Jeu 24 Aoû - 10:26
Un soleil timide perce les nuages et arrose de rayons mornes la belle Opale. Il a plu toute la nuit, l'humidité alourdit l'atmosphère. Dans ce quartier de banlieue occupé par les classes moyennes, on a pas l'habitude de se lever à l'aurore. Mais ça fait bien deux heures qu'on assiste à des allers-retours incessants dans cet immeuble sécurisé par la police, et une foule de curieux commence à s'agglutiner devant la porte d'entrée.
Il a du se passer quelque chose de croustillant là-dedans !
Oh que oui, c'est très croustillant. Au deuxième étage, Jérémiah, accompagné de deux policiers, étudie une scène de crime terrifiante, poétiquement sinistre.
Le corps se déroule sous les yeux de l'inspecteur. Déplié, méthodiquement démonté, ses pièces ont été sorties, rangées et organisées comme l'aurait fait un mécanicien pour désosser une voiture. Mais comme on parle ici d'un être vivant, ça devient illégal. Être vivant, certes, mais pas humain. La victime, un marchand nommé Anastase Crux, avait trop de bras, trop de jambes, bien qu'il les dissimulait comme il pouvait afin d'essayer de vivre une existence à peu près normale. Certains de ses organes internes semblaient être en train de se dédoubler. C'était, de toute évidence, un mutant, surement lointain rejeton du Magistère et qui a acquis sa liberté. Il a eu le malheur de croiser la route de Crane.
Prudemment, Jerry rôde dans l'appartement cossu du défunt marchand. Prenant garde à ne rien bousculer malgré sa carrure imposante, il scrute les détails du décor, constate et analyse. Le meurtrier a laissé derrière lui de nombreuses traces exploitables : du sang, des cheveux, des traces de pas. Il se fiche d'être traqué, la science est son moteur. Une science déviante et absolutiste, qu'on embarrasse pas d'une éthique encombrante. Typique du Magistère.
Oui, ça fait aucun doute. C'est un coup de Crane, savant rendu malade durant un grave accident de laboratoire qui a coûté la vie à cinq autres de ses collègues. Seul rescapé, le Magi' a ensuite perdu la trace de Crane depuis six mois. L'accident en question a été classifié, les dossiers scellés derrière un très haut niveau de secret-défense, et même Jérémiah fut incapable de glaner des informations sur la vraie nature de l'expérience qui a précipité ce génie dans la folie.
Et maintenant, on lui impute une série de meurtres récent, des boucheries accompagnées de savantes dissections. Ceci est un nouveau corps s'ajoutant à l'impressionnant défilé mortuaire que Crane livre à Opale.
« Pourquoi ils vous envoient vous ? Ce carnage a un rapport avec le Magistère ? »
Les flics opalins sont dépassés par ces meurtres. Ils ne disposent tout simplement pas des ressources pour calmer eux-mêmes un tel ouragan de brutalité.
En voyant l'inspecteur Jérémiah Mortyr se pointer sur la scène de crime, les deux flics ont ressenti du soulagement, suivi d'une poussée d'anxiété. Ce gros gars ne se déplace jamais pour des clopinettes. Imposant et autoritaire, l'agent du Magistère, un colosse au visage difforme caché par son masque de fer, semble savoir exactement à quoi il a affaire.
« On sait qui vous êtes, inspecteur Mortyr, et on sait ce que vous faites. Alors vous comprendrez qu'on est inquiets. C'est quoi ce merdier ? »
En vérité, l'adjoint n'a aucune idée d'en quoi consiste exactement le job de Jerry. C'est juste bien connu, parmi les forces de l'ordre opalines, que la visite d'un agent du Magistère est présage de terribles nouvelles : on sait que ça va devenir bizarre, inviter des forces occultes et des esprits dérangés à la fête.
« On est sur la piste d'un fou furieux intelligent, constate Jérémiah. Il ne choisit pas ses victimes au hasard. Il les voit comme des rats de labo dont il peut disposer à loisir. Toutes ses victimes présentaient des conditions particulières ou des anomalies anatomiques. Il étudie quelque chose, mais je n'ai pas encore bien compris quoi exactement.
Il se fiche d'être pisté ou retrouvé. Méthodique qu'il est, il a surement des plans pour s'échapper ou pour neutraliser d'éventuels poursuivants. Va falloir être prudent. »
Très prudent. Crane sait surement déjà que le Magistère le recherche, et comme il connaît ses méthodes, il risque d'être capable d'anticiper certaines manoeuvres de Jerry. Crane est un véritable génie, probablement en possession d'un ou deux cristaux ; mais c'est aussi et surtout un narcissique grandiloquent. Un ennemi dangereux mais dont les faiblesses sont exploitables.
