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Tiens, tiens, tiens.. Des clandestins ! [Keshâ]

Tiens, tiens, tiens.. Des clandestins ! [Keshâ] Brandw10
Mer 16 Aoû - 14:13
Horace observait les nuages lui faisant face, peu avant que le Zeppelin ne le traverse. Les deux mains campées sur l’une des balustrades finement ouvragée du Zepp, le fils Dolls inspira profondément, avant d’expirer une traînée de fumée grisâtre, tirant plus que nécessaire sur la clope logé dans son bec. « La rapière », c’était ainsi que le zeppelin avait et nommés par son capitaine. Une appellation qu’Horace n’approuvait pas véritablement, trouvant que le nom manquait de panache, n’inspirant rien de plus qu’une lame d’acier, et non quelque chose de plus romanesque, poussant à l’aventure et à la prise de risque. Le capitaine, déjà pas bien populaire auprès de ses hommes, sa cote prenant une pente dangereuse suite à des décisions… contestable.

« P’tain d’vue. »

Horace s’était retrouvé dans cet équipage un peu par hasard, se retrouvant à naviguer sous les ordres d’Aymeric le sanglant. Banal comme description. Aymeric avait gagné ses lettres de noblesses durant une jeunesse sulfureuse, l’on racontait de lui bien des actes poussant à questionner la nature humaine, rendant bien plus complexe la réponse à la problématique de l’homme différent de la bête. Mais, ce qui était évoqué datait d’un temps ancien, Aymeric n’était désormais plus que l’ombre de lui-même. Un vieillard décrépi aux mains tremblantes à qui l’on prêtait de la démence. Ce n’était que par respect pour son passé glorieux que l’équipage n’avait pas suspendu l’ancien au bout d’une corde. Toutefois, dans un univers aussi impitoyable, le respect ne préservait pas éternellement, et la faiblesse de la tête du serpent allait bientôt lui valoir d’être tranchée.

Le dernier Dolls trifouilla dans l’une de ses poches pour dégainer une boussole abîmée par le passage des saisons. Son acier avait été rogné par les intempéries et les frottements répétés. Le jeune homme l’ouvrit délicatement, ses iris suivant la direction affichés avant de la refermer délicatement. Le blondinet pivota en direction des bruits de pas dans son dos. L’un des membres de l’équipage, Larry, un roux robuste ne dépassant pas le mètre soixante le rejoignit. Torse-nu malgré la fraîcheur des vents, les tatouages recouvrant son corps, Larry tenait plus du nain que de l’humain. La colline de muscle interpella l’épouvantail fumeur.

« J’crois qu’on a un souci.
-De ?
-Les rations. Un ou plusieurs gars tapé dedans. Depuis qu’on à décollé, l’cuistot rationne, et il vient d’me dire qu’y a un souci dans le compte. J’v’nais te prévenir avant d’aller voir l’cap et..
-Pas b’soin, on va régler ça ent'nous.
-J’te suis Béliard. J’ai dit à Antoine et Marc d’nous rejoindre au cas où. »


Horace acquiesça. Béliard Vril, c’était l’identité qu’avait revêtit le fils Dolls avant de s’engager dans la profession de contrebandier. Depuis les tragiques accidents et le remplacement de son cœur par une machine, Horace avait pris l’initiative d’enfermer au plus profond de son être celui qu’il était auparavant, pour laisser place à personnage aux ambitions drastiquement différentes, une personnalité plus à même d’obtenir ce que son ancien cœur réclamait.

Le désormais nommé Béliard suivi Larry, les deux entamant la route vers les provisions. Sur le chemin, des regards complices s’échangèrent entre les mutins, regards qu’Horace rendait. Le duo, rapidement rejoint par des renforts, dévala les escaliers les menant à la cale. Les marchés de l’escalier grincèrent, secouent l’épaisse poussière accumulée depuis des dizaines d’année dans cette cale rarement nettoyée. Un autre manquement grave de la part du capitaine. Après une poignée de secondes, la troupaille se trouve dans l’encablure les menant à la cuisine. La chef au chef surmonté d’une toque miteuse les foudroya du regard. Cette demoiselle aussi superbe que bonne cuisinière fit sourire la bande de loustics totalement sous son charme par sa simple présence. Cependant, ce furent des éclairs qu’elle cracha.

« Je sais pas qui est l’fumier qui vient se servir ici, mais vous avez intérêt à m’le trouver rapidement ou ça va être du rat pour tout le monde !
-Bien sûr m’dame.
-Au boulot bande de fainéants ! »


Horace, ou Béliard, au choix, prit la tête du cortège, les enquêteurs réfléchissant à haute voix alors qu’ils arpentaient les dortoirs sommaires.

« J’vois pas qui peut avoir fait l’coup, on n'a pas de nouveau et c’est jamais arrivé.
-Mouais. On à embarqué des voyageurs ?
-Même pas. Ou du moins j’suis pas au courant.
-On doit avoir des clandestins.
-Les fils de putes. Ils… »


Une main suspendue devant sa trogne fit se stopper Larry en pleins laïus. Cette même main, appartenant à Horace, pointa le plancher. Entre les rainures de celui-ci, des miettes. Or, une consigne claire régit les dortoirs, dont l’interdiction d'y manger quoi que ce fut. Chaque membre de l’équipage obéissait scrupuleusement à cette loi… L’index de Béliard se posa sur ses propres lèvres, intimant le silence. Doucement, à pas de loup, les enquêteurs se mirent à suivre la piste… Pareils à des loups tentant de débusquer leur gibier, la meute progressait pour finalement arriver devant un amas de tonneaux anormalement décalé du mur en bois. Cachette ingénieuse. Ce fut Larry qui s’en approcha, plongeant son bras derrière pour agripper une nuque maigrichonne, balançant ensuite le gamin sur le sol. Prostrés, amaigris, le clandestin devait à peine à voir la vingtaine. Les ongles rongés jusqu’au sang, la moue apeurer et les mains plaquer sur son visage en prévisions d’une pluie de coups.

« Pitié ! Pitié ! Je n’avais pas le choix, j’étais poursuivi et…
-Ferme la. Tu es tout seul ? Raconte pas de bobard, on va fouiller le navire. Si tu nous mens, on t’pend. »


Grognait Marc. Le clandestin, du nom de Matthieu, marqua une hésitation avant d’abdiquer, la peur comme la faim lui tenaillant les tripes.

« Non… j’ai vu quelqu’un d’autre… je ne le connais pas je l’ai juste aperçu.. Pitié ne me faites pas de mal. »

Le reste de la bande soupira alors qu’Horace massait ses tempes. Voilà un contretemps fort désagréable et un imprévu épineux à gérer. Les regards de ses compagnons convergèrent vers le dernier Dolls, en pleine réflexion. Le pirate se racla la gorge avant de pousser le ton, histoire d’être facilement audible aux alentours.

« Écoute, deuxième passager clandestin, s’tu sors, tu finis pas par-dessus bord. On n'est pas des monstres, vous risquez pas grand-chose, on vous f’ra faire le boulot d’mousse. Aller, sort d’ta planque, parce que si on doit t’chercher, c’va très mal aller. Ni moi ni mes gars te f’ront d’mal, parole d’marin. »

La bande de loustics resta ensuite silencieuse, guettant une réponse ou une venue. Le premier clandestin demeurait au sol, sanglotant sans oser ne serait ce que respirer trop fort, de crainte de s’attirer les foudres de l’équipage présent. La parole du fils Dolls valait elle quelque chose ? Une seule façon de le savoir…
Jeu 17 Aoû - 18:42



Tiens, tiens, tiens... des clandestins

Ft. Horace

 

Elle faisait suer, cette Violette. A lui dire qu’il manque de résilience. Le genre de leçon tout à fait normale que l’on reçoit entre gens civilisés des bas quartiers à l’occasion d’une séquestration de routine. Il avait bien sûr l’habitude qu’on lui roule dessus sans moufter, mais là, la Portebrume était venu réveiller les fausses notes de la contine qu’il se chantait à lui-même pour continuer à rêver à des jours meilleurs. Il ne supportait plus de se regarder dans le miroir le matin en se sentant aussi hypocrite.

Un jour, quand je serai prêt, je partirai d’Espistopoli. Je traverserai les steppes vers le nord pour rejoindre Xandrie et ferai route vers le pays de Dain. Je m’infiltrerai dans la Brume sans un bruit jusqu’aux ruines du Massacre, où j’ai caché ce cristal de pouvoir, la clef qui me dévoilera les ailes de l’aventure, loin du caniveau.

Mais il savait bien que c’était du flan. Le gamin sursautait devant sa propre ombre. Et il avait bien trop peur de passer les points de contrôle séparant la basse ville des quartiers aisés, tout comme de traverser les murailles extérieures en tant que vagabond. S’il était parvenu à survivre lors de sa fuite des terres nordiques, c’était aussi grâce à son frère aîné Maleek. Celui-ci était plus jeune que lui aujourd’hui. Mais il était sans peur et bien charpenté. Tout ceci était sans même évoquer l’impossibilité d’épargner assez pour des équipements adaptés au froid, des armes, ou des potions capables de le sortir du pétrin.

Bref, continuer comme avant n’était plus possible. Peu d’options s’offraient à lui désormais. S’enrôler dans l’armée lui paraissait ridicule. Il écarta l’idée aussitôt. Peut-être une expédition ? Mais comment être sûr de parvenir à bon port et se dérober à l’attention des chefs de l’expédition ? Comme il ne voulait pas non plus passer par les contrebandiers mutants de Ratamahatta et qu’il n’avait pas accès à un moyen de transport licite, il ne lui restait plus que la fraude.

