait toujours plus qu’elle ne dormait. Sa contre-attaque avait sans doute sonné l’alerte et sauvé la vie de plusieurs Aramilans ce soir.
Partie s’abriter derrière un rempart de fortune pour fuir son poursuivant, l’archéologue voyait son ami ensanglanté sur le point d’être embroché. Elle n’aurait que le temps de crier son désespoir et sa rage pour assister à son trépas face à un ennemi en surnombre, au milieu d’autres scènes d’affrontements.
-« Lâches ! » gronda l’aristocrate.
Un éclair fendit l’air, au moment ou l’assassin s’apprêtait à porter le coup fatal. Une onde électrique s’attacha au métal et fit grésiller les nerfs et claquer les dents de l’Ombre de manière perceptible jusqu’à produire une odeur de grillé. L’autre Ombre prit la fuite au moment où la Sentinelle électrique reprenait forme humaine. Elle tendit une main à Farouk, qui ramassa une hallebarde pour reprendre le combat. Assurément, c’étaient les hommes du Cercle qui les encerclaient.
Eux aussi étaient dotés de pouvoirs pour certains d’entre eux. L’archéologue reconnut la silhouette d’Arno, acculé entre les cordages d’une tente par d’autres assassins. Le jeune Dalmesca tenait sa défense au couteau et retournait les éléments du décor à son avantage. Cependant, il n’avait aucune chance de prévaloir sur celui de ses opposant dont les ongles d'obsidienne luisaient à la lueur du feu de camp. Sa belle-soeur ne pouvait le savoir, mais les pouvoirs de ses cristaux venaient d'être neutralisés au toucher d'un portebrume d'abrogation.
Sans un regard autour d’elle, elle tenta tout ce qui était en son pouvoir pour aider Arno et visa l’Ombre aux ongles cristallisées du premier caillou qu’elle put ramasser dans le noir. Ce n’était pas une tireuse d’élite, mais en ce moment décisif, elle retint son souffle et sa main ne trembla pas. L’ombre qui s’était saisie du couteau d’Arno entre les doigts cristallisés et s’apprêtait à lancer ceux de l’autre main sur sa trachée fut frappée par le minuscule projectile chargée de chronomancie ; c’était une ouverture inespérée pour le jeune Dalmesca, car le corps de l’Ombre faisait rempart à la deuxième qui s’en prenait à lui.
Dernière édition par Ellendrine Brightwige le Mer 1 Mai - 5:29, édité 4 fois
Lun 18 Mar - 11:40
Excavation du passé de Doulek
Ellendrine & Arno
Le danger face à moi, la mort avait un visage d’ombre. Plusieurs jours dans le désert, à ne rien croiser d’autre que de paisibles caravanes, avaient eu raison de la vigilance des Gardes. De ma vigilance aussi moi qui voulait profiter d’un repos mérité avant d’attaquer le plus dur. C’était là qu’ils en avaient profité, sans doute sur leurs terres, pour attaquer dans la nuit. La situation était critique, j’étais déjà haletant, des striures sur les bras alors que je tentais d’esquiver ou de repousser les coups du forçat.
Celui derrière en riait presque, me voyant m’échiner à leur balancer ce que je trouvais autour de moi quand j’avais vu qu’aucun de mes outils ne fonctionnait. Vous aimez vraiment ça, hein ? Décider qui peut faire joujou avec les pouvoir ou non. Une nouvelle poussée dans les cordes et voilà votre serviteur acculé. ça aurait pu être la fin si notre vindicatif révolutionnaire n’avait pas pris le relai dans cette situation dangereuse. Lucas et la lueur violente dans mon regard de rapace…
Et ben, c’était pire que je pensais, t’aurais pu faire gaffe Arno, dans quelle situation tu me mets. Pas le temps de tergiverser que déjà le bourrin me charge. Ça doit être bien pratique de pouvoir se faire monter des griffes comme ça. T’avais pas besoin de me piquer mon couteau pour autant. Tu permets ? Mais… T’es vachement lent en fait ! Voilà j’en étais sûr que ça allait passer à travers cette planche. Une fois le tranchant passé et qu’on revient sur la peau, ça coince. T’as l’air idiot mon pauvre. C’est le moment d’en profiter, vous voyez les artistes ? C’est pas vous qui pourriez faire ça, il fallait composer avec le corps frêle, agile et peu endurant d’Arno, merci à lui d’avoir pris les coups jusque là. J’ai l’esprit clair, et surtout, ils ne s’attendaient pas à ça. S'acharnant toujours dans la seconde avec son bras coincé dans le bois, mon coude vient heurter sa tempe. T’as pas eu le temps de réagir mon vieux ? Plus vite Lucas, plus vite, soit efficace. Rien ne compte autour, c’est que toi et eux. Il était sonné, son pote arrivait. Il fallait finir le travail. Je te reprends ma lame, tu veux bien ? Voilà ! Ne sois pas triste pour autant, tu voulais m’attaquer où déjà ? Ah oui, la monnaie de ta pièce, j’imagine. Pas le temps d’essuyer le sang qui avait pulsé de sa gorge. Je souffle, c’est déjà beaucoup pour toi Arno hein ? Il en reste un, qui était bien content de pouvoir rester en arrière. Saleté de mage. Oh non, ne fuit pas enfin, tu vas quand même pas appeler à l’aide après ça ? Ton copain se vide de son sang en plus. Est-ce que je vise toujours aussi bien ? Le couteau vole, le couteau se plante dans la jambe. Je grimace, j’aurais préféré un coup net. Je fais avec pourtant. Je me traine couvert de sang, du mien, de celui à terre, d’autres autour. Que faire, c’est lui que je chasse. Patte folle. C’est lent, encore plus lent que le macchabée agrippé à sa planche. Pour deux pas que je fais, il en fait un au milieu du chaos. Je le rattrape quand il trébuche. Neuf pas dans sa fuite. Sourire sauvage sur le visage, une proie facile. Il tenta de hurler avec que j’explose sa glotte. Un relent de vomi dans un bouillon de sang. Il s’étouffe. Un regain d’énergie pour la bête que j’étais. Deux contre un, ça suffisait pas. Ramenez-vous les coureuses, je vais vous faire danser moi. Le souffle court, la vision trouble, la misère.
C’était trop, il en avait fait trop. Explosion de violence au cœur du chaos, le révolutionnaire avait utilisé tout ce qui nous restait d’énergie. Hébété, j’émergeais de ma torpeur dans un tourbillon de sang et de vomi. C’était pas beau à voir, mais il avait fait sa part, une menace éliminée et un mage en moins. C’était la Garde Sacrée autour, malgré la surprise, ils devaient pouvoir donner le change assez longtemps. Ellendrine… Où était-elle ? Je passais ma manche sur mon visage, ne faisait qu’étaler un peu plus les résidus organiques, mais dégageant mes yeux. Pupilles de saphir au milieu de l’écarlate, elle était là, en duo avec son garde du corps dans un coin où l’affrontement avait déjà tourné à notre avantage.
Je devais disparaître un moment, distraire, reprendre mon souffle. Il ne me restait déjà pas grand-chose sur quoi m’appuyer. Le tube que je gardais à ma ceinture devait faire son office. Le cuivre se réchauffait au contact de ma paume. D’abord une odeur de soufre et puis la mise en marche, la fumée s’échappait du Nascent. D’abord fine, puis plus épaisse, je répandais un véritable nuage sur le campement transformé en champ de bataille. Il fallait se cacher maintenant, profiter de la surprise des uns et des autres. Puis frapper, frapper encore.
Je fuyais la fumée, me réfugiant derrière un arbre. Un air lourd et humide, mais au moins n’était-il pas chargé des relents des corps et de la fumée. Les affrontements continuaient dans le silence oppressant de la jungle. Un pic de violence parmi tant d’autres dans ces lieux, le bruit du fer et des pas, celui des cris de rage et des derniers soupirs. Était-ce vraiment mieux que là-bas ? Je n’avais pas vu que je serais encore le couteau dans ma main. Lame de fortune empruntée, la prise était si ferme que mes jointures en avaient blanchi. Il me fallait y retourner, je ne pouvais dans ce genre de cas que compter sur moi pour faire la différence, une goutte d’eau dans l’océan, un grain de sable dans le désert. Si je n’étais pas là, en restait-il autant un désert ? Allez, Arno, relève-toi maintenant. Tu n’en auras jamais fait assez, tu m’entends ? Jusqu’à la dernière goutte tu vas te donner. Jusqu’à ce que le dernier grain de sable tombe dans le sablier.
Parce que c’est ce que tu es au fond.
Déjà la fumée commence à disparaître par endroit. L’air lourd avait eu le mérite de la stabiliser plus que ce que j’imaginais. Les foyers du feu de camp et des torches étaient depuis longtemps répandus à terre, mais aussi malheureusement sur certaines toiles de tente. L’incendie couvait. Embrasons-nous.
Des yeux, je cherchais les silhouettes noires qui s’étaient abattues sur nous, pas celles dans la mêlée. Les autres, celles qui se cachaient entre les ombres et les arbres. J’avais une ouverture et j’avais un talent. Je sais me faire discret, voyez-vous et, dans une embuscade comme ça, personne ne s’attend à voir une menace fondre par l’arrière. Plus ombre encore que les ombres, je suis les pistes. Lucas est un chasseur violent appréciant autant que faire un affrontement frontal rapide et brutal, votre serviteur est plus du genre vicieux, à chercher à attraper sa proie quand elle ne s’y attendait pas. Une première cape à l’orée du camp, devant un arbuste. En un clin d’œil je suis sur lui.
“Où est votre chef ?” le menaçais-je avec le couteau sous la gorge. Il fait un coup d’œil sur sa droite et je tranche dans le tas. On est jamais sûr de ce qu’ils peuvent faire, je préfère éviter le risque, continuer à suivre la piste.
Pas à pas.
Mer 1 Mai - 6:15
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
La bataille se poursuivait dans le noir. Orgie de cris et de percussions métalliques. L’archéologue ne savait où regarder. Tout juste s’était-elle saisie du sabre recourbé d’une sentinelle qui gisait à terre.
-« Ellendrine !! » hurla la voix de Farouk.
Elle se tourna vers lui, mais c’est d’un tout autre danger qu’il voulait la prévenir. L’Ombre arriva en sautant à travers les flammes d’un brasero, portant directement un coup vertical. Par réflexe, elle porta son arme devant son front et tint fermement se garde. Le choc du métal se répercuta durement dans ses articulations. Elle battit en retraite et manqua de perdre l’équilibre tandis que l’ennemi portait un nouveau coup, l’affaiblissant encore et encore. Tous ses os étaient ébranlés par la force des frappes qui la harcelaient.
La dernière lui ôta l’arme des mains. Et elle bascula par-dessus un cadavre, sans cesser de reculer dans les hautes herbes. La silhouette se tenait au-dessus d’elle, menaçante. Dans l’éclair de sa mise à mort, elle eut la certitude que c’était le même homme qui se trouvait dans sa tente un peu plus tôt, déterminé à en finir à tout prix avec elle.
Le sabre s’érigea comme un aigle prêt à fondre sur elle, quand un javelin perfora la poitrine de l’assassin. Il s’écroula en renversant un braséro. Les braises commencèrent à enflammer une tente, où d’autres hommes continuaient à se battre. Dans la hâte, elle se redressa, ramassa le sabre et courut vers Farouk. C’était lui le lanceur de javelin.
A sa gauche, Farouk, à sa droite, Fianir, l’homme-foudre. D’autres Gardes Sacrés se resserraient dos-à-dos pour reformer une ligne de défense. Si les assaillants leur avaient infligé de lourdes pertes par traîtrise, ils reprenaient maintenant le dessus. L’incendie gagnait en importance en se propageant à une autre tente à cause d’une silhouette enflammée qui partit s’y réfugier en hurlant comme un damné. Dans un ultime assaut, une Ombre tenta de se jeter sur les sabres aramilans. Elle ne réussit qu’à rencontrer la hallebarde de Farouk, lequel souleva le corps et fit levier pour le catapulter par-dessus leurs lignes.
Ce paysage aux lueurs vacillantes mêlait le bleu de la nuit à l’orangé des flammes. Quand la fumée se démultiplia en quantité anormale, le spectacle d'apocalypse fut complet. Les cris des Ombres se succédaient, fauchées une à une par un infiltré – notre cher caravanier.
Aux lueurs de l’aube, c’était l’heure du bilan. Sur une quinzaine d’hommes, sept avaient trouvé la mort. En plus d’Ellendrine, Farouk, Arno et Fianir, il restait Debra, la portebrume de nyctalopie que rien n’aurait pu surpasser à cette heure de la nuit et seulement trois autres gardes sacrés. Farouk souffrait de blessures légères mais ne se plaignait pas. Tous avaient perdu trop de compagnons. La dragée était amère. Mais l’on ne comptait plus les corps d’assassins vêtus de noir empilés près du feu. Une vingtaine, au bas mot. Il avait parfois été difficile de compter les morceaux. D’autres avaient pris la fuite.
Personne n’avait envie de parler en premier. Alors, Ellendrine finit par se dévouer.
-« Je sais que vous avez tous perdus des frères et sœurs d’armes cette nuit. Soignons nos blessures. Faisons les rituels funéraires et les prières pour les honorer et demander aux Douze de les accueillir aux portes de l’Isthe. Et avançons.
D’autres pourraient revenir. Doulek n’est plus très loin. »
Elle avait rassemblé sa chevelure emmêlée en un chignon lâche, tenu par une bande de tissus déchirée. Nul ne se formalisait de la transparence de sa tenue poisseuse sur le champs de bataille. Chacun en était encore à cautériser ses plaies et à tenter de récupérer ce qui pouvait l’être : armes et provisions. Des deux tentes qui avaient fini en cendres, aucune n’était celle d’Ellendrine, fort heureusement. Elle contenait une documentation précieuse concernant ce qu’elle avait pu rassembler au sujet du XIIIème Cercle, de Doulek et de l’Arbre-Dieu.
Après avoir fait ce qu’elle pouvait pour sa toilette et mangé quelques dattes, elle demanda à un Arno pâle comme la mort :
-« Est-ce que tout va bien, Arno ?... je sais que tu es un homme fait et qu’on te doit beaucoup pour cette bataille… mais tu as l’air vraiment ailleurs. »
En ce qui la concernait, elle n'était pas indemne. Elle se massait en permanence les poignets et les articulations de ses épaules lui cuisaient. D'ailleurs, elle avait serré (inutilement) si fort son sabre qu'elle peinait à ouvrir complètement sa main. Des muscles minuscules dont elle ignorait l'existence entre son pouce et son index étaient aussi durs que des aiguilles. Quant à ses genoux, ils n'arrêtaient pas de flageoler.
Le soleil commençait à se lever sur la canopée. Depuis longtemps les bruits de la jungle s’étaient ranimés. Le chant des oiseaux redonnait un peu de gaité suite au drame, convoyant les survivants jusqu’aux portes de Doulek.
Comme si leur arrivée avait été annoncée après cette nuit fracassante, des gardes les attendaient en colonnes aux portes de la ville.
-« Nous sommes les envoyés du tribun d’Etyr. Nous savons que l’archevêque de Doulek n’est pas encore rentré d’Opale. Aussi, moi, Ellendrine Brightwidge-Dalmesca, demande audience à son Sénéchal. Notre groupe vient d’être attaqué dans la jungle. Nous en appelons à votre hospitalité pour recevoir des soins et le logis… »
-« Ellendrine !! » hurla la voix de Farouk.
Elle se tourna vers lui, mais c’est d’un tout autre danger qu’il voulait la prévenir. L’Ombre arriva en sautant à travers les flammes d’un brasero, portant directement un coup vertical. Par réflexe, elle porta son arme devant son front et tint fermement se garde. Le choc du métal se répercuta durement dans ses articulations. Elle battit en retraite et manqua de perdre l’équilibre tandis que l’ennemi portait un nouveau coup, l’affaiblissant encore et encore. Tous ses os étaient ébranlés par la force des frappes qui la harcelaient.
La dernière lui ôta l’arme des mains. Et elle bascula par-dessus un cadavre, sans cesser de reculer dans les hautes herbes. La silhouette se tenait au-dessus d’elle, menaçante. Dans l’éclair de sa mise à mort, elle eut la certitude que c’était le même homme qui se trouvait dans sa tente un peu plus tôt, déterminé à en finir à tout prix avec elle.
Le sabre s’érigea comme un aigle prêt à fondre sur elle, quand un javelin perfora la poitrine de l’assassin. Il s’écroula en renversant un braséro. Les braises commencèrent à enflammer une tente, où d’autres hommes continuaient à se battre. Dans la hâte, elle se redressa, ramassa le sabre et courut vers Farouk. C’était lui le lanceur de javelin.
A sa gauche, Farouk, à sa droite, Fianir, l’homme-foudre. D’autres Gardes Sacrés se resserraient dos-à-dos pour reformer une ligne de défense. Si les assaillants leur avaient infligé de lourdes pertes par traîtrise, ils reprenaient maintenant le dessus. L’incendie gagnait en importance en se propageant à une autre tente à cause d’une silhouette enflammée qui partit s’y réfugier en hurlant comme un damné. Dans un ultime assaut, une Ombre tenta de se jeter sur les sabres aramilans. Elle ne réussit qu’à rencontrer la hallebarde de Farouk, lequel souleva le corps et fit levier pour le catapulter par-dessus leurs lignes.
Ce paysage aux lueurs vacillantes mêlait le bleu de la nuit à l’orangé des flammes. Quand la fumée se démultiplia en quantité anormale, le spectacle d'apocalypse fut complet. Les cris des Ombres se succédaient, fauchées une à une par un infiltré – notre cher caravanier.
Aux lueurs de l’aube, c’était l’heure du bilan. Sur une quinzaine d’hommes, sept avaient trouvé la mort. En plus d’Ellendrine, Farouk, Arno et Fianir, il restait Debra, la portebrume de nyctalopie que rien n’aurait pu surpasser à cette heure de la nuit et seulement trois autres gardes sacrés. Farouk souffrait de blessures légères mais ne se plaignait pas. Tous avaient perdu trop de compagnons. La dragée était amère. Mais l’on ne comptait plus les corps d’assassins vêtus de noir empilés près du feu. Une vingtaine, au bas mot. Il avait parfois été difficile de compter les morceaux. D’autres avaient pris la fuite.
Personne n’avait envie de parler en premier. Alors, Ellendrine finit par se dévouer.
-« Je sais que vous avez tous perdus des frères et sœurs d’armes cette nuit. Soignons nos blessures. Faisons les rituels funéraires et les prières pour les honorer et demander aux Douze de les accueillir aux portes de l’Isthe. Et avançons.
D’autres pourraient revenir. Doulek n’est plus très loin. »
Elle avait rassemblé sa chevelure emmêlée en un chignon lâche, tenu par une bande de tissus déchirée. Nul ne se formalisait de la transparence de sa tenue poisseuse sur le champs de bataille. Chacun en était encore à cautériser ses plaies et à tenter de récupérer ce qui pouvait l’être : armes et provisions. Des deux tentes qui avaient fini en cendres, aucune n’était celle d’Ellendrine, fort heureusement. Elle contenait une documentation précieuse concernant ce qu’elle avait pu rassembler au sujet du XIIIème Cercle, de Doulek et de l’Arbre-Dieu.
Après avoir fait ce qu’elle pouvait pour sa toilette et mangé quelques dattes, elle demanda à un Arno pâle comme la mort :
-« Est-ce que tout va bien, Arno ?... je sais que tu es un homme fait et qu’on te doit beaucoup pour cette bataille… mais tu as l’air vraiment ailleurs. »
En ce qui la concernait, elle n'était pas indemne. Elle se massait en permanence les poignets et les articulations de ses épaules lui cuisaient. D'ailleurs, elle avait serré (inutilement) si fort son sabre qu'elle peinait à ouvrir complètement sa main. Des muscles minuscules dont elle ignorait l'existence entre son pouce et son index étaient aussi durs que des aiguilles. Quant à ses genoux, ils n'arrêtaient pas de flageoler.
Le soleil commençait à se lever sur la canopée. Depuis longtemps les bruits de la jungle s’étaient ranimés. Le chant des oiseaux redonnait un peu de gaité suite au drame, convoyant les survivants jusqu’aux portes de Doulek.
Comme si leur arrivée avait été annoncée après cette nuit fracassante, des gardes les attendaient en colonnes aux portes de la ville.
-« Nous sommes les envoyés du tribun d’Etyr. Nous savons que l’archevêque de Doulek n’est pas encore rentré d’Opale. Aussi, moi, Ellendrine Brightwidge-Dalmesca, demande audience à son Sénéchal. Notre groupe vient d’être attaqué dans la jungle. Nous en appelons à votre hospitalité pour recevoir des soins et le logis… »
Jeu 2 Mai - 18:19
Excavation du passé de Doulek
Ellendrine & Arno
Vas-y tranche, tranche encore, baisse-toi. Miséricorde, c’est ça qui se passe, mais qu’est-ce que vous nous faites faire ? T’occupes mon mignon, on le soutient ! Mais tu vois bien qu’il est à bout ? La faute à qui espèce d’idiot ? Combien de fois on t’a dit que tu nous foutais à bout ? C’était quand même mieux quand vous fermiez vos clapets et que vous en preniez plein les mirettes non ? ça vous plait pas ce sentiment qu’enfin on pousse ce corps à son plein potentiel ? Pas vraiment non…
ça tourne, ça vire, mais il fallait bien se rendre à l’évidence. Si chef il y avait, même dans le lot ils ne savaient pas où il se trouvait en ce moment. Je dois avouer que je ne savais pas très bien où j’étais moi-même. J’orbitais autour du campement, élagant ce qu’il y avait à élaguer, poussé dans mon élan par les autres. J’avançais à l’instinct, des années d’entrainement encore fraîches dans ma tête, une lame toujours aiguisée. Ce n’était pas là que je me sentais le mieux, mais personne ne s'intéresse à ça. Mon royaume pour un lit et un verre, je vous en prie. Tu l’auras si tu nous sors de là crétin.