Jérémiah continue calmement son investigation durant son exposé. L'aspect effroyablement gore de la scène est une chose... mais il faut également observer qu'en dehors de la victime, rien n'a été saccagé ni volé ici. Il pénètre par effraction chez vous, certes, mais vous charcute dans le plus grand respect de votre vie privée, sans toucher à vos affaires ni même sans les salir. C'est la signature de Crane.
Ce maniaque représente un danger colossal pour tous les citoyens non-humains d'Opale... mais également pour la réputation du Magistère, qui a relâché un tueur en série psychotique sur la ville, et a attendu six mois avant d'envoyer l'un de ses agents gérer ce problème. Ça va créer un scandale énorme si ça vient à se savoir ! Faudra étouffer ça, bricoler une version officielle, retrouver les témoins et les familles des victimes et s'assurer qu'ils ne deviennent pas trop curieux.
Il arrive que les familles se trouvent des détectives privés minables qui viennent éprouver la solidité des "versions officielles" construites par Jerry. Ceux-là aussi, faudra les gérer, parce qu'en plus les flics ont la fâcheuse tendance de collaborer avec eux. En espérant qu'il y en ait pas trop...
Gros boulot en perspective, c'est une sale affaire, pense Jérémiah. Encore un boulot de merde, mais j'ai l'habitude de courir après des tarés, faut prendre ça comme un défi rigolo. La première étape c'est de stopper Crane en faisant le moins de vagues possible. Compliqué, mais classique.
« C'est un de vos dingues qui s'est évadé ? demande l'un des flics. Une question qui mérite d'être posée, mais Jerry ne compte bien sûr pas y répondre !
- Mettez vos ressources à ma disposition, je pourrais avoir besoin d'informations, ou de renforts, lorsque viendra l'heure de l'arrestation.
- Merde, je le voyais venir ! Vous êtes en train de nous confisquer notre affaire, et vous répondez même pas à nos questions ! Mais nous on bosse là-dessus depuis le début, putain !
- Pourtant vous avez pas avancé d'un iota. »
Jerry perçoit la colère poindre dans les yeux exorbités du flic. Il décide donc, dans sa grande sagesse, de calmer le jeu.
« Pardon, je voulais pas vous vexer. Considérez simplement que je suis là pour vous tranquilliser l'esprit. Nous allons résoudre cette affaire et passer à autre chose. Mon arrivée est donc une bonne nouvelle. D'accord ? »
Ils sont pas convaincus. L'inspecteur du Magistère ne croit même pas vraiment à ses propres mensonges. Devoir faire de la diplomatie de bas étage avec la police l'agace, mais ça fait partie du job.
Il a du se passer quelque chose de croustillant là-dedans !
Oh que oui, c'est très croustillant. Au deuxième étage, Jérémiah, accompagné de deux policiers, étudie une scène de crime terrifiante, poétiquement sinistre.
Le corps se déroule sous les yeux de l'inspecteur. Déplié, méthodiquement démonté, ses pièces ont été sorties, rangées et organisées comme l'aurait fait un mécanicien pour désosser une voiture. Mais comme on parle ici d'un être vivant, ça devient illégal. Être vivant, certes, mais pas humain. La victime, un marchand nommé Anastase Crux, avait trop de bras, trop de jambes, bien qu'il les dissimulait comme il pouvait afin d'essayer de vivre une existence à peu près normale. Certains de ses organes internes semblaient être en train de se dédoubler. C'était, de toute évidence, un mutant, surement lointain rejeton du Magistère et qui a acquis sa liberté. Il a eu le malheur de croiser la route de Crane.
Prudemment, Jerry rôde dans l'appartement cossu du défunt marchand. Prenant garde à ne rien bousculer malgré sa carrure imposante, il scrute les détails du décor, constate et analyse. Le meurtrier a laissé derrière lui de nombreuses traces exploitables : du sang, des cheveux, des traces de pas. Il se fiche d'être traqué, la science est son moteur. Une science déviante et absolutiste, qu'on embarrasse pas d'une éthique encombrante. Typique du Magistère.
Oui, ça fait aucun doute. C'est un coup de Crane, savant rendu malade durant un grave accident de laboratoire qui a coûté la vie à cinq autres de ses collègues. Seul rescapé, le Magi' a ensuite perdu la trace de Crane depuis six mois. L'accident en question a été classifié, les dossiers scellés derrière un très haut niveau de secret-défense, et même Jérémiah fut incapable de glaner des informations sur la vraie nature de l'expérience qui a précipité ce génie dans la folie.
Et maintenant, on lui impute une série de meurtres récent, des boucheries accompagnées de savantes dissections. Ceci est un nouveau corps s'ajoutant à l'impressionnant défilé mortuaire que Crane livre à Opale.
