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La laideur qui mène le monde

La laideur qui mène le monde Brandw10
Jeu 23 Mar - 15:27

LA LAIDEUR QUI MÈNE LE MONDE

Ft. Weiss Von Arendt


Le voyage avait été éprouvant.  

La nuit tombait sur la capitale opaline lorsqu’Elizawelle franchit les frontières de la ville. Épuisée par son voyage, trempée par la pluie drue, la jeune femme retardait pourtant le moment de se rendre chez elle, là où l’attendaient pourtant des vêtements propres et un bain chaud.  
Il y avait dans cet appartement somme toute banal des souvenirs auxquels elle n’avait aucune envie de se confronter ce soir. Le fantôme de son père y régnait : sa chambre était toujours intacte, les meubles recelaient mille souvenirs et le silence lui rappelait cruellement son absence.

Son immense sac de voyage sur le dos, elle prit plutôt le chemin du Magistère. Il était encore tôt malgré la noirceur du ciel couvert de nuages sombres et plusieurs des ingrédients qu’elle avait récoltés devraient rapidement être réfrigérés avant de perdre toute leur fraicheur.  
Elle traversa les rues d’un pas rapide et eut une pensée pour la moto qui dormait chez elle et qui lui aurait permis de traverser la ville en quelques minutes. L’eau tombait comme un rideau autour de son chapeau à large bord et elle frissonna lorsqu’un vent frais se leva.  

Rapidement, le Magistère se dressa devant la zoan, qui passa devant les tartares, gardes surentrainés protégeant les secrets de l’endroit, sans leur jeter un regard. Elle atterrit rapidement dans le grand hall et elle poursuivit son chemin sans s’arrêter. En la voyant ainsi confiante, personne ne songea à lui poser de questions et elle s’enfonça dans les couloirs tortueux de l’institution.
Elle retrouva le bureau de son commanditaire et conclut rapidement sa transaction. Le sac plus léger, elle reprit le chemin inverse, évitant le plus possible de s’attarder sur les bruits environnants, les conversations tordues et les couloirs suspects qui s’étiraient autour d’elle.  

Elle ressentait toujours un profond malaise de se retrouver dans cet établissement. Peut-être était-ce parce qu’elle conservait une opinion très ambigüe sur le Magistère et ses expériences.  
D’un côté, Elizawelle avait conscience des progrès phénoménaux qui ressortaient des expériences des scientifiques opalins. Elle se serait difficilement passé des commodités que lui offrait le myste dans son appartement et portait un amour particulier à sa moto qui fonctionnait elle aussi au myste. Elle rêvait également, depuis aussi longtemps qu’elle connaissait leur existence, de posséder un Nascent, ces petits cristaux qui pouvaient conférer un pouvoir à l’objet dans lequel il était serti. Une autre invention du Magistère.  

Grâce au Magistère, Opale était l’une des plus grandes puissances d’Uhr, crainte et respectée par toutes les autres nations. Cependant, cela avait un prix qu’Elizawelle avait mis des années à comprendre, sans doute parce qu’elle était auparavant trop jeune pour vraiment saisir ce qui se passait dans ce grand bâtiment aux mille secrets.  
Les possibilités qu’offrait le myste n’étaient possibles que grâce à la misère des xandriens. Pour chaque avancée de la panacée, des centaines de victimes, parfois consentantes, parfois carrément esclavagisées, mourraient dans le plus grand secret. Ceux qui ressortaient des laboratoires du Magistère avaient le plus souvent du myste dans les veines et présentaient des mutations qui en faisaient au mieux les risées de la société, au pire des armes entre les mains des puissants.
Le racisme était également une tare des opalins. Ceux qui, comme elle, était zoanthrope risquait gros dans cette ville ou la simple connaissance de ce fait pouvait valoir un allé simple vers les laboratoires secrets de la ville.  

Opale la puissante, Opale la resplendissante, Opale la lumineuse.  
Tant de beauté pour camoufler toute cette laideur.  

