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Enchant(h)é - Ekiel Reyes Zadicus

Enchant(h)é - Ekiel Reyes Zadicus Brandw10
Jeu 12 Oct - 16:34



Enchant(h)é

Ft. Ekiel Reyes Zadicus


Arôme à Thé - Salon de Thé à Opale
Loggmar 1900


Encouragée par le bleu d'un ciel lumineux, la capitale opalienne voulait s'éveiller aux beaux jours. Ainsi, le printemps s'annonçait dans les premiers rayons d'un soleil revenu en grâce. Au temps clair s'ajoutait toutefois une brise encore fraîche. Un presque sursaut moribond que la saison hiémale voulait expirer dans un dernier souffle. Ci et là voyait on pourtant la flore renaître du souvenir afin d'amorcer un nouveau cycle de vie. Une réviviscence que d'aucun aimait associer à l'espoir et que la sagesse populaire voulait lier aux bourgeons printaniers.
Perdue dans le flot de ses pensées, Délia entendait alors confronter la métaphore à sa propre expérience. Le regard jeté par delà la large fenêtre d'un luxueux salon de thé, elle appréhendait l'affaire d'un oeil critique et attendait de voir éclore ce fameux renouveau, pour enfin juger de sa véracité. L'authenticité de ce changement lui semblait pourtant discutable, quand les parterres de fleurs entourant la belle pâtisserie étaient très soigneusement entretenus par des mains fatiguées, et éprouvées par le labeur.

L'ironie était telle qu'un soupir lui échappa. Délia avait connu la misère et la famine dans ses jeunes années, et aucun printemps n'avait jamais mis un terme au triste de sa condition d'alors. Un homme s'était néanmoins employé à changer son existence, mais il ne l'avait fait que par intérêt. Un fait que la Zoan peinait encore à admettre, quand bien même l'évidence s'invitait désormais dans son quotidien.
Considérée comme la seule héritière du riche et très regretté Edgar Vaulne, Délia jouissait aujourd'hui d'un nouveau statut. Autrefois enfermée et presque cachée dans le manoir de son propriétaire, elle pouvait désormais prétendre à s'ouvrir aux autres. L'exercice ne lui en restait pas moins difficile. Certaines conventions lui échappaient et d'autres normes la terrifiaient. La danse et les salamalecs l'indisposaient tout particulièrement, quand la lionne tapie au creux de son ventre n'aspiraient plus qu'à s'évader. La Raison, heureusement, parvenait encore à garder le dessus sur ses instincts sauvages. Quelques fois se souvenait elle pourtant du goût ferreux du sang sur sa langue.

"Alors Délia, avez-vous fait votre choix ?"

Rappelée à l'ordre par le timbre agaçant de son accompagnateur, la Zoan laissa ses tergiversations de côté pour revenir à l'instant présent. Elle papillonna des yeux, avant de tourner son visage vers le galant qui avait souhaité la convier à cette étrange sortie. Elle l'avait rencontré quelques jours auparavant, à l'occasion d'une réception organisée chez les Sanlys. Roland, il s'appelait Roland et avait cette fâcheuse manie de toujours assujettir ses paroles à un contact. Là encore, ses doigts avaient pris la liberté d'effleurer le tracé de son avant-bras et là encore, Délia avait eu l'envie de lui arracher la main. Mais elle s'était contentée de le toiser d'un regard assassin, avant d'esquisser un insondable sourire. Le galant, aussitôt, retira sa main.
Roland n'avait rien d'un carnassier. Il tenait seulement du hongre et sa dentition, plate et limée de politesses, s'affichait en une mimique crispée à chaque fois que la Zoan s'en venait lever les yeux vers lui. Non, Roland n'avait rien d'un carnassier. Il avait l'odeur d'une proie et la posture d'un gibier incapable de se montrer batailleur autrement que dans la peur. Un constat que Délia savoura, cependant qu'elle demandait.

"Plaît il ?"

"Vot... Votre Choix... Mademoiselle Vaulne." Roland tira sur le col de son élégant costume, avant qu'un rire trop haut perché ne le force à reconsidérer son approche. Il toussota et tout en cherchant ses mots, s'obligea à reprendre d'un ton de professeur.  "Permettez que... Hm...Hmhm... Que... Je vous conseille... Une part de cette petite tarte saupoudrée de..." Son index tournoya au-dessus de la pâtisserie. "De... groseilles ce me semble."