Kesha’rem pouvait donc… sauter sur le toit d’un train de marchandises et se cramponner pendant huit heures en toussant du charbon ou voler un carrosse. Ses chances de succès étaient minces dans tous les cas. Cependant, il finit par se rappeler qu’être à demi invisible et laisser traîner ses oreilles parmi les petites gens des bas-quartiers était un atout pour collecter des informations secrètes. Il y avait aussi le ciel ! Les Zeppelins d’Epistopoli le sillonnaient nonchalamment dans la grisaille polluée, il finissait presque par ne plus les remarquer. Mais en voilà une porte de sortie efficace et rapide qui le protégerait des dangers de la voie terrestre !

Il se trouva une nouvelle passion pour la filature et la cuisine d’informations parmi les coureurs-livreurs et finit par entendre que le capitaine Aymeric le Sanglant allait amarrer son Zeppelin sur un dock. Infiltrer un Zeppelin pirate semblait être une mission impossible. Suicidaire même. Mais plus que jamais, Keshâ sentait la force du désespoir et son plan semblait trop absurde pour être envisagé par les pirates.
Ragaillardi par ses trouvailles, il cacha ses maigres possessions dans son hangar habituel et établit la chronologie de son passage à l’action. Car un Zeppelin n’est pas aussi abordable qu’un bateau. C’est un habitacle clos bâti sur un squelette en aluminium et gonflé de cellules de gazes inflammables. On ne pouvait pas juste lancer un grapin et pousser un hublot. Il s’était fait dire que le dirigeable resterait amarré quinze jours, temps qu’il mit à profit pour observer le plus possible les va et vient des occupants et la logique de chargement.

Il découvrit sans trop de mal les fournisseurs principaux de denrées et alcool et fit en sorte de faire partie de la cargaison. Sa taille modeste s’avérait finalement une bénédiction. La patience du héron et une grande souplesse furent requises pour tenir plié au fond d’un tonneau durant des heures éternelles. L’envie de hurler grondait, avec l’impression de suffoquer malgré les trous d’aération qu’il avait percé dans le bois. Il se sentit enfin rouler, se cogna partout, eut de nombreuses crampes à essayer de se maintenir contre les parois, évita de vomir de justesse avant de heurter une cloison. Panique. Il se sentit… léviter. En tout cas balancer. Il entendit des gars rire et jurer grassement de part les sons déformés qui lui parvenaient. Un certain Antoine parlait de ses conquêtes. Un autre, Béliard, avait l’air de rire du capitaine. Et si on posait un tonneau par-dessus lui ?! Il finirait de la manière la plus atroce. Étouffé. Ankylosé. Desséché et pourri dans le noir.

Non mais vraiment, comment avait-il pu avoir une idée aussi débile ? Et passer à l’action, encore pire ! Le calme retomba comme une chape de plomb. Pendant longtemps il ne se passa plus rien. Ses articulations hurlaient au supplice infernal, il n’y tenait plus, il devait sortir. Quelques coups affolés sur son mécanisme de fermeture eurent raison du couvercle, il bascula par-dessus le cerceau de métal tout ramolli comme un orvet et trempé comme un chiffon.
Des goulées d’air happées frénétiquement et des yeux aveuglés par une faible lumière lui donnaient l’air d’un poisson mort. Finalement, il comprit que personne ne l’avait remarqué. Il était bien à bord. Victoire ? A gestes maladroits, il récupéra son fourre-tout et replaça le couvercle sur le tonneau. Il s’agissait maintenant de ne pas être repéré. Tout en espérant que le Zeppelin ferait route dans la bonne direction…

Rester au même endroit paraissait insensé. Il finirait par être découvert dans la cale. Toutefois, baguenauder sans savoir où il allait dans un bâtiment volant était dangereux et il ne pourrait pas se cacher trop loin. Piocher dans les réserves signalerait sa présence, mais il prévoyait de prendre de très maigres provisions et de l’eau en plus des siennes, quitte à jeûner le reste de la traversée. Avec d’infinis trésors de lenteur, il transféra son poids sur les marches de bois grinçant tels des marmots affamés. Les couloirs semblaient déserts et il arriva dans la cuisine. Une voix tonitruante précéda sa propriétaire qui fit valdinguer une porte à battant, lui laissant tout juste le temps de se hisser dans un coin de plafond dans une position précaire d’arachnide. La chef avec sa toque passa en dessous de lui à deux reprises. Combien de temps allait-elle rester là ? lui ne tiendrait plus. Alors qu’elle repartait, il vit une petite main crasseuse se déplier de sous un charriot d’acier chromé et laisser derrière elle une trainée de miettes de pain. Non ! C’est pas vrai. Un autre clandestin. Il va tout  gâcher ! Saloperie ! C’est mon infiltration solo !

Keshâ se laissa glisser à terre dans un saut amorti et après avoir vérifié le couloir, se glissa le long du mur dans une section peu fréquentée des dortoirs. Il repéra des tonneaux en retrait pour se cacher, mais entendit un bruit. Le garçon encore plus maigrelet que lui l’avait suivi.

-« Non mais, va t’en ! Ne me suis pas ! » murmura-t-il à grands renforts de gestes et de grimaces pour éloigner l’importun. Mais le manant semblait leur imaginer un destin de fraternité. Chassé de sa cachette, Keshâ se dépêcha de repérer une trappe dans le faux plafond au bout du couloir et s’allongea en enlaçant un énorme tuyau d’aération.
Il n’en bougea plus, urina dans une bouteille vide, se dérouilla les jambes au mieux. Mais le pire survint, des cris de rage, des grondements indignés, un tapage de pas sur le bois et le métal claquant. Le petit glouton s’était fait choper. Parfait ! Une fois les rats attrapés, on n’en chercherait plus. La stupeur le pétrifie, quand le petit con le balance !!!
Quel petit con de mes deux… il allait mourir lui aussi à cause de lui. Ce bouffon. Aucune solidarité de classe. Tout est fichu, mais il bloque complet. Sortir, ne pas sortir. Mais s’il reste, ils vont le chercher, ils l’ont dit. Ils savent qu’il est là. Mais il est mortifié.

De longues secondes de plombs s’égrènent. Ses doigts agiles soulèvent doucement le couvercle. A vingt mètres de la troupe, on voit se dérouler doucement dans l’air des pieds, puis des jambes, un tronc fin et des bras tendus, qui relâchent lestement Keshâ face à eux. Il est transpercé de rancœur et de terreur, mais se sent une forme de dignité dans la misère, lui qui a un semblant de prestance et de santé en plus que Mathieu.
-« Je suis là. » parvient-il à articuler de sa voix faible, l’estomac dans les talons, mais sans trembler.
« Contrairement à celui-là, je ne vous ai pas volé de nourriture. Et je ne suis pas une balance. »
Jeu 17 Aoû - 20:52
L’attende due paraître une éternité pour le pauvre petit Matthieu geignant sur le sol. Le misérable bougre, encore traumatisé par une enfance brisé avait dû naïvement penser qu’il valait mieux être deux dans une telle galère, d'où la dénonciation pointé du doigt par son frère d'infortune. Affronter l’inconnu en soliste sollicitait une sacrée paire, qui visiblement n’était pas dans le froc empestant l’urine depuis quelques secondes du clandestin dénichés. A contrario, l’ambiance chez les enquêteurs était définitivement plus détendue, presque joviale. Il eut d’abord un mouvement à une dizaine de pas qui attira leur attention. Ce fut des jambes qui pointèrent le bout de leurs nez. Puis un tronc, rapidement suivit d’une tête. Le contorsionniste mystère, bien plus doué en cachette que son comparse possédait un peu plus de prestance. Déjà, le fait de tenir sur ses deux guiboles et non de s’effondrer lamentablement adoucissait le tableau. La voix du gaillard se fit et entendre, et la dernière remarque provoqua un rire dans l’assemblée de pirates. Béliard, qui s’interrogeait sur la taille non-proportionnelle de la jambe droite de son interlocuteur, expliqua une telle réaction.

« Tu t'vantes de ne pas être une balance, mais tu l'dénonces rapidement sur l'fait qu’il a pioché dans les réserves, contrairement à toi. M’enfin, t'nous as épargnés le temps des fouilles, et pour ça merci l’artiste. »

Le grand épouvantail Horace mima un réverence respectueuse à l'aide d'un chapeau imaginaire avant de donner un coup de menton en direction de l’éphèbe androgyne.

« Bon Larry, dégonfle lui l'bide.
-Yep. »


En l’espace d’un éclair, dans les mains du costaud court sur pattes se trouvait un fusil à canon scié. Loin d’être une arme élite, un tel tir dans un espace confiné rimait avec découper tout ce qui se trouvait devant, conjuguant l'horreur et l'efficacité merveilleusement bien. Arme adorée des nettoyeurs de cale adverse, les projectiles cracher par la gueule noire du fusil allait sans le moindre doute transformer le deuxième clandestin en bouillie. Funeste destin pour le héros du jour qui avait troqué sa planque douillette pour préserver sa moralité. Une belle leçon de vie en sommes. La bonté envoie au paradis, l’égoïsme retarde ce moment. Certainement qu’après-avoir fumé le gamin, Matthieu allait vivre le même destin macabre, avant que les deux corps ne furent simplement balancés par-dessus bord, ultime saut d'ange partit trop tôt. Les pirates s’en laveraient les mains en riant. Mais, parfois, la providence rôdait dans les environs.