C’est plongé dans ses pensées qu’Elizawelle sortit du Magistère. La pluie s’était presque complètement tarie et seules quelques gouttelettes s’échappaient encore des nuages. Elle prêta plus ou moins attention au chemin qui la menait jusqu’à chez elle, le connaissant par cœur.  
C’est sans doute pour cela qu’elle ne comprit pas tout de suite qu’on la suivait. Sans les sens du jaguar, qu’elle utilisait presque en permanence sous la Brume, il lui semblait ne rien pouvoir sentir, ne rien pouvoir entendre, comme privée d’une partie d’elle-même.  

Elle finit pourtant par s’en rendre compte malgré son instinct un peu endormi. Lorsqu’elle jeta un œil par-dessus son épaule, elle remarqua ce qui l’avait alerté : deux hommes la suivaient. Du moins, elle en avait l’impression.  
Souhaitant se rassurer sur le fait que ces hommes empruntaient simplement le même chemin qu’elle, Elizawelle s’enfonça dans une rue transversale. Attentive, elle serra les dents en constatant qu’ils la suivaient toujours. Sans son sac, elle aurait sans doute eu une chance de les semer, mais son poids la ralentirait et il n’était pas question qu’elle abandonne ses affaires. Se transformer en pleine ville aurait sans doute été la pire des idées.
À la place, la jeune femme choisit de retourner vers les quartiers du centre-ville, de là où elle venait, et surtout, là où il risquait d’avoir un peu plus de gens dans les villes. Non pas qu’elle espérait que quiconque l’aide dans cette ville du chacun-pour-soi, mais plutôt parce que les regards pourraient faire réfléchir ses poursuivants.  

Augmentant la cadence, serrant les poings, Elizawelle réfléchissait. Comment se débarrasser d’eux ? Elle aurait pu sortir son arme pour les dégommer à distance, mais ce genre d’action risquait d’avoir des conséquences autrement plus désastreuses pour elle si ces hommes avaient la moindre réputation. De plus, elle ne tenait pas à recourir à des moyens aussi extrêmes lorsqu’elle pouvait l’éviter.
Alourdie par la fatigue de son voyage, l’esprit pas aussi clair qu’elle l’aurait voulu, la jeune femme finit par comprendre qu’elle ne les sèmerait pas. Ainsi, elle s’arrêta sous le toit d’un pavillon qui ornait l’intersection de rues habituellement assez fréquentées. Malheureusement pour Elizawelle, les rues étaient vides, ce soir.  
Ils étaient à quelques mètres, maintenant. L’un d’eux portait un uniforme de garde, mais tous deux semblaient sous l’influence de substances qui ne devaient pas être que de l’alcool. La jeune femme grimaça lorsqu’ils la hélèrent.  

- Alors, ma jolie, on cache des secrets ? demanda le plus petit des deux.

– On t’a vu, on t’a reconnu, allez, montre-nous, chantonna l’autre d’un ton qui fit froid dans le dos à Elizawelle.  

– T’es une ZOAN, hurla grossièrement l’homme en la pointant alors que son compagnon affichait un air dégouté. Une putain de zoanthrope. Qu’est-ce qu’un animal comme toi fiche ici, hein ?

Ils approchaient de plus en plus et Elizawelle recula instinctivement. Devait-elle sortir son couteau ?

– J’ai entendu ce qu’ils ont dit, susurra une voix à son oreille. Une bête de foire.

Elle sursauta. Un troisième homme était là, tout près d’elle, et sa voix doucereuse provoqua une vague de dégoût chez la jeune femme. Elle voulut fuir, mais il la tenait déjà.  

– Je l’ai, les gars, cria-t-il alors qu’elle tentait, sans succès, de se libérer de son emprise.

Sous la panique, la jeune femme n’arrivait pas à envisager de solution.  
C’était un cauchemar.  
Dim 26 Mar - 15:53
Weiss regarda sa montre à gousset en soupirant avant de jeter un œil par la fenêtre.