A côté de lui, Délia arqua un sourcil. Elle aurait pu satisfaire à l'égo de son cavalier pour acquiescer à sa suggestion, mais la Zoan n'envisageait pas encourager les attentions de ce pauvre hère. Aussi, ses yeux mauves s'attardèrent à détailler chacun des admirables gâteaux exposés dans la vitrine du salon de thé, avant que son choix ne s'arrête sur la plus extravagante des pâtisseries exposées là. Un gâteau couronné de chantilly, serti de fraises, enrobé d'une ganache chocolatée et outrageusement décoré d'arabesques dorées. Une montagne de biscuit, de crème et de pudding, que la serveuse peina à faire tenir dans son assiette de porcelaine fine, et que Roland considéra d'un oeil inquiet.

"Je... Je vais nous trouver une table." Lâcha-t-il d'un ton pressé, avant de rapidement tourner les talons face au monstre sucré qui aurait pu s'en prendre à sa chemise.

Délia le regarda presque s'enfuir vers le fond de la salle, avant de hausser une épaule. Elle se fichait bien de faire bonne impression devant pareil imbécile. Pour autant et puisque sa condition l'exigeait, elle avait veillé à s'apprêter pour l'occasion. Sa robe de taffetas mauve élégamment broché de fleurs, devait alors la mettre en valeur, tandis que le tissu accordé à l'améthyste de ses yeux faisait la part belle à son teint d'albâtre. Au milieu de la pièce, abandonnée par son cavalier du jour, elle prit le temps d'une profonde inspiration, avant de se saisir de son assiette débordante de gâteau.
Ne pas attirer l'attention était parmi ses compétences les plus aguerries. Tout du moins se le figurait elle, alors qu'Edgar Vaulne avait veillé à la garder cloîtrée pendant des années. Mais ici et aujourd'hui, son physique trop remarquable était un handicap. Et cette pensée suffit à la rendre nerveuse. Son geste alors acquis à l'improbable d'un doute agaçant, elle se retourna sans plus faire attention à son environnement, jusqu'à temps d'écraser tout le contenu de son assiette contre l'immaculé d'un somptueux costume blanc.

Au fracas de la porcelaine qui s'écrasa et explosa sur le sol, succéda un silence de mort. Dans le très chic salon de thé, tout le monde semblait retenir son souffle. Interdite face à l'ampleur de la catastrophe vestimentaire et gourmande qui s'affichait sous son nez, Délia demeurait immobile. La fraise autrefois triomphalement dressée sur le dessus de sa part de gâteau, suintait toute son agonie sur le beau tissu qu'elle maculait de son jus. Crème, chocolat et pudding roulaient et dégoulinaient autour d'elle, le long d'un gilet aux finitions délicates, pour goutter vers une paire de chaussures assurément hors de prix.
Serrant les dents pour étouffer un inavouable juron, la Zoan déglutit. Lentement, elle releva les yeux le long de la haute silhouette qui se tenait devant elle et tout en pinçant les lèvres, elle s'osa à tendre les doigts vers la veste de sa victime. Ses prunelles finalement ancrées dans l'azur d'un regard dangereusement envoûtant, elle accrocha ce qu'il restait de la fraise du bout de son index afin de la déloger. Le fruit roula et finit par chuter à son tour sur le sol dallé du salon de thé.

"Désolée..."  Yeux toujours relevés vers le visage de l'adonis qui la fixait de ses iris azuréens, Délia se mordit la lèvre inférieure pour ne pas céder au fou rire qui menaçait de la submerger.
Dim 15 Oct - 9:53
Enchant(h)é



Devoir se rendre à Opale n'avait pas vraiment enchanté Ekiel, mais il ne pouvait se soustraire à certaines obligations. Quelle idée avait eu Rodrigue Vanskroll de l'inviter à venir fêter les 50 années de mariage de ces parents, au sein de leur demeure familiale et ancestrale d'Opale.
Opale, il exécrait cette faction, plus que tout autre, et la cause en était simple. Il avait vu le jour dans ses bas fonds et n'avait pas eu ce que l'on appelle une enfance heureuse. Alors partir en espérant ne plus devoir y revenir avait été une vraie délivrance pour lui.
Les années passant, il avait tout mis en œuvre afin de ne pas s'y rendre et jusqu'à présent cela avait fonctionné à merveille. Mais tout avait une fin et c'était présentement avec le tremblement de terre que la famille Vanskroll avait décidé de rejoindre leur terre natale. Ils avaient échappé de peu à la mort, et rester en Xandrie qui avait été touché, ne leur était plus possible.
Ekiel avait retardé son départ, le plus longtemps possible, mais force était de constater qu'il ne pouvait pas ignorer l'invitation qui lui avait été faite par la famille Vanskroll qu'il connaissait depuis des décennies. Rodrigue et lui côtoyaient les mêmes cercles et s'étaient trouvés des points communs, notamment en littérature, ce qui avait fait que les deux hommes avaient fini par lier connaissance. Ils n'étaient pas des amis proches à proprement parler, mais se respectaient mutuellement et cela assez pour s'inviter l'un chez l'autre sans que cela soit une obligation. Alors certes, en œuvrant pour la monarchie, cela avait considérablement compliqué les choses, car Ekiel était moins libre que naguère, mais malgré cela, il trouvait du temps pour ceux qu'ils appréciaient.

