Ven 13 Jan - 2:55
Un matin comme un autre. Je me réveille le front en sueur, hanté par un cauchemars dont je ne me rappelle que vaguement les traits, une fois les yeux ouverts. Au côté d'une ou deux belles femmes. Des bouteilles jonchent le sol, et une odeur de tabac froid me prend les narines. J'attrape ma longue pelure, qui traine en boule, emmêlée avec les vêtements de femmes et la lingerie affriolante. Ca sent la sueur et le sexe de la veille ... J'adore l'odeur d'une partie fine au petit déjeuner. Sur le bureau du bordel ou j'ai pris quartier, tenu par une connaissance en qui j'ai toute confiance pour le choix des gazelles, trône un cendrier dans lequel je choisis un cigare pas assez entamé pour me déplaire. Flamme et fumée, deux de mes vices les plus ancrés dans mes habitudes, ceux que je chéris et entretient avec soin. Ceux qui ne font de mal à personne, sauf à moi-même, sans doute ceux qui seraient les plus reluisant à raconter au détour d'un diner avec les beau parents, non ?
Moi, j'ai jamais soupé les brunchs avec le commun des mortels, et les non initiés, alors me coltiner la belle famille, c'est pas trop mon genre. J'suis plutôt cuir et grosse quincaillerie, soirées sans lendemain avec du fun assuré.
Quelqu'un frappe quelques coups discrets à la porte. Ah oui, j'avais oublié ce détail. Aujourd'hui, le sang allait couler. Pas le mien, pas le vôtre. Celui d'un adversaire retors, qu'on avait mit des semaines à traquer. Celui d'un fumier, un tordu, qui s'amusait à faire subir sévices et violences dans mon quartier. On avait eu du mal à le trouver, il se réfugiait chaque soir dans un bordel différent. Il dormait sur place, payait rubis sur ongle, paraissait l'air de rien et pourtant ; Il tuait des gens sous ma responsabilité, des gens qui, pour certains, avaient payé. Et pour les autres ? Beh, je penserai à eux en l'enterrant ce chacal. Pas pire crime que celui qui rapporte quedal, pour aucune des partie, et surtout pour moi. Le crime paye. Le meurtre, lui, ne vaut rien. Rien de moins qu'un coup de pied au derche, après avoir creusé ta propre tombe. Et qu'on t'ensevelisse sous des monticules de terre grasse et humide, qui scellerait ton tombeau.
Le gars qui vient me chercher, c'est Picorino, un orphelin peu bavard, et pour cause, on lui avait coupé la chiche à coup de ciseau à bois. Des malades dans cette ville acre et acariâtre, ou grandeur et décadence se confondent derrière un rideau de fumée parfumée. Il me fait des signes de la main, comme quoi notre client est disposé à recevoir son traitement de faveur ; Au menu du jour, massage intercostal, brisure de doigts, et un chiffon dans le gosier pour pas qu'il alerte tout le quartier : C'est que le bon m'sieur dame, ça aime pas le barrouf, ni l'esbrouffe. Ca veut un dehors lisse et propre, tandis qu'ils sont sales à l'intérieur.
C'est pas moi le fou dangereux, c'est cette société tout entière qui déraisonne, ils ont plus le sens des mesures, ni des convenances, ni quelques normes que ce soit, le moral et le légal, s'effaçant devant la grandeur de l'Astra, la monnaie, et le pouvoir.
On traîne notre gars par les cheveux, son sang tâche les pavés, et dans le petit matin qui s'éveille, une enflure de moins va bientôt peupler la planète ; Du moins, mon univers à moi. Je suis un gars pragmatique, je prétends pas pouvoir tout changer, mais ce qui est à moi, je le protège bec et ongle, et faut pas s'amuser à marcher sur mes plates bandes. On va faire une balade Johnny que je lui dis, tandis qu'une calèche savamment conduite par un de mes hommes, nous fait quitter le quartier excentré du centre, pour nous emmener à notre destination : La foret de l'Arbre dieu. J'aime pas la nature, mais vrai que se mettre au vert, et respirer l'air pure de nos contrées, ça peut faire que du bien à Johnny. Qui s'appelle pas comme ça d'ailleurs. Je veux pas que ça devienne personnel.
J'ai déjà trop à faire avec mes propres démons, pour pas me rajouter des morts sur la conscience. Je fais mon boulot, propre et net, sans bavure. On arrive bientôt au terrain, celui ou l'on fait disparaître les enflures dans son genre. Je le regarde, lui enlève son bâillon, et souffle, en même temps que la fumée : Alors, un dernier mot ... Pour la postérité ? Que je fais, glacial comme un macchabée de la veille. Ou un croissant. Je préfère les croissants aux cadavres, mais je crois que ça commence à faire beaucoup pour un brunch. J'aime pas les brunchs... Je vous l'avais déjà dit ? Je radote dans ma caboche, tandis que lui me sort un truc qui ressemble à ça ... Vous... Vous savez qui je suis ! Je connais des gens ... Haut placés les gens ... Vous serez mort avant le coucher du soleil !
Rictus mauvais de ma part, tandis que mon couteau se plante doucement sous une côte, ravivant sa douleur, sans que je ne lui donne la délivrance. Je le pousse dans le trou : Si tu savais ... *clin d'oeil*. Plus tu bougeras, plus tu y laisseras du sang, et plus tu mourras vite. C'est déjà trop bienveillant pour un être tel que toi. Je crache dans le trou, et me retourne.
Du sang, de la fumée, et du cuir. Toutes ses odeurs musquées me remontent dans la narine. Pourtant, rien y fait ; Je digère toujours pas. J'ai envie de le torturer, mais je fais plus ça. C'est mauvais pour l'image qu'on donne aux hommes de mains, et pecorino mérite pas ça ; Le gamin en a vu, des vertes et des pas mûres. J'me dis que s'il arrive à prendre avec philosophie ce qui lui est arrivé, alors j'dois pouvoir passer au dessus.
Au dessus de toute cette masse noire, cette chappe de plomb qui me tords le ventre, comme un feu ancestral, inébranlable, destiné à tout brûler.
Et sur les cendres, tout recommencer.