Ce n’était pas exactement la tempête dehors mais s’il y avait bien eu un jour où elle n’aurait pas rechigné à ce que son chauffeur la raccompagne chez elle, c’était bien aujourd’hui. La voiture avait dû avoir un problème de dernière minute, ou bien une des artères principales de la ville était peut-être bloquée.
En vérité la seconde option était probablement la bonne, elle n’était pas particulièrement habituée à rentrer chez elle à cette heure-là mais comme c’était celle à laquelle la plupart des gens finissaient leur journée, ce serait logique qu’il y ait de l’affluence. Elle serait rentrée bien plus tard normalement mais elle n’avait presque pas dormi la nuit dernière. Si d’ordinaire ce n’était pas un souci, son manque de productivité flagrant dans l’après-midi avait eu raison de son entêtement habituel et elle avait convenu de rentrer.

Bientôt une demi-heure cependant qu’elle attendait en vain dans le hall de l’immeuble où la Compagnie Von Arendt avait une partie de ses bureaux et sa patience commençait sérieusement à s’étioler. Venant se pincer l’arrête du nez en inspirant longuement, la jeune héritière se tourna finalement vers la secrétaire encore présente et s’approcha d’elle en faisant claquer ses talons sur le sol. Voyant que cette dernière se raidissait déjà de peur et d’appréhension, Weiss força un sourire poli avant de l’aborder.

« Lyne, quand mon chauffeur arrivera – s’il arrive seulement – dites lui de ramener la voiture et de prendre sa soirée, je vais rentrer par mes propres moyens » annonça-t-elle.

La secrétaire haussa un sourcil avant de couler un bref regard à l’extérieur. Peu sûre, elle ramena cependant son regard sur la femme à la chevelure blanche.

« Vous êtes certaine madame Von Arendt ?.. 

« Certaine. Passez une bonne soirée et à demain » conclu l’héritière en se détachant du bureau pour se diriger vers l’extérieur, la secrétaire la saluant avant qu’elle ne sorte complètement.

Une fois dehors, Weiss ouvrit son sac-à-main et farfouilla rapidement dedans, repoussant le revolver qui ne la quittait plus désormais d’un côté avant de sortir son parapluie et de le déplier au-dessus de sa tête, s’engageant dans les rues pavées d’Opales.

Malgré le bruit et l’odeur de pétrichor qui planait dans l’air, le bruit sourd des gouttes tombant sur la toile de son parapluie ainsi que l’obscurité des nuages et de la fin de journée avaient quelque chose de relaxant. La lumière des éclairages se reflétant dans les flaques au sol étaient semblables à des veilleuses dont l’intensité variait légèrement d’une rue à l’autre. Elle se laissa ainsi bercer pendant le voyage en ne pensant à rien de particulier, se laissant simplement porter en rentrant chez elle en pilote automatique. Une conduite dangereuse vu son statut et elle se serait volontiers ressaisie d’ordinaire pour relever sa vigilance mais entre la fatigue et le parapluie qui la masquait en partie elle arrivait presque à se convaincre qu’elle était méconnaissable. Une Opalienne parmi tant d’autres.

Elle continua à avancer ainsi dans les rues presque à l’aveugle, se contentant simplement de se diriger vaguement dans la direction de son appartement. Weiss remarqua à peine le manque singulier de passants dans les rues jusqu’à entrer dans une artère particulièrement vide, à quatre individus près. En relevant le nez des pavés pour observer un peu plus la rue le temps sembla ralentir pour l’héritière des Von Arendt alors que son regard passait de la jeune femme à ses trois agresseurs. Les émotions se succédèrent si vite qu’elle se sentit prise de vertiges. La peur d’abord, pour cette inconnue puis pour elle-même sans qu’elle ne comprenne pourquoi. Le doute ensuite puis finalement la colère. D’abord vive et sourde puis plus froide, glaciale même.

A peine avait-elle réussi à faire le point qu’elle réalisa que sa main libre s’était déjà glissée dans son sac-à-main pour enserrer la crosse de son revolver. Weiss ferma un instant les yeux en se décidant finalement à intervenir et redressa le canon de son arme vers le ciel en armant le chien avant de presser la détente, puis de retourner le revolver vers un des trois assaillants du pavillon.