Afin de se rendre le plus rapidement à Opale, le ministre avait opté pour le Zeppelin alors que d'ordinaire, il préférait les voyages terrestres. Le voyage avait été calme, trop même, au point qu'il avait trouvé cela fort ennuyeux. Pas la moindre turbulence, rien, le calme plat, pire qu'une mer d'huile. Une fois débarqué, il avait pris un taxi et s'était rendu à l'appartement que son père adoptif lui avait légué. Un appartement qui se trouvait au cœur de la cité aux mille lumières, fourmilière grouillante de jour comme de nuit. Tout ici sentait la corruption, le pouvoir et l'argent. Pas étonnant que chaque membre de la population ne pensait qu'à s'enrichir et honte à vous si vous n'aviez pas le même état d'esprit.
Souvent le Strigoi s'était demandé pourquoi Vladimir avait acheté un pied-à-terre à Opale ? Lorsqu'il lui avait posé la question quelques décennies plus tôt, ce dernier était resté très vague, affirmant avoir eu un coup de cœur pour l'appartement qu'il louait alors et qu'il s'était décidé à l'acquérir par la suite. Ekiel n'était pas dupe, il pensait qu'il y avait autre chose, une chose que son père préférait lui cacher. Une chose dont il n'avait jamais éclairci le mystère.

L'appartement se trouvait dans un complexe ultra-moderne, aux façades de verre, à mille lieux de l'image de Vladimir qui était un homme humble et simple, bien que très fortuné. Une fois descendu du taxi, Ekiel levait les yeux sur le complexe avant de pousser un soupir. Quel étage déjà ? Ah oui, le vingt-septième. Bagage en main, il gravissait les quelques marches qui le séparait de l'immeuble avant qu'un portier ne lui ouvre et ne lui souhaite la bienvenue. Un portier, de mieux en mieux. Mais qu'était-il passé par la tête de Vladimir ce jour-là pour décider de résider ici ? Une fois à l'intérieur, tout n'était que luxe, sofa, tapis, tentures, bouquets, tout était dans la démesure. Afin de se rendre à son étage, il fallait prendre un des six ascenseurs privés, destinés à l'usage des résidents. Ekiel fouillait dans ses poches et en sortait un badge qu'il passait devant un lecteur. Ce dernier permettait d'ouvrir les portes de l'ascenseur. Une fois à l'intérieur, il appuyait sur le vingt-septième étage. La machine s'ébranlait et le hissait jusqu'à destination en quelques minutes. Les portes s'écartaient, laissant à Ekiel le loisir de redécouvrir les lieux. Pas à dire, avoir un ascenseur privé et arrivé directement dans son appartement était un avantage que peu pouvait se permettre. Sitôt entrée, les vitres passaient de l'obscure à la lumière automatiquement, laissant apparaître une vue à couper le souffle sur la ville. Les lieux avaient été nettoyés de fond en comble quelques jours plus tôt lorsque le Strigoi avait mentionné sa venue à la conciergerie. Cela sentait le propre, comme si la veille encore, quelqu'un avait résidé ici, alors que cela devait faire bien 148 ans qu'il n'avait pas mis les pieds ici. La dernière fois, c'était quelques mois après la disparition de son père afin de rencontrer le notaire et prendre possession des lieux. Le complexe avait été rénové de nombreuses fois au fil des décennies et la décoration de l'appartement remise au goût du jour tous les vingts ans en moyenne. Cela ne ressemblait plus du tout à ce que le Strigoi avait connu jadis. Tout était moderne et si impersonnel qu'Ekiel ne se sentait pas chez lui. Mais il s'en accommoderait pour une ou deux semaines. Il ne comptait pas s'éterniser devant se rendre à Epistopoli pour affaires, par la suite.

