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Le Dévoreur

Le Dévoreur Brandw10
Ven 28 Juil - 15:41
C’était comme se réveiller d’un rêve étonnamment réaliste.

Evyline se demandait ce qu’elle faisait là, au milieu de rien, dans un désert de poussière et de cendre, embaumé d’une odeur de vide, presque de mort. Elle se dit un instant que ça sentait peut-être comme ça, dans l’espace, là où il n’y a presque rien.

Puis elle regarda à gauche, et vit sa partenaire de voyage, non pas absente comme la sorcière l’était, mais bien concentrée, les yeux rivés vers l’avant, les côté, jetant parfois de rapides coup d’œils derrière elle, comme si elle craignait quelque chose qu’Evyline ne pouvait pas voir. La princesse se déplaçait avec aisance sur sa monture, bien plus qu’Evyline qui n’avait pas souvent eu l’occasion de se déplacer ainsi, malgré sa, à priori, très longue vie. Elle chercha du regard le reste de la petite troupe, mais ne trouva personne d’autre, se souvenant soudainement de la raison de sa présence ici, de ce qui avait précédé leur départ d’Andoria, de la mission urgente de l’ambassadeur Zvintoch, qui couplée à son mal-être provoqué par la région l’avait finalement arraché de l’expédition, le clouant sur place pour qu’il y assure son rôle. Après tout, c’était son travail, et comme l’ambassadeur, devenu l’ami d’Evyline, lui avait expliqué, il avait littéralement été conçu pour assurer ce genre de tâche, il ne pouvait possiblement s’y soustraire.

Son absence, fatalement associé également à l’absence de ses deux sœurs gardes du corps, avait laissé place à un sacré vide qu’il était difficile de combler. C’était lui qui assurait la conversation. Qui posait tout un tas de question à la sorcière. Qui calmait tout début de dispute qu’il y avait pu avoir entre elle et Elsbeth. C’était très certainement cette absence d’anecdote lancée par l’ambassadeur, de questions ou bien de plaintes concernant le climat ambiant qui avait fini par embourber Evyline dans un semi-sommeil.

« De retour parmi les vivants? »

Elsbeth avait par miracle décidé de briser ce silence atrocement lourd, et la sorcière décida de lui en être reconnaissante, malgré le ton employé par la princesse. Son choix de mot était même plutôt ironique ce qui lui arracha un petit sourire microscopique, fort heureusement invisible pour l’autre.

« Désolée, j’ai du m’assoupir.
- Ça arrive souvent, depuis notre départ. Nous devons rester particulièrement prudent.
- Je sais, je sais. Cet endroit me draine, pour être honnête, et je m’ennuie sans notre ami.
- J’espère que vous n’attendez pas de moi que je fasse autant la conversation que lui...
- Grand dieux, non ! »

Ils s’arrêtèrent quelques minutes, pour faire circuler le sang dans leurs jambes, s’étirer, boire et faire boire leurs chevaux, consulter les cartes. « Cartes » était un bien grand mot pour décrire ces étranges gribouillages des précédents explorateurs, qui pour la plupart ne s’étaient soit pas aventuré bien loin, soit étaient revenus à moitié fous. Le meilleur parchemin constituait un curieux mélange d’extraits d’archives et d’estimation de la part d’Andoriens. Dans la réalité, le coup d’œil que jeta Elsbeth aux papiers ne servait pas à grand chose, si ce n’était peut-être se rassurer de ne pas être encore complètement perdu; après tout, ils ne savaient même pas exactement où ils allaient.

Il avait été convenu, après d’innombrable soupirs de la part de la princesse, que le plus simple serait de suivre l’instinct d’Evyline. Cette région, c’était supposément son ancienne maison, aussi cette façon de faire pouvait ne pas sembler être complètement stupide. Mais après plusieurs siècles supposés et une amnésie avérée, il lui était bien difficile de se repérer ici. Elle savait simplement qu’ils étaient plus ou moins sur la bonne voie. Depuis leur départ de la grande cité, elle s’était rendu compte que son cœur agissait comme une sorte de boussole, ou plutôt de radar. Au plus il battait vite et fort, au plus ils se rapprochaient du but. C’était en tout cas ce qu’elle en avait conclu après plusieurs crises de panique et de vomissements. Ils reprirent rapidement la route, sans s’attarder plus que nécessaire.