« Je ne suis pas de taille à vous affronter seule. Je n’en aurai probablement qu’un avant de me faire déborder mais vu le vacarme des détonations il ne faudra pas longtemps pour qu’on vous rattrape si vous arrivez à vous en tirer. Même maintenant il y a peut-être deux-trois curieux aux fenêtres après la première. Donc, quoi que vous fassiez ou prévoyiez de faire, je vous conseille de profiter du temps qu’il vous reste pour aller passer une soirée tranquille, ailleurs » conclut la jeune femme à la chevelure blanche en ré-armant du pouce le chien de son arme.

Si son regard était rapidement passé sur les brutes il avait fini par s’arrêter sur l’autre femme qui ne devait pas être plus vieille qu’elle à priori, semblant s’assurer que tout allait bien de son côté. Elle retourna ensuite ses yeux bleu acier sur les malandrins en cherchant à se montrer la plus menaçante et assurée possible.
Elle savait qu’il était impossible qu’ils entendent les battements assourdissants de son cœur lui vrillant les tympans, mais elle espérait aussi qu’avec la pluie et la pénombre ils étaient incapable de voir son bras qui tenait le revolver trembler.

Histoire que son bluff tienne un peu.
Dim 2 Avr - 14:35

LA LAIDEUR QUI MÈNE LE MONDE

Ft. Weiss Von Arendt


La voix de la jeune femme retentit au parfait moment.  

Elizawelle cessa aussitôt de se débattre, laissant l’autre fille devenir le centre de l’attention. D’un œil expert, sans bouger pour se faire oublier de son ravisseur, l’aventurière analysa sa bienfaitrice. Elle semblait avoir déjà tenu cette arme et avait une posture acceptable, mais ce n’était visiblement pas une tireuse d’expérience.  
Inévitablement, la vue de l’arme distrait l’homme et au fil du monologue de la fille, son emprise se desserra imperceptiblement. Ayant guetté ce moment, Elizawelle projeta sa tête et assena un coup directement sur le nez de celui qui la tenait. Il la lâcha instantanément et la zoan se recula prestement en direction de celle qui l’avait sauvé. D’un geste, elle écarta sa cape et dégaina son revolver.  

La situation s’était renversée et malgré son cœur qui battait à vive allure, l’opaline s’autorisa un sourire satisfait.  

– Vous devriez l’écouter, fit Elizawelle, moqueuse, à l’attention des trois hommes.

Lentement, sa peau se couvrit d’un poil sombre. Ses mains laissèrent apparaître des griffes impressionnantes et l’œil rond du jaguar donna un air étrange à son visage. À cette vision étrange, dérangeante, confrontante, les deux premiers hommes tournèrent les talons sans demander leur reste. Le troisième semblait différent. Il avait une certaine fascination dans le regard. Et surtout, il ne semblait pas du tout avoir peur.  
Elle n’avait pas eu le temps de voir son visage, mais c’était lui qui l’avait retenu. Elle le détailla rapidement. Un homme de haute stature à la peau pâle, à la chevelure sombre et aux habits soignés. Son visage, sa posture... Elizawelle avala sa salive.  

- Quels lâches ! lança-t-il, théâtral, les observant s’éloigner.

Sans bouger, il tourna le regard vers les deux femmes et un sourire en coin étira ses lèvres. Les mains d’Elizawelle se crispèrent sur son arme alors que son instinct lui hurlait de fuir. La confiance dont elle avait fait preuve en narguant ses ravisseurs s’était de nouveau envolée.

– Dame Von Arendt, mes hommages, dit-il, levant les mains dans les airs pour montrer qu’il n’était pas armé. Et vous... vous êtes Elizawelle, ajouta-t-il d’un ton satisfait.  

Cette dernière fronça les sourcils. Le nom de Von Arendt était une surprise, mais pas autant que d’entendre son prénom dans la bouche de cet homme effrayant.

- Qui êtes-vous ? s’avança-t-elle, menaçante, mimant une confiance qu’elle ne ressentait pas. Que savez-vous de moi ?

– Vous êtes bien plus que vous le croyez, jeune femme. Quant à moi... Vous apprendrez mon nom tôt ou tard, fit-il, plein de mystère. Sur ce...