Merel, attirée par le vacarme des peu discrets investigateurs avait fini par quitter ses fourneaux, débarquant dans l’allée, assistant, privilégiée à la scène, laissant dans son sillage une odeur de graille alléchante. Les sourcils froncés, elle fit raisonner sa voix mélodieuse qui immédiatement stoppa les loustics réclamant du sang.

« Attends. Le nabot. Lui, le gamin debout. J’ai besoin d’un commis. Y’a assez de réserve pour une bouche supplémentaire. Il m’a l’air assez vaillant pour tenir le voyage. L’autre fait en ce que tu veux ? »

Le privilège de la beauté. Le charme androgyne de Keshâ avait fait son office, lui offrant un sursis inespéré en s’attirant les faveurs de la sublime Merel. Cependant, avec son attention venait la jalousie. Ce fut Marc qui enchaîna, là ma mâchoire serrée, les muscles de son visage bouffie crispés, foudroyant du regard le gamin, ne prenant pas la peine de masquer sa convoitise.

« C’pas juste ! Pourquoi lui plutôt que la loque au sol ? T’sais qu’à bord l’injustice n’a pas sa place ! Pas vrai Béliard ? »

En alpaguant ainsi l’épouvantail, Marc espérait apporter du poids à son objection. Le dernier Dolls haussa les épaules avant de reposer l’un de ses coudes sur l’une des piles de tonneaux. Grattant sa joue droite, le blondinet choisit un camp.

« Marc n'pas tort. Les deux sont des balances essayant d'sauver leur peau en pointant l’autre. D’solé Merel. Toutefois, j’entends ta détresse dans la recherche d’aide en cuisine, nous v'là en face d'un épineux souci. »

Les yeux de l’amélioré passèrent de Matthieu à Keshâ, de Keshâ à Matthieu. Merel s’était rapprochée doucettement de l’acrobate, lui tapotant le dos. Larry tenait encore en joug le deuxième clandestin tandis que Marc réaffirmait sa prise à l'aide de sa botte sur la trogne de la larve au sol. Dans ce genre de situation, quand un problème était ainsi évoqué, les lois régissant la loge Félonne demeuraient plutôt flou, laissant place à l’interprétation et la souplesse, la loge ayant compris que certains soucis ne pouvaient être réglé aveuglément, laissant au bon soin de l’autorité présente de trancher, en l’occurrence Horace. Celui-ci marquait sa réflexion par des mimiques clichés, en plus de quelques « Mmmmmh » audible. Le bougre ne souhaitait ni s’attirer les foudres de la cuisinière, ni celle du sanguin Marc. Enfin, un sourire illumina la bouille parfois morne du mutin.

« La vérité est dans le sang. »

Cette simple évocation fit rugir de joie la tribu de barbare, Merel se contentant d’acquiescer. Marc, comme Larry et le reste de la bande répétèrent comme un écho.

« La vérité est dans le sang !
-Marc, va chercher Igor, il est l’heure d'mettre nos soldes en jeu !
-Bien sûr ! Bien sûr ! On fait ça où ? Sur l’pont ?
-Non. Ici. »


Marc détala à une vitesse hallucinante au vu de sa carrure. L’impulsif était donc capable de se mouvoir rapidement lorsque la situation l’exigeait et que du pognon semblait être en jeu. Antoine, discret jusqu’alors, agrippa l’une des dagues à sa ceinture qu’il balanca au sol, juste devant Matthieu alors libéré de l’emprise sadique de Marc. Merel releva son tablier laissant entrevoir une taille fine en plus des lanières en cuir enroulée autour de sa chemise en lin, retenant une quantité impressionnante d’armes plus farfelue les unes que les autres, et ce ne fut qu’après une dizaine de secondes qu’elle parvint à offrir à l’acrobate une dague. Elle déposa le manche dans la paume de Keshâ, refermant les doigts du garçon dessus avec son autre main.

« Bon, s’tu veux pas finir en crêpe des centaines de mètres plus bas, t'n'as pas trente-six solutions, faut qu'tu gagnes. Pour gagner, faut que t'sois l'dernier à respirer, et ça s’passe entre toi et le lâche. M'fais pas regretter d’avoir publiquement pris ton côté. Massacre-le. Les règles sont les suivantes : interdiction d’user d’une arme conventionnelle à part d'ton couteau. Le reste… t'fais ce que tu veux. Improvise garçon, mais gagne. J’pas envie de me faire charrier quand tu seras clamsé. »

La fin de son discours fut accompagnée de bruits de bottes dévalant les escaliers en trombe. Une bonne partie de l’équipage commençait à s’agglutiner, la bave presque aux lèvres, alléchés à l’idée de voir du sang. Igor, comme évoqué était déjà entrain de récupérer les sommes pariées, Merel scandant sa mise à la volée. Béliard agrippa le tremblotant Matthieu, l’aidant à se remettre sur pied.

« Vise l'cœur mon garcon, ou alors tu n'reverras plus jamais l’aube. Tu n'sentiras plus jamais la fraîcheur de vent sur ta peau. Plus jamais une femme t’embrasseras et t'n’auras plus jamais l’plaisir de pisser après t’être enfilé des litres d’bieres.
-j’ai.. j’ai… jamais embrasser d’filles, ni pris d'bière et…
- Bats-toi pour l’faire alors ! »

Horace projeta le miséreux en avant, le forçant à s’avancer dans cette arène improvisée. Bon sang que le pauvre Matthieu faisait peine à voir. Les larmes qui ruisselaient sur ses joues s’écrasaient sur le plancher grinçant. Lui qui venait à peine de commencer à vivre se retrouvait déjà à défendre ce droit. La moue du gamin empestait la peur et l’effroi, sa main tremblotante autant que son bras le rendait plus pitoyable encore, ce qui n’était pas une mince affaire. Son bras ne parvenait presque pas à tenir la dague droite. Matthieu fixait Keshâ, l’implorant autant que le suppliant.

« Pitié.. Pitié… Ma mère m’attend, j’ai des petites sœurs… Pitié je ne veux pas mourir, je suis désolé… »

Réussi à articuler le clandestin entre deux braillements et rugissement de la foule réclamant un meurtre, de la violence… Du divertissement.

« La vérité est dans le sang ! La vérité est dans le sang ! La vérité est dans le sang ! La vérité dans le sang ! »
Ven 18 Aoû - 1:28



Tiens, tiens, tiens... des clandestins

Ft. Horace

 
Sa révolte était trop grande pour contenir le sentiment de trahison. Mathieu n’avait rien gagné à débusquer Keshâ. Il fut encore plus décontenancé par la répartie du meneur d’hommes à la silhouette effilée qui lui renvoyait le « boomerang de la balance ». Il semblait évident à Keshâ que Mathieu s’était dénoncé comme picoreur de garde-manger. Tous l'avaient d’ailleurs suivi à la trace jusqu’à sa cachette précédente. Mais nous n’étions pas en train d’assister à un concours d’éloquence.

Ici, c’était un navire pirate.

Peut-être aurait-il du mieux réfléchir à cela avant de grimper sur La Rapière, quand bien même ce Zeppelin lui paraissait plus accessible que ceux de la cité-Etat. La révérence surjouée lui fit cligner les yeux d’incrédulité. Son regard glissa alors sur les allures patibulaires faisant front commun avec le chef de l'escouade pirate. Celui qui malmenait l’autre clandestin paressait agressif, quant au « nabot », pas beaucoup plus petit que Keshâ, il semblait impitoyable dans son armure de guerre tatouée à même la peau. L’exiguïté de l’espace interdisait toute fuite. Ne restait alors que la possibilité de battre en retraite dans la cale en vue de la barricader. Ce scénario aurait valu pour un combattant. Soyons honnête, il avait déjà dépassé ses propres capacités pour cette mission suicide.

Du rire à la fusillade, le roux flamboyant était en train de le braquer. Si aucune balle ne l’avait encore traversé, un jet d’adrénaline encore plus puissant se propulsa follement dans ses artères. Plus rien n’existait pour Keshâ à part Larry, dont la bouche tordue, les yeux brûlés et son corps tribal se gravaient dans ses rétines.

Quand la cuisinière intervint, alors seulement Keshâ réalisa qu’il n’avait pas perdu connaissance, que Larry n’avait pas tiré non plus. Il n’avait pas bien comprit ce qu’elle avait dit. Ses pieds semblaient coulés dans le ciment. Un commis. Il aurait voulu appuyer la proposition et dire qu’il cuisinait depuis toujours, qu’on ne l’entendrait plus et que tant qu’à faire, pourquoi ne pas faire la paix avec Mathieu. Ils pourraient partager la même ration coupée en deux.

Ne s’étant pas pissé dessus, tenant encore debout par pétrification plus que par trempe, Keshâ était à un cheveu de dégobiller sa bile tant le malaise qu’il ressentait était indescriptible. Tout était allé trop vite depuis qu’il était entré dans le tonneau et que le Zeppelin s’était envolé. La scène était surréaliste. Comment lui pouvait-il se trouver en joue, secourue par cette femme avec sa vie dans la balance face à un autre vaurien ? Une chose était sûre, lui se sentait tout sauf beau, maintenant, quand bien même son apparente impassibilité pouvait lui donner un air nébuleux, vaguement semblable à celui des anges.