Six jours passaient et le Strigoi se rendait chez un des meilleurs tailleurs de la cité avant de prendre livraison de son costume pour la réception. Après un dernier essayage, il demandait à ce que la tenue lui soit livrée dans la journée. Enfin libéré de cette corvée, il décidait de flâner un peu dans les rues d'Opale avant de rejoindre quelques connaissances qui avaient eu vent de sa venue et l'avait invité à l'Arôme à Thé, salon très en vue du moment. Le lieu se trouvait à quelques rues de chez le tailleur et Ekiel s'y rendait. À l'extérieur, un petit groupe de cinq personnes, l'attendaient. Lorsqu'il les rejoignait enfin, ce n'était que franches accolades et échanges courtois avant qu'ils n'entrent tous dans l'établissement qui était bondé.
Un salon de thé, c'était donc ça le lieu le plus en vue du moment à Opale ? Quelle déception pour le Strigoi qui pensait se rendre à un salon d'ordre plus artistique.

Le petit groupe se frayait un chemin en direction d'une table qui avait été réservée un peu plus tôt, tout en conversant tranquillement, lorsque le drame eut lieu. Cela se passait si vite que le Strigoi n'avait pas le temps d'éviter la demoiselle qui se tournait brusquement et venait le percuter de plein fouet, écrasant le contenu de son assiette sur le beau costume blanc du ministre. Un bruit de porcelaine qui se brisait au sol, un lourd silence, tandis que tous les regards se posaient sur eux et la catastrophe qui venait de se produire. Ekiel restait interdit l'espace de quelques secondes, devant l'état de son habit. Chocolat, crème, fraises, coulis, tout dégoulinait le long de sa veste jusqu'à s'écraser sur ses chaussures hors de prix. Il inspirait longuement avant que son regard ne se pose sur la personne face à lui. Car oui, il y avait crime. Son costume était foutu, irrécupérable. Le visage d'Ekiel affichait une mine contrariée alors que son regard azuré croisait alors celui de la demoiselle qui lançait un « désolée ». Et cerise sur le gâteau ou plutôt fraise, voici qu'elle venait du bout des doigts ôter un morceau de fruit resté collé sur la veste de Strigoi.
Elle le fixait de ses beaux yeux violets, se mordant la lèvre dans une moue adorable. Ekiel eut tôt fait de constater que la demoiselle qui se tenait devant lui, faussement confuse, sortait de l'ordinaire. Une peau pâle, un ovale de visage parfait, des lèvres charnues et bien dessinées, un petit nez droit et élégant, de jolies petites pommettes et que dire de cette chevelure hors du commun. Elle détonnait dans le paysage Opalien et attiraient les regards par sa beauté. Mais présentement, c'était plus sa maladresse et le spectacle qu'elle offrait qui attiraient tous les regards sur eux. Autour d'eux, les gens commençaient à parler, d'autres se retenaient de rire, tandis que les amis d'Ekiel affichaient de grands yeux devant l'ampleur des dégâts. L'un d'eux se permettait même un commentaire.

"Waouhh.... Elle ne t'a pas raté."  

Le Strigoi lui jetait un regard noir, avant de toiser de nouveau la demoiselle. Il semblait fortement contrarié et cela se lisait sans ses yeux.

"Désolée !! C'est tout ce que vous trouvez à dire ?!"  

Une pointe d'irritation dans sa voix, avant que le compagnon de la demoiselle ne vienne se ranger près d'elle, comme si un éventuel danger la menaçait. Ekiel ne lui accordait aucune importance, tant il grondait intérieurement. Il serrait les dents et lançait un peu sèchement, ce qui n'était pas dans ses habitudes.

"Ne pouviez-vous pas regarder où vous alliez ?"

On le sentait agacé par la situation et plus encore quand le propriétaire de l'établissement accourait pour lui tendre un linge, se confondant en excuses. Le Strigoi ne lâchait pas l'albinos du regard. Il percevait quelque chose de différent. Une petite voix intérieure lui soufflait qu'elle ne représentait pas la faible femme qu'elle voulait paraitre.  Non, il y avait autre chose derrière ce masque de pureté angélique. Son instinct ne le trompait pas. Se pouvait-il qu'elle soit comme lui et qu’elle sache dissimuler sa vraie nature ?



Codage par Libella sur Graphiorum