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Les gens biens empruntent des chemins doux (Zvintoch)

Les gens biens empruntent des chemins doux (Zvintoch) Brandw10
Mar 18 Oct 2022 - 12:36
Il avait l’habitude qu’on lui demande des faveurs. C’était, après tout, son travail. Sa position officielle, lorsqu’il s’agissait de classifier de manière officielle sa position dans la complexe hiérarchie d’Opale, était capitaine de mercenaire. Tout cela faisait très officiel, très propre et très convenable, avec juste ce qu’il fallait d’exotisme au vu de sa haute stature et des cornes qui auréolaient son front pour ne pas devenir ennuyeux. Il n’aurait pas accepté que cela devienne ennuyeux. Tout ça pour dire que ça position réelle était légèrement plus complexe, plus englobante que celle qu’il présentait au monde. Il accordait des faveurs. Il solvait des problèmes, souvent de manière très littérale. Parfois en les dévorant. Pas toujours de manière totalement littérale. Mais il devait avouer que ce soit, l’occasion était un peu différente ; on lui avait demandé de faire un numéro de charme, et cela en soit n’était pas spécialement étonnant. Il avait conscience qu’il occupait dans l’esprit de nombre de ruminants une position particulière. Il était un prototype, un saraph dompté par la civilisation, qui mettait son bras au service des causes industrielles et mercantiles. Il fallait certes lui laisser l’illusion de la liberté, mais le résultat pour Opale était le même. Il huilait les relations entre ses familles dirigeantes, il fracassait des têtes lorsque leurs propriétaires se trouvaient pris de passions peu civiques. Somme toute, il servait la cité.

Il le comprenait, et ne le niait. Ses intérêts concordaient, et il appréciait la ville.

Pour l’instant. Demain, il ne savait pas. Il ne regardait jamais demain, pas quand il s’agissait de ses pulsions et de ses appétits. Seul le présent comptait réellement.

Tout ça pour dire que c’était surprenant : parce qu’il était différent, on avait décidé de lui faire faire la causette à un homme-poisson. Ce n’était pas là un euphémisme pour lui demander de le faire disparaitre : la créature était importante, et sécuriser sinon ses allégeances, au moins ses bonnes grâces était vu comme important. Il ressemblait en cela au noble saraph. On lui avait donné une transcription de son journal intime, et il lui était rapidement apparu que son esprit fonctionnait très différemment de celui des autochtones, et plus encore du sien. Certes, il pouvait en passant des doigts délicats entre les lignes exhumer certaines choses. Des vision faussement pudiques, habillées de voiles excitants qui recouvraient à peine leurs culs gras et blancs. Ou poisseux et couvert d’écailles. Il ne se voulait pas spécialement raciste, et considérait avec la même bienveillante distance l’ensemble des autochtones.

Il se leva de son imposant sofa, un geste rapide de la main renvoyant les sycophantes qui bourdonnait en ce moment à ses oreilles. Il avait fait ses recherches, et ce soir, sa tenue était plus resplendissante encore qu’à son habitude. Assemblage soigné de tissu, elle était relié autant à ses cornes qu’à ses défenses par quatre anneaux dorés auxquels étaient accrochés des crochets permettant de faire tenir les voiles qui recouvraient son corps. Chacun de ses mouvements agitait les étoffes précieuses autour de sa silhouette. Détail savoureux, elles étaient toutes extraites de robes précieuses d’anciennes jeunes femmes disgraciées. Les princesses de la ville, drapées autour de lui au-delà de la mort et des sévices. Et à côté, bon nombre de leurs connaissances, qui hésitaient entre l’admiration que l’artiste réclamait de son public pour sa nouvelle création, et l’indignation discrète que la bienséance demandait que l’on exprime à voix basse. Tout cela était merveilleux, certes, mais pas totalement circonscrit au simple domaine de la provocation.

Ce dernier était de toute façon bien insipide. Personne ici ne pouvait réellement être choqué par si peu de chose, surtout quand tout autour d’eux les spectacles les plus débauchés s’étalaient avec la plus grande impudeur. Les plus exclusifs d’entre eux parvenaient seulement au-travers de cloisons justes assez épaisses pour garantir un relatif anonymat, certes, mais tout de même. Personne n’ignorait vraiment ce qui se passait là. Personne qui ait le statut d’invité et non celui de distraction, en tout cas.