Mais Marc le colosse devait l’arracher à sa dissociation en le prenant à parti.
S’il pensait savoir ce que voulait dire se sentir mal, il doit réviser sa définition. Son cœur est au bord des lèvres. Son salut inespéré est reparti aussi vite qu’arrivé. Et ce Béliard se retrouve trônant en juge d’assemblée. D’un mot il pourrait le condamner à chuter du haut du ciel ou se faire éclater la poitrine au fusil. Chacun ici, y compris Mathieu, peut voir combien Béliard n’en a rien à carrer de qui vit et qui meurt entre eux deux. Toute l’audience est suspendu à ses lèvres, de Merel à Marc. Les deux clandestins sont presque quantité négligeable dans tout cela, de simples figurants poussés dans la lumière de la scène à leur corps défendant.

« La vérité est dans le sang. »

Les mots rebondissent dans une vibration unanime dans leurs os. La loi des pirate a parlé. Même s’ils ne savent pas encore quel sera leur sort, ça ne sent pas bon, ça pue la charogne pas fraîche. Un peu dépassé, le jeune homme cendré voit sa sulfureuse marraine sortir des atours acérés de sa féminité. Prenant sa main, elle la lève à hauteur de son cœur pour y déposer de l’autre la dague qu’elle lui offre pour remporter ce « duel judiciaire ».

Gagner. Oui, bien sûr. Il ne veut pas mourir. Ne plus respirer ? Ça veut dire qu’il doit mourir ? Mais que veut-elle qu’il fasse de ce machin pointu ? Il sait par quel bout le tenir, a une vague idée de comment la manier. Quant à avoir l’intention de faire couler le sang ou d’ôter la vie. Non, c’est un mauvais rêve. Une très mauvaise blague. On ne peut pas…
Son alliée l’encourage. Blême, il toise Mathieu en face qui fait encore plus pitoyable figure. Keshâ ressent un élan de compassion pour ce pauvre homme. S’il fuyait réellement des agresseurs, on peut dire que le sort s’acharne sur son dos. Au moins lui est responsable de son sort. Il a choisi. Enfin, il aurait aussi aimé pouvoir porter la responsabilité de son échec dans l’infiltration du Zeppelin. Il ne peut que se cramponner à l’idée que c’est par la faute de Mathieu qu’ils sont grillés et qu’ils en sont là, tous les deux. S’ils avait accepté de se taire, il serait mort. Le résultat serait le même, en plus expéditif. Et Keshâ aurait peut-être survécu. Voilà où nous en sommes… un dilemme cauchemardesque, un combat lamentable entre coq éborgnés.

Béliard place Mathieu sur la rampe de lancement. La masse grouillante des spectateurs s’agite, criant, tapant la ferraille des murs. La loi du sang ! A mort ! On veut du spectacle les loupiots ! La transpiration charrie la testostérone viciée. La scène a quelque chose d’obsédant. Les cris sont hypnotiques… « Pitié.. Pitié… Ma mère m’attend, j’ai des petites sœurs… Pitié je ne veux pas mourir, je suis désolé… »
Sortant de sa torpeur, Keshâ lève légèrement la garde, se plaçant de profil pour offrir une cible moins grande à la dague. Le pauvre Mathieu ne doit pas voir grand-chose à travers ses yeux larmoyant et rougis qu’il tient plissés.
-« Mathieu… » tente d’approcher Keshâ. « Tu as raison. On est pareils. On doit pouvoir trouver une solution, il faut s’entrai’… » Zuuiiiif
Un coup pataud vient de frôler son œil de peu. C’est par pur réflexe qu’il a pivoté de côté.
-« Mathieu, arrête ! » Poussé à bout, le vaurien ferme les yeux sur son visage rubicond et graille un rugissement de guerre plus proche du raclement de gorge en assénant un coup circulaire droit sur la jugulaire. L’orphelin bondit deux mètres en arrière pour esquiver et vient heurter la colonne de tonneaux dans un chaos de bois et de métal.
« Béliard ! » tente d’interpeler Keshâ par-dessus les voix des ruards. « On n’est pas obligés de s’entre-tuer. »
Mathieu hésite un instant avant de charger en hurlant sur un coup d’estoc. Juste à temps, le jeune homme se jette à terre sur la gauche et roule à plusieurs reprises sur lui-même, essoufflé et écorché aux genoux, pour se tenir là où se tenait auparavant Mathieu.

« Je lui donnerai la moitié de mes rations et je lui apprendrai la cuisine ! » insiste-t-il dans le déni. Il atterrie contre la barrière humaine en reculant, dans les bras de Marc, qui ne manque pas de projeter son rival pour les attentions de Merel tête la première au centre du ring. Étourdi, il n’a pas le temps de se reprendre quand Mathieu assène à l’aveugle une première estafilade sur son épaule gauche. Un éclair de douleur écarlate le traverse et tous deux tombent au sol. Déjà Mathieu monte sur lui et tentent de lui enfoncer la dague dans le cœur en prenant appui de tout son poids sur ses deux mains.

TRIGGER WARNING VIOLENCE


Que vient-il de se passer. Mathieu gémit de manière inarticulée par terre, en boule. Il tente d’envoyer des coups de dague. Sa tête tourne. Keshâ ne sait plus ce qu’il fait, son cœur bat fort dans sa tête. Il manque d’oxygène.
La loi du sang ! La loi du sang ! La loi du sang ! La loi du sang ! scande l’homélie.
-« Je ne veux pas le tuer. Je ne veux tuer personne.» bredouille sa voix éraillée, alors que des larmes coulent de ses yeux fixes.
Le jugement est implacable. Ses mots meurent dans le vacarme.

TRIGGER WARNING VIOLENCE

-« Non, non non ! Mathieu, dit que tu abandonnes. On va te soigner. Il n’est pas trop tard ! … il n’est pas trop tard… »
Dim 20 Aoû - 15:08
Dès lors que les attaques balbutiantes de Matthieu se mirent à fendre l'air, la foule éructa, comprenant que le spectacle allait être au rendez-vous ! Cette foule, à la morale décadente et l'humour morbide, illustrant le déclin de l’humanité et le manque d'empathie, se régalait de voir deux garçons forcés à s’entre-tuer dans l'espoir d’être épargné. Après tout, quelles étaient les garanties des deux combattants sur leur survie en cas de victoire ? Les deux clandestines ne se fiaient qu'à une hypothétique parole de voleur et d'assassin. Alors, quelle était la motivation des lutteurs ? L’espoir. Finalement, c'était l'espoir qui motivait le bras de Matthieu. L'espoir de sortir vivant de ce duel, l'espoir de revoir ses parents, l'espoir qu'il parviendrait à se convaincre que c'était la bonne chose à faire, s'il survivait.

La monnaie passait d'une main à l'autre, chaque pirate allant de son pronostic et de son œil soit disant expert en matière d'ordalie sanglante. Combien argumentait sur le jeu de jambes Keshâ pour justifier leurs mises tandis que d'autre évoquait la hargne surprenante du pisseux. Béliard, dans ce moment de liesse populaire se laissait volontairement prendre au jeu. Tapotant sur l'épaule robuste d'Igor, il désigna du doigt l'un des loustics entre de s'écharper, indiquant la somme rondelette engagé.

« T'mets sur l'Matthieu, j'le sens généreux ! »

Une fois la transaction effectuée, l'épouvantail se frottait les mains l'une contre l'autre, singeant un être cupide décrit dans les plus clichés des contes pour enfants. La tentative de négocier du boiteux possédant une jambe plus courte provoquait des rires dans l'assemblée, et de l'agacement pour les plus sanguins. En effet, voir le gladiateur sur lequel vous aviez misé entrain de parlementer, voilà de quoi faire claquer quelques miches.

« Arrête d'parler ! Plante c'fils de pute !
-Creve le bon sang !
-Attaque ou j't'égorge moi-même ! »


Même Merel, habituellement plus en retrait dans ce genre d’événement, c'était laissé embarquer dans le zeppelin de la barbarie. Ce n'était rien d'autre qu'une démonstration de la part sombre de l'humain, livré à lui-même, guettant une faiblesse morale, sombrant dans les abysses de la bestialité. Matthieu en avait abandonné toute conscience. Encore un gamin une poignée de minutes auparavant, avait laissé place à un loup, prêt à se repaître de sang pour éviter que le sien n'imbibe le plancher miteux de la cale. Béliard, alpaguer par Keshâ dit l'esquiveur fou, se fit un plaisir de répondre, couvrant le temps d'une seconde les hurlements d'encouragement de l'assemblée.

« Continue donc de palabrer le contorsionniste, c'pas sur toi qu'j'ai misé ! Matthieu vise lui les tripes ! »

Matthieu effleura la victoire quand un de ses assauts traversa la chemise de Keshâ, sans parvenir a porté un coup fatal , agrémenter d'une insulte digne d'un gamin ayant obtenu la permission de grossièreté.

La faucheuse et son touché glacial s'infiltra parmi la foule, avant de venir réclamer son dû. Ironiquement, ce fut Matthieu qui était aux portes de la victoire, la survie à portée de main, qu'elle étreignit. Keshâ en avait décidé autrement. Enfoncée jusqu'à la garde, la dague prêtée par Merel avait fait son office. La vie s'écoula doucement de la plaie, puis des lèvres. L’âme du gamin quitta son corps mollement tandis qu'il s'effondrait pour la dernière fois sur le côté, sans un bruit, sans larmes, sans suppliques ou objection. L'espace d'un instant plus tôt, vivant. Désormais, mort. La foule explosa, la bave aux lèvres, les gagnants se félicitant d'avoir misé sur le bon cheval, les perdants jurant et tentant de négocier un retour de leur mise, Igor secouant simplement la tête, sourd a cette roublardise. Deux gaillards traversèrent l'assemblée pour saisir le corps encore chaud de Matthieu, traînant la carcasse jusqu'au pont, ses membres heurtant les escaliers avec un craquement sinistre. À la manière d’un sac à patates, Matthieu fut balancé, rendu a la mer des nuages. Merel s'approcha de Keshâ couvert du sang de son adversaire. La superbe créature se pencha légèrement en avant, pinçant le menton du vainqueur entre son index et son pouce. Elle adressa un joli sourire, révélant une bouille délicieuse et angélique.