Aucun répit, aucun instant pour réellement reprendre son souffle maintenant, tu t’étais lancé là-dedans alors que t’aurais pu rester planqué derrière ton arbre après ton tour de force. à toi de t’en sortir maintenant… Toujours à vouloir bien faire, se faire bien voir, c’est là notre faiblesse.
Incroyable comme un maelstrom mental pouvait pourtant permettre aux gestes d’être d’une précision à la justesse folle. Le corps humain, quelle douce mécanique. Ce n’est qu’une fois qu’il ne restait du son que dans ma caboche que je réalisais. Le silence, troublé uniquement par le crépitement d’un feu non maîtrisé. Une tente quelconque, sans doute la mienne, dans laquelle de toute façon je n’avais rien entreposé de précieux.
Le silence donc et l’odeur de mort que même la plus épaisse des fumées ne saurait couvrir. Je titubais dans la lumière, me rattrapant autant que faire se peut à un tronc d’arbre. Quelques lames se tournèrent vers moi avant que Debra ne leur indique mon identité. Sans doute la seule à pouvoir reconnaitre votre serviteur à cette heure entre chien et loup, surtout quand ce dernier à plus du loup carmin que de l’agneau blanc. On souffle Arno, c’est bien, bon outil.
Je n’en demandais pas plus, dans un relent affreux, j’expulsais derrière l’arbre qui supportait mon poids. Était-ce un morceau de chair qui tombait dans la bile ? Bon sang Lucas… Aux grands mots… Personne ne vint contempler mon oeuvre, celle-ci, où la précédente, intérieurement je les en remerciais. Même si des regards entendus pouvaient laisser deviner que certains parmi les plus expérimentés restant n’étaient pas dupes. Je ne pouvais pas réapparaitre comme une fleur alors que l'on retrouvait les corps de certains de nos ennemis dans mon sillage.
Mais l’heure n’était pas aux questionnements, l’heure était aux comptes. On ramena les corps des lâches, joli carton si vous voulez mon avis, mais nous avions trop perdu dans la bataille. Le fait que, même par surprise, la Garde Sacrée ait pu se faire malmener ainsi était un problème. Pietro ne nous aurait pas envoyé avec des peintres. J’observais plus en détail les survivants, ils m’intéressaient plus que les corps à vrai dire. Une taupe parmi nous ? Ou quelqu’un au courant de notre itinéraire à la perfection ? Va savoir. Les mots d’Ellendrine me tirèrent de ma paranoïa naissante.
Que la Flamme éclaire votre route, que Keladron vous montre le chemin.
J'ai voulu aider à enterrer les corps ensuite, c’est au moment de saisir une pelle que je m’aperçus que mon épaule avait un angle étrange. Je sollicitais Fianir qui, avec une douceur toute aramilanne, me fit l’honneur de la remettre en place dans un craquement sinistre. Un mouvement maladroit, mais au moins pouvais-je à nouveau utiliser ce bras. Quelques coupures superficielles, des griffures de ronces et de mains, je m’en sortais plutôt bien une fois la couche de saleté sanguine vaguement nettoyée.
J’aurais tout donné pour une journée de repos, mais nous devions continuer. C’est à ce moment que la femme de Pietro vint me cueillir, dans cette fatigue lasse qui ne me quittait plus depuis des jours. Ainsi, elle aussi se doutait de mon “œuvre” dans la mêlée. Autant ne rien dire, n’étais-je pas le frère bourru et à moitié crétin après tout ? Le bouffon qui servait de marionnette au grandissime tribun d’Etyr ? Peut-être devrais-tu lui parler ? Elle y était avec nous, elle a laissé quelqu’un là-bas. Elle comprendra ! Non mais ça va pas la tête ? Qu’est-ce que vous voulez lui dire ? Non c’est pas la joie en ce moment, j’entends des voix, des voix qui ont décidé qu’elles étaient moi, qu’elles feraient mieux au commande ? Et si nous retournions à pieds joints dans les Limbes ? Ou mieux, qu’on laisser l’autre bourrin nous requinquer un peu à coup de biture, de bagarre de rue ou de passes avec des filles de petite vertue ? C’est certain qu’on serait mieux chez toi dans ton placard opalin à attendre qu’un énième docteur vienne demander service au tien. Et pourquoi pas simplement retourner à la mine, pas de réflexion à av…
SILENCE.
Troublé, je ne savais pas quoi dire, honnêtement, ça m'a pris un peu trop de temps à mon goût pour remonter le fil de la conversation, ces parasites attaquaient ce que j’avais de plus précieux avec leurs pourparlers incessants. “Tout va… bien, j’ai vu pire. Disons que j'espérais un peu plus de calme après… Vous savez quoi, justifiais-je. Vous devriez manger quelque chose de plus consistant, vous allez calancher sinon.” J’indiquais les dattes d’un mouvement de tête, le sucre c’est réconfortant, mais ça ne suffirait pas à effacer les affrontements d’une nuit écourtée. On s’enferme dans le silence donc ? Oui.
Nous étions tous marqués, petite troupe famélique à laquelle on avait arraché des membres. On sentait les formations moins précises, plus bricolées que vraiment maîtrisées. Je n’arrivais pas à m’enlever de la tête qu’il y avait un serpent parmi nous. La troupe finit par arriver à Doulek, être reçu par toute une compagnie avait presque quelque chose de comique, si ça ne voulait pas dire que nous avions été annoncées. Nous revoilà donc au centre des intrigues, là où nous étions revenus de là-bas. J’étais sur le qui-vive, déjà à la fin du trajet sur la jungle, mais encore plus ici. J’avais cherché à fuir cette ville aussi rapidement que possible la dernière fois. Je ne savais pas à quel point elle pouvait être gangrenée par nos ennemis. D’un regard fatigué, je détaillais le détachement envoyé à notre rencontre. Oeil pour oeil, je reconnaissais un éclat émeraude sous un casque, discret positionnement de la main dans un salut secret. Retrouvons-nous plus tard mon ami.
Aux demandes d’Ellendrine, les gardes ne furent que moyennement surpris, sans doute que quelques rumeurs d’un affrontement avait déjà réussi à atteindre les lieux ? Comment ? A moins que nous soyons finalement dans les temps par rapport à l’agenda prévu. On ne pouvait pas faire mine de ne pas entendre la demande de la compagne d’un Tribun. Les hommes de Doulek se mirent en action, nous indiquant une taverne dans laquelle nous pourrions trouver le gîte et le couvert. Pour ceux avec des blessures un peu plus sérieuses, la base de l’Escadrille dans la ville serait le plus indiquée.
J'atterris dans ce groupe-là, séparé des échanges qu’Ellendrine, Farouk et les moins amochés auraient de leur audience avec le responsable local. Je retrouvais dans ce simili hôpital de campagne l'œil vert du triton que j’avais croisé. Que m'avait dit l’Oasis déjà ?
“J’espère que les nuits ici sont douces.
- Autant que les jours sont bleus.”
J’étais en présence d’un confrère, mais je savais que ce n’était pas celui qui était arrivé ici avant nous. Celui-ci était un autre sbire de mon Maître, je coursais celui d’une autre branche. Le triton profita de ce moment seul à seul pour bander mes plaies. Certaines paraissaient plus profondes que ce que j’avais bien voulu croire jusque-là. A voix basse, nous échangions, sur la situation locale, sur ce fruit gangrené que je m’imaginais. Il avait une vision plus douce, certes le ver était là, mais on savait où, ce n’était qu’une question de temps.
Un temps qui avait valu la mort à plusieurs Gardes sur la route, était-ce vraiment nécessaire ? Apparemment oui, quelques sacrifices ne pouvaient être évités. On ne fait pas d'omelettes sans casser d’oeufs. Je ricanais parfois, attendant de savoir quand on comptait m’utiliser dans cette cuisine infernale. La suite ? Je ne vais pas vous faire l’affront de vous l’expliquer tout de suite, mais vous vous en doutez. Le temple du père de Yodicaëlle Sarnegrave était devenu la clé de tout après la disparition de celui-ci. Si réponses il devait y avoir, elles seraient là, jusqu’à ce que le Treizième Cercle les déplace… Ou jusqu’à ce qu’un autre Caravanier ne mette la main dessus…
Jeu 2 Mai - 20:04
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
Ellendrine possédait de nombreuses qualités. Mais elle n’aurait su détecter un éventuel traître ou gérer les questions de sécurité. Elle se savait néanmoins bien entourée, ne serait-ce que par Arno et Farouk, des hommes de sa « famille », qui feraient tout pour protéger l’essentiel. Ce lien idéalisé la rendait d’autant plus vulnérable au souci qu’elle pouvait se faire pour eux. L’espace d’un éclair, elle avait vu leurs deux vies défiler devant ses yeux, en plus de la sienne. Chacun avait dû lutter pour réclamer son droit à voir le prochain lever de soleil. Il aurait été bien prétentieux de croire que l’on pouvait empêcher un drame d’arriver aux autres membres de la compagnie.
Encore commotionnée, elle fit ce qu’elle faisait toujours. Rester forte. Pour ne pas s’effondrer, arque boutée sur sa foi, sur sa quête, sur ses idéaux. Et sa solitude. Devant les hommes, elle montrait un visage grave, communiait dans le deuil, reprenant le voile, pour donner un sens à l’horreur de la cruauté humaine. Plus qu’ébranlée, elle aurait voulu pouvoir se sentir vraiment utile. Après avoir entraîné les Aramilans dans un guet-apens du Cercle, la fébrilité la gagnait. Et si ces quêtes ne débouchaient que sur une impasse ? Si tous ces hommes s’étaient sacrifiés en vain ?
Alors, face à son beau-frère, qui était de la génération d’après, elle aurait voulu pouvoir jouer le rôle de la confidente sur laquelle s’appuyer. Il était déstabilisé après son voyage dans les Limbes. Comment pourrait-il ne pas l’être. Elle le savait. Elle y était !
Il n’offrit qu’une façade bourrue. Les hommes font souvent cela, n’est-ce pas ? Au fond, elle aurait aussi voulu pouvoir réussir à s’ouvrir. Ce n’était pas son fort. A Farouk non plus. Et de cette relation indéfinissable d’amitié, elle restait cependant l’employeuse.
Elle se contenta de prendre le conseil d’Arno en prenant une galette de sorgho fourrée aux légumes, avant que la fournaise de les avale sur la route…
Doulek les accueillit comme les frères qu’ils étaient. Aramilans. La diligence pour les guider aux commodités était à la hauteur de leur rang. Assez vite leur groupe amaigri se retrouva scindé en unités encore plus petites alors que les blessés partaient du côté de l’Escadrille et que le reste était dirigé vers l’auberge locale. C’était l’occasion fugace d’apprécier la beauté de ce pays, Doulek la Verte. Quelques lianes s’invitaient sporadiquement entre les bâtiments, dès que les rangs des habitations se desserraient. La promenade aurait pu être particulièrement agréable en passant sous les cahutes étagés et les guirlandes de drapeaux. Le tout embrassé par les fraîcheur végétale qui manquait tant à la ville capitale.
La fatigue et la tension se lisaient sur les traits. Fianir, Debra, Farouk et Ellendrine suivaient la procession de gardes et d’enfants curieux jusqu’à l’auberge, où elle eut la surprise de voir le Sénéchal la cueillir de salutations courtoises. Imrad Khadirov était un homme musclé et de grande stature. Son allure sévère était compensée par une hospitalité ronde et généreuse.
-« Dame Ellendrine. Ce serait une honte de vous laisser à l’auberge en compagnie des hommes et des dromadaires. Acceptez de venir loger dans ma demeure. »
Après une brève considération pour l’audience de leur échange, elle tenta de refuser poliment.
-« Sénéchal Khadirov, votre hospitalité vous honore. Je souperai avec plaisir avec votre famille. Mais je ne suis pas femme difficile. La belle suite de l’auberge me suffira. »
Comme il insistait, elle ne voulait pas le voir prendre ombrage de son refus, ni étirer cet échange de bagatelles devant le public. Elle accepta. Mais sous le regard oblique de Farouk, elle comprit qu’il n’accepterait pas de l’abandonner et annonça clairement la couleur. Après ce qui venait d’arriver, peu importe le quand dira-t-on, son garde du corps dormirait au pied de son lit s’il le fallait.
Les heures suivantes furent consacrées au repos et à la toilette. L’abrasivité du sable sur la peau et les restes de sang séché furent nettoyés, parfumés d’onguents à la rose et à la vapapule. Le Sénéchal avait demandé aux domestiques de lui faire monter des seaux d’eau pour son bain… Quand elle vit la robe très raffinée en dentelle semi-transparente tissée de perles blanches, elle abandonna ses guenilles d’archéologue dans le coffre clouté.
La famille Khadirov se composait d’une épouse délicieuse, mais pas très portée sur les sujets qui fâchent et de trois beaux enfants bruns, dont deux très turbulents se voyaient déjà couler des navires epistotes comme corsaires. Ellendrine avait insisté pour que Farouk trouve sa place à ses côtés et non à la table des domestiques, ce qui avait jeté un léger froid. Ce genre de demande étant des plus inhabituelles. Imrad fini par venir la questionner habilement sur les remugles d’Opales et des Limbes. La soirée prit donc un tour beaucoup plus sérieux, mais sans incident majeur. Si ce n’est qu’Eridya, la femme d’Imrad sembla lui lancer une pique sur ses croyances hérétiques. Ou alors la critique portait-elle sur le fait qu’elle ne démente pas avec assez de véhémence les accusations portant sur son hérésie présumée ?
Ces procès d’intention la gonflait copieusement. C’est dans ces instants là qu’elle faisait ressortir son blindage Brightwidge. Mais on en revint à ce qui l’intéressait :
-« Merci de m’ouvrir les portes votre maison et pour ce repas réconfortant après l’attaque du Cercle… cette parenthèse ne doit pas nous faire oublier notre objectif vital pour la nation. J’aimerais visiter le Temple de Doulek. Nous avons des indices laissant penser que la terroriste Yodicaëlle Sarnegrave a un lien avec son passé. »
Impossible de feindre la légèreté après avoir associé leur cité et le terrorisme. Elle avait mis les pieds dans le plat. Les enfants furent envoyés au lit et le dessert expédié en toute cordialité. De toute façon, Farouk et Ellendrine était trop épuisés pour tenir plus longtemps les mondanités.
Encore commotionnée, elle fit ce qu’elle faisait toujours. Rester forte. Pour ne pas s’effondrer, arque boutée sur sa foi, sur sa quête, sur ses idéaux. Et sa solitude. Devant les hommes, elle montrait un visage grave, communiait dans le deuil, reprenant le voile, pour donner un sens à l’horreur de la cruauté humaine. Plus qu’ébranlée, elle aurait voulu pouvoir se sentir vraiment utile. Après avoir entraîné les Aramilans dans un guet-apens du Cercle, la fébrilité la gagnait. Et si ces quêtes ne débouchaient que sur une impasse ? Si tous ces hommes s’étaient sacrifiés en vain ?
Alors, face à son beau-frère, qui était de la génération d’après, elle aurait voulu pouvoir jouer le rôle de la confidente sur laquelle s’appuyer. Il était déstabilisé après son voyage dans les Limbes. Comment pourrait-il ne pas l’être. Elle le savait. Elle y était !
Il n’offrit qu’une façade bourrue. Les hommes font souvent cela, n’est-ce pas ? Au fond, elle aurait aussi voulu pouvoir réussir à s’ouvrir. Ce n’était pas son fort. A Farouk non plus. Et de cette relation indéfinissable d’amitié, elle restait cependant l’employeuse.
Elle se contenta de prendre le conseil d’Arno en prenant une galette de sorgho fourrée aux légumes, avant que la fournaise de les avale sur la route…
Doulek les accueillit comme les frères qu’ils étaient. Aramilans. La diligence pour les guider aux commodités était à la hauteur de leur rang. Assez vite leur groupe amaigri se retrouva scindé en unités encore plus petites alors que les blessés partaient du côté de l’Escadrille et que le reste était dirigé vers l’auberge locale. C’était l’occasion fugace d’apprécier la beauté de ce pays, Doulek la Verte. Quelques lianes s’invitaient sporadiquement entre les bâtiments, dès que les rangs des habitations se desserraient. La promenade aurait pu être particulièrement agréable en passant sous les cahutes étagés et les guirlandes de drapeaux. Le tout embrassé par les fraîcheur végétale qui manquait tant à la ville capitale.
La fatigue et la tension se lisaient sur les traits. Fianir, Debra, Farouk et Ellendrine suivaient la procession de gardes et d’enfants curieux jusqu’à l’auberge, où elle eut la surprise de voir le Sénéchal la cueillir de salutations courtoises. Imrad Khadirov était un homme musclé et de grande stature. Son allure sévère était compensée par une hospitalité ronde et généreuse.
-« Dame Ellendrine. Ce serait une honte de vous laisser à l’auberge en compagnie des hommes et des dromadaires. Acceptez de venir loger dans ma demeure. »
Après une brève considération pour l’audience de leur échange, elle tenta de refuser poliment.
-« Sénéchal Khadirov, votre hospitalité vous honore. Je souperai avec plaisir avec votre famille. Mais je ne suis pas femme difficile. La belle suite de l’auberge me suffira. »
Comme il insistait, elle ne voulait pas le voir prendre ombrage de son refus, ni étirer cet échange de bagatelles devant le public. Elle accepta. Mais sous le regard oblique de Farouk, elle comprit qu’il n’accepterait pas de l’abandonner et annonça clairement la couleur. Après ce qui venait d’arriver, peu importe le quand dira-t-on, son garde du corps dormirait au pied de son lit s’il le fallait.
Les heures suivantes furent consacrées au repos et à la toilette. L’abrasivité du sable sur la peau et les restes de sang séché furent nettoyés, parfumés d’onguents à la rose et à la vapapule. Le Sénéchal avait demandé aux domestiques de lui faire monter des seaux d’eau pour son bain… Quand elle vit la robe très raffinée en dentelle semi-transparente tissée de perles blanches, elle abandonna ses guenilles d’archéologue dans le coffre clouté.
La famille Khadirov se composait d’une épouse délicieuse, mais pas très portée sur les sujets qui fâchent et de trois beaux enfants bruns, dont deux très turbulents se voyaient déjà couler des navires epistotes comme corsaires. Ellendrine avait insisté pour que Farouk trouve sa place à ses côtés et non à la table des domestiques, ce qui avait jeté un léger froid. Ce genre de demande étant des plus inhabituelles. Imrad fini par venir la questionner habilement sur les remugles d’Opales et des Limbes. La soirée prit donc un tour beaucoup plus sérieux, mais sans incident majeur. Si ce n’est qu’Eridya, la femme d’Imrad sembla lui lancer une pique sur ses croyances hérétiques. Ou alors la critique portait-elle sur le fait qu’elle ne démente pas avec assez de véhémence les accusations portant sur son hérésie présumée ?
Ces procès d’intention la gonflait copieusement. C’est dans ces instants là qu’elle faisait ressortir son blindage Brightwidge. Mais on en revint à ce qui l’intéressait :
-« Merci de m’ouvrir les portes votre maison et pour ce repas réconfortant après l’attaque du Cercle… cette parenthèse ne doit pas nous faire oublier notre objectif vital pour la nation. J’aimerais visiter le Temple de Doulek. Nous avons des indices laissant penser que la terroriste Yodicaëlle Sarnegrave a un lien avec son passé. »
Impossible de feindre la légèreté après avoir associé leur cité et le terrorisme. Elle avait mis les pieds dans le plat. Les enfants furent envoyés au lit et le dessert expédié en toute cordialité. De toute façon, Farouk et Ellendrine était trop épuisés pour tenir plus longtemps les mondanités.
Sam 11 Mai - 15:56
Excavation du passé de Doulek
Ellendrine & Arno
Bandages camouflés sous une tunique de fortune fournie par nos amis des mers, je m’en allais faire ce que je savais faire de mieux. Le jour peinait à s’éteindre, les soins avaient été longs. Je sentais ma démarche encore un peu gauche, après ce temps sur la route, une bonne nuit de sommeil n’aurait pas été de refus. Comme toujours, j’avais à faire avant de me reposer.
Je m’enquis rapidement des dernières nouvelles, la présence de la femme d’un Tribun arrivée avec une délégation clairsemée faisait parler dans les rues encore animées de la vieille ville. Nous sortions vers le port, était-ce les lumières d’Espitopoli que nous voyons au nord ? Rien n’était moins sûr tant que leur folie créait des phares dans la nuit, des lames dans le noir.
Je divaguais quelque peu, de ce qu’aurait pu être la vie d’Arno Dalmesca si son corps n’avait pas été que faiblesse plus jeune, s’il n’avait pas été repéré pour traquer son propre père par les Caravaniers. Le jeune garçon d’alors qui cherchait de l’air aurait-il embarqué sur l’un des navires de flotte aramilanne, avec ou sans pavillon ? Aurait-il vécu sa vie en mer à défendre sa patrie et en nouant des relations avec les peuplades tritonnes ? Aurait-il seulement imaginé sa vie actuelle à la barre d’un navire ?