« Evyline, atten- »

Sans avoir pu finir sa phrase, Elsbeth ne put que regarder le cheval de la sorcière se prendre le sabot dans un obstacle à moitié camouflé par la cendre. Il tituba en avant, renversant au passage Evyline qui se rattrapa avec très peu de grâce, s’arrachant la peau des mains au passage.

« Putain. »

Peu profondes voir même anodines, ce genre de blessures avaient tendance à envoyer Evyline dans une profonde colère envers elle-même. Ce corps était le seul dont elle disposait, et elle devait en prendre le plus grand soin. L’esquinter de la sorte était tout simplement inacceptable.

La princesse descendit de sa monture, laissa Evyline pester et se dirigea plutôt sur l’obstacle incriminé; une gigantesque pierre arborant une couleur similaire à celle du reste de la région, couvert de ce fameux mélange de poussière, de cendre et de terre qui caractérisait absolument tout ce qui se trouvait à des kilomètres.

Prudente, elle souleva du mieux qu’elle put la pierre, constatant ainsi qu’elle s’était fourvoyée concernant sa nature; particulièrement acérée, l’objet avait véritablement la forme d’une très ancienne dent, particulièrement grande, appartenant à quelque chose qu’il ne fallait mieux ne même pas imaginer.

Evyline rassura son cheval, examina rapidement son sabot puis s’approcha d’Elsbeth, en pleine réflexion.

« Ça ne vous dit rien?
- Absolument pas, répondit la sorcière. Mais il y en a d’autres, regardez. »

Non loin du premier, plusieurs objets similaires traînaient, à moitié enterrés dans le sol mort. Evyline s’approcha lentement de chacun d’eux, fit le tour de la zone, puis pointa du doigt une petite butte à proximité, similaire à une petite falaise, qui fit penser à Evyline que l’endroit ressemblait parfois à une ancienne mer qui aurait entièrement drainée. Sans dire mot, elle prit sa direction en traînant sa monture par son licol. Elsbeth la suivit, non sans un profond et bruyant soupir avant.

L’étrange formation géologique était trop basse pour leur offrir assez d’indications sur la suite de la route, mais elle surplombait suffisamment la minuscule forêt d’arbres morts à proximité de laquelle le petit accident s’était produit pour leur offrir un meilleur point de vue sur la chose. D’ici, les étranges pierres étaient plus visible qu’au niveau du sol, le soleil se reflétant d’une étrange manière sur leur surface exposée, devenant d’un blanc immaculé qui rappela à Evyline les murs d’Andoria.

Elle se mit à vomir le maigre contenu de son déjeuner, qui vint s’exploser en contre-bas. D’ici, les pierres-dents semblaient avoir été disposée ainsi de manière consciente, formant un symbole fait de spirales.

« A en juger par votre réaction, j’imagine que cela vous rappelle quelque chose. »

Evyline sortit un mouchoir de sa poche, déjà bien bruni, et s’essuya la bouche sans répondre.

« Vous me raconterez en chemin, mes sens ne me jouaient pas des tours tout à l’heure, fit-elle en pointant du doigt l’horizon dans la direction d’où ils venaient. Nous sommes suivies. »

La sorcière suivi à contre-cœur sa partenaire, sans quitter du regard les spirales.

C’était un symbole religieux.

Qu’Il nous protège du Dévoreur, pensa-t-elle machinalement, sans même se rendre compte que ces mots lui parvenaient d’un passé vieux de plusieurs siècles.
Ven 28 Juil - 21:15
Conque a écrit:Instructions de mission.
Cet enregistrement ne doit être écouté que par l'Inspecteur n°117 Jérémiah Mortyr.
Tout vol, perte, ou écoute illégale de cette conque vous expose à de lourdes sanctions.


L'équipe ■■■■ opérait à l'Est des Terres Brûlées. Leur mission consistait en la récupération d'échantillons de ■■■■■■ dans le cadre des recherches du Professeur ■■■ resté au Magistère en supervision. Bien que les tâches à réaliser par l'équipe devaient être extrêmement simples et ne pas durer plus d'un mois, cela fait à ce jour trois mois qu'ils n'ont donné aucune nouvelle.