« Tu m'dois une dague mon p'tit. Tu as gagné ta journée, d'main tu bosses dans la cuisine. Bravo, champion. »

Elle ébouriffa la chevelure transpirante de Keshâ, avant d'arborer une moue dégoûtée d'avoir ses doigts couverts de sueurs, la même expression lorsque l'on dégustait un pain aux raisons qu'on pensait etre un pain au chocolat. Elle essuya nonchalamment sa dextre sur son tablier déjà copieusement taché avant de simplement s'en retourner à sa cuisine, son déhanché provoquant des sifflements parmi la foule encore peu présente, chacun s'en retournant progressivement à ses occupations. Le jaloux Marc s'approcha du blondinet survivant, le foudroyant du regard avant de cracher des menaces cinglantes.

« Elle est à moi, fils d'putain. Évite de dormir trop profondément, r'garde bien derrière toi. Ici, tout l'monde se recroise. »

L'éconduit disparu ensuite, le plat de sa lame de son sabre frappant contre sa cuisse a chaque pas. Horace tapotait le dos d'Igor, lui glissants des doux mots à l'oreille. Le bookmaker laissa échapper un rire guttural, se tenant la bedaine avant de lui aussi, à l'instar de ses compatriotes, délaisser la cale. Enfin, seul Dolls restait à tenir compagnie au champion de la journée. Selon les coutumes, le juge ayant prononcé la sentence était tenu à une certaine responsabilité. Par réflexe, l'épouvantail s'en grillait une. Une profonde inspiration suivie d'une expiration marquée par la fumée opaque et une quinte de toux légère révélant une mauvaise habitude bien trop fréquente.

« Eh bah, joli coup. Tzac, t'lui as vider les tripes. T'penseras à t'laver, tu empestes la peur et la mort. Alors, mon p'tit gars, avant d'te faire le tour du propriétaire, va falloir répondre à quelques questions. Pas b'soin d'mentir, tu as gagné ta place ici. »

L'inspecteur improvisé se racla la gorge, libérant ensuite un mollard qu'il projeta avec une précision édifiante derrière des tonneaux.

« S'pour les rats. D'coup, ton prénom, c'quoi ? Pourquoi tu as grimpé ici ? T'vas ou ? »

Classique, rien de farfelue, juste de quoi connaître un peu plus l'individu qui lui faisait face. Embarqué un illustre inconnu dont on ne connaissait absolument rien représentait des risques non-négligeables. Même si avec la profession de pirate était risquée, sous-estimer l’impact qu'un clandestin pouvait avoir avait conduit bien des frégates au naufrage. Sa pogne libre pianotait sur la crosse de son revolver. Réalisé en bois, agrémenté de quelques gravures illisibles a moins d'en approcher un œil inquisiteur, Horace demeurait méfiant. Dehors, les bruits éttouffés des marins reprenaient, signifiant que n'était que la routine pour ses hommes ayant troqués leurs âmes il y'a longtemps. Le bois grinçait, les ordres étaient aboyés. La vie reprenait son cours, pour les vivants.

« Hum, p'tit conseil entre membres de La Rapière, avoir les faveurs d'Merel c'pas une bonne chose. Elle est mariée avec l’impulsivité. Même si tu as gagné ta place parmi nous, elle n'tient qu'à un fil. À la moindre erreur, tu r'joindras l'tourterau avec qui tu dansais. J'pas b'soin d'me présenter, apparemment t'connais d'ja mon prénom, tu es atteint d'oreilles traînantes toi. D'ailleurs, prends au sérieux les m'naces d'Marc. Il à crevé plus d'un type. Il a une tendance à envoyer ronfler les gars pas encore fatigué.»

Un long sourire s'étirait sur la frimousse Dolls, en plus de ses iris vissés sur Keshâ, assombrit par la lumière vacillante des lanternes bringuebalant au rythme des courants aériens. Les ombres projetées par les flammes dansaient, semblant se railler du meurtrier ayant succombé a l'ignoble, rejetant sa morale pour revoir un coucher de soleil.
Jeu 24 Aoû - 4:12



Tiens, tiens, tiens... des clandestins

Ft. Horace

 
Deux orbites grandes ouvertes qui dévorent la lumière. Elles sont pareilles à un trou noir sans fond menaçant la galaxie, ses yeux aveugles à tout, à ce son suraigu qui sonne en continu dans son esprit au moment où Mathieu crache une gerbe de sang. La pellicule sucrée comme des lilas est toujours là en surface. Sans bouger, des éclats sensoriels l’accablent, ce bruit de chair découpée, les pupilles étrécies du clandestin, figées dans le temps, quand les siennes se déploient en une mydriase affamée.

Un film muet d'épouvante se déroule devant Keshâ qui ne s’en sent plus acteur, distancié de lui-même, coupé, de ce coup à l’âme qu’il s’est porté en utilisant le couteau. Acclamations, exaltation, hourras, huées, cliquetis de pièces se fondent dans un brouhaha silencieux à ses oreilles anesthésiées. Sous le choc, sa conscience a éclaté en milliers de morceaux dispersés pour ne plus comprendre que, sur son visage, ces giclures, ce n’est pas son sang ; que, barbouillé sur ses lèvres, coulant dans sa gorge et ruisselant finement sur son menton, ce n’est pas son sang. Le sien dégouline aussi, souille sa chemise grise de poussière d’avoir trop joué les gentils acrobates dans le faux plafond. Sa manche alourdie se gonfle doucement presque avec paresse.

Vil prédateur fièrement dressé, son être témoigne du dernier râle de Mathieu, qui ne recevra pas d’hommage ou de sépulture.

Déjà deux baraques embarquent la dépouille en procession mondaine. Il a oublié sa lame, en lui. Dans ce pauvre hère qui n’avait jamais fait l’amour. Et qui ne reverra jamais sa mère et ses deux sœurs. Apparemment. C’est arrivé.

Le monde tangue, le temps ralentie ou s’accélère de manière incompréhensible. Pourtant son souffle est long est régulier, comme celui d’un homme en combinaison de plongée en route pour les profondeurs et les abysses. Le cirque sanguinaire s’est abreuvé d’une vie. Mais de deux âmes. Sœurs d’infortune.

La plantureuse pirate s’est insinuée jusqu’à lui de son aura de feu poison. Elle parle au reste de son innocence, sous ce masque de rigidité cadavérique. Il croit acquiescer à ce qu’elle lui dit. Il n’est pas sûr. Sa main gracile décoiffe avec une malice déconcertante ses mèches collantes, blanchies à la chaud, dont certaines s’imprègnent merveilleusement de ce ton Rubicon issu de Mathieu. Nouvelle apparition fantôme dans son champs de vision. Le trou noir observe le fameux Marc planté devant lui. A ce stade, d’un geste funeste, il pourrait dessiner un croissant de lune dans les airs, face à sa gorge, armé d’un scalpel. Ce serait rapide, il ne s’en rendrait peut-être même plus compte.

A nouveau, il se pense acquiescer. Un petit coup de menton. Jamais il n’en aurait espéré autrement de la part de Marc, il en avait des similaires en modèles réduits à la pension d’Epistopoli. Le genre qui le guette dans les douches pour lui faire des blagues pourries basées sur le comique de répétition. A eux non plus ils ne tournent pas le dos. D'eux aussi, il anticipe les pensées. Et, à cause d’eux, il n’a jamais dormi que sur une seule oreille, prêt de l’issue de secours, une bombe au poivre sous l’oreiller à l'intérieur d'une paume resserrée. Pourvu de quelque répartie, il l’aurait sans doute tancé, crispant un sourire vaguement psychotique, qu’il aimait beaucoup la bite – Merel n’avait rien à craindre – enfin surtout pas la sienne. Et  qu'il comprenait bien pourquoi la cuisinière n’en voudrait jamais non plus. Ce joli missile écrabouillant sa virilité aurait bien valu de mourir disloqué sous ses poings.

Nouvelle apparition. C’était au tour de Béliard. En fait, l’arène était dépeuplée. Ils étaient seuls maintenant. Apparemment. La fumée de cigarette lui pique les narines et la toux du boucanier des airs raisonne contre les parois de métal sans qu’il bouge d’un iota. Un vague tremblement commence néanmoins à se faire sentir en dedans.
« Eh bah, joli coup. Tzac, t'lui as vider les tripes."
Son visage atone se tourne vers lui.« Je ne l’ai pas fait exprès. » s’entend-t-il à nouveau. Parlant de puanteur, son regard vide se baisse lentement vers ses mains poisseuses d’hémoglobine, moitié à lui pour la gauche, moitié à Mathieu pour la droite. Ploc, une goutte de sang dégorge de sa chemise et tombe sur le sol de bois. Ploc, une autre note de mélodie.
Une place. Ici ? Qu’est-ce que c’est ici. Son esprit peine à raccrocher.