Tu vois bien, c’est ça être une coquille, tu es un aléa, une voie, mais il y a bien d’autres, certaines que tu as tout juste arpentées, d’autres que tu as creusés jusqu’au cœur et d’autres encore qui se sont fermées d’elles-mêmes et qui n’existeront plus, si elles n’ont jamais existé…
Je balayais d’un revers de main la réflexion du capharnaüm, ici, la mer pouvait apaiser. Enfin, surtout les rades au bord de l’eau. Ma compagnie dispersée, j’allais enquêter là où je ne ferais pas tache, là où n’importe quelle voix aurait sa place. Rumeur de la foule contre rumeur de houle, je me laissais guider par tous les autres sens que la vue. L’ouïe d’abord, l’odeur ensuite. Si les monticules d’algues séchées pouvaient rebuter, les embruns réussissaient à les chasser. C’était les odeurs de poisson, de soupes et de tourtes qui m’aguichaient réellement.
N’importe quelle auberge aurait pu faire son office, mais je m’engouffrais d’abord à la Belle Endormie, alléché par les odeurs. J’y découvris une scène que beaucoup de nobles auraient qualifiée de surréaliste.
Dans un chaos maîtrisé, les tables de jeu se retournaient et des joueurs s'agrippaient, de joie ou de colère. De vieux loups de mer s’envoyaient de grandes rasades d’une bière douteuse pendant que des jeunes en guenilles essayaient de tirer une ou deux pièces de monnaie abandonnées sur le comptoir. D’élégants bardes à la livrée tachetée de vinasse parvenaient à force d’expérience à continuer leurs mélodies tout en évitant les nombreux projectiles que quelques mélomanes incommodés leur lançaient. Une marmite qui n'avait pas vu le jour depuis des années se retrouvait léchée par le feu, son contenu arrivait presque sans mal à couvrir l’odeur qu’un estomac léger avait offert dans un coin de l’estanquet.
Parfait.
Oui, tout marchait parfaitement dans ce lieu où le tenancier, un gars de petite taille assez quelconque, naviguait entre les tables, un plateau chargé sur la tête qu’il protégeait des rapiats qui souhaitaient tirer quelques miettes des plats des autres. Vient mon tour, dans ce fouillis, j’aurais pu être invisible, sauf pour celui qui vivait là.
“J’vous sers que'qu'chose mon bon m’sieur?” annonça-t-il joyeusement, la nuit commençait à peine et les bourses étaient encore pleines. Même si j’avais pas l’air de première fraîcheur, je devais paraître d’une classe un peu supérieure. “Un bol de votre soupe sur le feu et une pinte de votre meilleure bière” demandais-je en posant directement une pièce sur le comptoir, assez sûr qu’il pratiquait les mêmes tarifs que ses voisins pour éviter qu’on lui pique des clients. La concurrence peut avoir du bon.
Je dégageais un gars endormi sur le bout d’une table pour lui griller la politesse de l’assise. Aucune réaction si ce n’est un ronflement de mécontentement, éclipsé chez notre bon ami par la sensation de confort d’un sol mêlant sable, bois et alcool épongé. Par magie, un bol fumant apparut devant moi avec une chope mousseuse. La soupe était bonne, la bière affreuse, j’en levais tout de même mon verre au patron qui me répondit en levant le sien, pas dupe. Le travail commençait maintenant alors que je mâchonnais un bout de carotte récalcitrant, toujours mieux qu’un lobe quelconque. Ouvrir grand les oreilles.
Je comprenais ainsi un peu mieux les raisons du remue-ménage ambiant, même s' ils n’avaient pas forcément besoin d’une raison. Une caravelle revenait d’Opale avec les nouvelles des derniers événements sur place. Plutôt que me replonger dans les horreurs de l’attentat et de ce qui en avait découlé, j’essayais de me fermer. Je tremblais à penser aux Limbes. En clignant des yeux, j’eus l’impression de voir à nouveau ces tours tombant du ciel, ces corps, cette neige et le voile de la sœur Brightwidge.
Sarnegrave. Le nom me tira de ma rêverie en même temps que mes yeux se posèrent sur le groupe de vieux qui avait dit le nom.
“Apparement, c’est la petite Yodi qui aurait fait le coup.
- La fille de Yarnag ?
- Elle-même, elle est avec le Treizième cercle…”
Un regard qui balaye la pièce de peur que des oreilles baladeuses écoutent, c'est sans compter sur la discrétion et la curiosité de votre serviteur. Je vous épargne les roulements de “r” dans les soupirs et les élucubrations dans le patois marin local après ça.
Ils étaient consternés de voir qu’une jeune à l’apparence si innocente avait pu sombrer dans une telle folie. Elle qui venait d’une famille tranquille et pieuse, que le père Yarnag Sarnegrave avait élevée sans sa femme et que la petite idolâtrait au plus haut degré. Ils évitèrent d’en parler plus que ça, mais ils avaient la certitude qu’il y avait des coins de ville pourris, et que cette pourriture avait atteint la pauvre enfant. L’accident qui avait coûté la vie de son père n’aida en rien.
On n’avait pas vu de réel changement, un prêtre en remplaçant un autre aimé de tous, un temple de petite taille toujours bien entretenu, sans que rien ne change en apparence, sauf pour les quelques qui n’aiment pas la tête ou les envolées du nouveau. Elle avait disparu l’innocente, remplacée par la fanatique qui nous avait amenés avec elle, celle qui avait fait sombrer Opale. Comme alors, je ne pouvais m’empêcher de la plaindre, nous avions eu des parcours si opposés, jusqu’à la figure du père.
Je devais tirer ça au clair, il me fallait aller au temple rencontrer le nouveau prédicateur qui semblait avoir une vision bien à lui de la foi. Devais-je faire cela seul ? Sans doute n’était-ce pas le plus judicieux vu mon état, mais je ne pouvais me résoudre à faire prendre un risque aux autres.
Je sortais de l’auberge et l’air frais me réveilla de la torpeur dans laquelle je m’étais mise. Une bonne soupe dans le ventre, un verre de bière tiède laissé à qui le voulait. La nuit tombait, sans doute ailleurs étions-nous en train de souper. On aurait pu croire que nous avions le temps, mais notre arrivée en fanfare allait se répandre comme une traînée de poudre et qui sait ce que nous perdrions à dormir.
Pour assurer mes arrières, je sifflais entre mes dents. Une ou deux minutes plus tard, un petit coralgryphon vint se poser dans ma main. Je saluais Herm d’une caresse, avant de vérifier qu’il y avait toujours à sa patte la petite bague avec le sceau de Pietro, le mien. Un message que, j’espérais, Ellendrine comprendrait. Suivez l’oiseau quoi qu’il en coûte, j’ai une piste, retrouvons-nous au temple. Dans le battement d’ailes qui suivit, je me dirigeais vers celui-ci, sûr de pouvoir demander l’hospitalité à l’actuel prêtre.
Si le fruit est pourri, j’en sortirai au moins un de vers.
Mer 5 Juin - 17:18
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
La rencontre avec l’édredon avait tout du naufrage duveteux. Les yeux étaient fermés avant même de toucher l’oreiller. Quand bien même Elledrine eut voulu s’adonner à l’étude pour préparer sa virée au temple de Doulek, qu’elle plongeât dans la plus profonde inconscience.
L’acrimonie entre elle et Erydia s’était atténuée. Même à son faîte, elle n’égalait en rien celle d’Amal Brightwidge à son encontre, ni le stress enduré des attentats aux limbes et à l’embuscade. La chambre d’amie qu’on lui proposait lui fut aussi reposante qu’une crypte souterraine. Le Sénéchal était déjà aux affaires au moment du petit déjeuner. Toutes les dispositions avaient toutefois été prise pour les sustenter et les escorter, elle et Farouk.
L’ex-sentinelle arborait une mine… défraichie. Il avait charbonné au corps-à-corps bien plus qu’elle, occis bien des hommes. Sous son air fier, elle constatait combien il lui était difficile de conserver une démarche droite en descendant l’escalier. Ellendrine espérait de tout cœur qu’il s’agisse juste de bleus et que son mauvais genou ne soit pas atteint.
Cela lui fendit un peu le cœur de l’envoyer de bon matin quérir Arno. Pourtant, il fallait bien que les affaires reprennent. Et Farouk avait horreur de se sentir inutile plus que de toute autre chose.
-« C’est que… » commença Farouk, en se passant la main derrière le crâne d’un air embarrassé.
-« Quoi ? »
-« Nous avons déjà reçu une invitation d’Arno à nous rendre au Temple. »
-« Ah bon ? Depuis quand ? Pourtant, je n’ai vu aucun coursier… » soutint-t-elle les lèvres pincées.
Au fond de l’arrière-cour, elle aperçut une magnifique cage en fer forgé où se trouvait le coralgryphon d’Arno.
-« Herm ! Ils t’ont enfermé. »
-« S’il n’y avait que cela… Je soupçonne notre hôte d’avoir brisé le sceau après avoir intercepté le messager… »
Bien entendu, le message était toujours là, bien lisible. Avec le sceau de Pietro. L’archéologue s’était ouverte de ses intentions de se rendre au temple le lendemain. Il n’y avait rien de bien mystérieux à cela. Par contre, quelle brusquerie que de violer le secret de sa correspondance.
D’une main délicate, elle ouvrit la cage du coralgryphon qui vint se percher sur son épaule.
-« Allons-y, j’imagine… je me demande ce que peut bien penser Imran. Laisser en évidence la preuve de son forfait… c’est étrange. »
Non seulement le sénéchal avait eu accès à son message depuis la veille au soir, mais en plus le soleil était déjà haut et brûlant en cette matinée.
-« La seule information véritablement nouvelle qu’a pu apprendre le lecteur indiscret est qu’Arno agit de concert avec toi. Et qu’il a une piste. »
Tandis qu’ils fendaient la foule de curieux autour des étals du marché, elle déclara :
-« Quel que soit ce que l’on a peur que je puisse trouver, ils ne pourront pas le mettre hors de ma portée, à moins de me couper les mains. »
-« Je ferai tout pour que ça n’arrive pas. » complète Farouk.
La cognition d’Ellendrine était affûtée et saurait se nourrir de l’emprunte d’un témoignage en cas de fresque défigurée ou de registres falsifiés. Même s’il était trop tard pour se hâter, l’Opalienne pressait instinctivement le pas en direction du Temple. Quelques lianes basses fouettaient son épaule sur son passage lorsque la silhouette de l’édifice se dessina face à eux.
D’apparence assez récente, son architecture des plus intéressantes les surplombait, hissée sur une esplanade accessible par une volée de marches. Le matériau dominant la construction était clairement le bois. Celui-de la jungle de Doulek selon toute vraisemblance, où il se fondait tel un écrin. Le bois serpent parait de ses zébrures foncées le bois clair qui formait les murs du temple. Ses portes étaient rouges du bois d’amaranthe. Grossièrement, on aurait pu le décrire comme étant de forme circulaire. Il s’agissait plus exactement d’un dodécagone. Loin d’être parfait, on le sentait bâti avec passion par l’âme d’artisans. On pouvait regretter le choix de ces matériaux nobles, moins à l’épreuve du temps que la pierre. Néanmoins, les bois tropicaux étaient très denses pour résister aux insectes et aux intempéries, jusqu’à en devenir presque imputrescibles.
Perçant ce majestueux ouvrage, une tour de pierre s’élançait à la verticale jusqu’à former un clocher. Le chant des cloches devait porter la ferveur religieuse et diffuser l’onde de dévotion pour appeler au culte. En effleurant la double-porte de l’entrée, Ellendrine se préparait à recevoir une rafale de vision via sa cognition. Imrad avait-il poussé ces mêmes portes durant la nuit ? Elle ne vit rien de tel. En revanche, prise dans une spirale de ressentis et d’images, elle vit défiler les années de construction du temple en sens inverse, jusqu’à l’avènement du pieux Yarnag Sarnegrave. Elle savait déjà par son exploration antéchronologique qu’un nouveau prêtre le remplacerait 17 ans plus tard. Après la disparition de Yarnag Sarnegrave, de nombreux prêtres de campagne se succèderaient à la tête du temple. Pourquoi des changements si fréquents ?
Farouk poussait à présent la porte du Temple. Il endossait son instinct de sentinelle, prêt à parer une éventuelle embuscade. Au milieu des ornements panthéïstes, ils finirent par trouver Arno en conversation avec celui qui semblait aujourd’hui dépositaire des lieux.
-« Arno, votre Lueur ? » interrompit-elle le plus élégamment possible, dans son salut au prêtre.
"Lady Ellendrine Brightwidge-Dalmesca... Arno, Herm a été intercepté par le Sénéchal. J'ignore pourquoi, mais Herm se porte bien, comme tu peux le voir."
L’acrimonie entre elle et Erydia s’était atténuée. Même à son faîte, elle n’égalait en rien celle d’Amal Brightwidge à son encontre, ni le stress enduré des attentats aux limbes et à l’embuscade. La chambre d’amie qu’on lui proposait lui fut aussi reposante qu’une crypte souterraine. Le Sénéchal était déjà aux affaires au moment du petit déjeuner. Toutes les dispositions avaient toutefois été prise pour les sustenter et les escorter, elle et Farouk.
L’ex-sentinelle arborait une mine… défraichie. Il avait charbonné au corps-à-corps bien plus qu’elle, occis bien des hommes. Sous son air fier, elle constatait combien il lui était difficile de conserver une démarche droite en descendant l’escalier. Ellendrine espérait de tout cœur qu’il s’agisse juste de bleus et que son mauvais genou ne soit pas atteint.
Cela lui fendit un peu le cœur de l’envoyer de bon matin quérir Arno. Pourtant, il fallait bien que les affaires reprennent. Et Farouk avait horreur de se sentir inutile plus que de toute autre chose.
-« C’est que… » commença Farouk, en se passant la main derrière le crâne d’un air embarrassé.
-« Quoi ? »
-« Nous avons déjà reçu une invitation d’Arno à nous rendre au Temple. »
-« Ah bon ? Depuis quand ? Pourtant, je n’ai vu aucun coursier… » soutint-t-elle les lèvres pincées.
Au fond de l’arrière-cour, elle aperçut une magnifique cage en fer forgé où se trouvait le coralgryphon d’Arno.
-« Herm ! Ils t’ont enfermé. »
-« S’il n’y avait que cela… Je soupçonne notre hôte d’avoir brisé le sceau après avoir intercepté le messager… »
Bien entendu, le message était toujours là, bien lisible. Avec le sceau de Pietro. L’archéologue s’était ouverte de ses intentions de se rendre au temple le lendemain. Il n’y avait rien de bien mystérieux à cela. Par contre, quelle brusquerie que de violer le secret de sa correspondance.
D’une main délicate, elle ouvrit la cage du coralgryphon qui vint se percher sur son épaule.
-« Allons-y, j’imagine… je me demande ce que peut bien penser Imran. Laisser en évidence la preuve de son forfait… c’est étrange. »
Non seulement le sénéchal avait eu accès à son message depuis la veille au soir, mais en plus le soleil était déjà haut et brûlant en cette matinée.
-« La seule information véritablement nouvelle qu’a pu apprendre le lecteur indiscret est qu’Arno agit de concert avec toi. Et qu’il a une piste. »
Tandis qu’ils fendaient la foule de curieux autour des étals du marché, elle déclara :
-« Quel que soit ce que l’on a peur que je puisse trouver, ils ne pourront pas le mettre hors de ma portée, à moins de me couper les mains. »
-« Je ferai tout pour que ça n’arrive pas. » complète Farouk.
La cognition d’Ellendrine était affûtée et saurait se nourrir de l’emprunte d’un témoignage en cas de fresque défigurée ou de registres falsifiés. Même s’il était trop tard pour se hâter, l’Opalienne pressait instinctivement le pas en direction du Temple. Quelques lianes basses fouettaient son épaule sur son passage lorsque la silhouette de l’édifice se dessina face à eux.
D’apparence assez récente, son architecture des plus intéressantes les surplombait, hissée sur une esplanade accessible par une volée de marches. Le matériau dominant la construction était clairement le bois. Celui-de la jungle de Doulek selon toute vraisemblance, où il se fondait tel un écrin. Le bois serpent parait de ses zébrures foncées le bois clair qui formait les murs du temple. Ses portes étaient rouges du bois d’amaranthe. Grossièrement, on aurait pu le décrire comme étant de forme circulaire. Il s’agissait plus exactement d’un dodécagone. Loin d’être parfait, on le sentait bâti avec passion par l’âme d’artisans. On pouvait regretter le choix de ces matériaux nobles, moins à l’épreuve du temps que la pierre. Néanmoins, les bois tropicaux étaient très denses pour résister aux insectes et aux intempéries, jusqu’à en devenir presque imputrescibles.
Perçant ce majestueux ouvrage, une tour de pierre s’élançait à la verticale jusqu’à former un clocher. Le chant des cloches devait porter la ferveur religieuse et diffuser l’onde de dévotion pour appeler au culte. En effleurant la double-porte de l’entrée, Ellendrine se préparait à recevoir une rafale de vision via sa cognition. Imrad avait-il poussé ces mêmes portes durant la nuit ? Elle ne vit rien de tel. En revanche, prise dans une spirale de ressentis et d’images, elle vit défiler les années de construction du temple en sens inverse, jusqu’à l’avènement du pieux Yarnag Sarnegrave. Elle savait déjà par son exploration antéchronologique qu’un nouveau prêtre le remplacerait 17 ans plus tard. Après la disparition de Yarnag Sarnegrave, de nombreux prêtres de campagne se succèderaient à la tête du temple. Pourquoi des changements si fréquents ?
Farouk poussait à présent la porte du Temple. Il endossait son instinct de sentinelle, prêt à parer une éventuelle embuscade. Au milieu des ornements panthéïstes, ils finirent par trouver Arno en conversation avec celui qui semblait aujourd’hui dépositaire des lieux.
-« Arno, votre Lueur ? » interrompit-elle le plus élégamment possible, dans son salut au prêtre.
"Lady Ellendrine Brightwidge-Dalmesca... Arno, Herm a été intercepté par le Sénéchal. J'ignore pourquoi, mais Herm se porte bien, comme tu peux le voir."
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Mer 3 Juil - 2:13, édité 6 fois
Dim 23 Juin - 17:30
Le Passé de Doulek
Ellendrine & Arno
Légère pression sur l’épaule de petites pattes qui se posent. Mon cher Herm, où étais-tu tout ce temps ? Avec le Sénéchal donc, ça faisait sens. Mon corps de zombie se tourna d’un seul mouvement vers Ellendrine et Farouk, voir des visages connus faisait du bien. La nuit avait été longue et je doutais d’avoir déclenché la fuite de notre cible. J’aurais pensé que Herm aurait été discret, mais il semblerait bien que des informations avaient fuité. On nous observait, on m’observait. Et j’aimais pas ça.
“Je vais laisser notre homme vous raconter ce qu’il m’a dit, articulais-je péniblement. Je n’ai pas été assez rapide.” J’étais sur les rotules maintenant, la nuit avait été longue, si d’aucuns avaient pu se reposer, je voyais aussi la fatigue dans les yeux de l’ombre d’Ellendrine. Je m’écroulais sur un banc, les yeux levés vers la voûte retravaillée, bricolée, pour accueillir le clocher. Quelle ironie, quelle farce d’arrière ce qui se présentait comme un outil d’appel à honorer les Douze. C’était sous nos yeux depuis sa construction, un doigt d’honneur levé contre nos croyances. Ils devaient bien se marrer dans leurs loges obscures.
De sombres blagues d’enfants en manque d’attention. J’allais leur en donner leur content.
J’écoutais d’une oreille distraite ce que le moine avait à raconter à nouveau. Il n’était pas le sermonneur local, il n’était qu’un voyageur en pèlerinage, mais son œil neuf sur la situation nous aiguille et montre mon erreur. Je pensais pouvoir rattraper mon retard là où mes adversaires avaient déjà deux coups d’avance. Il faudrait plus que du panache. L’interception de mon petit volatile qui étendait ses ailes en planant au-dessus de moi n’était qu’une énième manœuvre, d’une course où il n’y avait finalement pas qu’un seul adversaire. J’avais passé la nuit à faire du repérage autour des lieux, à enquêter aux abords du temple, aucune allée et venue de suspect.
Le prêtre s’était caché avant même notre arrivée en ville, prévenu par mon confrère qui s’était mis en route avant nous, qui nous avait devancés. Un informateur qui s’ignorait pour une autre branche inconnue. Il avait lancé à nos trousses ses ouailles qui étaient tombées sur un comité d’accueil chaleureux, votre serviteur en tête et son violent alias.
Tu n’as qu’un mot à dire et on repart en guerre, camarade.
Sans façon, même ton mental d’acier trempé ne réussira pas à nous faire bouger. Reste à ta place. ça faisait déjà deux clients donc. S’ajoutait à ça l’hôte d’Ellendrine que je n’avais pas eu la chance de rencontrer, mais que je me serais fait un plaisir de questionner si ça ne risquait pas d’entacher les relations diplomatiques de mon maître et de mon frère accessoirement. L’homme voulait faire passer un message.
Je goûtais peu à ce genre de valse à quatre. Fallait que j’en évacue certains, que je voie si tous étaient impliqués de la même façon ou pour la même raison. Pour l’instant, mon cerveau était au ralenti, je continuais d’écouter le pèlerin qui donnait son témoignage.
