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Pas de bras, pas de combat

Pas de bras, pas de combat Brandw10
Lun 2 Jan - 22:06
Le problème des soirées trop arrosées, c'est qu'elles deviennent souvent glissantes. Ernold l'avait appris à ses dépens dans une taverne de Xandrie avant même sa majorité. Ivre, une gueule plus grande que la somme de ses muscles réunis, et le jeune charpentier s'était retrouvé dans une situation des plus douloureuses. Un bras cassé et une infection plus tard, il avait dû faire ses adieux à son avant-bras, non sans quelques hurlements. Privé de travail après ce fâcheux incident, il avait alors mis son bras valide au profit de quelques larcins et petites rapines avant d'être arrêté à Xandrie. La justice ne fut pas tendre avec lui, le condamnant fermement et ne lui laissant comme seule porte de sortie qu'une place à bord d'un navire partenaire, le Naufrageur.

- Putain, ils nous les envoient même plus tout bien tout complet ! Avait râlé Toph en toisant le mousse peu de temps après son arrivée sur le pont. Si tu dois voyager avec nous, faut qu'on te trouve un nouveau bras.

Ce n'était pas qu'une plaisanterie. Bien que téméraire, Tiphaine était attachée à la survie de son équipage – et à la sienne – bien plus que de raison. Il lui semblait alors invraisemblable d'accepter à bord un homme qui ne serait en mesure que de protéger que son côté gauche.

Les passages en Xandrie ne la ravissaient pas. Elle détestait cette ville tentaculaire et puante, aussi loin d'Aramila que de son prestigieux passé. Elle détestait ses bâtiments au bois vermoulu, son prétendu amour de la justice et ses ruelles, plus tentaculaires encore que les jeux de pouvoir qui y étaient évoqués, tard le soir, à l'heure où elle buvait dans un troquet mal famé. C'est dans l'un de ces derniers qu'elle entendit parler d'une médecin prothésiste itinérante, une sorte de faiseuse de miracles aux cheveux rouges. En interrogeant quelques avinés, elle obtint un nom et une description plus ou moins précise de ce qu'elle recherchait. Le lendemain matin, l'haleine chargée et le teint gris comme la purée de pois qui flottait au-dessus de la ville, elle réveilla Ernold d'un coup de pied dans les côtes.

- Debout l'mioche, on va t'acheter une nouvelle main droite. T'imagines, tout ce que tu pourras faire avec ? Lui demanda-t-elle avant d'être secouée d'un rire gras.

Le duo s'extirpa de Xandrie au petit matin, la Veuve en ligne de mire. Toph parlait, encore et encore. Elle parlait des expéditions passées, de celles à venir, de l'Antégriffe et de ses tresses. Elle parlait, encore et encore. Ce n'était ni forcé, ni vain, elle parlait pour tromper la solitude qui la rongeait, pour offrir à Ernold une place dans sa nouvelle « famille », parce que c'est ce qu'elle faisait de mieux. Après une heure de marche hors des limites de la ville, alors que le chemin commençait à se faire moins visible, elle marqua une pause.

- P'tain, le gars m'a dit quarante minutes au sud, et y'a une roulotte ou un truc du genre. Hmf... Ah ! Là bas !

Ernold eut beau plisser les yeux dans la direction indiquée, il ne remarqua rien. Tiphaine, elle, aurait pu voir le dernier triton vivant dans un océan infini sans avoir à froncer les sourcils. Elle n'était pas devenue vigie par hasard. Arrivés devant la roulotte, elle frappe du poing fermé avec son tact habituel.

- Y'a quelqu'un là d'dans ? Un médecin avec des cheveux rouges ou j'sais pas quoi ? On a besoin d'un bras. Tout de suite.

Évidemment, les « informateurs » de Toph n'avaient mentionné ni le genre ni le mutisme du fameux médecin aux cheveux rouges.
Dim 8 Jan - 17:41

   

Pas de bras...

... Pas de combat

Feat Tiphaine Sterling


   Danaë était une créature semi-nyctalope. Elle passait le plus clair de ses nuits éveillée, avec sa fille qui ne pouvait vivre de jour, et ne dormait qu’entre quatre heures du matin et dix heures environ. Elle dormait peu, mais ces horaires étaient précisés sur la porte de la roulotte afin qu’elle puisse tout de même trouver un semblant de répit à la fin de ses longues journées de travail.

C’était cependant sans compter les illettrés et les alcooliques – peut-être que les troublions de ce matin là étaient les deux. D’une humeur massacrante, elle aurait juré les deux, alors qu’elle émergeait d’un lourd sommeil au son de coups vigoureux portés à sa pauvre porte. Elle ne pouvait pas crier « j’arrive ! » ou « arrêtez avant que je vous crame les cheveux », mais ce n’était pas l’envie qui manquait, cela faisait des jours qu’elle n’avait pas trouvé un repos digne de ce nom… Depuis son dernier patient, qui lui laissait encore une forte impression et dont l’odeur âcre n’avait toujours pas quitté la roulotte. Mais bon, elle était médecin, qu’il pleuve ou qu’il vente, il fallait bien que quelqu’un s’occupe des urgences, et c’était plus fort qu’elle – il fallait toujours qu’elle intervienne.