-« Je m’appelle Keshâ’rem, mais tout le monde dit Keshâ. » s’entend-t-il dire de son double spectral, en écho à toutes les fois où il a répété mot pour mot cette phrase avec infiniment plus d’enthousiasme. Cette distance, il ne la pensait pas sienne, on dirait qu’il n’a rien besoin de faire pour que le film continue tout seul. « Comme tu dois t’en douter, je suis un miséreux. Je me rends au nord de Xandrie où se trouve ce qui reste de ma famille. » Ploc. Ploc. Ni colère, ni appréhension. Tout paraît si simple, si déstructuré, confus et clair. Une part de lui réfléchit sombrement du fond du trou noir glacé à la meilleure manière de tuer ce Béliard. Non tout de suite, mais un jour lointain, quand il s’y attendra le moins. L'animal agira de la façon à laquelle il s’attendra le moins.

« Ça résume à peu prêt tout ce qu’il y a savoir. Je ne suis pas quelqu’un d’important. » Écho fébrile. Un reflet de fragilité miroite à la surface craquelée de cette mer de peau blanche qui est son visage. Il émerge un moment pour reprendre son souffle qui s’était arrêté depuis Nagidir sait quand.
Le grand échalas devait être chargé de lui présenter le bail. Il accepte les clauses du contrat avec gravité, de cette lévitation d’où se tiennent toujours ses sens éclatés.
-« Entendu, je ferai tout ce que Merel me dira de faire à la lettre et sans rechigner. Et je resterai éloigné de Marc autant qu’il me sera possible. » Son module d’imitation sociale mime le sourire de Béliard comme le ferait tout mammifère intelligent, toujours sans que cela monte au cœur ou au cerveau. On dirait un exulos au sourire dérangeant sur sa face d’enfant ensanglanté.
« Tu peux me donner les prochaines directives et les règles du vaisseau ? A quel endroit dois-je rester ? A quelle heure dois-je me présenter aux cuisines ? Quelle est la prochaine escale?»
Ven 25 Aoû - 17:43
Horace laissa éclater un rire sincère, balançant sa tête en arrière, pareille a un acteur de théâtre miteux. La justification du jeune loustic ayant repeint le sol du sang de Matthieu avait au moins le don de provoquer l'hilarité, à ses dépens ou non.

« T'pas fais expres ? Allons mon p'tit gars, tu aurais pu te laisser crever, tu l'as pas fais. Tu es entrain d'me causer, pas lui. S'pas le hasard. Endurcie toi garçon et laisse ses chochoterie a la gente féminine. »

Keshâ comme il se présentait, paraissait ailleurs. Depuis le tragique dégonflage de bide, il était resté immobile, presque absent du moment. Si certains dégobillaient, éructaient ou exultait, l'immobilisme semblait etre le refuge choisit par l'acrobate. Loin de vouloir le brusquer durant la livraison de réponse, l’épouvantail se contenait de tirer sur sa clope en ouvrant grand les esgourdes, appuyer nonchalamment sur un tonneau rempli à ras bord de poiscaille. Ses iris passaient en revue l'assassin, de sa tenue à sa façon de se tenir. Après avoir emmagasiné les informations délivrées plus tôt, sur un ton presque motivé, le gaillard réclamait les instructions à suivre désormais. Le parfait petit mousse. Pourtant, même si les mots employés transpiraient la sincérité, Béliard demeuraient chiffonné par un détail, minuscule pour les non-initiés à la misère. La façon de parler.

« Bon, j'vais pas insister gamin, mais ta p'tite histoire d'miséreux, j'crois pas trop. T'parles drôlement bien pour un crève la dalle, qu'ce soit à ton chouette vocabulaire à qui tu fais prendre l'air, ou ton absence totale d'machouillage d'mot. Tu d'vrais rapidement commencer à t'y mettre, ou alors t'vas t'faire vider les tripes par des bougs pensant qu'tu caches une somme coquette dans tes tripes. »

Lorsque l'on nageait avec les requins, la faiblesse rimait cruellement avec une fin sinistre dans l'estomac d'un des prédateurs. Pourtant, étrangement, loin de l'empathie tout de même, Horace se sentait investi d'une certaine responsabilité concernant le gamin à l'age pourtant presque similaire du sien. La vie et l'existence forgeaient les hommes différemment, les deux illustrant parfaitement ce fait. D'un geste de main, Béliard intima Keshâ de le suivre. Après s’être assurée que ce fut le cas, Béliard en tête, le binôme se mit à arpenter le Zeppelin anormalement secoué de droite a gauche, signe de prochaines heures agités et musclés. Horace, totalement habitué ne ralentissait en rien la cadence, se contentant de danser avec le navire, suivant le rythme imposé par celui-ci. Le bois grinçait, et des milliers de bruits parasites se rajoutaient à la mélodie bruyante d'un équipage opérant.

« P'tit conseil, d'pêches toi de rapidement rembourser la dague d'Merel. Quant à Marc... T'pourras pas l'éviter longtemps. L'navire est p'tit, et la prochaine escale... Du moins celles où tu seras autorisé à descendre, n'est pas avant une s'maine. »

Ses mains caressaient le mobilier à chaque passage, saluant d'un coup de menton des gus à la trogne lugubre affairées autour d'une table, occupé a parier leurs soldes dans une partie de cartes truquée, Ribort le croupier étant de la pire espèce des vicelard, comme son chapeau melon le suggérait. Un vrai tordu craint de toutes les putains des ports.

« Xandrie ? Eh bah, s't'une bien belle destination, Kesh'. Pour la cuisine, pointes y toi dès le levé du soleil, avant d'etre réquisitionnés ailleurs. T'f'ras sûrement l'sale boulot m'enfin, s'mieux que d'récolter des prunes d'Merel. Concernant ton rôle ici, t's'ras un genre d'homme à tout faire, surtout les trcus qu'personne veut faire, nettoyage et j'en passe. T'vas souvent t'retrouver sur l'pont à l'rendre brillant. Une sorte d'esclave avec une p'tite solde à la fin, m'enfin s'mieux que l'baptême de l'air qu't'as offert a Matthieu non ? »

Béliard adressa un grand sourire mesquins à Keshâ, l'impression pernicieuse s'en dégageant étant renforcée par la lumière émise par la lanterne du dortoir. Le vautour se campa devant un hamac a l’hygiène questionnable, le désignant du pouce.

« Voici ton lit, j'te conseille d'le nettoyer, y'a encore les peaux mortes du vieux Pat'. Pour les règles... »

Le dernier Dolls tira profondément sur sa cigarette tout en passant une main dans sa crinière avant que sa pogne n’atterrisse dans sa nuque, y délivrant un massage succin.

« N'vole pas. Pique pas dans les marchandises. T'peux tuer, mais il faut une bonne raison qui atteigne la majorité lors du jug'ment. T'écoutes toujours les ordres d'ton supérieur, c't'a dire pour toi quasiment tout l'équipage. Tu as l'droit de tringler d'autre marins, femmes comme hommes même si j'te déconseille Hilda, tu tiendrais pas la cadence vu comment tes freluquet. Tu es interdit d'la salle des machines. En cas d'abordage, trouve moi. S'non, tu es assez libre, mais essayes d'faire preuve d'bon sens. S'tu passe la première s'maines, t'verras qu'les autres t'estimes. Mais en attendant, t'vaux pas mieux qu'un paillasson. Prépare-toi à r'cevoir d'la boue. Ce soir, on va traverser un orage, alors va falloir r'monter ses manches. Des questions avant qu'j'te présente le capitaine de « La Rapière ? », n'hésites pas, c'est l'moment. »

Tout le mépris que Béliard ressentait à l'encontre de son supérieur débordait outrageusement, perceptible même par un sourd. Son visage marquait l'écœurement dès qu'il en faisait référence. À vrai dire, Keshâ, fin observateur, avait due remarquer la véritable dissension habitant l'équipage, fracturant cette belle-famille. Deux camps étaient largement présents, transformant ce coin en une poudrière endormie pouvant exploser à tout instant, chaque membre de l'équipage étant une allumette. Les messes basses, les échanges de regards complices ou furieux, les menaces à peine dissimulées, les ombres suspectes de marins affaires a d'étrange manigances. Même l’ossature du Zeppelin paraissait oppressante, pareille à une cage thoracique comprimant des poumons essayant désespérément de respirer. Les marins croisés sur le chemin avaient parfois la tête de l'emploi, parfois absolument pas. De l'ours tatoué et borgne a la belle minette qu'on aurait dit extraite d'un jardin romantique, en passant par l'édentés ayant franchis la cinquantaine depuis plus de dix ans, l'équipage hétérogène était d'un cliché banal. Ce navire sordide paraissait avoir été constitué depuis un roman d'un écrivain raté se nommant « Les enfants illégitimes des cieux. ». Sans doute un échec critique.
Lun 28 Aoû - 18:59



Tiens, tiens, tiens... des clandestins

Ft. Horace

 
Horace venait d’instiller le doute en lui. Il fonctionnait encore sur un mode d’action machinal et ne se souvenait que d’éclats de la situation. Mais il était jusqu’ici certain de faire dos à Mathieu au moment où ce dernier s’apprêtait à lui porter le coup fatal. Quand il s’était retourné, le clandestin s’était lui-même empalé sur la dague de Merel. C’est bien ça qui c’était passé ? N’est-ce pas ? Il n’avait pas voulu lui faire du mal. A moins que ? Il n’en était pas sûr. Il avait peur de se repasser le film en détails et de découvrir autre chose. Son esprit ne supporterait pas un autre choc dans l'immédiat, alors il emmaillota tout ce fourbis de malaise et l'enferma sous clef dans une boîte.