Il était arrivé seulement quelques jours avant et, curieusement depuis l’annonce du départ de notre groupe vers Doulek, il avait vu une certaine effervescence dans le lieu de culte. Ou en tout cas, une tension supplémentaire. La pression était retombée après la discussion entre le prêtre et un voyageur de passage. Il n’était pas capable de se rappeler son visage, comme si on l’avait enlevé de sa mémoire, même en se concentrant, il n’y avait qu’un vide sous la capuche. Étrange, vous me direz, mais je n’étais pas dupe quant au genre de sorcellerie qui était à l'œuvre. J’avais vu bien pire.
L’appel lancinant des Limbes, revenir ici, fatigué, et essayer de mettre en place les pièces qui ne voulaient pas s’emboiter laissaient un vide. Un vide que cherchaient à combler mes amis là-dedans. Je luttais pour les repousser encore, leurs saillies mentales comme autant de bras qui s’accrochent, de doigts qui griffent. Je somnolais toujours bercé par la voix du témoin des derniers événements.
Je capte que dalle et vous les troufions ? C’est plutôt cousu de fil blanc enfin. Ben éclaire-nous de tes lumières alors toi qui es si malin ? C’est possible que… non Pod, à la niche, t’es mignon mais les grands discutent. Vous pensez que c’est quoi ? Y a un mage quelconque, mais il joue sur les souvenirs. C’est l’autre Caravanier c’est sûr, on aurait remarqué les erreurs si c’était le prêtre. Da. C’est coton non, faut faire gaffe. Ça a pu nous toucher ? Possible, mais ça ne sert à rien de psychoter. T’es marrant toi. Et toi bête comme un manche de pioche. Arrêtez… Caravanier alerte prêtre, prêtre alerte cercle, serpent se mord la queue. Sénéchal fout quoi là dedans ? Le Cercle aussi ? Ça se télescope. Y a au moins une accointance. Une quoi ? C’est lui qui a dû autoriser la construction du clocher en plus non ? Tu veux dire cette horreur qui transperce les Douze ? Leur saleté pour le treizième ? Faut détruire ce machin ! On verra ça plus tard. Pour l’instant, qu’est-ce qu’il vaut mieux faire ? On va chercher le prêtre. Il se serait caché où ?
Là où c’est le plus évident. On essaye de jouer avec nous, suivons le flot plutôt que chercher à lutter.
Ma tête basculait vers le groupe qui discutait encore. “Où habitiez-vous les Sarnegrave ? questionnais-je à haute voix le bâtiment, comme s’il pouvait me répondre. Pas loin d’ici, j’imagine. ”
Remontons jusqu’à la source.
Mer 3 Juil - 5:05
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
-« Un instant, monsieur, je vous prie. »
Elle rejoignit Arno, naufragé sur un banc. Dans la vraie fatigue, on se fichait de la dignité. Tout support plane était une conquête précieuse pour y laisser gésir sa carcasse éculée.
-« Ne te sens pas coupable, Arno. Il est bien des choses qui sont hors de notre contrôle en tant que simples mortels. »
Elle le trouvait particulièrement accablé, comme s’il mêlait gueule-de-bois, courte nuit, trauma des événements passés et le poids du monde sur ses épaules. C’était un poids qu’il n’était pas censé porter en dépit de l’importance de cette mission. Mais elle avait pu entrevoir un aperçu de ce qu'il était derrière son masque.
-« Dors un peu. Sois sans crainte. Je vais demander à Farouk de surveiller les environs pendant que tu te reposes… je laisse ce mouchoir à côté de toi pour plus tard. Il contient des dattes mejdool et des loukoums à la rose. Notre séjour chez le Sénéchal aura eu un peu de bon. Sa femme, Erydia, est bonne cuisinière. Et ici, une outre contenant du thé à la menthe.»
Elle se permit d’ajuster d’autorité la jambe d’Arno sur le banc. En dessous de ses genoux elle roula son foulard pour lui offrir un soutien plus ergonomique et sur ses yeux, elle plaça un mouchoir de soie jaune ; des gestes maternels, qu’elle ne pouvait réfréner en voyant cette jeune personne appartenant à sa famille dans un état si proche du délabrement.
Le moine était donc itinérant et ce temple ne relevait pas de son autorité. Ellendrine l’écoutait avec bonté et reconnaissance, car s’il savait en réalité peu de choses, il avait toute la chaleur des bonnes gens d’Aramila, toujours prêtes à aider au meilleur de leurs moyens. Décidément, des forces obscures étaient à l’œuvre. Et il ne s’agissait pas d’actions isolées. Un réseau entier semblait se coordonner pour détecter leurs mouvements et prédire leurs actions afin de les neutraliser.
Ce qui la turlupinait le plus était de savoir en quoi un Sénéchal pouvait être de mèche avec une secte secrète ? Assurément, si des preuves remontaient à la surface, ce serait la ruine de sa famille et un esclandre jusqu’au Concile Œcuménique. Et un prêtre qui fuyait ? A sa place, même mouillée jusqu’au cou dans la trahison, Ellendrine aurait assuré son office et nié en bloc toute accusation, forçant les inquisiteurs à constater la monotonie de son existence d’honnête officiant. Son acte ne faisait que donner du grain à moudre à leur investigation, soulignant qu’il y avait des faits qu’on voulait leur cacher.
A eux trois, ils trouveraient, tôt ou tard, les témoins qui cherchaient si ardemment à se dérober à eux. L’aristocrate écoutait le récit et trouvait on ne peut plus invraisemblable qu’au sein d’une nation si vertueuse puisse exister des kabbales aussi toxiques. Les ouailles croyaient en l’Isthe et voulaient y garantir leur séjour en respectant les enseignements des Douze décrits dans les préceptes de l’Ahad. Ainsi donc, elle ne pouvait imaginer un prêtre reconverti en brigand lançant ses fidèles pour une offensive sournoise… ces gens qui l’avaient attaqué dans son lit… ils n’étaient pas de simples villageois. Ils avaient le meurtre dans le regard. Leur main ne tremblait pas sur le shamshir. Leur style ne trahissait d'ailleurs pas celui d’une puissance étrangère… un complot d’Etat ? Des caravaniers ? C’était encore trop ésotérique pour elle à ce stade.
Au moment où le moine évoquait la venue d’un messager, électrisant la congrégation, sa curiosité fut piquée au vif. Son œil pétilla, comme s’il venait de repérer une jolie pépite d’or au milieu d’une rivière de graviers. La confusion du moine ne faisait qu’attiser sa flamme, reconnaissant là l’œuvre de professionnels. Altérer la mémoire n’était pas à la portée du premier venu.
Da sa main douce, elle invita le moine à joindre les siennes à ses paumes ouvertes pour prier. Elle murmura la prière avant de répéter avec lui son antienne :
-« Je convoque à moi Ioggmar, Esprit du Discernement. J’accueille en mon sein sa clarté, pour qu’elle y éclaire toutes les zones d’ombres et y fasse triompher la compréhension de toute chose. Que le juste soit séparé de l’injuste, que le doute soit lui aussi séparé de la certitude. Par la volonté des saints et des êtres immortels. Jusqu’à la fin des temps je marcherai dans ton pas ; oh Ioggmar, toi qui préside à la pensée, puisses-tu infuser en moi tes qualités d’intuition. »
Leur voix se mêlaient en une litanie suave et reposante, celle, grave, du moine, appuyait sur celle, plus chantante, d’Ellendrine. Pendant ce temps elle eut tout le loisir de rester peau à peau avec lui, de s’insinuer dans l’empreinte de Cognition liée à son vécu. Lire un être humain sans son consentement n'était pas très éthique. Ce n'était pas cette vétille qui allait arrêter une chercheuse de vérité. Et puis, le moine ne devait avoir aucune activité indécente à se reprocher... Si son esprit était vierge de toute information, cela n’affectait en rien la fluidité de sa lecture. L’énergie cristalline lui permettait de naviguer comme un témoin extérieur aux scènes, se déplaçant entre les tableaux vivants, de la plus petite à la plus grande échelle. C’était un voyage captivant. Il se déroulait toujours à une haute vélocité, ce qui donnait l’impression de se cramer les neurones, tant la surcharge aiguë pouvait submerger l’utilisateur.
Les mains d’Elledrine se pressaient sur celles du moine, toujours en train de réciter, alors que son front s’était plissé et son visage relevé vers l’ouverture en forme de rosace au plafond. Elle ne pouvait donner que l’impression de pleine ferveur.
-« Ioggmar vous a-t-il couvert de sa grâce, ma Dame ? »
Elle mit un temps à répondre, en prenant une profonde inspiration.
-« On dirait que oui… » souffla-t-elle. « Merci infiniment. »
Ses paupières restaient résolument closes, comme si elle tentait d’y retenir une empreinte et que la lumière du jour pût chasser la silhouette à laquelle elle tentait fébrilement de s’accrocher.
-« Farouk… » esquissa—t-elle, main tendue.
« Farouk, mon carnet à dessins. »
Elle faillit se mordre la lèvre de frustration, pour les quelques secondes où le garde la fit patienter à la recherche de son fusain et de son carnet. Elle s’accroupit aussitôt qu’elle les eut en main et, toujours sans ouvrir les yeux, se mit à dessiner à grands traits, presque avec force. On eut dit que sa main était guidée par Ioggmar en personne.
-« C’est un miracle. » clama le moine, empli de béatitude, les mains levées tel un ravi, les yeux levés vers la rosace, d’où s'écoulait une pluie de lumière sur la femme rousse en train de dessiner les visions que lui envoyait l’Esprit du Discernement.
« Puisse la lumière des Esprits toujours emplir nos cœurs et protéger le Rempart. » récita le pèlerin, comblé par son périple spirituel.
Ellendrine ouvrit enfin les yeux. Toujours en hâte, elle précisait les traits de l’hypermnèse qu’elle eût volé grâce à sa cognition, même si cela ne coûtait rien de créditer un peu Ioggmar et le moine pour son succès.
Dieu merci, les fuyards ne pouvaient se douter que le corps du moine pourrait servir de matériel à son investigation, sans quoi, ces redoutables hommes de l’ombre lui auraient sans nul doute ôté la vie pour ne laisser aucune trace de leur passage.
Un peu essoufflée, elle se releva et s’accorda le temps de prendre un peu d’eau, en épongeant son front à l’aide d’un autre mouchoir en coton brodé à ses initiales. Elle revint ensuite vers le moine pour lui demander :
« Sauriez-vous me guider à l’endroit exact où s’est tenu la rencontre dont vous peinez à vous rappeler. Je sens la flamme de Ioggmar continuer à brûler en moi depuis le ciel. Et je ne peux que me faire la servante de son appel. »
Intrigué, mais aussi rempli de joie, le moine fit quelques pas de l’autre côté du dodécagone en contournant quelques bancs de prière, dont celui où se trouvait Arno.
-« Le messager se tenait juste ici. En partant il a pris appui sur ce dossier. »
La savante n’eut qu’à poser ses doigts exactement à l’endroit où ceux du messager avaient rencontré le bois pour sentir la vision bondir en elle. Ses yeux se révulsèrent, ne laissant paraître que leur sclérotique.
-«..partez-vous réfugiez à la Anse. Une pyrogue vous attendra pour vous mener aux ruines des Parias… »
Vacillante, l’archéologue revint de sa plongée le teint blême. Cette lecture avait grévé son énergie. Il était plus que temps d’aviser Arno de ses théories.
-« Arno, je crois que je sais où s’est enfui le prêtre. Et j’ai peut-être un portrait approchant du messager qui est venu dans ce temple. »
Elle rejoignit Arno, naufragé sur un banc. Dans la vraie fatigue, on se fichait de la dignité. Tout support plane était une conquête précieuse pour y laisser gésir sa carcasse éculée.
-« Ne te sens pas coupable, Arno. Il est bien des choses qui sont hors de notre contrôle en tant que simples mortels. »
Elle le trouvait particulièrement accablé, comme s’il mêlait gueule-de-bois, courte nuit, trauma des événements passés et le poids du monde sur ses épaules. C’était un poids qu’il n’était pas censé porter en dépit de l’importance de cette mission. Mais elle avait pu entrevoir un aperçu de ce qu'il était derrière son masque.
-« Dors un peu. Sois sans crainte. Je vais demander à Farouk de surveiller les environs pendant que tu te reposes… je laisse ce mouchoir à côté de toi pour plus tard. Il contient des dattes mejdool et des loukoums à la rose. Notre séjour chez le Sénéchal aura eu un peu de bon. Sa femme, Erydia, est bonne cuisinière. Et ici, une outre contenant du thé à la menthe.»
Elle se permit d’ajuster d’autorité la jambe d’Arno sur le banc. En dessous de ses genoux elle roula son foulard pour lui offrir un soutien plus ergonomique et sur ses yeux, elle plaça un mouchoir de soie jaune ; des gestes maternels, qu’elle ne pouvait réfréner en voyant cette jeune personne appartenant à sa famille dans un état si proche du délabrement.
Le moine était donc itinérant et ce temple ne relevait pas de son autorité. Ellendrine l’écoutait avec bonté et reconnaissance, car s’il savait en réalité peu de choses, il avait toute la chaleur des bonnes gens d’Aramila, toujours prêtes à aider au meilleur de leurs moyens. Décidément, des forces obscures étaient à l’œuvre. Et il ne s’agissait pas d’actions isolées. Un réseau entier semblait se coordonner pour détecter leurs mouvements et prédire leurs actions afin de les neutraliser.
Ce qui la turlupinait le plus était de savoir en quoi un Sénéchal pouvait être de mèche avec une secte secrète ? Assurément, si des preuves remontaient à la surface, ce serait la ruine de sa famille et un esclandre jusqu’au Concile Œcuménique. Et un prêtre qui fuyait ? A sa place, même mouillée jusqu’au cou dans la trahison, Ellendrine aurait assuré son office et nié en bloc toute accusation, forçant les inquisiteurs à constater la monotonie de son existence d’honnête officiant. Son acte ne faisait que donner du grain à moudre à leur investigation, soulignant qu’il y avait des faits qu’on voulait leur cacher.
A eux trois, ils trouveraient, tôt ou tard, les témoins qui cherchaient si ardemment à se dérober à eux. L’aristocrate écoutait le récit et trouvait on ne peut plus invraisemblable qu’au sein d’une nation si vertueuse puisse exister des kabbales aussi toxiques. Les ouailles croyaient en l’Isthe et voulaient y garantir leur séjour en respectant les enseignements des Douze décrits dans les préceptes de l’Ahad. Ainsi donc, elle ne pouvait imaginer un prêtre reconverti en brigand lançant ses fidèles pour une offensive sournoise… ces gens qui l’avaient attaqué dans son lit… ils n’étaient pas de simples villageois. Ils avaient le meurtre dans le regard. Leur main ne tremblait pas sur le shamshir. Leur style ne trahissait d'ailleurs pas celui d’une puissance étrangère… un complot d’Etat ? Des caravaniers ? C’était encore trop ésotérique pour elle à ce stade.
Au moment où le moine évoquait la venue d’un messager, électrisant la congrégation, sa curiosité fut piquée au vif. Son œil pétilla, comme s’il venait de repérer une jolie pépite d’or au milieu d’une rivière de graviers. La confusion du moine ne faisait qu’attiser sa flamme, reconnaissant là l’œuvre de professionnels. Altérer la mémoire n’était pas à la portée du premier venu.
Da sa main douce, elle invita le moine à joindre les siennes à ses paumes ouvertes pour prier. Elle murmura la prière avant de répéter avec lui son antienne :
-« Je convoque à moi Ioggmar, Esprit du Discernement. J’accueille en mon sein sa clarté, pour qu’elle y éclaire toutes les zones d’ombres et y fasse triompher la compréhension de toute chose. Que le juste soit séparé de l’injuste, que le doute soit lui aussi séparé de la certitude. Par la volonté des saints et des êtres immortels. Jusqu’à la fin des temps je marcherai dans ton pas ; oh Ioggmar, toi qui préside à la pensée, puisses-tu infuser en moi tes qualités d’intuition. »
Leur voix se mêlaient en une litanie suave et reposante, celle, grave, du moine, appuyait sur celle, plus chantante, d’Ellendrine. Pendant ce temps elle eut tout le loisir de rester peau à peau avec lui, de s’insinuer dans l’empreinte de Cognition liée à son vécu. Lire un être humain sans son consentement n'était pas très éthique. Ce n'était pas cette vétille qui allait arrêter une chercheuse de vérité. Et puis, le moine ne devait avoir aucune activité indécente à se reprocher... Si son esprit était vierge de toute information, cela n’affectait en rien la fluidité de sa lecture. L’énergie cristalline lui permettait de naviguer comme un témoin extérieur aux scènes, se déplaçant entre les tableaux vivants, de la plus petite à la plus grande échelle. C’était un voyage captivant. Il se déroulait toujours à une haute vélocité, ce qui donnait l’impression de se cramer les neurones, tant la surcharge aiguë pouvait submerger l’utilisateur.
Les mains d’Elledrine se pressaient sur celles du moine, toujours en train de réciter, alors que son front s’était plissé et son visage relevé vers l’ouverture en forme de rosace au plafond. Elle ne pouvait donner que l’impression de pleine ferveur.
-« Ioggmar vous a-t-il couvert de sa grâce, ma Dame ? »
Elle mit un temps à répondre, en prenant une profonde inspiration.
-« On dirait que oui… » souffla-t-elle. « Merci infiniment. »
Ses paupières restaient résolument closes, comme si elle tentait d’y retenir une empreinte et que la lumière du jour pût chasser la silhouette à laquelle elle tentait fébrilement de s’accrocher.
-« Farouk… » esquissa—t-elle, main tendue.
« Farouk, mon carnet à dessins. »
Elle faillit se mordre la lèvre de frustration, pour les quelques secondes où le garde la fit patienter à la recherche de son fusain et de son carnet. Elle s’accroupit aussitôt qu’elle les eut en main et, toujours sans ouvrir les yeux, se mit à dessiner à grands traits, presque avec force. On eut dit que sa main était guidée par Ioggmar en personne.
-« C’est un miracle. » clama le moine, empli de béatitude, les mains levées tel un ravi, les yeux levés vers la rosace, d’où s'écoulait une pluie de lumière sur la femme rousse en train de dessiner les visions que lui envoyait l’Esprit du Discernement.
« Puisse la lumière des Esprits toujours emplir nos cœurs et protéger le Rempart. » récita le pèlerin, comblé par son périple spirituel.
Ellendrine ouvrit enfin les yeux. Toujours en hâte, elle précisait les traits de l’hypermnèse qu’elle eût volé grâce à sa cognition, même si cela ne coûtait rien de créditer un peu Ioggmar et le moine pour son succès.
Dieu merci, les fuyards ne pouvaient se douter que le corps du moine pourrait servir de matériel à son investigation, sans quoi, ces redoutables hommes de l’ombre lui auraient sans nul doute ôté la vie pour ne laisser aucune trace de leur passage.
Un peu essoufflée, elle se releva et s’accorda le temps de prendre un peu d’eau, en épongeant son front à l’aide d’un autre mouchoir en coton brodé à ses initiales. Elle revint ensuite vers le moine pour lui demander :
« Sauriez-vous me guider à l’endroit exact où s’est tenu la rencontre dont vous peinez à vous rappeler. Je sens la flamme de Ioggmar continuer à brûler en moi depuis le ciel. Et je ne peux que me faire la servante de son appel. »
Intrigué, mais aussi rempli de joie, le moine fit quelques pas de l’autre côté du dodécagone en contournant quelques bancs de prière, dont celui où se trouvait Arno.
-« Le messager se tenait juste ici. En partant il a pris appui sur ce dossier. »
La savante n’eut qu’à poser ses doigts exactement à l’endroit où ceux du messager avaient rencontré le bois pour sentir la vision bondir en elle. Ses yeux se révulsèrent, ne laissant paraître que leur sclérotique.
-«..partez-vous réfugiez à la Anse. Une pyrogue vous attendra pour vous mener aux ruines des Parias… »
Vacillante, l’archéologue revint de sa plongée le teint blême. Cette lecture avait grévé son énergie. Il était plus que temps d’aviser Arno de ses théories.
-« Arno, je crois que je sais où s’est enfui le prêtre. Et j’ai peut-être un portrait approchant du messager qui est venu dans ce temple. »
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Ven 2 Aoû - 21:44, édité 3 fois
Jeu 11 Juil - 11:56
Le Passé de Doulek
Ellendrine et Arno
Ça aurait pu durer dix jours avant que je me réveille, dans mon état, il fallait bien avouer que même un banc donnait l’impression d’un matelas royal. Quand Ellendrine me tira de ma léthargie, c’était pourtant comme émerger d’un champ de bataille. Mes nuits ne ressemblaient plus à rien et j’avais l’impression que c’était encore pire ici, nous qui nous rapprochions de notre point de retour, des Limbes, de là où j’étais sûr d’avoir laissé une partie de moi.
C’était forcément un sale tour de mon esprit et rien d’autre, j’en étais assez certain. Ici, ils étaient plus fort encore, je savais que je marmonnais dans mon sommeil, car ma bouche se réveillait sèche. Leurs silhouettes dansant à la périphérie de mon champ de vision comme si j’avais croisé quelque Guetteur dans mon malheur. C’était eux, c’était nous, c’était moi. Nous parlions dans une cacophonie permanente, voilà la bataille que je devais mener pour ne pas me réveiller fou.
Voilà pourquoi je ne souhaitais plus dormir.
Mes yeux s’ouvrent et je me recompose une façade, du genre où on applique un simple enduit sur un mur fissuré en priant pour que ça tienne à l’inspection. Agir vite, lancer la machine pour ne plus réfléchir. Avancer pour ne pas s’embourber. Concentration sur le portrait robot que me tendait Ellendrine, je gardais mon avis pour moi de savoir comment elle était parvenue à un rendu aussi précis d’un visage pour lequel j’avais une telle aversion. Voici venir le carburant.