Elle s’extirpa de sa petite cabine dans le son du bois qui craque et des placards qui cognent, sa grande ombre passant devant la fenêtre circulaire qui donnait sur l’extérieur alors qu’elle enfilait sa grossière robe de chambre en laine bouillie blanche, qu’elle attacha à sa taille par-dessus son habit de nuit. Ses cheveux au réveil… N’étaient pas coopératifs. Virevoltant en boucles folles dans toutes les direction possibles comme autant de joyeux feux-follets, son épaisse tignasse la faisait paraître encore plus imposante, et encore moins aimable, sans compter le tatouage qui brillait dans son cou.
Elle activa Naya – l’oiseau-interprète- d’un léger cou sur la tête. Celui-ci ulula alors qu’il ouvrait ses yeux mécanique, avant de déployer ses ailes de fer et de se poser sur l’épaule de Danaë qui se dirigeait vers la porte, le pas alourdi par le sommeil.
Elle ouvrit sans cérémonie, ses yeux soulignés de cernes toisant du haut de sa grande statures les deux intrus. Deux humains nota-t-elle – intéressant, son stock baissait à vue d’œil… L’un au moignon ensanglanté, l’autre visiblement là pour l’aider, les deux sentaient l’alcool – elle contemplait certainement le glorieux résultat d’une soirée trop arrosée.

« La Dame ne fait que du sur-mesure, nous ne pouvons pas simplement vous fournir une main. » Croassa l’oiseau alors que l’expression de Danaë demeurait de marbre. Cette dernière soupira, avant de faire signe aux deux humains – le jeune homme et la femme- d’entrer, indiquant d’un geste de la main sa chaise médicale et un autre petit fauteuil au niveau de son bureau. Elle se mit à signer, l’oiseau traduisant : « La Dame est prévoyante et travaille vite grâce aux bases de prothèses qu’elle fabrique pour ce genre de cas de figure. De quand date la blessure ? »


   
notes
Lun 9 Jan - 17:18
Tiphaine resta bouche bée devant l'oiseau mécanique perchée sur l'épaule de la médecin. Elle n'avait jamais rien vu de tel et ne pouvait manifestement pas cacher son étonnement. Les règles élémentaires de la bienséance lui avaient bien été inculquées sur l'Antégriffe, mais dix ans d'une vie d'exploratrice avaient eu raison de sa politesse. Elle leva le bras et, alors que le groupe entra dans la roulette, elle essaya de toucher l'objet insolite du bout des doigts. Il se déroba une première fois quand la médecin tourna les talons puis à nouveau quand elle dût prendre place sur un fauteuil. Ernold prit la parole, visiblement plus mal à l'aise que fasciné.

- La blessure a plus de 13 ans. C'était une fracture, elle s'est infectée, et le docteur Lünar, à Xandrie, m'a amputé. Seulement, il me faudrait une prothèse pour...
- Pour servir à quelque chose sur l'rafiot, vous voyez ? Parce qu'un manchot dans la brume, il va pas nous servir à grand chose de plus qu'à appâter les emmerdes. Et quand on pêche là bas, on a pas besoin de les attirer, les emmerdes, elles viennent à nous toutes seules.

Toph avait interrompu son camarade pour aller à l'essentiel. Elle passa une main sous son épais ceinturon de cuir et en extirpa une bourse sonnante d'astras qu'elle déposa sur le bureau de la médecin.

- J'connais pas les tarifs, pas les délais, pas les technologies, bref, j'y connais que dalle. On m'a dit que y'aurait assez avec ça. Tout ce qu'on veut, c'est qu'il est un bras droit assez bien pour tenir un fusil, un sabre ou juste une corde, ça dépendra d'où on le mettra.

Elle adressa un sourire carnassier à sa nouvelle recrue avant de s'intéresser de nouveau aux mouvements du docteur. Elle essaya à nouveau d'appuyer sur la tête de l'automate, sans plus de succès. Elle regarda alors un peu la chevelure tempêtueuse qui s'épanouissait tout près de là. Il en avait de la chance cet oiseau, de pouvoir voguer dans une forêt si belle de rouges bouleaux. Elle se le représenta un instant voler au travers de ces branches de feu, s'évanouissant dans une forêt brûlante aux reflets mystérieux, avant de revenir à elle sur une épaule au teint laiteux. La simple pensée de cette courte envolée poétique lui arracha un sourire. Puis elle détailla un peu la roulotte, laissant à Ernold le soin de détailler ses envies - sans doute farfelues - pour son prochain bras mécanique.

Pourquoi une médecin de son rang errait-elle dans une roulote de fortune ? Que cachait-elle ? Que fuyait-elle ? Ne pouvait-elle pas rêver meilleure fortune ailleurs en Uhr ? On entendait souvent parler de médecin richissime, plus respecté encore que les plus respectés des chefs de clan. Sans plus de formalités, Toph interrompit de nouveau Ernold et s'adressa à l'oiseau, ou à celle qui l'accueillait.

- Pourquoi on a dû marcher des plombes pour vous trouver ? Vous seriez pas mieux à Xandrie ou ailleurs ? J'veux dire, c'est louche, nan ? Un docteur qui parle avec un piaf, qui vit comme une exilée et qui s'appelle La Dame ? J'dis pas que j'suis du genre femme idéale hein, mais j'me pose la question, c'est tout. Parce que si vous voulez, sur le Naufrageur, on peut avoir besoin de vous. C'est pas plus confortable qu'une roulotte, donc ça vous changera pas de trop, mais on voit du pays. Puis j'ai personne à qui faire des tresses, et j'vais pas vous mentir, j'ai vachement envie de trifouiller vos cheveux.