Elle aurait voulu le questionner davantage, mais un immense coup de vent, comme sorti de nulle part, la désarçonna. Elle avait à peine cligné des yeux, mais lorsqu’elle les rouvrit, l’homme avait disparu et ses secrets avec lui. Elle se raidit et regarda rapidement autour d’elle, cherchant à l’apercevoir fuyant l’endroit. Mais aucune trace de l’homme. Vaincue, elle soupira. L’aventurière avait vu beaucoup de choses étranges dans sa courte vie, assez pour soupçonner que d’étranges pouvoirs étaient à l’œuvre.  

Elle prit soin de reprendre une apparence totalement humaine avant de baisser son arme et de se retourner vers la noble femme qui avait eu le cran de venir l’aider face à trois hommes. Maintenant qu’elle l’observait, il lui semblait évident qu’il ne s’agissait pas d’une fille du peuple. Malgré le choc de cette désagréable rencontre, elle conservait un visage parfaitement neutre et un maintien impressionnant. Ses vêtements, bien que visiblement conçus pour la praticité, étaient issus de grands noms de la couture opaline. Seuls ses yeux parlaient à la sollicitude d’Elizawelle. Cette fille, qui devait avoir environ son âge, ne semblait pas une habituée de ce genre de situation. La zoan lui adressa un sourire rassurant et rangea son arme à sa ceinture.

– Sans votre aide, j’étais fichue. Merci beaucoup, demoiselle Von Arendt... si c’est bien votre nom, la remercia Elizawelle en la saluant de son chapeau. Vous allez quelque part ? Il vaut peut-être mieux ne pas marcher seules, ce soir, jugea-t-elle.  

Il lui semblait étrange qu’une femme de son rang se promène seule dans les rues d’Opale par une telle température, même armée. Cependant, elle était trop reconnaissante de sa présence pour la questionner là-dessus.
Mar 18 Avr - 18:56
La main de Weiss restait fermement crispée sur la crosse de son revolver, le canon pointé vers le dernier individu restant.

Elle savait que, logiquement, elle devrait se détendre : elles étaient à présent deux à braquer l’inconnu et nul doute que son petit tir de semonce d’un peu plus tôt avait d’une manière ou d’une autre attiré l’attention sur leur position.
Pourtant, elle avait du mal à entendre les mots de l’inconnue qui l’avait rejoint. Sa vision concentrée sur le dernier malandrin était trouble et, malgré le fait qu’elle veuille tirer, que tout dans son corps lui disait de tirer et de l’abattre, elle en était incapable. Le sang semblait avoir quitté ses extrémités qui lui paraissaient étrangement glacées alors que sa tête devenait lourde, si lourde. Son index restait crispé sur la détente, impuissant.

‘Von Arendt’. Dans le brouhaha incompréhensible qu’était leur petit échange, son nom lui semblait parfaitement audible. Comme si on lui avait jeté un seau d’eau glacé à la figure pour guérir sa gueule de bois, Weiss revint presque aussitôt à elle et à sa paralysie s’ajouta la peur. Elle ne devrait pas être surprise, elle se savait très reconnaissable. Mais la manière presque prédatrice avec laquelle l’homme l’avait prononcé lui donnait l’impression d’être minuscule, vulnérable, en plus de faire revenir de mauvais souvenirs qui lui avaient valut sa cicatrice.

Elle lança tout de même un rapide coup d’oeil vers l’inconnue qu’elle avait « sauvée » et si les circonstances n’étaient pas aussi déplorables, elle aurait presque été soulagée de son mutisme soudain car elle n’aurait pas été sûre autrement de ne pas échapper au moins un petit cri en voyant son apparence. Seuls ses yeux devinrent presque aussi ronds que ceux de la femme aux cheveux noirs, en guise d’unique réaction de sa part et encore, il n’avait pas leur animalité. Les poils sombres, les griffes… Pendant un instant elle se demanda si elle n’avait pas choisi le mauvais camp, avant de se rappeler qu’elle ne l’avait pas menacée, elle. Pour l’instant en tout cas.