“Me croirez-vous si je vous dis que je reconnais ce visage ? annonçais-je d’une voix morne. J’ignore son nom, mais, disons le Boucher, j’ai eu la chance de le croiser plusieurs fois sur les marchés d’Aramila.” Quelle ironie, mais c’était fort à propos. Un fantôme du passé revint picoter mes doigts où les ongles avaient eu le temps de repousser. Autant physique que mental, ainsi est-il capable aussi de charcuter les souvenirs. Sombre personnage, qu’il allait falloir arrêter, je ne sais pas ce qu’en dirait l’Oasis, peut-être même le savait-il déjà et c’est pour ça qu’il était venu me voir directement. Il rassemblait ses ouailles et sans doute voulait-il faire un peu place nette. J’étais assez honoré si c’était le cas, mais l’autre pouvait bien avoir le même genre d’objectif inverse. Sur combien de tableaux jouez-vous ?
Je me redressais en grognant. Œil, scrutateur, mon regard passait sur Ellendrine. “Vous en savez plus n’est-ce pas ? déclarais-je, sûr de moi pour le coup. Il y a quelque chose dans votre regard.” Elle en avait plus appris que moi ici, en combien de temps ? Quel atout magique pouvait-elle utiliser dans notre course ? Voilà que je quittais la naïveté toute relative de l’enfance et du prêche pour avancer dans cette froide réalité. Quel genre d’outil étions-nous et qui servons-nous réellement ?
Je secouais la tête, l’image de la sorcière des Limbes était là alors que je m’empêtrais dans plus de questions. C’était elle qui m’avait fait ça, c’était elle qui devait m’en sauver ou en payer le prix. “Je dois aller dans les quartiers de ce prêtre, il a réquisitionné la maison des Sarnegrave à son arrivée ici. Je dois comprendre qui est ma proie avant de partir en chasse.” Le corps fourbu qui met du temps à se redresser, vouté comme s’il y avait un poids en trop, les mains qui s’étirent telles des serres et l’œil déjà bien plus réveillé que le reste. Il est temps de partir en chasse n’est-ce pas ? “Je vais chez eux, annonçais-je. Je ne suis pas sûr de ce que je vais y trouver, plus de questions peut-être.”
Remontons la piste.
C’était forcément un sale tour de mon esprit et rien d’autre, j’en étais assez certain. Ici, ils étaient plus fort encore, je savais que je marmonnais dans mon sommeil, car ma bouche se réveillait sèche. Leurs silhouettes dansant à la périphérie de mon champ de vision comme si j’avais croisé quelque Guetteur dans mon malheur. C’était eux, c’était nous, c’était moi. Nous parlions dans une cacophonie permanente, voilà la bataille que je devais mener pour ne pas me réveiller fou.
Voilà pourquoi je ne souhaitais plus dormir.
Mes yeux s’ouvrent et je me recompose une façade, du genre où on applique un simple enduit sur un mur fissuré en priant pour que ça tienne à l’inspection. Agir vite, lancer la machine pour ne plus réfléchir. Avancer pour ne pas s’embourber. Concentration sur le portrait robot que me tendait Ellendrine, je gardais mon avis pour moi de savoir comment elle était parvenue à un rendu aussi précis d’un visage pour lequel j’avais une telle aversion. Voici venir le carburant.
“Me croirez-vous si je vous dis que je reconnais ce visage ? annonçais-je d’une voix morne. J’ignore son nom, mais, disons le Boucher, j’ai eu la chance de le croiser plusieurs fois sur les marchés d’Aramila.” Quelle ironie, mais c’était fort à propos. Un fantôme du passé revint picoter mes doigts où les ongles avaient eu le temps de repousser. Autant physique que mental, ainsi est-il capable aussi de charcuter les souvenirs. Sombre personnage, qu’il allait falloir arrêter, je ne sais pas ce qu’en dirait l’Oasis, peut-être même le savait-il déjà et c’est pour ça qu’il était venu me voir directement. Il rassemblait ses ouailles et sans doute voulait-il faire un peu place nette. J’étais assez honoré si c’était le cas, mais l’autre pouvait bien avoir le même genre d’objectif inverse. Sur combien de tableaux jouez-vous ?
Je me redressais en grognant. Œil, scrutateur, mon regard passait sur Ellendrine. “Vous en savez plus n’est-ce pas ? déclarais-je, sûr de moi pour le coup. Il y a quelque chose dans votre regard.” Elle en avait plus appris que moi ici, en combien de temps ? Quel atout magique pouvait-elle utiliser dans notre course ? Voilà que je quittais la naïveté toute relative de l’enfance et du prêche pour avancer dans cette froide réalité. Quel genre d’outil étions-nous et qui servons-nous réellement ?
Je secouais la tête, l’image de la sorcière des Limbes était là alors que je m’empêtrais dans plus de questions. C’était elle qui m’avait fait ça, c’était elle qui devait m’en sauver ou en payer le prix. “Je dois aller dans les quartiers de ce prêtre, il a réquisitionné la maison des Sarnegrave à son arrivée ici. Je dois comprendre qui est ma proie avant de partir en chasse.” Le corps fourbu qui met du temps à se redresser, vouté comme s’il y avait un poids en trop, les mains qui s’étirent telles des serres et l’œil déjà bien plus réveillé que le reste. Il est temps de partir en chasse n’est-ce pas ? “Je vais chez eux, annonçais-je. Je ne suis pas sûr de ce que je vais y trouver, plus de questions peut-être.”
Remontons la piste.
Ven 2 Aoû - 23:29
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
-« Vraiment ? »
Les sourcils d’Ellendrine étaient tout en perplexité, adoptant la forme d’accents circonflexes. Telle une vierge de fer, elle trouvait que le nid de serpent se refermait sur une boucle d’acteurs, tous liés malgré eux par des liens invisibles.
L’aristocrate évacua la question demandant comment Arno pouvait avoir croisé à plusieurs reprises - et par hasard - ce « Boucher », tout en se souvenant si fidèlement de lui. Elle avait déjà observé ses capacités inattendues au combat ces derniers jours. Quant à son esprit méthodique, elle l’avait déjà vu faire montre d’une mémoire effroyable dans la tenue du commerce des épice familiales.
Arno paraissait assez ébranlé. Il mettait beaucoup d’énergie pour le cacher. Mais les signes d’épuisement étaient perceptibles et toutes les nouvelles qu’ils découvraient semblaient le faire cogiter énormément. Sa main blanche se posa sur celle de son jeune beau-frère. Il tenait encore le portrait. L’œil triste, Ellendrine constata les séquelles sur la main d’Arno. Elle se demandait quels secrets il pouvait bien dissimuler. Au milieu d’une telle kabbale, ceux-ci pouvaient les faire tuer. Son esprit n’était à-même de tisser sa toile et de les protéger que si elle disposait de toutes les informations capitales pour anticiper les coups à venir. t, elle se refusait à recourir à son don de cognition sur lui pour le moment.
Le fait est que la noble dame restait dans le noir, en dépit de ses perceptions extrasensorielles. Lui aussi s’étonnait des atouts que la dame gardait dans sa main. Son visage restait de marbre et ses yeux d’émeraude ne laissaient rien non plus paraître. Bien consciente que sa parfaite neutralité adressait déjà un message à son beau-frère, elle lui tint ce discours :
« Arno. J’ai bien conscience que tu es beaucoup trop intelligent pour croire en mes mensonges... Et nous sommes trop peu nombreux au centre de cette conjuration pour triompher si nous ne nous faisons pas confiance… parce que je veux resserrer les liens entre nous, je t’avoue disposer de moyens magiques pour étendre mes perceptions au-delà des perceptions humaines. Cela m’a permis de voir le visage du messager et d’avoir des indices concernant la fuite du prêtre. » acheva-t-elle, ses mains recouvrant toujours celles d’Arno.
Une main sur l’épaule, elle ralentit Arno pour le maintenir assis sur son banc, d’un geste sans force mais contenant ce qu’il fallait de fermeté.
-« Doucement Arno… Ton idée est bonne… mais je propose de ne plus nous séparer à compter de maintenant… par ailleurs, rien ne presse. Nos témoins se sont déjà enfuis… ils n’ont aucun moyen de savoir que nous pouvons remonter leurs traces… jouons avec cela ! »
Un sourire étrangement réjoui se dessina sur ses lèvres. Avec cette tendresse autoritaire propres aux mères, elle déplia lentement le mouchoir contenant les loukoum à la rose et l’invita à se servir. Sa tête s’inclina encore comme pour le presser d’avaler quelque chose.
-« Nous serons mieux en forme pour foncer dans les dieux savent quels dangers… je suis d’accord pour visiter le logement du prêtre… mis je suis aussi avide de cuisiner Imrad Khadirov sur ses motivations cachées… viens avec moi et Farouk loger à la maison du Sénéchal aujourd’hui. Montrons comme nous sommes bredouille, comme si nous nous résignions. Mangeons. Dormons. Interrogeons le Sénéchal… »
Son plan filait lentement comme les points croisés d’une broderie méticuleuse qui se tissait dans son esprit patient. Près d’un demi-siècle de vie et de complots infructueux lui avaient enseigner la désinvolture et la patience, tant pour s’économiser que pour tromper l’ennemi.
« Nous irons ensuite ensemble au logement du prêtre, avant de récupérer nos amis et de nous lancer dans la jungle, en feignant de nous en retourner vers Aramila… qu’en dis-tu ? Tu es d’accord ? »
Certes, Arno n’avait pas l’air d’aimer se laisser compter des ordres. Il en avait reçu toute sa vie, de son frère et de qui sait d’autres. Ce qu’elle lui proposait était seulement un partenariat d’égal à égal. De reculer pour mieux sauter. Et de partir bien préparés et reposés, après leur cavalcade.
-« Je dois dire que je me fais du soucis pour ta santé. Nous avons tous les deux beaucoup pris sur nous et nous hâter n’ajoutera rien à l’aventure, sauf à hâter notre trépas… »
Son regard avisa le moine qui était en supplication, à plat ventre sur le plancher face à un vitrail de l’autre côté du dodécagone.
-« Crois-tu qu’on puisse trouver quoique ce soit d’autre d’éminent sur le Cercle ou les Sarnegrave dans ce Temple ? Ou même l’Arbre-dieu ? Nous étions aussi venus pour cela… S’il y a des ouvrages utiles, j’aimerais les consulter, même si cela requiert de forcer la porte de la sacristie. Tu sais maintenant que j’ai des talents qui sauront tirer parti de l’invisible et me permettront de lire entre les lignes, même si rien n’est écrit sur le papier. »
Les sourcils d’Ellendrine étaient tout en perplexité, adoptant la forme d’accents circonflexes. Telle une vierge de fer, elle trouvait que le nid de serpent se refermait sur une boucle d’acteurs, tous liés malgré eux par des liens invisibles.
L’aristocrate évacua la question demandant comment Arno pouvait avoir croisé à plusieurs reprises - et par hasard - ce « Boucher », tout en se souvenant si fidèlement de lui. Elle avait déjà observé ses capacités inattendues au combat ces derniers jours. Quant à son esprit méthodique, elle l’avait déjà vu faire montre d’une mémoire effroyable dans la tenue du commerce des épice familiales.
Arno paraissait assez ébranlé. Il mettait beaucoup d’énergie pour le cacher. Mais les signes d’épuisement étaient perceptibles et toutes les nouvelles qu’ils découvraient semblaient le faire cogiter énormément. Sa main blanche se posa sur celle de son jeune beau-frère. Il tenait encore le portrait. L’œil triste, Ellendrine constata les séquelles sur la main d’Arno. Elle se demandait quels secrets il pouvait bien dissimuler. Au milieu d’une telle kabbale, ceux-ci pouvaient les faire tuer. Son esprit n’était à-même de tisser sa toile et de les protéger que si elle disposait de toutes les informations capitales pour anticiper les coups à venir. t, elle se refusait à recourir à son don de cognition sur lui pour le moment.
Le fait est que la noble dame restait dans le noir, en dépit de ses perceptions extrasensorielles. Lui aussi s’étonnait des atouts que la dame gardait dans sa main. Son visage restait de marbre et ses yeux d’émeraude ne laissaient rien non plus paraître. Bien consciente que sa parfaite neutralité adressait déjà un message à son beau-frère, elle lui tint ce discours :
« Arno. J’ai bien conscience que tu es beaucoup trop intelligent pour croire en mes mensonges... Et nous sommes trop peu nombreux au centre de cette conjuration pour triompher si nous ne nous faisons pas confiance… parce que je veux resserrer les liens entre nous, je t’avoue disposer de moyens magiques pour étendre mes perceptions au-delà des perceptions humaines. Cela m’a permis de voir le visage du messager et d’avoir des indices concernant la fuite du prêtre. » acheva-t-elle, ses mains recouvrant toujours celles d’Arno.
Une main sur l’épaule, elle ralentit Arno pour le maintenir assis sur son banc, d’un geste sans force mais contenant ce qu’il fallait de fermeté.
-« Doucement Arno… Ton idée est bonne… mais je propose de ne plus nous séparer à compter de maintenant… par ailleurs, rien ne presse. Nos témoins se sont déjà enfuis… ils n’ont aucun moyen de savoir que nous pouvons remonter leurs traces… jouons avec cela ! »
Un sourire étrangement réjoui se dessina sur ses lèvres. Avec cette tendresse autoritaire propres aux mères, elle déplia lentement le mouchoir contenant les loukoum à la rose et l’invita à se servir. Sa tête s’inclina encore comme pour le presser d’avaler quelque chose.
-« Nous serons mieux en forme pour foncer dans les dieux savent quels dangers… je suis d’accord pour visiter le logement du prêtre… mis je suis aussi avide de cuisiner Imrad Khadirov sur ses motivations cachées… viens avec moi et Farouk loger à la maison du Sénéchal aujourd’hui. Montrons comme nous sommes bredouille, comme si nous nous résignions. Mangeons. Dormons. Interrogeons le Sénéchal… »
Son plan filait lentement comme les points croisés d’une broderie méticuleuse qui se tissait dans son esprit patient. Près d’un demi-siècle de vie et de complots infructueux lui avaient enseigner la désinvolture et la patience, tant pour s’économiser que pour tromper l’ennemi.
« Nous irons ensuite ensemble au logement du prêtre, avant de récupérer nos amis et de nous lancer dans la jungle, en feignant de nous en retourner vers Aramila… qu’en dis-tu ? Tu es d’accord ? »
Certes, Arno n’avait pas l’air d’aimer se laisser compter des ordres. Il en avait reçu toute sa vie, de son frère et de qui sait d’autres. Ce qu’elle lui proposait était seulement un partenariat d’égal à égal. De reculer pour mieux sauter. Et de partir bien préparés et reposés, après leur cavalcade.
-« Je dois dire que je me fais du soucis pour ta santé. Nous avons tous les deux beaucoup pris sur nous et nous hâter n’ajoutera rien à l’aventure, sauf à hâter notre trépas… »
Son regard avisa le moine qui était en supplication, à plat ventre sur le plancher face à un vitrail de l’autre côté du dodécagone.
-« Crois-tu qu’on puisse trouver quoique ce soit d’autre d’éminent sur le Cercle ou les Sarnegrave dans ce Temple ? Ou même l’Arbre-dieu ? Nous étions aussi venus pour cela… S’il y a des ouvrages utiles, j’aimerais les consulter, même si cela requiert de forcer la porte de la sacristie. Tu sais maintenant que j’ai des talents qui sauront tirer parti de l’invisible et me permettront de lire entre les lignes, même si rien n’est écrit sur le papier. »
Ven 30 Aoû - 9:43
Le Passé de Doulek
Ellendrine et Arno
Au plus, je haussais les épaules, on imaginait mal le genre d’énergumènes qu’on pouvait croiser dans la vie de tous les jours et dans des lieux aussi populaires que les marchés des bas quartiers. Il y avait son lot de charlatans et de sales types qui ne seraient jamais la compagnie de mon frère et de sa femme. Il fallait absolument que je le retrouve, si son surnom lui collait comme un gant, ça n’en restait pas moins quelqu’un capable de disparaître facilement et de réapparaître ensuite avec son sourire torve à l’autre bout du pays.
Je cogitais trop sans doute, cherchant à battre un adversaire duquel je ne savais quelles pièces il avait jouées ni où. C’était rageant, ce sentiment d’arrivée dans une bataille avec du retard. J’allais pour exécuter mon plan quand une caresse sur l’épaule vint me troubler. Certains petits gestes peuvent vous briser, certains mots aussi. Ainsi, elle avait à disposition quelque perfide magie, j’appréciais la franchise autant que je la trouvais risquée. J’arrivais déjà à peine à cacher ce que je savais de Pietro, voilà que sa conjointe pouvait aussi se retrouver dans une position délicate.
N’est-ce pas normalement au chef de famille de s’assurer que les siens sont à l’abri ?
Je reposais le portrait griffonné. La mine basse, dans ma faiblesse, mes doigts jouèrent avec certains des bijoux qui me paraient. “Faites attention à vous Ellendrine, murmurais-je. Vous savez comment ils sont.” Pas besoin de préciser que le quidam moyen d’Aramila verrait d’un très mauvais œil pareil sorcellerie, sans doute que quelques tours de passe-passe inquiétaient moins que de voir la psyché humaine pénétrée et tordue. Je ne pouvais m'empêcher de penser aux incursions mentales de celui que j’appelais Ocyän dans les Pyramides. Ce "ils" pouvaient aussi bien être mes chers confrères.
Moi aussi, j’avais mes outils, quelle différence après tout ? C’était ce qu’ils étaient, des outils, et c’est celui qui les maniait qui le faisait de façon juste ou à mauvais escient. “Vous avez raison, mais ils savent que nous sommes là. Du moins sur leur piste. L'urgence va les pousser à se cacher, mais ils peuveent aussi faire des erreurs.” L’odeur de la pâtisserie qui vient me caresser les narines était réconfortante. Depuis quand n’avais-je pas été à la maison à sentir ces douceurs cuire dans le four. Je m’en saisissais en la remerciant et j’entamais sans demander mon reste. “Le plan me va, acquiesçais-je, il faudra en plus que je remercie sieur Khadirov pour avoir pris soin de Herm.”
à entendre son nom, le volatile rappliqua dare-dare et piailla quelque peu, ça aurait presque été comique de le voir essayer de se faire plus petit qu’il n’était, s’il n’avait pas fait preuve d’une légère maladresse pour s’être fait capturer. On sentait qu’il n’en menait pas large.
Quant au reste des informations, va savoir ce que le Temple pouvait contenir après tout. Il était souvent bien heureux de pouvoir cacher à la vue de tous bien des secrets. C’était déjà le cas pour cette tour rajoutée après tout. “J’en doute, mais tant que nous sommes là, voyons ce qu’il y a dans les environs avant de nous rendre chez le Sénéchal pour le déjeuner.” Si le temple était superbe dans sa simplicité et sa rusticité, il fallait tout de même reconnaître que ça permettait de se concentrer sur l’important dans ce lieu. L’autel, les vitraux, les idoles et les symboles simples. En balayant du regard, je retombais sur le pèlerin. S’il n’était pas rare d’en voir, il fallait bien les loger quelque part, souvent avec d’autres voyageurs pieux qui ne souhaitaient pas forcément se mélanger avec quelques soudards sur les quais. La tolérance peut avoir ses limites que même les plus zélés préfèrent éviter.
Il fallait bien les occuper ceux-ci, avec des écrits, avec quelques lectures surtout. Si je me souvenais bien, il y avait une étude du genre accessible aux chercheurs de la foi. Il était temps de montrer quel doux menteur on pouvait être. “Mon ami, puisse Pthelior de permettre de rassembler les égarés durant ton voyage. J'enchainais, fatigué mais affable. Comme tu te doutes, nous sommes bien chagrinés de ne pouvoir rencontrer le prêtre qui occupe les lieux après autant de route. Néanmoins, saurais-tu où il conserve ses documents de lecture ? On raconte que ceux de Doulek sont si richement enluminés que ça rendrait jaloux quelque archevêque un peu trop attaché aux biens matériels. Nous adorerions pouvoir les consulter.”
Sans doute qu’il était trop heureux de pouvoir aider, le voyageur nous indiqua une porte à l’extérieur du temple qui abritait la collection des livres religieux ainsi que d’autres lectures ramenées par le propriétaire des lieux. Apparemment, celui-ci ne cessait de dire qu’il fallait rester ouvert pour montrer le chemin aux égarés. Je ne l’écoutais plus jacasser qu’à moitié, du coin de l'œil, j’avais la vision d’un double hilare qui se payait sa tête ou la mienne, applaudissant uniquement dans mon esprit ce petit tour rondement mené. Je ne doutais pas un instant d’être le seul à le voir.
Tu vois quand tu veux, vieille branche.
Ven 20 Sep - 17:14
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
Oui, elle savait. Ce qu’elle déplorait le plus dans ce peuple si attachant est qu’il pouvait parfois se montrer trop jugeant ou discriminant concernant certaines obsessions morales ou technologiques. Le paradoxe de la tolérance et du conservatisme mêlés.
Elle hocha simplement de la tête
-« Tu as raison. Mais tu sais, depuis mon mariage, je dois faire attention. Aramila est ouverte aux autres cultures, mais quand une personne issue d’une famille étrangère puissante se marie à une famille locale… tu es peut-être trop jeune pour te souvenir… mais ça n’a pas plu non plus à tout le monde. »
Ne lui en déplaise, on la prenait clairement pour une sorcière depuis le début, entre ses libertés et son navire fonctionnant aux hydrocarbures et au charbon… Raison pour laquelle, elle s’entendait mieux avec les kobolistes.