Il se dirigea vers le nouveau. L’ambassadeur. La créature-poisson. Le saraph le trouva laid, même au vu des standards que les visages aux ossatures molles de l’endroit imposaient à sa personne. Trois yeux globuleux ressemblant à ceux d’un crapaud étranglé perçaient un visage où la peau squameuse s’amoncelait en plis ombrageux. Une unique narine servait à gouter un air visiblement toujours étranger, et son poitrail maigrelet se gonflait lentement, les parties segmentées de son cou refusant de se plier comme leur apparence le laissait imaginer. Deux nageoires couleur d’algue encadraient comme deux oreilles hypertrophiées son petit crâne. Un seul verdict, devant ce spectacle, s’imposait à la personne morale et philanthrope : son existence était anathème à toute chose bonne et normale, et c’était la mort qui devait lui être offerte comme unique présent. Tlaxlheel sentit ses lèvres s’étirer, un sourire large déformant son propre visage. Il le sentait déjà : il allait très bien s’entendre avec le nouveau-venu.

« Ambassadeur Zvintoch, 19ème Tzalvalz'Vorgul ! annonça-t-il en prenant soin de prononcer correctement son nom. C’est un plaisir que de recevoir l’invité d’honneur de cette soirée ! Venez, venez, et dites-moi : votre voyage a-t-il été plaisant ? »

La badinerie était d’une délicate banalité. Une entrée douce, un moyen de voir comment la chose allait réagir. Le saraph, lui, sentait les brumes de l’alcool et de la drogue douce et légère qu’on lui avait présenté (dont il avait déjà oublié le nom) s’éloigner hors de lui. Il s’éveillait de nouveau. Il empêcha son sourire de contaminer le reste de son visage.
Mar 18 Oct 2022 - 14:22
Zvintoch avait vu suffisamment d'humains pour être formel à ce sujet : cette créature n'est pas membre de la race humaine, et ainsi des milliers de questions fusent dans la moelle cérébrale de l'Ambassadeur, mais ces milliers de questions ne sont qu'un féroce appétit qui ne sera pas tout de suite rassasié ! Cette peau rougeoyante, ces cornes, cette carrure titanesque ; dans quelles flammes a bien pu être forgée sa race ? Certes humanoïde, il n'évoque pourtant rien d'humain ; tandis que sa politesse touche aussitôt le coeur de Zvintoch ! Voici donc le maître de cérémonie choisi par Opale pour accueillir l'Ambassadeur de l'Empire Triton. C'est un choix courageux et formidable.

Fascinant, pense-t-il dans sa langue natale,
Les humains opalins cohabitent déjà avec d'autres espèces intelligentes.
Ce spécimen semble largement plus fort que l'humain moyen, mais ils ne semblent le traiter ni comme une menace, ni comme une bête ?

Une démonstration encourageante de tolérance.

Et puis ses nerfs optiques se retrouvent inondés de stimulis fort agréables car ce non-humain est resplendissant, emmitouflé qu'il est dans ces beaux textiles. Ne s'agit-il pas de soie ? C'est de la soie ! Les doigts sensibles de Zvintoch aiment à se plonger dans des océans de soie afin de s'y noyer dans leur douceur. Quelle élégance ! Quelle propreté !

Évidemment, Zvintoch le 19ème ne se permettra pas de toucher les vêtements de son interlocuteur, tout soyeux qu'ils soient, sans sa permission ! Il existe chez les espèces terrestres cette notion de "zone intime" qui provoque l'embarras lorsqu'elle est franchie sans autorisation. Par maintes fois Zvintoch a frôlé la catastrophe en touchant ses interlocuteurs là où la bienséance humaine recommande de ne jamais s'approcher ! Et ce sont des erreurs de débutant que Zvintoch le 19ème ne fait plus du tout.

Manipulant avec aisance les muscles flasques de son visage, Zvintoch adresse à son hôte un radieux sourire, mettant en valeur sa dentition prédatrice immaculée. Ces dents ont été rangées et limées avec un soin millimétré : dans un alignement parfait dont on ne trouverait d'équivalent qu'en les vingt colonnes du temple abyssal Vtyuz-Nop, intouché depuis 1122 années, 78 jours et 10 heures.