Hanté par cette vision, Keshâ n’en fut pas moins dégoûtée par la remarque du semi-capitaine sur la chochoterie féminine. Alors c’était ça être un gars, un vrai, embrocher des gens et trouver cela sympathique. Il n’avait rien à répondre.

Toujours en état de dissociation, sa voix et ses ressentis étaient lointains. Il commençait néanmoins à essayer de revenir au contact du présent et de ses perceptions. Il en allait après tout de sa survie. La leçon de piraterie que lui donnait Béliard était assez instructive. On le pensait menteur à cause de son élocution ? C’était la dernière idée qui lui serait venue à l’esprit. S’il savait à peine lire et avait reçu peu d’instruction, son langage et sa maîtrise du son étaient ce qui lui donnait une image respectable jusque dans la misère. Récapitulons les données : pour être un homme viril et un miséreux. 1) Pousser un borborygme guerrier après avoir planté un innocent. 2) « l’machouillage d’mots ». Ca, ça fait un bonhomme.

-« J’vais essayer d’my mett’. » tenta Keshâ de manière incertaine dans une imitation musicale des accentuations de Béliard. A Opale, fait comme les Opalins. Sur le Zeppelin, fait comme les gredins.

Toujours dans le brouillard, son esprit recommençait peu à peu à raisonner. Il suivit Béliard à travers les couloirs du Zeppelin, habité par une impression d’anomalie à cause de sa progression à découvert et de son escorte pirate. En plus des valeurs et de la diction, la démarche des contrebandiers aussi était drastiquement différente de la sienne. Chaloupée et assumée. Le jeune homme le suivait à pas agiles, sans un bruit, comme un chat, jusqu’au moment ou une bascule de l’appareil le déséquilibra et le força à se rattraper de justesse au mur avec ses bras.

Son épaule le cuisait et il se souvint alors qu’il avait une blessure importante à soigner. Béliard continuait à tenir des propos peu rassurants. Rembourser Merel ? Parce qu’elle était sérieuse. Il devait vraiment lui rendre une dague. Et pour Marc, eh bien au moins la perspective temporelle chiffrée lui permettait de se projeter pour tenir une semaine.

Son regard effaré traînait avec inquiétude de gauche à droite, en essayant de mémoriser la topographie du bâtiment, au cas où il doive à un moment fuir un boucanier pour ne pas nommer Marc. Il n’osait pas croiser le regards des joueurs de cartes, dont les visages burinés et vicieux incarnaient chacun à leur façon un personnage fort en parfum.

-« Oui, c’est mieux ».  accepta-t-il sobrement. Il se garda bien de dire que le baptême de l’air avait été offert par l’équipage, trop tôt pour l’insolence, trop tôt pour l’humour, trop tôt pour évoquer tout ce qui convoquerait ce qui venait d’arriver.
« Je me présenterai sans faute au lever du soleil aux cuisines. Et comptez sur moi pour tout le nettoyage dont vous aurez besoin. Je sais travailler dur. »

Des lèvres entrouvertes face à l’immondice du lieu de couchage, Keshâ voyait bien le plaisir malin à lui exposer la situation. De toute manière, il était assez évident qu’il ne dormirait pas ici, puisque Marc avait clairement laissé entendre qu’il comptait lui tomber dessus. Il se tapirait comme un rat, quelque part. Comme c’était le plan à l’origine.

Un paillasson ? Ça devrait être dans ses cordes. Par contre, l’histoire de « majorité au jug’ment » l’intrigua, tout comme l’autorisation de tuer ou le fait qu’il prenne soin de lui donner son feu vert pour tringler tout ce qui bouge. Le paysage social du navire avait l’air totalement différent de ce qu’il pouvait imaginer. Il allait devoir se faire des alliés ici pour survivre, si une telle chose était seulement possible.

-« Hum. Oui. Ben donc là m’faudrait aussi du matériel de suture et dl’alcool pour me recoudre. Je crois que ce serait mieux pour travailler...aussi, si c'pô abusé, m'faudrait ptètre une chemise propre."
Il avait en effet observé en silence l’allégeance d’une partie de l’équipage envers Béliard et l’animosité d’autre personne envers celui qui lui avait d’abord donné l’impression d’être le capitaine du Zeppelin. Il devait pouvoir exploiter cela à son avantage d’une certaine manière, bien que cela soit très risqué. Il ne faudrait sous-estimer personne, pourtant la diversité des profils offrirait peut-être une faille inattendue, une vieille querelle à attiser. Il était choqué de voir comment son esprit s’était mis à penser de cette manière tordue en si peu de temps.

-« J’vais essayer de rien faire de stupide et dme t’nir à carreau. »

Restait à passer le moment de la rencontre de ce très réprouvé capitaine...
Jeu 31 Aoû - 19:06
Béliard hocha la tête devant l'imitation grotesque du machouillage de mot du gamin. En vérité, c'était plutôt convaincant, mais se voir ainsi singer n'était pas au goût de l'épouvantail. Pourtant, il leva un pouce en direction des cieux, établissant la réussite de l'adaptation linguale du jeune homme. Horace reconnut tout de même une certaine résilience a son introducteur, ne formant pas la moindre complainte ou objection, acceptant son rôle tout en scandant que le boulot ne l'effrayait en rien, en plus de se contenter d'encaisser et, le dernier Dolls l’espérait pour lui, emmagasiner toutes les informations. Le nouveau marchait sur une file pellicule de glace, chaque pirate rodant dans les eaux sombres, la bave aux lèvres devant une victime si facile, a leurs yeux en tout cas.

Le gaillarde apprenait vite, ou du moins en donnait l'impression. Horace releva un sourcil quand la suture et l'alcool furent évoqué, avant de remarquer les quelques gouttelettes s'écrasant sur le plancher en provenance du survivant. En effet, mourir d'une infection après avoir survécu a un duel, une mort stupide mais tellement répandu. Les bras croisés contre sa poitrine, Horace opina.

« Ouais, j'vais te trouver ça. Par cont' pour la ch'mise, a moins de trouver quelqu'un qui t'en prêtes une, faudra t'en payer une. Pour ça tu as Idyll, l'timonier. Sinon tu as Alaha, la couturière. J'ten déconseille ou en conseille aucun, j'les connais pas trop. »

Des rires gras résonnèrent dans la cale, suivis d'un juron bien senti. Visiblement, la partie de cartes disputée plus loin tournait à l'avantage d'un bougre. Que diable avaient il mis en jeu ? Peut-être bien une croûte de pain, peut être pas.

Horace massa l’arrière de sa nuque, avant de donner un coup de tête en direction des escaliers, invitant Keshâ à emboîter le pas. Sur le chemin, Béliard dut danser pour éviter deux gus, certainement ages de 16 ans, entrain de courir dans les couloirs étriqués. Ces deux la étaient sur le navire depuis bientôt un an, une remarquable longévité pour des âmes si jeunes. Affecté aux voiles, les autrefois triplé s'en sortaient à merveille, si l'on oubliait la chute mortelle d'un des frères durant une tempête. Classique. Béliard grimpa une à une les marches pour rejoindre la surface, chaque grincement du bois sous ses bottes jouant une mélodie peu rassurante contant l'état miteux du navire. Les rayons du soleil frappèrent la frimousse du pirate qui mit une main en opposition, couvrant ses yeux un instant, histoire de laisser ses iris s'habituer à la lumière du jour et non la relative obscurité de la cave.

Sur le pont, quel spectacle. Plus d'une dizaine de marins s'affairait ici et là, les bras chargés, sifflotant, discutant ou en plein effort. C'était le cas d'un gus croisé plus tôt, le tatoué intégral encre torse nue entrain de tirer une corde qui aurait brûlé des mains bien moins calleuses que les siennes. Mais le spectacle n'était en rien les hommes et les femmes en pleine action, aussi tordue et pleine de sous-entendu que fut cette phrase. Non, toute la beauté, l'hymne a la liberté, l'ode au magnifique, résidait dans la vue. Une mer de nuage, à perte de vue. Un navire surfant sur cette eau bleutée du ciel, une légère brise rafraîchissant le visage chauffé par l'astre solaire un peu plus près que sur terre. C'était à couper le souffle. Horace, jamais désabusé devant une telle merveille resta un instant planté sans bouger, se contentant d'inspirer paisiblement, avant de simplement reprendre sa route. Les pas du duo les menèrent devant le seul bâtiment surplombant la cale. Une sorte d'habitation, sur son toit le gouvernail. La loge du capitaine. L’extérieur reflétait le niveau de vie et l’ego du taulier. Le moindre ornement empestait l'opulence, et particulièrement la fresque retraçant les réussites du capitaine qui encerclait l’entièreté de la construction. Sculpter a même le bois, les scénettes le représentait victorieux, triomphants de monstres plus énormes les uns que les autres.

« S'tu déconnes, t'creveras. »

Lança Béliard a son camarade avant de toquer, pour finalement entrer.