Si le Cercle commettait la moindre erreur, elle pouvait compter sur son beau-frère pour la trouver. En attendant, elle se réjouissait de le voir succomber à la gourmandise et prendre soin de son corps.
-« Je ne sais pas si on peut le dire en ces mots Khadirov devra s’expliquer sur la rétention de ton familier. Et je suis impatiente de voir son malaise quand nous serons à sa table. Il devait s’imaginer que nous quitterions au plus vite la cité. »
Au moins, il ne l’avait pas zigouillé. Le pauvre Herm s’en voulait. Mais qu’était un oiseau face à des politiciens malintentionnés et une secte débridée ?
Ellendrine et Farouk se laissèrent porter par le pèlerin et Arno jusqu’à l’étude. Aussitôt la porte franchie, l’archéologue était perdue pour l’humanité. Ses yeux s’agrandirent, ses mains se levèrent et elle se mit à tourner autour de la pièce, dispensant une caresse tendre à une couverture, avant de s’intéresser aux étagères et au mobilier. Tout indice sur la vie du bâtiment était bon à prendre. Elle feuillera en diagonale les rayonnages, cartes, registres et manuscrit, pour relever uniquement les mots clefs qui pouvaient l’intéresser.
Dans les lieux les plus modestes, on pouvait être surpris de ses trouvailles. Comme oubliés de l’histoire, c’est là qu’on pouvait trouver des éléments que des réseaux entiers se seraient donnés du mal à expurger partout ailleiurs. Comme elle n’était jamais venu à Doulek – attiré par ses recherches au quatre coins du continent – c’était un véritable plaisir que de s’épancher sur les ouvrages de cette étude. En vérité, elle aurait pu y passer des heures. Et des heures. Sans jamais voir le temps passer, sauf quand Arno aurait fait une syncope.
Pour le bien de leur quête, elle se réfréna, prit quelques modiques notes manuscrites dans son carnet quand cela s’avérait nécessaire. Principalement, on retrouver les grands classiques de la liturgie panthéïste à la gloire des Douze, richement enluminés. Ellendrine poussa quelques exclamations scandalisées.
-« De pareils trésors ne peuvent pas être laissés sans surveillance ! On pourrait les voler ou les abîmer ! »
Elle croyait perdre son temps, mais après avoir montré plusieurs pages à Farouk et Arno, elle finit par déduire que la version de la cosmogonie présente dans cette étude distordait subtilement les enseignements panthéïstes. Les premières fois, elle ne s’en était tout simplement pas rendue compte, n’étant pas réellement une fidèle elle-même. Mais elle avait fini par tomber sur des points de divergences philosophiques évidents. Les graines du kobolisme semblaient germer ici…
Mais ce n’était pas ce pour quoi ils étaient venus. Rien sur un site sacré à protéger en lien à l’Arbre-dieu. Elle aurait pu croire que l’emplacement de ce temple même protège un point névralgique… Rien non plus sur la généalogie des Sarnegrave. Soupir déconfit. Les petites paroisses conservaient souvent des archives des naissances, des décès et des mariages. De lourds ouvrages poussiéreux retraçaient en effet quelques actes de justice locale et les lignées doulékiennes. Mais pour leur point d’intérêt à eux, c’était choux blanc.
Arno commençait à tournoyer comme un moustique autour d’elle en rongeant son frein. D’un claquement de page, la poussière vola sur son visage et elle poussa soigneusement la reliure de cuir parmi ses pairs sur l’étagère.
-« Au moins, nous aurons essayé. Sans regret. »
Avisant le soleil à travers une fenêtre en croisillon ayant la forme de losange, elle vit que midi avait déjà sonné. Son estomac se chargea de le lui rappeler.
-« Je pense que le mieux que nous ayons à faire est de nous présenter chez le Sénéchal et d’aller fouiller la demeure des Sarnegrave tant que la piste est encore fraîche. »
Si elle ne le montrait pas, elle se sentait un peu dépitée. Certes, elle avait récolté un indice que personne ne la suspectait capable de déterrer grâce à la cognition. Et Arno semblait en mesure de l’exploiter. Mais à moins d’un petit coup de pouce du destin, elle craignait qu’ils ne tombent bientôt dans une impasse.
Tous trois marchèrent ensemble à travers les ravissantes ruelles marchandes en bordure de rivière. Le garde à l’entrée de la maison sembla surpris de les voir revenir. Et oui, on ne se débarrasse pas de moi si facilement, pensa-t-elle.
-« Sénéchal, je n’ai pas eu le loisir de vous remercier chaleureusement pour votre hospitalité. Nous nous sommes manqués ce matin. Je ne voudrais pas m’imposer, mais je tenais à vous présenter mon beau-frère, Arno Dalmesca, qui m’a escorté jusqu’à Doulek et nous a protégé durant cette terrible attaque. »
Imrad n’avait d’autre choix que d’être enchanté de cette convivialité renouvelée. Ils interrompaient pourtant le repas familial qui avait déjà débuté depuis quelques minutes. L’épouse ajouta trois couverts en bout de table, à côté des enfants, dont l’un d’eux ne pouvait pas s’empêcher de fixer les cheveux d’Arno.
-« Nous espérons que ce sera assez copieux pour vous. Nous ne vous attendions pas… » commenta subtilement l’épouse pour s’excuser de leurs rations modiques.
« Mijoté de moutons à la bière et aux fruit tropicaux. Vous ne connaissez sans doute pas notre spécialité. »
Malgré cet accueil courtois, on devinait l’inconfort du Sénéchal qui manipulait son verre de vin avec une nervosité contenue.
-« Alors, madame Dalmesca, que comptez-vous faire à présent ? Avez-vous besoin d’aide pour préparer le convoi de retour avec vos blessés ? Votre visite au temple vous a-t-elle permis de trouver la paix des Douze ? »
Elle hocha simplement de la tête
-« Tu as raison. Mais tu sais, depuis mon mariage, je dois faire attention. Aramila est ouverte aux autres cultures, mais quand une personne issue d’une famille étrangère puissante se marie à une famille locale… tu es peut-être trop jeune pour te souvenir… mais ça n’a pas plu non plus à tout le monde. »
Ne lui en déplaise, on la prenait clairement pour une sorcière depuis le début, entre ses libertés et son navire fonctionnant aux hydrocarbures et au charbon… Raison pour laquelle, elle s’entendait mieux avec les kobolistes.
Si le Cercle commettait la moindre erreur, elle pouvait compter sur son beau-frère pour la trouver. En attendant, elle se réjouissait de le voir succomber à la gourmandise et prendre soin de son corps.
-« Je ne sais pas si on peut le dire en ces mots Khadirov devra s’expliquer sur la rétention de ton familier. Et je suis impatiente de voir son malaise quand nous serons à sa table. Il devait s’imaginer que nous quitterions au plus vite la cité. »
Au moins, il ne l’avait pas zigouillé. Le pauvre Herm s’en voulait. Mais qu’était un oiseau face à des politiciens malintentionnés et une secte débridée ?
Ellendrine et Farouk se laissèrent porter par le pèlerin et Arno jusqu’à l’étude. Aussitôt la porte franchie, l’archéologue était perdue pour l’humanité. Ses yeux s’agrandirent, ses mains se levèrent et elle se mit à tourner autour de la pièce, dispensant une caresse tendre à une couverture, avant de s’intéresser aux étagères et au mobilier. Tout indice sur la vie du bâtiment était bon à prendre. Elle feuillera en diagonale les rayonnages, cartes, registres et manuscrit, pour relever uniquement les mots clefs qui pouvaient l’intéresser.
Dans les lieux les plus modestes, on pouvait être surpris de ses trouvailles. Comme oubliés de l’histoire, c’est là qu’on pouvait trouver des éléments que des réseaux entiers se seraient donnés du mal à expurger partout ailleiurs. Comme elle n’était jamais venu à Doulek – attiré par ses recherches au quatre coins du continent – c’était un véritable plaisir que de s’épancher sur les ouvrages de cette étude. En vérité, elle aurait pu y passer des heures. Et des heures. Sans jamais voir le temps passer, sauf quand Arno aurait fait une syncope.
Pour le bien de leur quête, elle se réfréna, prit quelques modiques notes manuscrites dans son carnet quand cela s’avérait nécessaire. Principalement, on retrouver les grands classiques de la liturgie panthéïste à la gloire des Douze, richement enluminés. Ellendrine poussa quelques exclamations scandalisées.
-« De pareils trésors ne peuvent pas être laissés sans surveillance ! On pourrait les voler ou les abîmer ! »
Elle croyait perdre son temps, mais après avoir montré plusieurs pages à Farouk et Arno, elle finit par déduire que la version de la cosmogonie présente dans cette étude distordait subtilement les enseignements panthéïstes. Les premières fois, elle ne s’en était tout simplement pas rendue compte, n’étant pas réellement une fidèle elle-même. Mais elle avait fini par tomber sur des points de divergences philosophiques évidents. Les graines du kobolisme semblaient germer ici…
Mais ce n’était pas ce pour quoi ils étaient venus. Rien sur un site sacré à protéger en lien à l’Arbre-dieu. Elle aurait pu croire que l’emplacement de ce temple même protège un point névralgique… Rien non plus sur la généalogie des Sarnegrave. Soupir déconfit. Les petites paroisses conservaient souvent des archives des naissances, des décès et des mariages. De lourds ouvrages poussiéreux retraçaient en effet quelques actes de justice locale et les lignées doulékiennes. Mais pour leur point d’intérêt à eux, c’était choux blanc.
Arno commençait à tournoyer comme un moustique autour d’elle en rongeant son frein. D’un claquement de page, la poussière vola sur son visage et elle poussa soigneusement la reliure de cuir parmi ses pairs sur l’étagère.
-« Au moins, nous aurons essayé. Sans regret. »
Avisant le soleil à travers une fenêtre en croisillon ayant la forme de losange, elle vit que midi avait déjà sonné. Son estomac se chargea de le lui rappeler.
-« Je pense que le mieux que nous ayons à faire est de nous présenter chez le Sénéchal et d’aller fouiller la demeure des Sarnegrave tant que la piste est encore fraîche. »
Si elle ne le montrait pas, elle se sentait un peu dépitée. Certes, elle avait récolté un indice que personne ne la suspectait capable de déterrer grâce à la cognition. Et Arno semblait en mesure de l’exploiter. Mais à moins d’un petit coup de pouce du destin, elle craignait qu’ils ne tombent bientôt dans une impasse.
Tous trois marchèrent ensemble à travers les ravissantes ruelles marchandes en bordure de rivière. Le garde à l’entrée de la maison sembla surpris de les voir revenir. Et oui, on ne se débarrasse pas de moi si facilement, pensa-t-elle.
-« Sénéchal, je n’ai pas eu le loisir de vous remercier chaleureusement pour votre hospitalité. Nous nous sommes manqués ce matin. Je ne voudrais pas m’imposer, mais je tenais à vous présenter mon beau-frère, Arno Dalmesca, qui m’a escorté jusqu’à Doulek et nous a protégé durant cette terrible attaque. »
Imrad n’avait d’autre choix que d’être enchanté de cette convivialité renouvelée. Ils interrompaient pourtant le repas familial qui avait déjà débuté depuis quelques minutes. L’épouse ajouta trois couverts en bout de table, à côté des enfants, dont l’un d’eux ne pouvait pas s’empêcher de fixer les cheveux d’Arno.
-« Nous espérons que ce sera assez copieux pour vous. Nous ne vous attendions pas… » commenta subtilement l’épouse pour s’excuser de leurs rations modiques.
« Mijoté de moutons à la bière et aux fruit tropicaux. Vous ne connaissez sans doute pas notre spécialité. »
Malgré cet accueil courtois, on devinait l’inconfort du Sénéchal qui manipulait son verre de vin avec une nervosité contenue.
-« Alors, madame Dalmesca, que comptez-vous faire à présent ? Avez-vous besoin d’aide pour préparer le convoi de retour avec vos blessés ? Votre visite au temple vous a-t-elle permis de trouver la paix des Douze ? »
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Ven 11 Oct - 18:06, édité 1 fois
Lun 23 Sep - 18:24
Le Passé de Doulek
Ellendrine et Arno
J’avoue qu’à partir de là, je me suis laissé porter. Je reprenais des couleurs peu à peu, sans doute à charge de la dose de sucre qui parcourait maintenant mon sang. Ce ne serait qu’un instant de répit avant que l’accablement ne revienne. J’essayais de me souvenir de son arrivée dans notre famille, de comment les pièces s’étaient agencées pour ce tour de force. Pietro était déjà loin à ce moment-là, dans d’autres sphères où j’ignorais tout.
La suite aurait pu sembler toute tracée, aller chez le Sénéchal, sourire entendu, lui tirer les vers du nez avec des moyens plus ou moins dissuasifs. Je me faisais déjà le plan en tête et j’en oubliais mes compagnons d’infortune. Terrible habitude que celle de la solitude. C’est à peine si j’avais remarqué que nous avions atteint l’étude où étaient conservés quelques livres.
C’est là que j’ai compris le problème qui m’attendait. Le trou noir avide de connaissance face à moi. Je haussais les sourcils vers Farouk qui au mieux haussa ses épaules en réponse. Il fallait lui laisser le temps de satisfaire sa curiosité absolue. “Vous savez, osais-je, personne n’oserait voler les livres d’un temple. À moins de vouloir s’attirer les foudres de Demephor…”
La simple évocation du nom suffit à me refaire partir dans une spirale de panique. Quelles foudres un mort pouvait-il abattre sur les païens ? Lesquelles aurait-il pu même de son vivant utiliser ? Je n’arrivais pas à le relativiser. Une idée, personnifiée, avait marché parmi nous… et nous l’avions tué. Où était la vérité maintenant ?
Trop absorbée par ses découvertes, j'eus le temps de me recomposer. J’avais même eu le temps de trouver le temps long. À croire qu’au bout d’un moment, même mon impatience pouvait ressortir. Il est vrai que je croyais plus à la piste de l’homme qu’à la piste du papier. Peut-être aurais-je tort plus tard, mais pour l’instant c’est ce que j’avais de plus frais. Et ça risquait de faisander rapidement.
C’était difficile de pousser une juste réflexion. À croire que la faim revenait toujours vous hanter.
Les dîners et déjeuners protocolaires m’intéressaient généralement assez peu. On n'y découvrait rien de vraiment croustillant, même sous couvert de ragots et autres obscures rumeurs. Les domestiques savaient habituellement déjà tout. Néanmoins, l’optique d’un bon déjeuner réussissait à me requinquer suffisamment pour que je puisse présenter une mine au mieux convenable quand nous nous sommes invités chez le Sénéchal. Je laissais l’étiquette à Ellendrine, toussant plus pour détourner l’attention quand elle évoque mon entremise dans la résolution de l’embuscade.
Je goutte peu à être dans la lumière, ça voulait dire que je faisais mal mon travail.
Le fumet qui s’échappait du plat sur la table semblait délicieux. J’aurais sans doute rajouté quelques épices si c’était mon plat, mais ça aurait été inconvenant… et je n’avais rien sous la main. J’adressais de sincères remerciements à la mère qui me servait, je voyais bien que le Sénéchal cherchait à fuir mon regard. Une certaine pression régnait à table, comme si nous étions sous une cloche.
Relégué proche des enfants, j’essayais de me rendre aussi sympathique que possible. Le plus âgé ne devait pas être bien plus jeune que ma petite sœur. On sentait néanmoins que la vie en ville pouvait vous faire adopter un air canaille sans qu’il y ait une réelle malice derrière. C’était le plus jeune que je regardais. Il paraissait fixer mes cheveux, mais son regard était vide par moment, des éclairs de lucidité semblaient réussir à le faire se réintéresser à son plat. Je n’étais pas médecin, loin de là, mais j’avais croisé le même regard il y a suffisamment peu de temps pour que ça me choque. Chez un pèlerin qui avait du mal à se rappeler des visages.
Surtout chez un enfant aussi jeune, qui devrait déborder de vie. Difficile de dire ce qu’il en était réellement ou de savoir quoi faire. Fallait-il confronter directement ? À table, ça paraissait d’une impolitesse rare, Raphalos ne l’apprécierait certainement pas… Mais peut-être que Raphalos était mort depuis longtemps lui aussi.
“Cela fait longtemps que votre petit à des absences ?” Incisif, pour couper court à la politesse, mâchonnait un morceau de fruit exotique. Les yeux plantés dans ceux d’Imrad Khadirov pour la première fois, pas dupe. Je savais qui, je savais comment. Je ne savais pas pourquoi par contre. Une menace mise à exécution ? Un avertissement ? Ou un petit curieux qui était au mauvais endroit au mauvais moment.
J’espérais juste qu’on ne me priverait pas de dessert.
La suite aurait pu sembler toute tracée, aller chez le Sénéchal, sourire entendu, lui tirer les vers du nez avec des moyens plus ou moins dissuasifs. Je me faisais déjà le plan en tête et j’en oubliais mes compagnons d’infortune. Terrible habitude que celle de la solitude. C’est à peine si j’avais remarqué que nous avions atteint l’étude où étaient conservés quelques livres.
C’est là que j’ai compris le problème qui m’attendait. Le trou noir avide de connaissance face à moi. Je haussais les sourcils vers Farouk qui au mieux haussa ses épaules en réponse. Il fallait lui laisser le temps de satisfaire sa curiosité absolue. “Vous savez, osais-je, personne n’oserait voler les livres d’un temple. À moins de vouloir s’attirer les foudres de Demephor…”
La simple évocation du nom suffit à me refaire partir dans une spirale de panique. Quelles foudres un mort pouvait-il abattre sur les païens ? Lesquelles aurait-il pu même de son vivant utiliser ? Je n’arrivais pas à le relativiser. Une idée, personnifiée, avait marché parmi nous… et nous l’avions tué. Où était la vérité maintenant ?
Trop absorbée par ses découvertes, j'eus le temps de me recomposer. J’avais même eu le temps de trouver le temps long. À croire qu’au bout d’un moment, même mon impatience pouvait ressortir. Il est vrai que je croyais plus à la piste de l’homme qu’à la piste du papier. Peut-être aurais-je tort plus tard, mais pour l’instant c’est ce que j’avais de plus frais. Et ça risquait de faisander rapidement.
C’était difficile de pousser une juste réflexion. À croire que la faim revenait toujours vous hanter.
Les dîners et déjeuners protocolaires m’intéressaient généralement assez peu. On n'y découvrait rien de vraiment croustillant, même sous couvert de ragots et autres obscures rumeurs. Les domestiques savaient habituellement déjà tout. Néanmoins, l’optique d’un bon déjeuner réussissait à me requinquer suffisamment pour que je puisse présenter une mine au mieux convenable quand nous nous sommes invités chez le Sénéchal. Je laissais l’étiquette à Ellendrine, toussant plus pour détourner l’attention quand elle évoque mon entremise dans la résolution de l’embuscade.
Je goutte peu à être dans la lumière, ça voulait dire que je faisais mal mon travail.
Le fumet qui s’échappait du plat sur la table semblait délicieux. J’aurais sans doute rajouté quelques épices si c’était mon plat, mais ça aurait été inconvenant… et je n’avais rien sous la main. J’adressais de sincères remerciements à la mère qui me servait, je voyais bien que le Sénéchal cherchait à fuir mon regard. Une certaine pression régnait à table, comme si nous étions sous une cloche.
Relégué proche des enfants, j’essayais de me rendre aussi sympathique que possible. Le plus âgé ne devait pas être bien plus jeune que ma petite sœur. On sentait néanmoins que la vie en ville pouvait vous faire adopter un air canaille sans qu’il y ait une réelle malice derrière. C’était le plus jeune que je regardais. Il paraissait fixer mes cheveux, mais son regard était vide par moment, des éclairs de lucidité semblaient réussir à le faire se réintéresser à son plat. Je n’étais pas médecin, loin de là, mais j’avais croisé le même regard il y a suffisamment peu de temps pour que ça me choque. Chez un pèlerin qui avait du mal à se rappeler des visages.
Surtout chez un enfant aussi jeune, qui devrait déborder de vie. Difficile de dire ce qu’il en était réellement ou de savoir quoi faire. Fallait-il confronter directement ? À table, ça paraissait d’une impolitesse rare, Raphalos ne l’apprécierait certainement pas… Mais peut-être que Raphalos était mort depuis longtemps lui aussi.
“Cela fait longtemps que votre petit à des absences ?” Incisif, pour couper court à la politesse, mâchonnait un morceau de fruit exotique. Les yeux plantés dans ceux d’Imrad Khadirov pour la première fois, pas dupe. Je savais qui, je savais comment. Je ne savais pas pourquoi par contre. Une menace mise à exécution ? Un avertissement ? Ou un petit curieux qui était au mauvais endroit au mauvais moment.
J’espérais juste qu’on ne me priverait pas de dessert.
Sam 12 Oct - 0:09
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
-« En quelque sorte, monsieur Khadirov. Nous nous préparons à quitter l’hospitalière Doulek pour reprendre notre chemin. Mais sa région est si belle, que nous risquons d’y faire encore un détour… Absolument, Sénéchal, absolument. Une femme de science telle que moi sait reconnaître ses limites. Et comme votre charmante épouse l’a gentiment formulé lors de notre dernier repas : les Limbes m’ont souillé… nous devions nous en remettre à votre terre bénie entre les Esprits et les vertus curatives vantées par les pèlerins pour soigner nos âmes. »
Piquée au vif par cette apostrophe Eridya cessa de manier la fourchette en se demandant si elle devait répliquer. Imrad eut l’air intéressé par cette étrange tournure d’Ellendrine et se demandait où elle voulait bien en venir. Son âme hérétique avait-elle enfin été touché par la grâce des Douze ? Les menaces d’anathème s’avéraient efficaces.