« Monsieur Tlaxlheel Azcalxotil, je suis ravi de faire votre connaissance... Nombreux ils ont été à me vanter votre sens de l'hospitalité. Mon voyage fut très agréable ! Figurez vous que nous avons aperçus quelques enfants humains... jouer sur notre route avec un ballon ! Bien pensés que sont vos ballons ! Si adaptés à la gravité de la Surface, ils semblent donner de longues heures de divertissement aux bambins. Une belle preuve d'ingéniosité. »

Ces mots humains, sortis de la bouche de Zvintoch, semblent flotter paisiblement dans un calme plat. Monotones, mais très apaisants, et d'une sincérité toute innocente.

Deux ombres massives se profilent derrière le frêle Zvintoch. Deux femelles tritonnes, elles aussi munies de trois grands yeux rouges mais dans lesquels on perçoit une nuance de férocité ; des palmes épaisses qu'on devine capables de déchirer de la chair comme du papier, des crocs affutés, et d'étranges armes rocheuses noires accrochées à leurs dos, qu'un non-connaisseur confondra avec d'immenses arbalètes.

Désireuses d'imiter l'élégance et le goût de leur grand frère Zvintoch le 19ème, elles sont apprêtées de magnifiques costumes colorés issus de la haute couture opaline ; mais elles ont eu visiblement beaucoup de mal à rentrer dedans, leur tour de poitrine dépassant largement toutes les tailles disponibles chez les couturiers d'Opale.

« Voici Glsasn la 55ème. Et voici T'Nussazk la 56ème. Elles sont mes gardes du corps ainsi que mes soeurs. Nées dans l'objectif de garantir ma survie, elles me suivent partout ! Mais sachez que si leur présence vous incommode, je me sens suffisamment en confiance ici pour me passer d'elles ce soir ! Je peux les envoyer dehors, non loin dans un bosquet, elles pourraient aller cueillir des fleurs pour vos invités ? Ou aider un petit peu dans vos cuisines ? Qu'en pensez-vous ? »

T'Nussask émet un gargouillement inquiet. Zvintoch le 19ème sait que ça n'est pas protocolaire, mais il souhaite mettre l'accent sur la sociabilisation ce soir, et ses soeurs intimident trop les humains. Cependant, le colosse rougoyeant qui se tient devant lui semble tout autant déclencher un sentiment d'insécurité chez ses soeurs ! Il faut que tout le monde se détende ! Nous sommes tous là pour sociabiliser ainsi que pour consommer des substances à fortes concentrations d'ethanol, il n'y a pas lieu de paniquer.
Mer 19 Oct 2022 - 12:06
La voix de la chose n’était pas beaucoup plus plaisante. Les intonations des locaux donnaient souvent l’impression que leur bouche était encombrée, comme s’ils parlaient en mâchonnant une épaisse touffe de foin. L’ambassadeur, lui, n’avait pas la chance de souffrir d’un handicap aussi trivial : ses vocalises étaient tristement inadaptées à un environnement aussi sec, et agressaient les oreilles d’esthète du saraph. Il n’en manifesta rien, ne commenta pas sur son odeur, pas sur le tragique de sa dentition limée, qui autrement aurait était assez respectable (ses dents semblaient manquer de la solidité naturelle dont profitaient les crocs saraphs), et aucunement sur l’aspect ridicule de ses gardes-du-corps. Elles tentaient, maladroites qu’elles étaient, de l’intimider. Lui. Tlaxlheel Azcalxotil. S’il avait consenti à les prendre au sérieux, il aurait broyé leurs faces ingrates, aurait enfoncé ses griffes au travers de leurs orbites démesurés pour en extraire la cervelle qui glougloutait dans leurs crânes atrophiés. Mais il était avant toute chose un être mesuré, patient et prévoyant. Il savait se faire modeste, et laisser la salive affamée s’accumuler à l’arrière de sa gorge.

Un jour, se promit-il tout de même, il briserait sur ses genoux ces salopes de poissons. Aussi imbaisables qu’elles soient, il extrairait de leurs cadavres sa mesure de plaisir.