Cependant, les travaux du Professeur ■■■ et les raisons profondes de l'expédition qu'il avait ordonné sont extrêmement sensibles, et nous voulons à tout prix nous assurer que la disparition de l'équipe ■■■■ ne peut pas compromettre la sécurité du Magistère.

Nous ne voulons pas envoyer une escouade entière, trop de logistique, trop de traces. Un homme seul et apte tel que vous favorisera la vitesse d'action et la protection du secret.

Aidez le Magistère à comprendre le pourquoi de leur disparition. Assurez vous que les conséquences de cette disparition ne risquent pas de compromettre ni la sécurité, ni la confidentialité des travaux du Magistère.

J'insiste : protéger les secrets liés à l'équipe ■■■■ doit passer en priorité avant la résolution de cette affaire. Retrouver l'équipe n'est qu'un objectif secondaire. Il est de toute façon évident qu'après trois mois de disparition, vous retrouveriez soit des cadavres, soit des fous. Cela ne nous intéresse pas.

Si des témoins compromettants s'ajoutent au tableau et menacent la confidentialité de votre mission, vous en disposerez de la manière que vous jugerez la plus propice.

Nous ne vous avons pas choisi par hasard, Jérémiah. Vous êtes loyal. Vous êtes efficace, particulièrement lorsqu'il s'agit de reconnaître et résoudre une situation dangereuse pour Opale et pour le Magistère. Nous ne vous laissons pas beaucoup d'informations, car trop en savoir pourrait se retourner contre vous. Mais vous êtes habitué au brouillard, n'est-ce pas ?

Vous trouverez adjoints à cette conque les identités et photographies des chercheurs disparus, ainsi que quelques informations complémentaires que vous êtes habilité à connaître. Je sais que vous aimez la paperasse bien rangée et archivée, mais aujourd'hui je vous demanderai de tout mémoriser puis de détruire ces documents.

Il y a une carte annotée qui vous attend à la cartothèque. Demandez la "jolie carte pleine de couleurs" au responsable, il comprendra ce qu'il doit vous donner.

C'est tout. Vous auriez surement plein de questions à me poser, mais vous savez comment ça se passe, Jérémiah, vous devrez trouver les réponses vous-même. Bon courage.

Message terminé. Veuillez détruire cette conque.

Quand Jérémiah est arrivé au boulot à 7h30, il a trouvé cette conque sur son bureau, assorti à une liasse de papelards, il l'a écoutée puis il s'est dit, qu'est-ce que c'est que cette histoire, ça sent le roussi, enfin bon, pas plus que le job de la semaine dernière, avec la fille qui se transformait en buffle géant et qui pouvait arrêter le temps, ça aussi ça avait été coton.

L'enregistrement est censuré dans tous les sens, plein de bip et de boup. Ça sent le secret-défense, le genre de magouille dans laquelle Jérémiah est rarement invité à tremper. Et ça c'est jouissif, ça ça signifie que le Magistère accorde une confiance toujours croissante à Jérémiah et reconnaît la valeur de son travail.

C'est excitant. Les lèvres sèches et nécrosées se tordent, le gros Jérémiah sourit d'excitation.

***
Des expéditions du Magi' qui partent en vrille, c'est commun. Mais cette région est désertique, fracassée par la chaleur, pauvre en minerais, et sans Brume. Du coup, c'est bizarre, pense Jérémiah, qu'est-ce qu'ils venaient foutre ici ? C'est quoi, ces histoires d'échantillons ?

La carte des terres brûlées, fournie par le Magi', est lourdement cryptée : ben forcément. Un trou de balle qui arriverait à voler cette carte à Jérémiah n'aurait aucune clé de compréhension pour la déchiffrer, il ne saurait pas qu'il s'agit d'une carte, car en fait, ça ne ressemble pas à une carte. Ce sont des structures de nombres qui dessinent des formes abstraites. Hier soir, l'inspecteur a passé plusieurs heures à étudier cette carte devant son feu de camp, ça a tué une bonne partie de sa nuit. Elles sont emmerdantes, les grosses têtes du Magistère, à tout complexifier pour rien, elles aiment bien se donner un genre intellectuel, c'est pour ça.

Quant à la moto, c'est un superbe engin : pas taillé pour la vitesse, mais au top de ce qu'on l'on peut offrir en endurance et en consommation de myste. C'est carrément bruyant si on roule pleine bourre, mais assez discret à allure plus modérée. Elle avale le sable et elle avale la roche sans broncher, sage et résiliente, réactive et maniable, des caractéristiques partagées par Jérémiah.