Aussi rapide fut le coup d’oeil de Weiss pourtant, il n’en restait pas moins que quand elle retourna son regard sur le dernier agresseur celui-ci avait disparu. D’autres soirs, elle aurait peut-être poussé davantage le curieux phénomène. Pour l’instant elle était juste soulagée, même si ça peinait à se voir dans sa posture crispée et sa main tremblante tenant toujours son revolver maintenant pointé sur le vide. Elle commença par porter sa main tenant son parapluie sur son buste par-dessus son coeur pour tenter de le calmer, les battements effrénés regagnant progressivement un rythme moins soutenu.

Sa respiration haletante commença de même à devenir plus régulière alors qu’elle baissait enfin son arme et retournait son regard vers cette « Elizawelle », si elle avait bien entendu. Son sourire se voulait rassurant, elle connaissait bien ce genre d’expression mais il peinait sincèrement à la soulager de quelques troubles. Elle répondit cependant par un de circonstance, quoique trop crispé encore à son goût mais cela ferait l’affaire pour le moment.
Prenant une dernière inspiration avant de répondre, elle rangea définitivement le revolver dans son sac après avoir désarmé le chien et remis la sûreté.

« Je préfère Weiss, si vous voulez bien. Surtout après... » commença-t-elle en faisant un geste de sa main libre en direction de là où se trouvaient les trois malandrins un peu plus tôt.

La jeune femme à la chevelure blanche ramena ensuite cette même main pour accrocher son bras qui tenait le parapluie avec un profond soupir.

« Je… C’est probablement mieux de ne pas rester seules, oui. Je ne serais pas contre m’arrêter quelque part avant de rentrer chez moi, histoire d’être sûre que personne ne nous suis si ça vous va, madame ?... » demanda-t-elle en haussant légèrement un sourcil avant de rajouter « Je ne connais pas trop le coin, si jamais vous avez un endroit calme en tête à proximité, je suis preneuse ».

Un autre soir, elle n’aurait jamais suggéré cela. Surtout avec quelqu’un qui pouvait sans doute l’égorger d’un coup de griffe si elle le souhaitait. Mais après ce sursaut d’adrénaline, elle qui était déjà épuisée par une nuit sans sommeil se sentait soudainement plus vulnérable encore, en plus d’exténuée. Et elle préférait infiniment la compagnie – même provisoire – d’une ennemie potentielle au fait de se retrouver seule, encore.

Elle faisait de son mieux pour paraître calme et composer, mais elle doutait d’être capable de tromper qui que ce soit, encore moins celle qui lui faisait face.
Sam 13 Mai - 12:54

LA LAIDEUR QUI MÈNE LE MONDE

Ft. Weiss Von Arendt


– Weiss, alors, acquiesça Elizawelle, surprise, mais heureuse de la familiarité de l’autre jeune femme. Laissez-moi réfléchir...

Elle était visiblement ébranlée et l’aventurière se dit qu’un petit remontant l’aiderait sûrement à reprendre ses esprits. Il fallait que l’endroit soit suffisamment discret pour permettre à une noble de son rang de passer inaperçue. Toutefois, le petit bar qu’il y avait sur la rue transversale ne convenait pas. Son ambiance était miteuse et ses sièges, inconfortables, même s’il servait un alcool de qualité. Non, l’endroit devait être un peu plus raffiné, sinon elle allait définitivement effrayer Weiss. Constatant le visage d’une femme plaqué à une fenêtre du deuxième étage qui tentait de voir ce qui se passait dehors, Elizawelle fit un signe à sa bienfaitrice.  

– Nous avons attiré l’attention, nous ferions mieux de nous en aller avant que la garde ne débarque. Suivez-moi !

Elle se mit à marcher d’un bon pas, s’assurant que Weiss, qui semblait bouleversée, lui emboite le pas. Elizawelle, elle, avait repris son aplomb. S’il n’était pas habituel pour elle de se faire agresser en pleine ville et malgré le trouble que causait chez elle l’apparition de cet homme étrange qui connaissait son nom, elle avait l’habitude de situations périlleuses et après avoir affronté les manifestations de la Brume, cette agression n’avait rien eu de bien cauchemardesque.  
Elle voulut faire la conversation avec Weiss pour lui changer les idées, mais elle ne savait pas de quoi parler avec une noble de ce rang. Ses questions ne seraient-elles pas perçues comme indiscrètes ? Que pouvait-on demander à une femme noble, quand même bien celle-ci n’était pas plus vieille qu’elle-même ? Elizawelle n’avait aucune idée de ce à quoi pouvait ressembler la vie d’une Von Arendt.  

