Astrebrume

Une impression, une sensation, familière et étrangère, indescriptible dans la symbiose qu’elle force et dans le déchirement qu’elle impose. Un manque constant qui enserre la gorge et qui ne s’apaise que lorsqu’il retrouve son étreinte, que lorsqu'il déambule dans la Mer, parmi les monstres et autres relents d’Elle.  

Une tour bleutée, un regard doré tout aussi perçant qu’égaré, il est impossible de cacher ce qu’Elle aura transformé, ce que le Nebula en quête de réunion aura chahuté. Chaque pore de son être semble suinter cette anomalie qui amène les murmures des uns à le qualifier de Maudit. Règne autour de lui, comme un halo qui se veut tempête, les relents de cette différence que l'on associe à une Brume n'ayant pas été domptée, raffinée, en myste.

Entre douceur et méfiance, il considère le monde à la manière d'un animal sauvage, dénué d'agressivité, débordant de curiosité, mais prêt à montrer les crocs, à sortir les griffes, au moindre signe de danger. Les bas-fonds d'Epistopoli lui ont enseigné de toujours prendre note des sorties possibles en entrant dans une pièce, de ne jamais dévoiler toutes ses cartes au poker et, surtout, que la confiance, dans la majorité des cas, est une denrée qui s'achète, mais qui ne se donne pas. Ses aises sont simulées, mais rarement éprouvées. Miroir aux intentions d'autrui, il rend ce qu'on lui tend, miséricorde comme malice.  

Partout où il va, un château abandonné ou un village festif, la musique le suit. Il l'offre à qui veut bien l'entendre, parfois en échange de faveurs ou de quelques astras, parfois par simple plaisir de la voir être appréciée. Il zigzague de contrée en contrée,  tiraillé par des indécisions, des impulsions, sans savoir si ses choix sont les siens ou ceux du Nebula qui l'habite. Son but principal ne change point, il se le murmure à voix basse, souvent, surtout dans les instants où le Nebula parvient à  étioler sa conscience. Sauver Maven, lui offrir l'abondance, le remercier.

Il progresse, vaporeusement, enchaînant les périples et mésaventures, picorant les denrées précieuses dans l'intention de les rameuter à Epistopoli pour assurer à son père l'avenir qu'il mérite, pour le remercier de la bonté tendue. Portrait de dévotion, ne connaissant  l'équivalence comme seul moyen d'exprimer l'étendue de sa gratitude. Une vie pour une vie. Un avenir pour un avenir.

Il progresse, une chanson à la fois, une lettre badigeonnée d'encre par mois;

Jusqu'à ce que vienne le moment de se léguer à la Brume

Pouvoir d'inertie non-vivifié.

Elle aura tout reconfiguré. Jusqu'à sa voix, jusqu'à cette musique qui se veut être son hâvre. Elle aura muté ce que la bonté de Maven aura érigé. Ses chansons, lorsque le coeur lui en dit, peuvent devenir soporifiques et imposer le sommeil à ceux qui les entendent. Le sommeil est profond et dure, minimalement, aussi longtemps que la mélodie perdure.

✦ Estel est né au sein de la Basse-Ville d'Epistopoli. Orphelin de par les injustices forçant la population à se retrancher contre le relief d'actes peu reluisants; ses parents auront trouvé leurs fins sous la colère d'un baron qui aura refusé de se faire escroquer par une main d’œuvre ne cherchant qu'à améliorer ses conditions de vie.  Suite à leurs morts, Estel aura passé plusieurs années à errer seul, survivant en subtilisant et en rapiéçant ce qui lui tombait sous la main.

✧ Il se fait adopter par un modeste luthier du nom de Maven Brahm à l'âge de huit ans et, à ses côtés, apprend l'art de la confection et du maniement d'une foule d'instruments à corde. Le luxe n'est toujours pas au menu, mais un bol de porridge chaud et un lit dans lequel se blottir sont des denrées nettement supérieures au néant qui les précédait.

✦ L'âge rend plus complexe les tâches manuelles et l'arthrose vient progressivement ronger les talents de Maven. Des temps plus durs s'annoncent et, peu désireux de voir son père adoptif succomber à un sort similaire à celui de ses défunts géniteurs, Estel s'embarque dans la recherche de mieux, dans une quête de richesses et d'abondance. Il s'incrit dans l'une des nombreuses expédition au sein de la Brume malgré les protestations de Maven. Il voue de ramener de quoi lui assurer une retraite tranquille et part la tête haute, la peur au ventre.

✧ L'expédition est une catastrophe sanglante et se solde par un échec qui se perd dans la cohue de ses semblables. Estel émerge de la Brume six mois après son départ, seul survivant d'une troupe ayant marché d'un pas ferme dans la gueule de la mort, décapité par les mutations. Il émerge, mains vides, cœur en miettes, criblé d'une mutation, d'une symbiose, qui corrompt son apparence tout comme sa psyché. Ses souvenirs de la Mer sont morcelés et ne perdurent que des impressions, des éclairs vifs et des rêves floutés.

✦ Il rentre à Epistopoli et ferme les yeux devant l'inquiétude qui se drape sur les traits de son père adoptif. Il dépose le salaire picoré dans les poches des cadavres et, une étreinte vite donnée, la promesse de lettres murmurée, il est reparti. Sans expédition, avec son corps pour seul outil. Envahi d'un sentiment d'urgence – pour Maven qui semble avoir gagné dix ans en l'espace de quelques mois, pour ce Nebula qui demande, qui ordonne une réunion dont Estel ne veut pas – et ne sent pas avoir la possibilité de cotoyer une seconde d'immobilité.

✧ Il s'égare partout sur Uhr, se rend là où la où les astras tintent et, mercenaires à ses heures, ne rechigne devant aucune besogne. Toujours accompagné de son violon et de sa mandoline, il joue pour se rassurer –  parce que les notes lui rappellent l'atelier de Maven à Epistopoli, lui rappelle son chez lui – , mais, éventuellement, il réalise que sa main et ses doigts représentent des outils qui peuvent lui servir à financer ses voyages.

✦ Une mésaventure l’ayant vu jouer de son instrument pour apaiser un mourant dans les environs de la cité d'Opale aura valu quelques rumeurs à son sujet et, dans ses déambulations, certains le reconnaissent et l’amènent parfois au chevet des mourants.

✧ Au terme du tremblement de terre ayant fait des ravages auprès d'Opale et Xandrie, son regard se tourne aussi dans la direction de la défunte Dainsbourg.