C'est un superbe engin, pense Jérémiah, d'habitude le Magi' me file des tacots à peine tout-terrains qui finissent en rade au milieu de la pampa. Là c'est comme si j'étais monté en grade, c'est sympa.

Alors que le relief commence à devenir de plus en plus accidenté et montagneux, le concierge du Magistère commence à ralentir le rythme, il faut préserver l'essence et les pneus. Il n'a que deux roues de secours, et il a l'intuition qu'il pourrait crever bien plus que deux fois, s'il roulait n'importe comment à toute berzingue dans ces collines. L'avantage de la faible vitesse et qu'elle laisse tout son temps à Jérémiah d'apprécier le paysage et d'en discerner les détails, tels que ces bestioles en contrebas, faisant on ne sait quoi devant une étrange structure de pierres d'un blanc éclatant.

L'inspecteur éteint aussitôt le moteur, s'accroupit et observe. Deux chevaux, deux femmes. L'une des femmes a un contour familier. Le blanc réfléchi par ces pierres n'est clairement pas naturel, c'est l'oeuvre d'une espèce intelligente, évoquant vaguement une scène de rituel, et ça ne ressemble à rien de ce que Jérémiah a pu étudier en matière d'occultisme sur les bancs de son école. Peut-être une fantaisie païenne locale ?

Jérémiah dégaine son AED KV-12, un grand fusil utile pour couvrir les combats à longue et moyenne portée. Pour la courte portée, les muscles de l'inspecteur font l'affaire dans 95% des cas. Mais ce qui est particulièrement pratique, c'est la lunette intégrée.

Jérémiah se couche sur le ventre, bloque le trépied de l'AED, puis observe les bestioles à travers la lunette.

Deux chevaux et deux femmes, c'est bien ça. Parmi elles, Evyline, une collègue et amie de Jérémiah. Il a déjà longuement parlé avec elle autour de la machine à café ou de brunchs entre collègues. Aussi, lorsqu'elle a tué quelqu'un dans son atelier, il a nettoyé sa scène de crime et fait disparaître le cadavre pour elle. Même si c'est que le boulot, c'est le genre d'aventure commune qui vous rapproche. Pourquoi est-elle ici, au milieu du rien, à cuire sous un soleil de plomb ?

L'hypothèse évidente, c'est qu'Evyline a un lien avec cette expédition perdue, voire qu'elle en était membre, mais que son identité ne figurait pas dans le dossier, parce qu'elle faisait partie d'une autre surcouche de secrets, peut-être, ou simplement parce qu'ils ont oublié de la mentionner dans le dossier, ça aussi ça peut arriver. Sa présence n'est pas si étonnante, et c'est rassurant de la voir en vie et en bonne santé (même si dans son cas, la vie et la bonne santé sont des concepts fort relatifs).

Evyline est une bonne copine. Le vrai ennui, c'est sa compagnon.

Jérémiah grimace, lorsqu'il reconnaît son visage. C'est la princesse Elsbeth de Xandrie, agitatrice, ennemie d'Opale. Est-elle passée par Andoria ? A-t-elle entendue parler des expéditions d'Opale dans la région ? Une idée derrière la tête ? Voilà une rencontre étonnante et inquiétante, et un duo dont il ne comprend pas la cohérence. On pourrait se dire qu'Evyline a décidée de trahir Opale ? Jérémiah, qui la connaît bien, sait qu'elle ne mouille pas dans ce genre de bêtises, que la politique n'est pas dans ses centres d'intérêt, et qu'elle aime son confort opalin. Pourquoi elle s'acoquinerait avec la Révolution de Xandrie au milieu du désert ?

Et si c'était l'inverse ? Et si c'était la princesse qui se faisait jouet d'Evyline ? Là non plus, ça ne fait pas sens. Elles voyagent comme des sortes de compagnons, discutent et échangent, ramassent des caillasses, sans sembler particulièrement tendues.

Jérémiah continue de les observer à travers la jumelle de son AED. La princesse vient de pointer approximativement du doigt la direction de l'inspecteur, peut-être qu'elle soupçonne déjà d'être suivie. Si un reflet de la lunette du fusil a trahi sa position, ce serait une erreur de débutant, indigne de notre gros ami Jérémiah. Oh, mais si elle avait compris que quelqu'un les épie à travers un sniper, elle aurait l'air moins sereine que ça.