Tout en soutenant d’un regard ou d’un mot sa compagne d’infortune, Elizawelle tenta de se rappeler ce qu’elle savait sur sa famille, l’une des plus influentes d’Opale. Si elle se souvenait bien, ceux-ci étaient à l’origine de la création du Magistère et étaient encore aujourd’hui très impliqués dans sa gestion. N’y avait-il pas un Von Arendt parmi les directeurs ?  
Cela semblait étrange à Elizawelle. Weiss savait-elle ce qui se tramait dans les inquiétants couloirs de l’institution phare d’Opale ? Savait-elle les horreurs qui s’y déroulaient, les gens qu’on y torturait ? Certes, les secrets du Magistère étaient bien gardés, mais la zoan ne pouvait pas croire qu’une femme de son rang ne sache rien. Et inconsciemment, elle lui en voulait un peu.  

Elle ne dit rien sur ses questionnements et ses inquiétudes durant la courte marche qui les séparait de l’établissement qu’elle avait choisi. Après quelques minutes de marche, Elizawelle poussa la porte d’un pub à l’enseigne lumineuse. Éclairé d’une lueur chaude bien différente des lampadaires bleutés de la ville, ce petit bar était relativement tranquille malgré le monde qui s’y trouvait. Au moins une vingtaine de personnes discutaient paisiblement au son d’une musique d’ambiance jazz qui faisait se confondre les conversations dans un bourdonnement confus. Décoré d’un décor industriel mélangeant cuivre et cuir, il présentait plusieurs tables hautes autour desquelles se trouvaient de hauts tabourets. La moitié des places étaient occupées.  

– Nous pouvons nous installer à l’étage, annonça Elizawelle en désignant un escalier métallique qui montait en colimaçon. Je vais aller nous chercher quelque chose au bar. Que voulez-vous boire ?

Les habitudes discrètes des habitués de l’endroit furent salutaires. Personne ne s’attarda sur les deux femmes qui venaient d’entrer, la plupart ne se retournant même pas à leur passage. L’aventurière passa chercher des consommations avant de monter au balcon. Là, de petites tables rondes étaient entourées de confortables fauteuils capitonnés et la musique qui jouait plus bas était diffusée par des haut-parleurs. Seules quelques personnes se trouvaient là et les deux jeunes femmes purent s’installer dans un coin tranquille. Déposant leurs verres sur la table, Eliza lui tendit la main avant de s’asseoir pour se présenter officiellement.

– Je suis Elizawelle Flatterand, aventurière pour la guilde. Je dois vous remercier une nouvelle fois, Weiss. C’est une chose d’être attaqué lorsque je m’aventure sous la Brume, ça en est une autre de devoir me méfier même lorsque je rentre chez moi, fit-elle en soupirant brièvement, secouant la tête. J’espère pouvoir compter sur votre discrétion concernant ma... condition, dit-elle en référence à sa zoanthropie. Quoi qu’il en soit... à votre santé !

Elle but une gorgée avant de s’asseoir dans l’un des fauteuils.

– J’espère que cet endroit vous convient ? demanda Elizawelle.

Elle ignorait quel genre d’endroit fréquentaient habituellement les femmes de son rang. Toutefois, ici, elles seraient tranquilles pour discuter un peu.  

– Vous avez du cran pour une n... fille de la ville, se reprit-elle, retenant de justesse le terme peu flatteur de « nobliarde ». Est-ce indiscret de vous demander ce qui vous a amené dans les rues par ce temps ?

Le sous-entendu était évident et Elizawelle espérait ne pas avoir dépassé les bornes en posant la question. Qu’est-ce qu’une Von Arendt faisait dans la rue par cette nuit froide et pluvieuse ? N’avait-elle pas un chauffeur pour se rendre là où elle devait aller ? Pourquoi être venu en aide à une zoanthrope, alors qu’elle faisait partie d’une famille qui les avait de tout temps utilisés pour leurs expériences ? La femme-jaguar était curieuse.