L'endroit contrastait en tout point avec le reste de la Rapière. Des longs draps de velours aux couleurs pourpre pendaient du plafond, harnachés aux poutres apparentes ou nombreux pilier. Une large bibliothèque débordante de bouquins reposait sur l'un des murs de la pièce spacieuse alors que trônait en son milieu un bureau en chêne massif. Derrière celui, sur le fauteuil qu'on devinait diaboliquement confortable, un homme courbé, la trogne tournée vers une montagne de papelard, feuilletant, une plume dans sa main libre. La tignasse grisonnante, les épaules fatiguées, une silhouette presque rachitique recouverte par un épais manteau, seul le regard qu'il jeta en direction des fous qui osaient troubler son après-midi trahissait la vivacité qui habitait encore le capitaine. Le vieux loup, seulement éclairé d'une bougie, laissa entrevoir une esquisse de sourire, sa voix âgée n'eut pas besoin d’être haussé tant les bruits à l’extérieur ne parvenait a traverser l'excellente isolation phonique. Le vieillard dos a une gigantesque fenêtre recouverte de rideaux alpagua les arrivants.

« Béliard Vril, cela fait longtemps que je ne t'ai pas vu. Que me vaut le plaisir du seul félon à bord ?
-L'gamin, il a trouvé la vérité. J'venais l'présenter. »

Immédiatement, la mine du capitaine se ferma, n'essayant pas même de cacher sa déception devant une affaire qu'il estimait si futile. Il balaya l'air de sa main, rejetant cette tâche ingrate son grade. À la place, il fit un signe de main en direction d'un recoin de la pièce. La, derrière un secrétaire, une demoiselle que tout l'équipage connaissait bien. Angélica, la fille du décrépit à quelques mètres. Des cheveux juste au-dessus des épaules, une frimousse mutine, des lèvres rouges et un regard plus ardent que les torrents de lave s'écoulant d'un volcan en irruption. Engoncée dans une tenue parfaitement taillée, elle paraissait terriblement sévère, son haut vert sapin renforçant l'imagerie militaire qu’elle dégageait. Angélica passa son regard de l'un à l'autre avant de faire signe à Keshâ de prendre place sur la chaise lui faisant face, congédiant Béliard avec quelques mots, comme l'on se débarrassait d'un serviteur.

« Laisse-nous, marin. Va donc attendre dehors, et trouve de quoi rafistoler ce nouvel arrivant. Vite. »

Horace laissa échapper un grognement qui en disait long sur l'inimitié habitant les deux. Mais, sans rouspéter, il s’exécuta. Désormais, à voix basse proche du murmure, Angélica reporta toute son attention sur Keshâ. Elle s'empara d'une théière résidant dans le coin de sa table, avant de remplir un verre et de le tendre au clandestin.

« J’espère que ces rustres ne t'ont pas mal malmené. Je suis désolé d'un tel accueil. J'ai appris que tu avais été forcé de lutter pour ta vie. J'en suis désolé, si j'avais su plus tôt, j'aurais fait cesser cette pratique grossière. »

Une moue bourrée d'empathie, elle déposa sa main délicate sur l'épaule de l'acrobate avant de poursuivre.

« J'en oublie mes bonnes manières, je suis Angélica Drill, seconde du capitaine. Bienvenue à bord ! Comment te nommes-tu, jeune homme ? Comment en es-tu arrivé à monter dans le navire de pirate ? Rien de grave j’espère ? Raconte moi ce que l'autre grand dadais t'a raconté ? Cet imbécile se croit plus important qu'il ne l'est vraiment. Ce n'est qu'un marin en bas de l'échelle qui a la chance d'avoir de mon père.»

Elle plongeait son regard dans celui de Keshâ sans sourciller, seulement en de rares occasions pour contempler les traits de l'éphèbe. Du moins, c'était l'impression qui se dégageait de son jeu d'iris. Angélica souriait en plus de prêter une oreille attentive.

Portrait Angélica:
Dim 3 Sep - 22:12



Tiens, tiens, tiens... des clandestins

Ft. Horace

 
Fuite en avant. Les seuls mots qui lui viennent. Funambule sans filin de sécurité, il ne doit regarder ni en haut, ni en bas, ni à gauche, ni à droite. Aller toujours tout droit, écarter les distractions de son esprit. On verrait plus tard comment digérer toute cette bouillie bitumeuse et chaotique.

Béliard lui donnait des conseils pour sa chemise. Le choix entre Idyll et Alaha, sans doute Charybde et Scylla? ne semblait pas requérir son attention immédiate, car ils ne s’arrêtaient pas de marcher à travers le Zep. Keshâ tenta néanmoins de ne pas oublier leurs noms et leur fonctions aussitôt.

Le tissus vivant du vaisseau les happait, les bourlinguait, entre les rires gras de ces effrayant flibustiers modernes et les petits galopins qui venaient de le bousculer. Sans doute l’auraient-il fait tomber s’il n’avait pas jouer les anguilles une nouvelle fois. Il repassait en boucle les noms et les visages qui lui avaient été présentés, ainsi que leurs attributs, Marc, le gredin, Merel l’indomptée, Idyll le timonier et Alaha la couturière. Perturbé qu’il était, il aurait pu aussi bien se faire page blanche et ne plus rien savoir l’instant suivant. Loin de lui l'illusion de gérer  : rien du tout.

Aveuglé, ses iris mirent du temps à absorber toute la lumière du soleil, un soleil tel qu’il n’en avait pas vu depuis très longtemps. Inaltéré, brûlant, clair. Et l’air qui fouettait son visage en faisant danser ses mèches sur son front était d’une pureté vivifiante, comme on n’en respirait jamais à Epistopoli. Tout cela était sans parler de la vision renversante qui s’offrait à lui d’un panorama sans limite à travers les cieux, au-dessus des collines et des steppes epistopolitaines. Et ces nuages laiteux que l’on confondait avec la brume et qui semblaient former une nouvelle terre mouvante et confuse !

Ils se tenaient devant la cabine du capitaine quand Béliard proféra un mélange d’avertissement ou de menace. L’instant était décisif face à ces sculptures de bois tranchant avec la modernité du bâtiment. Le changement de lumière fut à nouveau déstabilisant quand ils entrèrent dans ce trou, repaire de noirceur raffinée du capitaine. Le vieillard bougon avait l’air d’un érudit au milieu de tous ces livres, mais Keshâ se demandait bien pourquoi il n’ouvrait pas la fenêtre pour laisser entrer la clarté.

Félon ? La vérité ? Nouveaux éléments de langage que le clandestin s’évertuait à emmagasiner dans l’espoir de relier les points de l’équation à un moment. Il notait surtout l’antipathie manifeste du capitaine à l’égard de Béliard et l’ennui que marquait leur arrivée, avant de tout à coup mentionner l’existence de cette dame aux lèvres rouges que Keshâ n’avait pas du tout remarqué jusqu’à maintenant.

Elle évacua Béliard comme un étron dans une cuvette et il se retrouva bien vite seul et sans repère dans la gueule du loup. Manifestement, la secrétaire détenait une certaine autorité. Elle s’affairait à préparer du thé et Keshâ fut surpris de voir qu’elle en gardait à son intention. Sa voix sensuelle l’enveloppait dans l’alcôve sombre de cette cabine, dont on oubliait vite qu’elle était posée au milieu d’une fourmilière industrieuse sur le pont. Dehors tout semblait rudesse, ici tout semblait calme et concentration. Il s’approcha prudemment pour saisir la tasse de thé brûlant.

-« Pardonnez-moi, Madame… m’dame. S’emble que j’étais en tord en enfreignant les règ’ quand chuis monté à bord. J’pense pouvoir dire q’ j’ai d’la chance d’êt’ en vie. »
L’incompréhension se fait jour dans son regard lavande. Un témoignage de compréhension et un message protecteur n’était pas ce à quoi il s’attendait en comparaissant à la tête de l’équipage. Pas après être monté à bord de manière illicite. Pas après avoir poignardé quelqu’un.

Angélica l’accueillit de manière presque maternelle, à l’écourte, une main réconfortante. Cela pouvait l’inviter à se déposer, mais le changement d’ambiance était trop déroutant. Une partie de lui se demandait ce qu’elle lui voulait.
-« Enchanté. » Il ne put se résoudre à dire « chui Keshâ » et se contenta de « Mon nom, c’est Keshâ… j’voulais aller à Xandrie, mais j’ai pô d’papiers ni d’argent. Vrai de vrai m’dame. »

Il se sentait résolument ridicule dans son rôle de paria de la bonne langue, mais tentait de ne pas détonner du rôle que Béliard lui avait conseillait d’endosser. En l’occurrence, le niveau de langue d’Angelica avait l’air beaucoup plus correct et sa réflexion plus étudiée. Mais il ne voulait pas sembler différent, surtout pas plus intelligent qu’il ne devrait. Un couteau mal aiguisé dans un tiroir mal graissé.

Angelica était d’une attention méticuleuse, même si l’ambiance dégageait le relâchement. Appelons cela de la paranoïa, mais Keshâ se souvint du « S'tu déconnes, t'creveras. ». Il se demandait si cette présence bien trop consolante pour sa situation de clandestin ne cachait pas des enjeux qui le dépassaient. En le cajolant, voulait-elle délier ses lèvres pour l’inviter à se confier à elle, tout lui confier ? Quelque chose qui ne plairait pas à Béliard et pourrait lui porter préjudice dans cet équipage à l’ambiance à couper au couteau. S’il avait raison, le confort de cette hutte de bois et de velours ne pourrait rien pour lui une fois de retour dans la fosse aux lions. Il choisit donc de différer toute bévue en restant très en surface.

« Y’ma seulement expliqué comment qu’jdvais pas m’comporter, les règ’ du Zep. Comment êt’ un bon mousse pour le capitaine. J’frai tout c’que vous m’direz jusqu’à l’prochaine escale mam’, j’frai tout ce que l’équipage m’dira comme corvée. »