Peu importe, Jérémiah prévoit de toute façon d'aller à leur rencontre. Evyline est une piste sérieuse qu'il faut approfondir, et la présence d'Elsbeth dans la région pourrait constituer un risque majeur pour Opale. Il doit absolument en savoir plus.

Jérémiah plie l'AED et le range dans son dos, puis réajuste son poncho. Ensuite, il remonte sur la moto. Elles reprennent la route, mais au rythme où elles avancent, ce devrait être rapide de les rattraper.

*****

Deux collines oranges à la roche poudreuse, décorées de carcasses d'animaux morts. C'est lorsque les femmes passent entre ces deux collines que Jérémiah les rattrape. Il débarque au sommet de l'une des deux collines, et elles le voient avant qu'il ne prenne la parole. Son beau visage reptilien emmitouflé dans un épais keffieh lui donne un air de bédouin baraqué.

« Salut, Jérémiah.
- ... Tu le connais ?
- Oui, c'est un ami. »

Jérémiah résiste à la tentation de sortir son badge et de se présenter officiellement comme le veut le protocole. Aujourd'hui il n'est pas censé être ici ! Même si ce badge le chatouille vraiment.

« Salut Evyline. Tu vas bien ?
- Barbouillée, mais ça va. »

Evyline semble agréablement surprise par cette rencontre, ce qui tue et re-tue l'hypothèse d'une trahison de sa part. La princesse, naturellement, semble bien plus méfiante. Elle ne le lâche pas du regard, tandis qu'il les toise du haut de sa colline, perché sur sa moto poussiéreuse.

« Jolie machine. Tu fais du tourisme, Jérémiah ?
- C'est ça, je suis un touriste.
- Vous pouvez m'expliquer ?
- Jérémiah est un ami de longue date. C'est un explorateur qui voyage beaucoup, partout dans le monde, dans des endroits dangereux. C'est une belle coïncidence de le rencontrer ici. Tout va bien Elsbeth, il est digne de confiance. »

Evyline a le bon goût de ne pas trop en dire sur le job de Jérémiah, probablement qu'elle se doute que sa présence dans un coin aussi insolite traduit un danger pour le Magistère. Elle aussi, après tout, est remplie de secrets qu'elle ne laisse que rarement déborder.

« C'était moi qui vous suivait tout à l'heure, ajoute Jérémiah pour apaiser l'atmosphère. J'ai compris que vous m'aviez repéré et je m'excuse si je vous ai effrayées.
Qu'est-ce que vous faites de beau dans le coin ? » il demande tout naturellement.

Il vaut mieux en savoir le plus possible avant de ne serait-ce qu'évoquer l'intérêt du Magistère pour cette région devant la princesse bâtarde, nous sommes là devant un risque considérable de faire voler en éclat le secret-défense. Jérémiah s'attendait à ce que cette affaire soit encore plus compliquée qu'elle en a l'air, mais là, ça s'annonce vraiment coriace ! Plus coriace encore que l'arrestation de cette fille qui se transformait en buffle géant et qui pouvait arrêter le temps.
Lun 7 Aoû - 22:44
C'était un petit monde, un bien petit monde.

Même si les motivations de l'ambassadeur triton pouvaient sembler assez obscures, Elsbeth devait bien avouer que sa présence, et celle de ses deux sœurs, s'étaient avouées réconfortantes sur la première partie de leur voyage. Naturellement, elle avait fait la moue en apprenant qu'il leur faudrait prévoir moins de montures et de vivres que prévu... car elle devrait poursuivre son chemin en tête à tête avec la moribonde. C'était toutefois une bonne occasion d'enquêter à son sujet, de savoir ce qui l'amenait dans les Terres Brûlées. Encore mieux : le cœur des Terres Brûlées, là où jamais personne ne se rend et où d'étranges phénomènes se produisent. Pourtant, c'était surtout la promesse du voyage et l'entretien avec Van Beck qui l'intéressait, plus que la véritable poursuite du mystère ; pion volontaire du Chancelier, la Princesse se mouvait sur l'échiquier sans poser de questions. On lui avait dit de s'enfoncer dans les terres et de savoir ce qui s'y tramait et, d'une certaine façon, cette étrange quête était directement liée au destin de Xandrie à présent.