-« Dites-m’en plus, je vous prie. »
-« Eh bien… il semble que Ioggmar lui-même a étendu sa main bienveillante sur notre voyage. J’ai prié dans le temple. Et la prescience de Ioggmar m’a soufflé certaines vérités que j’accueille humblement. »
Farouk ne perdait pas une miette des échanges. Convié encore une fois à table, contre les usages, il avait le dos aussi droit qu’une barre de fer et n’émettait pas un son. Même sa fourchette se faisait silencieuse contre la porcelaine. Ses papilles savouraient hâtivement le vin et la viande tant qu’il pouvait encore en profiter. L’ex-sentinelle connaissait la partition d’Ellendrine et l’avait vu mille fois dérouler ses politesses. Assez pour pressentir que les choses pourraient assez rapidement tourner au vinaigre. Si tel était le cas, il ne voulait pas perdre sa collation.
Le sourcil arqué, Khadirov était perplexe. Il pouvait très bien sentir le sous-entendu d’Ellendrine, sans pour autant savoir exactement à quoi elle faisait référence. Pour quelqu’un qui avait des choses à cacher, la situation était difficilement tenable.
-« Est-ce une forme d’humour typique de votre culture de naissance ? » tenta-t-il de sonder, un brin agacé. Lui rentrer dedans si elle clamait son innocence aurait pu se retourner contre son image de moralité.
“Cela fait longtemps que votre petit à des absences ?”
Le moment choisi par Arno pour cesser de tourner autour du pot. Sa belle-sœur s’échauffait à peine dans son jeu d’échecs, prête à réduire de plus en plus le territoire de repli des pièces adverses pour les pousser à la faute ou aux aveux… Elle n’avait jusqu’ici prêté qu’une faible attention aux enfants. Les jeunes feraient indéniablement de bons espions. On les ignorait, à tort.
L’exclamation médusée d’Eridya, le lâcher de fourchette qui s’ensuivit, dans la sauce, et le plissement de front incontrôlé d’Imrad achevèrent d’attirer l’attention de l’aristocrate sur les bambins. En tant que mère, elle n’était pas la meilleure. Cependant, elle-même pouvait constater que l’enfant ne semblait pas très vivace. S’il n’était pas malade ou né « béni des dieux », l’affaire paraissait on ne peut plus louche. Les deux autres enfants échangeaient rapidement des regards interdits avant de disparaître sous la table.
-« Comment… comment osez-vous ! » glapit Erydia, avant de s’effondrer en larmes sur l’épaule de son mari, incapable de contenir le rouge à ses joues. L’expression du Sénéchal tentait de préserver les apparences, mais son regard trahissait déjà sa résignation.
-« C’est très grossier de votre part, monsieur Dalmesca. J’ose espérer que vous êtes fier d’accabler ainsi ma femme et de troubler ce repas. » débita-t-il de sa voix d’édile.
-« Allons, Sénéchal. Ne prenez pas ombrage. » entonna Ellendrine de son ton le plus diplomate.
« Je suis sûr qu’Arno ne pensez pas à mal… Comment s’appelle le petit ? A-t-il, toujours été ainsi, Erydia ? »
Perdue sous une masse de cheveux brune qui s’ébrouait au rythme de ses inconsolables sanglots.
-« Gardh… Gardh est un amour. Il a toujours aimé les bateaux. »
Imrad caressait les cheveux de sa bien-aimée, dans une souffrance authentique. Son impuissance était assez claire et le chagrin bien trop poignant pour avoir cicatrisé sous les sables de nombreuses tempêtes. Il ouvrit la bouche après avoir déglutit pour parler. Mais la main levée d’Ellendrine temporisa.
-« Non… Imrad… Nous savons… » dit-elle calmement en braquant ses yeux verts dans les siens, agrandis. « Nous savons. » renchérit-elle, dans un murmure. Sa tête opinait lentement en signe de compassion.
Certes, ils ne savaient pas tout. Pas vraiment. Ils supposaient. Bluff. En tout cas, Arno semblait avoir de la suite dans les idées. Le mieux que lady Brightwidge puisse faire soit de mettre à son service son intelligence sociale. Désarmer toute résistance, transformer l’anguille en chien berger. Certains combats ne devaient pas être gagnés par la force.
-« Nous, Dalmesca, au nombre desquels je joins sans hésiter mon très estimé Farouk, sommes les servants de la nation aramilane. Tout comme votre clan. Nous ne sommes pas des ennemis de votre famille. Vous nous trouvez peut-être… différents… Pourtant, nous sommes peut-être les amis dont vous pourriez avoir besoin… ils doivent être rares en ce moment. …
Mais surtout, Sénéchal, empêchez-moi de me ridiculiser si jamais je m’égare dans mes spéculations. »
Imrad Khadirov réfléchissait très vite. Sa respiration admirablement contrôlée, quoique plus profonde, cachait mieux sa fébrilité que sa main, presqu’en train de broyer celle de son épouse, laquelle finissait par sécher ses larmes avec une serviette avant de se redresser.
Le couple faisait encore rempart, dans une tentative désespérée de ne pas choir. Comme acculé au bord d’une falaise, Ellendrine se demandait si le Sénéchal était homme de raison ou plutôt à déployer des mesures désespérées. Pourrait-il envoyer sa garde pour les passer par le fil de l’épée ? D’ailleurs, Farouk avait lâché ses couverts, tous ses pores ouverts au moindre glissement d’air pour contrer tout acte d’agression. Le repas était terminé.
Elle n’avait pas fait tous les recoupements ingénieux de son beau-frère à ce moment. Mais la famille lui avait offerte la meilleure des preuves en craquant sous la pression.
-« Voilà ce que je vous propose. Arno va nous expliquer ce qu’il croit avoir compris de notre séjour dans votre cité. Après cela, vous pourrez corriger et nous discuterons entre fidèles croyants Aramilans de ce qui est le mieux pour votre famille et tous les Aramilans. »
Piquée au vif par cette apostrophe Eridya cessa de manier la fourchette en se demandant si elle devait répliquer. Imrad eut l’air intéressé par cette étrange tournure d’Ellendrine et se demandait où elle voulait bien en venir. Son âme hérétique avait-elle enfin été touché par la grâce des Douze ? Les menaces d’anathème s’avéraient efficaces.
-« Dites-m’en plus, je vous prie. »
-« Eh bien… il semble que Ioggmar lui-même a étendu sa main bienveillante sur notre voyage. J’ai prié dans le temple. Et la prescience de Ioggmar m’a soufflé certaines vérités que j’accueille humblement. »
Farouk ne perdait pas une miette des échanges. Convié encore une fois à table, contre les usages, il avait le dos aussi droit qu’une barre de fer et n’émettait pas un son. Même sa fourchette se faisait silencieuse contre la porcelaine. Ses papilles savouraient hâtivement le vin et la viande tant qu’il pouvait encore en profiter. L’ex-sentinelle connaissait la partition d’Ellendrine et l’avait vu mille fois dérouler ses politesses. Assez pour pressentir que les choses pourraient assez rapidement tourner au vinaigre. Si tel était le cas, il ne voulait pas perdre sa collation.
Le sourcil arqué, Khadirov était perplexe. Il pouvait très bien sentir le sous-entendu d’Ellendrine, sans pour autant savoir exactement à quoi elle faisait référence. Pour quelqu’un qui avait des choses à cacher, la situation était difficilement tenable.
-« Est-ce une forme d’humour typique de votre culture de naissance ? » tenta-t-il de sonder, un brin agacé. Lui rentrer dedans si elle clamait son innocence aurait pu se retourner contre son image de moralité.
“Cela fait longtemps que votre petit à des absences ?”
Le moment choisi par Arno pour cesser de tourner autour du pot. Sa belle-sœur s’échauffait à peine dans son jeu d’échecs, prête à réduire de plus en plus le territoire de repli des pièces adverses pour les pousser à la faute ou aux aveux… Elle n’avait jusqu’ici prêté qu’une faible attention aux enfants. Les jeunes feraient indéniablement de bons espions. On les ignorait, à tort.
L’exclamation médusée d’Eridya, le lâcher de fourchette qui s’ensuivit, dans la sauce, et le plissement de front incontrôlé d’Imrad achevèrent d’attirer l’attention de l’aristocrate sur les bambins. En tant que mère, elle n’était pas la meilleure. Cependant, elle-même pouvait constater que l’enfant ne semblait pas très vivace. S’il n’était pas malade ou né « béni des dieux », l’affaire paraissait on ne peut plus louche. Les deux autres enfants échangeaient rapidement des regards interdits avant de disparaître sous la table.
-« Comment… comment osez-vous ! » glapit Erydia, avant de s’effondrer en larmes sur l’épaule de son mari, incapable de contenir le rouge à ses joues. L’expression du Sénéchal tentait de préserver les apparences, mais son regard trahissait déjà sa résignation.
-« C’est très grossier de votre part, monsieur Dalmesca. J’ose espérer que vous êtes fier d’accabler ainsi ma femme et de troubler ce repas. » débita-t-il de sa voix d’édile.
-« Allons, Sénéchal. Ne prenez pas ombrage. » entonna Ellendrine de son ton le plus diplomate.
« Je suis sûr qu’Arno ne pensez pas à mal… Comment s’appelle le petit ? A-t-il, toujours été ainsi, Erydia ? »
Perdue sous une masse de cheveux brune qui s’ébrouait au rythme de ses inconsolables sanglots.
-« Gardh… Gardh est un amour. Il a toujours aimé les bateaux. »
Imrad caressait les cheveux de sa bien-aimée, dans une souffrance authentique. Son impuissance était assez claire et le chagrin bien trop poignant pour avoir cicatrisé sous les sables de nombreuses tempêtes. Il ouvrit la bouche après avoir déglutit pour parler. Mais la main levée d’Ellendrine temporisa.
-« Non… Imrad… Nous savons… » dit-elle calmement en braquant ses yeux verts dans les siens, agrandis. « Nous savons. » renchérit-elle, dans un murmure. Sa tête opinait lentement en signe de compassion.
Certes, ils ne savaient pas tout. Pas vraiment. Ils supposaient. Bluff. En tout cas, Arno semblait avoir de la suite dans les idées. Le mieux que lady Brightwidge puisse faire soit de mettre à son service son intelligence sociale. Désarmer toute résistance, transformer l’anguille en chien berger. Certains combats ne devaient pas être gagnés par la force.
-« Nous, Dalmesca, au nombre desquels je joins sans hésiter mon très estimé Farouk, sommes les servants de la nation aramilane. Tout comme votre clan. Nous ne sommes pas des ennemis de votre famille. Vous nous trouvez peut-être… différents… Pourtant, nous sommes peut-être les amis dont vous pourriez avoir besoin… ils doivent être rares en ce moment. …
Mais surtout, Sénéchal, empêchez-moi de me ridiculiser si jamais je m’égare dans mes spéculations. »
Imrad Khadirov réfléchissait très vite. Sa respiration admirablement contrôlée, quoique plus profonde, cachait mieux sa fébrilité que sa main, presqu’en train de broyer celle de son épouse, laquelle finissait par sécher ses larmes avec une serviette avant de se redresser.
Le couple faisait encore rempart, dans une tentative désespérée de ne pas choir. Comme acculé au bord d’une falaise, Ellendrine se demandait si le Sénéchal était homme de raison ou plutôt à déployer des mesures désespérées. Pourrait-il envoyer sa garde pour les passer par le fil de l’épée ? D’ailleurs, Farouk avait lâché ses couverts, tous ses pores ouverts au moindre glissement d’air pour contrer tout acte d’agression. Le repas était terminé.
Elle n’avait pas fait tous les recoupements ingénieux de son beau-frère à ce moment. Mais la famille lui avait offerte la meilleure des preuves en craquant sous la pression.
-« Voilà ce que je vous propose. Arno va nous expliquer ce qu’il croit avoir compris de notre séjour dans votre cité. Après cela, vous pourrez corriger et nous discuterons entre fidèles croyants Aramilans de ce qui est le mieux pour votre famille et tous les Aramilans. »
Sam 19 Oct - 8:50
Le Passé de Doulek
Ellendrine et Arno
J’avais visé juste. Je mâchonnais un morceau plus récalcitrant en même temps que je voyais le monde de cette petite famille, ou en tout cas l’illusion qu’ils avaient créée, explosée. C’était clairement pas la façon de faire la plus diplomatique, j’en conviens, j’en perdais mes manières. Est-ce que c’était la faim ? La fatigue ? La peur ?
Nous courrions contre-la-montre.
Vu les réactions, le vernis qui s’écaille, j’avais visé juste. De manière sans doute abrupte, mais valait mieux avoir des remords que des regrets. Tu n’as pas le temps, chaque seconde est une chance pour tes ennemis de renforcer sa position. Chaque seconde est aussi une chance qu’il fatigue et perde son attention. Le souci, c'est qu’il n’est pas inquiet pour l’instant, il est tapi, tu ne le fatigues en rien. Je vais changer ça. Décidément le morceau résistait, j’attrapais mon verre pour faire passer avec de l’eau. Même dans cette situation, il fallait ménager son effet. Que la mère se calme. J’avais besoin qu’elle soit fantomatique plutôt que devenir une furie, Ellendrine avait déjà bien passé la pommade, c’était à moi de jouer. Quitte à rouvrir une plaie. Je n’avais aucun doute. Les connexions se faisaient autour de cette ombre oubliable.
De ce trou noir mémoriel.
Pourquoi est-ce que j’étais aussi détendu ? C’est en réaction au chaos, vieille branche, c’est ça ton environnement. Tu as toujours voulu tout formater, tout faire bien, mais enfin, regardes où tu es le meilleur… C’est dans l’adversité et l’urgence, Opale, les Limbes, le Sirocco, même l’attaque hier. Là où ce qui compte et ce qui peut faire une vraie différence, c’est toi. Maudit égoïste… Ils étaient à un pas du point de rupture. En espérant qu’il ne faudra pas jouer des coudes. Quoique, ça éviterait tout ce théâtre.
Je posais finalement ma fourchette dans l’œil du cyclone de ce repas. Mes yeux se posaient sur le petit Gardh. Il semblait être présent, pour le moment, ne comprenant pas bien la situation. Mes yeux d’oiseau fatigués se posèrent sur le Sénéchal qui paraissait cacher derrière un masque la même fatigue, la même appréhension. “Sénéchal Khadirov, je vous prie de bien vouloir excuser mon ton plus tôt… Mais ça ne trompe pas, j’ai déjà vu ce regard.” Je repensais au pèlerin, à la même façon que ce petit qu’il avait de froncer les sourcils ou de fixer des points dans le temple.
Il leur manquait une case, une case qu’on leur avait enlevée.
“Vous m’arrêtez quand je fais fausse route, commençais-je. Le nouveau prêcheur qui a posé ses valises au temple vous a présenté à une personne de son entourage. Un homme à l’aspect ordinaire, mais grossier, comme si ses traits étaient un peu flous, un visage de glaise.” C’était la meilleure description que j’avais à faire de mon suspect, je devrais me rappeler au bon souvenir de l’Oasis, il avait utilisé un ver qui aurait risqué de pourrir son verger. “C’est passé par lui, par des menaces idiotes… Des menaces de voler des souvenirs. Vous n’y avez pas cru, vous alliez même alerter la Garde sacrée, quand vous aviez vu votre fils devenir plus lent, plus amorphe.” Je jouais avec l’enfant, faisant mine de voler son nez. Il ne comprenait pas la situation, mais il riait, ça détonnait dans l’atmosphère, mais ça la détendait un peu. “Je ne vous jette pas la pierre, croyez-moi. J’aurais peut-être fait la même chose dans votre situation. C’est comme ça qu’ils ont assuré leur emprise, qu’ils ont dénaturé le temple des Sarnegrave et sans doute pour les protéger et éviter pire à votre famille que vous avez emprisonnée mon messager cette nuit.”
Je prenais une nouvelle gorgée, la fatigue passait avec la nourriture, mais je n’étais plus habitué à devoir expliquer le fond de ma pensée, c’était long et ça m’asséchait. On revenait à un moment où je n’appréciais pas d’être au centre de l’attention, plus normal. “Je sais ce qu’il a fait au petit, je suis sûr qu’il vous a promis de l’épargner, même de lui rendre les souvenirs volés… Il ne le fera pas, mais je suis là, nous sommes là, pour vous aider et m’assurer que ce triste sire tienne sa promesse.”
Il était temps que cet homme paye pour son excès de zèle et son double jeu. Sûrement que c’était pour ça que tu m’avais envoyé personnellement l’Oasis ? Tu t’en étais rendu compte aussi et j’étais la bonne poire qui collait à ton projet. Variz Garibald, celui qui se fait appeler le Boucher, ou Arno Dalmesca, le Grain de Sable… L’un de nous ne verra pas d’autre soleil se lever.
“Mais pour ça, on ne résoudra rien autour de cette table. Je dois savoir où ils se cachent et ce qu’ils cachent. Dites-moi où chercher.” Le moment se suspendit, on ne m'avait pas interrompu donc. C’était la seule chance que je leur laissais, la seule échappatoire et le seul espoir du petit. J’étais désolé pour lui, qui sait ce que ces trous de mémoire pouvaient avoir pris, étaient-ce des moments de joie, des moments de réunion ou simplement un charcutage au hasard. “Chez les Sarnegrave, commencez par là, c'est là qu'ils se sont installés... Je vais vous y mener.”
Dim 3 Nov - 3:22
Excavation du passé de Doulek
Arno Dalmesca
Le feuilleton du désert se jouait dans l’atmosphère confinée d’une salle-à-manger. Malgré les persiennes et les murs en pierres, il régnait déjà une chaleur à crever dans ce déjeuner larmoyant.
Arno étant le véritable artisan de cette dramaturgie, elle l’observait comme les autres toucher au repas du bout du doigt, avec une impatience naissante. Inutile d’en faire autant. Son beau-frère semblait prendre un malin plaisir au suspense. Pendant ce temps, Erydia tempérait ses suffocations, qui reprenaient vaguement l’apparence d’une respiration.
Le blond vénitien de l’aristocrate palit sous les théories d’Arno. A présent, elle partageait ce regard de pitié qu’il posait sur le jeune Gardh.
Erydia sifflait, Imrad menaçait du regard. Mais que pouvaient-ils faire ? Leur tragédie personnelle faisait d’eux des victimes totales mais les plaçait du coté du tord sur l’échiquier aramilan. Trop tard pour s’extraire de ce guêpier. Échec et mât. Le Cercle les avait gangrénés. Une faute en entraînant une autre, suivi d’un mensonge pour enjoliver le récit… comment admettre leur collaboration forcée à présent.
Sous sa main refermée en forme de cage, ils n’étaient plus que des sauterelles stridulant de désespoir. Mais, Ellendrine ne leur voulait aucun mal. En tant que mère, elle comprenait. La chose aurait pu arriver à n’importe lequel de ses enfants. Et rien n’indiquait qu’elle n’aurait pas agi de la même manière.
Elle ne leur voulait pas du mal. Non, comme elle l’avait dit. Eux, c’étaient des amis. Imrad avait fait le choix de le croire. Regarde-t-on vraiment qui vous jette une bouée de sauvetage ?
-« Nous vous suivons. » posa gravement Ellendrine avant de vider son verre d’une traite. La main posée sur l’épaule d’Erydia, elle s’arrêta un instant, avant de jeter un dernier regard en arrière vers Gardh.
Puis, elle emboîta le pas des trois hommes. Doulek n’était pas bien grande, quoique foisonnante. L’ambiance des ruelles tranchait avec la tension qu’ils venaient de quitter et qui les suivait de près entre les feuilles des palmiers. Quelques hommes saluaient jovialement le Sénéchal. Leurs sourires s’affaissaient bien vite en voyant sa main répondre à leur appel comme un automate.
Bien vite, ils se retrouvèrent à l’abri des regards dans ladite demeure des Sarnegrave. Ellendrine ne comprenait pas tout. Mais elle ne voulait pas exposer ses failles maintenant qu’Imrad allait dans leur sens. Plus tard, les questions, ils auraient bien le temps de parler dans la jungle, elle et Arno. Les hommes Dalmesca étaient des têtes de mules doublés de tombeaux à secrets. Mais cette fois, cette fois, Arno ne pourrait pas esquiver ses interrogations.
La maison avait quelque chose de charmant. On reconnaissait un vrai petit nid douillet dans un salon lumineux meublé modestement, mais l’harmonie des étoffes créait une atmosphère convivale, surmontée d’une mézzanine où s’ouvrait le bureau et la paperasse du prêtre Sarnegrave. Le tout avait un parfum de tristesse quand on pensait à cette enfant déchue qui avait fait tant de mal à Uhr. Quantité de détritus et papiers froissés avaient été abandonné ça et là par les occupants, peu respectueux de la maisonnée. Certaines étagères étaient bousculées.
Ellendrine imaginait qu’il en allait de même dans les chambres. Un nettoyage sommaire avait été fait.
-« Que pourrons-nous bien trouver dans tout ce bric-à-brac ? »
-« Sans doute plus que vous ne pensez, Ellendrine. » se permit de l’appeler le Sénéchal.