« Pourquoi ils vous envoient vous ? Ce carnage a un rapport avec le Magistère ? »
Les flics opalins sont dépassés par ces meurtres. Ils ne disposent tout simplement pas des ressources pour calmer eux-mêmes un tel ouragan de brutalité.
En voyant l'inspecteur Jérémiah Mortyr se pointer sur la scène de crime, les deux flics ont ressenti du soulagement, suivi d'une poussée d'anxiété. Ce gros gars ne se déplace jamais pour des clopinettes. Imposant et autoritaire, l'agent du Magistère, un colosse au visage difforme caché par son masque de fer, semble savoir exactement à quoi il a affaire.
« On sait qui vous êtes, inspecteur Mortyr, et on sait ce que vous faites. Alors vous comprendrez qu'on est inquiets. C'est quoi ce merdier ? »
En vérité, l'adjoint n'a aucune idée d'en quoi consiste exactement le job de Jerry. C'est juste bien connu, parmi les forces de l'ordre opalines, que la visite d'un agent du Magistère est présage de terribles nouvelles : on sait que ça va devenir bizarre, inviter des forces occultes et des esprits dérangés à la fête.
« On est sur la piste d'un fou furieux intelligent, constate Jérémiah. Il ne choisit pas ses victimes au hasard. Il les voit comme des rats de labo dont il peut disposer à loisir. Toutes ses victimes présentaient des conditions particulières ou des anomalies anatomiques. Il étudie quelque chose, mais je n'ai pas encore bien compris quoi exactement.
Il se fiche d'être pisté ou retrouvé. Méthodique qu'il est, il a surement des plans pour s'échapper ou pour neutraliser d'éventuels poursuivants. Va falloir être prudent. »
Très prudent. Crane sait surement déjà que le Magistère le recherche, et comme il connaît ses méthodes, il risque d'être capable d'anticiper certaines manoeuvres de Jerry. Crane est un véritable génie, probablement en possession d'un ou deux cristaux ; mais c'est aussi et surtout un narcissique grandiloquent. Un ennemi dangereux mais dont les faiblesses sont exploitables.
Jérémiah continue calmement son investigation durant son exposé. L'aspect effroyablement gore de la scène est une chose... mais il faut également observer qu'en dehors de la victime, rien n'a été saccagé ni volé ici. Il pénètre par effraction chez vous, certes, mais vous charcute dans le plus grand respect de votre vie privée, sans toucher à vos affaires ni même sans les salir. C'est la signature de Crane.
Ce maniaque représente un danger colossal pour tous les citoyens non-humains d'Opale... mais également pour la réputation du Magistère, qui a relâché un tueur en série psychotique sur la ville, et a attendu six mois avant d'envoyer l'un de ses agents gérer ce problème. Ça va créer un scandale énorme si ça vient à se savoir ! Faudra étouffer ça, bricoler une version officielle, retrouver les témoins et les familles des victimes et s'assurer qu'ils ne deviennent pas trop curieux.
Il arrive que les familles se trouvent des détectives privés minables qui viennent éprouver la solidité des "versions officielles" construites par Jerry. Ceux-là aussi, faudra les gérer, parce qu'en plus les flics ont la fâcheuse tendance de collaborer avec eux. En espérant qu'il y en ait pas trop...
Gros boulot en perspective, c'est une sale affaire, pense Jérémiah. Encore un boulot de merde, mais j'ai l'habitude de courir après des tarés, faut prendre ça comme un défi rigolo. La première étape c'est de stopper Crane en faisant le moins de vagues possible. Compliqué, mais classique.
« C'est un de vos dingues qui s'est évadé ? demande l'un des flics. Une question qui mérite d'être posée, mais Jerry ne compte bien sûr pas y répondre !
- Mettez vos ressources à ma disposition, je pourrais avoir besoin d'informations, ou de renforts, lorsque viendra l'heure de l'arrestation.
- Merde, je le voyais venir ! Vous êtes en train de nous confisquer notre affaire, et vous répondez même pas à nos questions ! Mais nous on bosse là-dessus depuis le début, putain !
- Pourtant vous avez pas avancé d'un iota. »
Jerry perçoit la colère poindre dans les yeux exorbités du flic. Il décide donc, dans sa grande sagesse, de calmer le jeu.
« Pardon, je voulais pas vous vexer. Considérez simplement que je suis là pour vous tranquilliser l'esprit. Nous allons résoudre cette affaire et passer à autre chose. Mon arrivée est donc une bonne nouvelle. D'accord ? »
Ils sont pas convaincus. L'inspecteur du Magistère ne croit même pas vraiment à ses propres mensonges. Devoir faire de la diplomatie de bas étage avec la police l'agace, mais ça fait partie du job.