Seulement, à mesure que les deux femmes avançaient, que le paysage devenait plus aride... plus étrange, sa curiosité ne faisait, elle, que s'intensifier. Après un petit détour par des ruines ensevelies et le constat sans appel qu'elles approchaient de leur objectif, les yeux de lynx de la belle n'avaient pu ignorer la lueur tenace à l'horizon, d'un endroit opposé au soleil. Sa tension était montée d'un cran mais pas pour longtemps, car l'inconnu avait décidé de les rejoindre avant qu'Evyline ne le présente. Drôle de coïncidence, tout de même.

« - Du tourisme, aussi, » répondit sèchement Beth à l'énergumène reptilien qui venait de les rejoindre, pour décocher ensuite à sa voisine : « A moins que vous n'ayez des objectifs secrets, vous poussant à traverser les terres les plus désolées d'Uhr.

- Pas plus que vous, n'ayez crainte. »

La réplique était lourde de sous-entendus, mais c'était un juste retour de bâton. Evyline n'était pas dupe et se doutait bien que si la xandrienne faisait une charmante compagnie, ce n'était pas juste pour ses beaux yeux vitreux. Pour l'instant, les révélations resteraient donc au point mort et elle s'en accommodait. Moins pour les mystères qui entouraient leur nouveau compagnon.

« - C'est un bien curieux équipement pour faire du tourisme.

- Lorsque l'on se rend dans les Terres Brûlées, mieux vaut être bien équipé. C'est plutôt vous qui voyagez léger, je dirais.

- Les Elementaires d'Andoria ne sont malheureusement pas reconnus pour leur générosité.

- Dans ce cas, laissez-moi vous accompagner pour un bout de chemin. D'ailleurs, vous êtes... ? »

La zoanthrope plissa les paupières, l'espace d'une seconde. Dans cette partie du monde, elle n'avait pas l'habitude de passer pour une vulgaire inconnue. Mais elle pouvait se tromper. Elle n'était pas plus enjouée de devoir accepter la compagnie d'un inconnu, quand bien même Evyline le connaissait, ce qui à vrai dire ne la mettait pas en confiance. Mais était-elle en position de refuser ? Assurément non.

Comme pour confirmer ses pensées, sa comparse fit le lien :

« - Elsbeth von Aerssen. Nulle autre que la Princesse de Xandrie qui nous gratifie de sa présence.

- J'ai connu des tons plus sarcastiques. Je ne tiens pas vraiment à m'étendre sur des sujets politiques, nous ne sommes pas là pour ça. Joignez-vous à nous si vous le souhaitez, toujours est-il que le soleil diminue et qu'il nous faudra trouver un refuge pour la nuit. Je ne connais rien de cet endroit et je n'ai pas envie de découvrir ce qui y erre dans les ténèbres... »

L'expression sembla plaire à la moribonde et laissa un air d'indifférence sur le « visage » du mutant. L'instant d'après, c'était comme s'il ignorait la présence d'Elsbeth en discutant uniquement avec son amie. Une belle occasion pour le lynx de changer de forme pour aller éclairer un peu les environs.

Il ne fallut pas longtemps, à vitesse de félin, pour obtenir des résultats prometteurs : un endroit où les ruines se faisaient plus nombreuses, renvoyant la lumière jaunâtre du soleil là où elles ne projetaient pas de grandes ombres sur la terre aride. Au loin, des formes hélicoïdales se dessinaient, prenant des proportions dantesques et squelettiques de villes à jamais perdues. La capitale du Royaume Oublié, probablement.

La révolutionnaire n'eut aucune difficulté à retrouver ses compagnons de voyage ; ils n'avaient pas particulièrement cherché à fuir ou à dévier de leur itinéraire. Après avoir repris forme humaine, la zoanthrope leur fit un rapide topo.

« - J'ai aperçu d'autres vestiges au Nord, bien plus vastes que ceux que nous venons de croiser. Si vous me suivez sur votre véhicule, nous pourrons y être bien avant la tombée de la nuit et y établir un campement à l'abri du vent... et des rôdeurs.

- C'est possible pour toi, Jérémiah ?

- Je devrais pouvoir te faire une place sans problème, mon amie. Allez-y, nous vous suivons de près ! »