Ce qui l’énervait le plus était de ne pouvoir nommer les acteurs de ce complot. Cercle. Terroriste. Autre groupuscule de l’ombre…
« Ils n’ont pas eu des heures pour se replier à l’annonce de votre approche. Ils étaient établis ici depuis un certain temps et ont été obligé de voyager léger. »
Sur ces paroles, chacun furetait en collectant des indices. Ils étaient nombreux, mais sans doute de pertinence inégale. Avec son goût des corrélations, Ellendrine s’en remettait à son œil de lynx pour repérer les preuves. Utiliser son cristal de cognition à tout bout de champs promettait des contre-coup tout à fait évitables avec un peu d’adresse et de travail…
Munie d’une pelle à cendres, elle tira sur la petite porte en fonte d’un four. Mouchoir devant le nez, elle toussait en recevant une volée poussiéreuse tandis qu’elle remuait les restes noircis. Après quelques secondes, un éclair victorieux illumina ses yeux d’émeraude. Des documents en partis calcinés avaient survécu à la destruction.
-« Quand on ne peut pas tout emporter, quoi de mieux que les flammes pour effacer des traces dérangeantes… mais nos fuyards ont été un peu trop pressé en bourrant le four… le feu a du s’étouffer entre les cendres et ces documents serrés. » expliqua l’Opalienne de naissance. Combien ces cuisinières antiques l’insupportaient. Que n’était-elle capable elle non plus de maintenir un foyer sans l'étouffer ?
Imrad lui prit le butin des mains. Il y avait là des preuves accablantes des méfaits accomplis pour faire disparaître le père Sarnegrave. Rapports, lettres. Certaines parties étaient consumées. D’autres codées. Mais tout allait dans le même sens. Ils prirent le temps d’étudier ces papiers, quand les autres purent débusquer des éléments oubliés par les terroristes au sujet d’autres exactions.
La main d’Ellendrine se posa sur celle du Sénéchal.
-« Justice doit être rendue, Imrad. Pour vous, pour votre famille. Mais aussi pour le père Sarnegrave et toute notre nation… nous n’abandonnerons pas avant d’avoir fait tout ce que nous pouvons pour les rattraper et tenir notre promesse… mais si nous devions échouer… conservez ces documents sous une garde loyale. »
Elle avait la certitude que même s’ils n’étaient plus vivants pour témoigner, les autorités comprendraient que les Khadirov aient pu plier sous tant de vilénie.
-« Qu’attend-t-on pour se mettre à leur trousses ? » demanda Farouk en sortant de sa réserve, soudain ragaillardi à l’idée de se venger de l’embuscade. Sa hallebarde semblait chanter à la perspective d'occire des ennemis.
Ellendrine vérifia qu’Arno n’avait pas d’autres points clefs à ajouter au dossier, avant de rajouter :
-« Sénéchal Khadirov… le moment est mal choisi pour vous le demander… sans entrer dans les détails… je cherchais tout ce qui rapportait à l’Arbre-dieu dans les archives les mieux fournies de Doulek. En l’absence de l’archevêque, j’ose vous demander d’inspecter sa librairie… on ne sait jamais, ça pourrait être très important pour notre salut… »
Un peu pris de court, le Sénéchal finit par opiner. Il était toujours baladé par les desiderata d’autrui. Au moins, cette nouvelle alliance le considérait mieux que comme une simple marionnette à faire danser. Tout ce qu’ils voulaient, pourvu que cela sonne la fin du calvaire de sa famille.
Arno étant le véritable artisan de cette dramaturgie, elle l’observait comme les autres toucher au repas du bout du doigt, avec une impatience naissante. Inutile d’en faire autant. Son beau-frère semblait prendre un malin plaisir au suspense. Pendant ce temps, Erydia tempérait ses suffocations, qui reprenaient vaguement l’apparence d’une respiration.
Le blond vénitien de l’aristocrate palit sous les théories d’Arno. A présent, elle partageait ce regard de pitié qu’il posait sur le jeune Gardh.
Erydia sifflait, Imrad menaçait du regard. Mais que pouvaient-ils faire ? Leur tragédie personnelle faisait d’eux des victimes totales mais les plaçait du coté du tord sur l’échiquier aramilan. Trop tard pour s’extraire de ce guêpier. Échec et mât. Le Cercle les avait gangrénés. Une faute en entraînant une autre, suivi d’un mensonge pour enjoliver le récit… comment admettre leur collaboration forcée à présent.
Sous sa main refermée en forme de cage, ils n’étaient plus que des sauterelles stridulant de désespoir. Mais, Ellendrine ne leur voulait aucun mal. En tant que mère, elle comprenait. La chose aurait pu arriver à n’importe lequel de ses enfants. Et rien n’indiquait qu’elle n’aurait pas agi de la même manière.
Elle ne leur voulait pas du mal. Non, comme elle l’avait dit. Eux, c’étaient des amis. Imrad avait fait le choix de le croire. Regarde-t-on vraiment qui vous jette une bouée de sauvetage ?
-« Nous vous suivons. » posa gravement Ellendrine avant de vider son verre d’une traite. La main posée sur l’épaule d’Erydia, elle s’arrêta un instant, avant de jeter un dernier regard en arrière vers Gardh.
Puis, elle emboîta le pas des trois hommes. Doulek n’était pas bien grande, quoique foisonnante. L’ambiance des ruelles tranchait avec la tension qu’ils venaient de quitter et qui les suivait de près entre les feuilles des palmiers. Quelques hommes saluaient jovialement le Sénéchal. Leurs sourires s’affaissaient bien vite en voyant sa main répondre à leur appel comme un automate.
Bien vite, ils se retrouvèrent à l’abri des regards dans ladite demeure des Sarnegrave. Ellendrine ne comprenait pas tout. Mais elle ne voulait pas exposer ses failles maintenant qu’Imrad allait dans leur sens. Plus tard, les questions, ils auraient bien le temps de parler dans la jungle, elle et Arno. Les hommes Dalmesca étaient des têtes de mules doublés de tombeaux à secrets. Mais cette fois, cette fois, Arno ne pourrait pas esquiver ses interrogations.
La maison avait quelque chose de charmant. On reconnaissait un vrai petit nid douillet dans un salon lumineux meublé modestement, mais l’harmonie des étoffes créait une atmosphère convivale, surmontée d’une mézzanine où s’ouvrait le bureau et la paperasse du prêtre Sarnegrave. Le tout avait un parfum de tristesse quand on pensait à cette enfant déchue qui avait fait tant de mal à Uhr. Quantité de détritus et papiers froissés avaient été abandonné ça et là par les occupants, peu respectueux de la maisonnée. Certaines étagères étaient bousculées.
Ellendrine imaginait qu’il en allait de même dans les chambres. Un nettoyage sommaire avait été fait.
-« Que pourrons-nous bien trouver dans tout ce bric-à-brac ? »
-« Sans doute plus que vous ne pensez, Ellendrine. » se permit de l’appeler le Sénéchal.
Ce qui l’énervait le plus était de ne pouvoir nommer les acteurs de ce complot. Cercle. Terroriste. Autre groupuscule de l’ombre…
« Ils n’ont pas eu des heures pour se replier à l’annonce de votre approche. Ils étaient établis ici depuis un certain temps et ont été obligé de voyager léger. »
Sur ces paroles, chacun furetait en collectant des indices. Ils étaient nombreux, mais sans doute de pertinence inégale. Avec son goût des corrélations, Ellendrine s’en remettait à son œil de lynx pour repérer les preuves. Utiliser son cristal de cognition à tout bout de champs promettait des contre-coup tout à fait évitables avec un peu d’adresse et de travail…
Munie d’une pelle à cendres, elle tira sur la petite porte en fonte d’un four. Mouchoir devant le nez, elle toussait en recevant une volée poussiéreuse tandis qu’elle remuait les restes noircis. Après quelques secondes, un éclair victorieux illumina ses yeux d’émeraude. Des documents en partis calcinés avaient survécu à la destruction.
-« Quand on ne peut pas tout emporter, quoi de mieux que les flammes pour effacer des traces dérangeantes… mais nos fuyards ont été un peu trop pressé en bourrant le four… le feu a du s’étouffer entre les cendres et ces documents serrés. » expliqua l’Opalienne de naissance. Combien ces cuisinières antiques l’insupportaient. Que n’était-elle capable elle non plus de maintenir un foyer sans l'étouffer ?
Imrad lui prit le butin des mains. Il y avait là des preuves accablantes des méfaits accomplis pour faire disparaître le père Sarnegrave. Rapports, lettres. Certaines parties étaient consumées. D’autres codées. Mais tout allait dans le même sens. Ils prirent le temps d’étudier ces papiers, quand les autres purent débusquer des éléments oubliés par les terroristes au sujet d’autres exactions.
La main d’Ellendrine se posa sur celle du Sénéchal.
-« Justice doit être rendue, Imrad. Pour vous, pour votre famille. Mais aussi pour le père Sarnegrave et toute notre nation… nous n’abandonnerons pas avant d’avoir fait tout ce que nous pouvons pour les rattraper et tenir notre promesse… mais si nous devions échouer… conservez ces documents sous une garde loyale. »
Elle avait la certitude que même s’ils n’étaient plus vivants pour témoigner, les autorités comprendraient que les Khadirov aient pu plier sous tant de vilénie.
-« Qu’attend-t-on pour se mettre à leur trousses ? » demanda Farouk en sortant de sa réserve, soudain ragaillardi à l’idée de se venger de l’embuscade. Sa hallebarde semblait chanter à la perspective d'occire des ennemis.
Ellendrine vérifia qu’Arno n’avait pas d’autres points clefs à ajouter au dossier, avant de rajouter :
-« Sénéchal Khadirov… le moment est mal choisi pour vous le demander… sans entrer dans les détails… je cherchais tout ce qui rapportait à l’Arbre-dieu dans les archives les mieux fournies de Doulek. En l’absence de l’archevêque, j’ose vous demander d’inspecter sa librairie… on ne sait jamais, ça pourrait être très important pour notre salut… »
Un peu pris de court, le Sénéchal finit par opiner. Il était toujours baladé par les desiderata d’autrui. Au moins, cette nouvelle alliance le considérait mieux que comme une simple marionnette à faire danser. Tout ce qu’ils voulaient, pourvu que cela sonne la fin du calvaire de sa famille.
Dernière édition par Ellendrine Brightwidge le Ven 29 Nov - 18:03, édité 1 fois
Dim 10 Nov - 15:43
Le Passé de Doulek
Ellendrine et Arno
Croyez pas que je fais ça de gaieté de cœur, pas plus que ça ne m’émeut réellement. Tu y es quand même un peu allé de ton effet, ce n’était pas plaisant d’être sous le feu des projecteurs à te livrer ? Je me livre déjà bien assez sans ça. Non, ce qu’il fallait, c’était une ligne directrice, une explication. Que ces gens ne soient que des dommages collatéraux valait mieux pour eux. Ils auraient sans doute d'autres visites, peut-être même des menaces. Mais ils avaient une occasion de faire amende honorable.
Et si je devais jouer le méchant dans leur histoire personnelle, qu’il en soit ainsi.
Je traînais des pieds derrière le trio de tête, nous enfonçant dans le court dédale des rues. Autant le port avait poussé de façon organique, autant l’intérieur des terres était empreint d’une froide logique. Sans notre guide de fortune, on aurait pu se perdre. La ville s'animait autour de nous, des regards curieux suivaient la suite encadrant Imrad. Qu’arrivait-il au Sénéchal ? Qui étaient ces étrangers ? La rumeur enflerait vite. Il faudrait presser le pas.
Si nous ne l’avions pas su, nous serions sans doute passés devant la demeure des Sarnegrave sans même nous en rendre compte. Rien ne la distinguait vraiment des autres. Peut-être qu’en tordant le cou depuis une des fenêtres on aurait aperçu le temple, au loin. Peut-être pas. La porte s'ouvrit dans un murmure, dévoilant un salon en désordre. Charmant autrefois, sans doute, mais les lieux avaient subi les outrages du temps et des intrus qui les occupaient depuis.
Je m'accroupis près d’un tas de papiers froissés, distrait par les paroles d’Imrad. Si quelque chose de crucial était dit, ça accrocherait mon oreille. Je soufflai sur quelques registres poussiéreux, scrutant des traces de manipulation récente. Plusieurs volumes avaient été consultés récemment. Du coin de l'œil, je vis Farouk se mettre à fouiller, tandis qu’Ellendrine s’agitait près de l'âtre mort. Mes yeux dérivèrent vers une étagère dérangée.
"Voyez-vous ça." murmurai-je en découvrant une carte sommaire de la Jungle aramilane.
Pas de croix rouges ni d'annotations évidentes. Mais des traces de verre de vin. Subtiles, presque négligentes. Comme si quelqu'un avait espéré que cela passe inaperçu. Vieille école. Peut-être avait-il oublié ce détail, peut-être était-ce la chance qui m’avait mis ça sous les yeux. Rien à trouver là-bas, sans doute.
Mais quand c’est tout ce que vous avez, même une piste froide, vous ne pouvez pas la laisser tomber.
Qu'est-ce qu'ils peuvent bien chercher là-bas ? Des champignons, c’est de saison… Un peu de sérieux Arno. La Brume. Ils cherchent à la faire avancer. Les mêmes sombres moyens qu’à Opale ? Y a-t-il des ancres qui la repoussent dans cette forêt ? Si c’est ça, alors c’est plus grave que prévu. Un autre Opale, caché sous un couvert verdoyant, dans des bois que plus personne n’explore. Je mouillai un doigt, effleurant les pages pour mieux faire ressortir les points de croisement.
Je rejoignis Ellendrine et Imrad, jetant un œil à leurs découvertes. Je griffonnais quelques notes des éléments les plus importants sur un vieux vélin. Ce que nous avions trouvé remettait bien des choses en perspective, et soulevait d’autres questions.
Comment Yodicaëlle Sarnegrave avait-elle fini par travailler pour ceux qui avaient tué son père ?
Je fis un signe négatif à Ellendrine. Quelques secondes de plus suffirent pour rouler mes notes et les dissimuler dans ma manche. Les témoignages décrivaient une enfant aimant son père plus que tout. Se pouvait-il qu’elle ne sache rien de cette machination ? Qu’ils l’aient trompée, comme ils ont trompé Imrad ?
Je présentai mes découvertes. "Il y a des points intrigants sur ces dessins… C’est à quelques encablures d’ici. Cela correspond à ce que vous avez vu ?"
C’était froid, mais c’est tout ce que j’avais à proposer. Si la direction collait avec ce qu’avait vu ma belle-sœur, la piste se réchauffait, bien que je ne me l’explique pas encore très bien. Ellendrine poursuivait avec ses questions sur l’Arbre Dieu, mais je repoussais ce mystère à plus tard. Il y avait d’autres urgences. Imrad se mit en route sans protester, baladé entre deux vagues comme un naufragé. Une fois l’homme éloigné vers sa mission et la maison derrière nous, j’enjoignis le reste du groupe à me suivre vers l'Anse.
"Peut-on vraiment lui faire confiance et lui laisser les documents ?" La question méritait d’être posée maintenant que nous étions seuls. Imrad était d’abord une victime, mais ces notes étaient un précieux butin. Une copie rapide, c’est tout ce que j’avais pris. Qui sait s’il ne tenterait pas de les vendre en échange d’une promesse pour son fils ?
Je devais me fier à l'intuition d'Ellendrine, jusqu’ici efficace. Nous faisions mine de rebrousser chemin. Profitant d'un détour, je répandis la nouvelle parmi les hommes qui nous avaient escortés depuis Aramila. La rumeur circulerait que nous rentrions bredouilles. D'autres devaient être prévenus, mais peut-être n’auraient-ils pas le temps de nous rejoindre. Je sifflai doucement.
Herm, fidèle à son habitude, apparut. Cette fois, aucune cage ne le retiendrait. "Va les informer."
Pas besoin de plus. Le volatile fila vers le bras de mer. Il savait qui étaient ce "les" et trouverait bien quelqu'un à bon port pour recevoir le message. Je resserrai ma ceinture, mes yeux glissant vers la hallebarde de l'ancienne Sentinelle. Prêt à en découdre. Aucune embûche prévue, mais mieux valait prévoir du renfort.
Soit pour aider.
Soit pour venger.
Nous allions entrer dans la gueule verdoyante du loup. À moins que ce ne soit nous, les chasseurs.
Et si je devais jouer le méchant dans leur histoire personnelle, qu’il en soit ainsi.
Je traînais des pieds derrière le trio de tête, nous enfonçant dans le court dédale des rues. Autant le port avait poussé de façon organique, autant l’intérieur des terres était empreint d’une froide logique. Sans notre guide de fortune, on aurait pu se perdre. La ville s'animait autour de nous, des regards curieux suivaient la suite encadrant Imrad. Qu’arrivait-il au Sénéchal ? Qui étaient ces étrangers ? La rumeur enflerait vite. Il faudrait presser le pas.
Si nous ne l’avions pas su, nous serions sans doute passés devant la demeure des Sarnegrave sans même nous en rendre compte. Rien ne la distinguait vraiment des autres. Peut-être qu’en tordant le cou depuis une des fenêtres on aurait aperçu le temple, au loin. Peut-être pas. La porte s'ouvrit dans un murmure, dévoilant un salon en désordre. Charmant autrefois, sans doute, mais les lieux avaient subi les outrages du temps et des intrus qui les occupaient depuis.
Je m'accroupis près d’un tas de papiers froissés, distrait par les paroles d’Imrad. Si quelque chose de crucial était dit, ça accrocherait mon oreille. Je soufflai sur quelques registres poussiéreux, scrutant des traces de manipulation récente. Plusieurs volumes avaient été consultés récemment. Du coin de l'œil, je vis Farouk se mettre à fouiller, tandis qu’Ellendrine s’agitait près de l'âtre mort. Mes yeux dérivèrent vers une étagère dérangée.
"Voyez-vous ça." murmurai-je en découvrant une carte sommaire de la Jungle aramilane.
Pas de croix rouges ni d'annotations évidentes. Mais des traces de verre de vin. Subtiles, presque négligentes. Comme si quelqu'un avait espéré que cela passe inaperçu. Vieille école. Peut-être avait-il oublié ce détail, peut-être était-ce la chance qui m’avait mis ça sous les yeux. Rien à trouver là-bas, sans doute.
Mais quand c’est tout ce que vous avez, même une piste froide, vous ne pouvez pas la laisser tomber.
Qu'est-ce qu'ils peuvent bien chercher là-bas ? Des champignons, c’est de saison… Un peu de sérieux Arno. La Brume. Ils cherchent à la faire avancer. Les mêmes sombres moyens qu’à Opale ? Y a-t-il des ancres qui la repoussent dans cette forêt ? Si c’est ça, alors c’est plus grave que prévu. Un autre Opale, caché sous un couvert verdoyant, dans des bois que plus personne n’explore. Je mouillai un doigt, effleurant les pages pour mieux faire ressortir les points de croisement.
Je rejoignis Ellendrine et Imrad, jetant un œil à leurs découvertes. Je griffonnais quelques notes des éléments les plus importants sur un vieux vélin. Ce que nous avions trouvé remettait bien des choses en perspective, et soulevait d’autres questions.
Comment Yodicaëlle Sarnegrave avait-elle fini par travailler pour ceux qui avaient tué son père ?
Je fis un signe négatif à Ellendrine. Quelques secondes de plus suffirent pour rouler mes notes et les dissimuler dans ma manche. Les témoignages décrivaient une enfant aimant son père plus que tout. Se pouvait-il qu’elle ne sache rien de cette machination ? Qu’ils l’aient trompée, comme ils ont trompé Imrad ?
Je présentai mes découvertes. "Il y a des points intrigants sur ces dessins… C’est à quelques encablures d’ici. Cela correspond à ce que vous avez vu ?"
C’était froid, mais c’est tout ce que j’avais à proposer. Si la direction collait avec ce qu’avait vu ma belle-sœur, la piste se réchauffait, bien que je ne me l’explique pas encore très bien. Ellendrine poursuivait avec ses questions sur l’Arbre Dieu, mais je repoussais ce mystère à plus tard. Il y avait d’autres urgences. Imrad se mit en route sans protester, baladé entre deux vagues comme un naufragé. Une fois l’homme éloigné vers sa mission et la maison derrière nous, j’enjoignis le reste du groupe à me suivre vers l'Anse.
"Peut-on vraiment lui faire confiance et lui laisser les documents ?" La question méritait d’être posée maintenant que nous étions seuls. Imrad était d’abord une victime, mais ces notes étaient un précieux butin. Une copie rapide, c’est tout ce que j’avais pris. Qui sait s’il ne tenterait pas de les vendre en échange d’une promesse pour son fils ?
Je devais me fier à l'intuition d'Ellendrine, jusqu’ici efficace. Nous faisions mine de rebrousser chemin. Profitant d'un détour, je répandis la nouvelle parmi les hommes qui nous avaient escortés depuis Aramila. La rumeur circulerait que nous rentrions bredouilles. D'autres devaient être prévenus, mais peut-être n’auraient-ils pas le temps de nous rejoindre. Je sifflai doucement.
Herm, fidèle à son habitude, apparut. Cette fois, aucune cage ne le retiendrait. "Va les informer."
Pas besoin de plus. Le volatile fila vers le bras de mer. Il savait qui étaient ce "les" et trouverait bien quelqu'un à bon port pour recevoir le message. Je resserrai ma ceinture, mes yeux glissant vers la hallebarde de l'ancienne Sentinelle. Prêt à en découdre. Aucune embûche prévue, mais mieux valait prévoir du renfort.
Soit pour aider.
Soit pour venger.
Nous allions entrer dans la gueule verdoyante du loup. À moins que ce ne soit nous, les chasseurs.
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