« Oh, ne vous inquiétez pas, monsieur. Vos protectrices sont les bienvenues ici, et leur présence est loin de m’incommoder. Mais j’en déroge à mes devoirs les plus élémentaires ! »

Il fit rapidement signe à un serveur qui se tenait en embuscade, prêt à bondir sitôt les ordres du maître du soir envoyé. Il aimait les gens d’Opale, pour cela : ils étaient toujours très conscients de ce qu’ils avaient à faire, et de l’importance de s’attirer les bonnes grâces de leurs supérieurs. Ce dernier se rapprocha, présentant un cocktail fruité et peu alcoolisé. Une boisson de débutante, sans doute, mais les reflets iridescents du liquide plein de bulles sauraient sans le moindre doute attirer le regard de son invité. Tlaxlheel se saisit de son propre verre, et se dirigea vers l’endroit d’où il s’était extrait quelques instants plus tôt, le trouvant inoccupé. C’était un assemblage de larges coussins, eux aussi taillés dans des étoffes précieuses et soyeuses. L’étalage en était presque indécent : il allait poser son auguste fessier sur l’équivalent de plusieurs années de labeur d’un prolétaire de Xandrie. Ca rajoutait indéniablement, même s’il ne pensait pas que le touriste était bien capable de se rendre compte de ce genre de chose. S’il l’avait été, sans doute aurait-il de toute façon eu le bon gout de s’en foutre. Tout le monde ici l’avait.

« Je vous en prie, mon cher. Prenez place, et si vos sœurs le veulent et y sont autorisées par leurs fonctions, qu’elles vous imitent. Si d’aventure je suis maladroit dans mes usages, vous devrez me pardonner. Ils sont forts différents de ceux des gens d’Uhr, et je l’imagine, plus encore de ceux de votre nation. Aussi, je veux vous le dire maintenant : si je puis faire quoi que ce soit pour votre plaisir, n’hésitez aucunement. »

Il se pencha légèrement en avant, ou plutôt se releva un peu, s’extrayant vaguement de la masse rembourrée que son corps imposant labourait, et répéta sur un ton de conspirateur :

« Quoi que ce soit. »

Il ne se voyait pas comme un pécheur. Aussi cliché que cela puisse être, il pensait sincèrement relever du chasseur. Il était plus proactif, et préférait acculer ses conquêtes que de les laisser mordre d’elles-mêmes à l’hameçon. Peut-être était-ce que la viande de ce soir était blanche, peut-être était-ce la nouveauté de la situation. Il n’était pas embarrassé de varier un peu sa méthode habituelle, et de laisser l’initiative à son interlocuteur. Sans doute, en plus de cela, était-ce sage. Les autochtones se ressemblaient tous beaucoup, mais il n’avait pas réellement en face de lui un autochtone. Il ne savait pas en vérité ce que le truc était réellement, mais il allait le découvrir, d’une façon ou d’une autre. Sans doute même ne serait-ce pas totalement difficile. Il voyait déjà qu'il émergeait d'une caste dominante, et qu'il avait l'habitude de se faire servir. Que les recommandations et les instincts méfiants de ses affidés n'étaient pas réellement pris en compte.

Que face au saraph, il ne se sentait pas instinctivement en danger, que les fibres de son corps et les connexions ataviques qui le liaient à ses ancêtres ne lui criaient pas qu'il fallait fuir.
Mer 19 Oct 2022 - 16:54
Et c'est en relevant ses yeux qu'il noyait dans les couleurs hypnotiques de son verre, que Zvintoch le 19ème accueille la proposition,

« C'est proposé si gentiment ! »

Qu'ils sont charmants, merveilleux. Bien qu'accaparé par son hôte, Zvintoch le 19ème continue à distribuer de radieux sourires aux humains qui passent à proximité et le saluent -y compris à ceux mal nés qu'ils utilisent ici pour lui servir de délicieux breuvages !

Une autre rasade de cette potion. Zvintoch avale ces couleurs.

On lui propose un choix si cornélien, tant les plaisirs qu'Opale est capable d'offrir sont innombrables...

Des délices exubérants, lorsque perçus par des sens accoutumés à la placide étreinte des Abysses ! Quand les couleurs offertes par son hôte dégoulinent dans sa gorge, c'est une bombe, dont l'onde de choc aromatique se ressent jusqu'au plus profond de la moelle, c'est une guerre, allumant chacun de ses sens dans un ballet hystérique. Le parfum des couleurs se déversant par torrent dans ses cellules, Zvintoch le 19ème est grisé, momentanément submergé, et n'arrive guère à laper plus d'une goutte à la fois de ce cocktail explosif.

Immergé dans un enfer paradisiaque l'instant de quelques secondes, un enfer fabriqué par cette boisson de sauvage, cette délicieuse boisson de sauvage. Zvintoch le 19ème en boirait des litres, des océans peut-être, de quoi construire des Abysses iridescentes au sein même de ses boyaux !

Mais ce soir semble-t-il, de toutes les soifs, c'est celle de curiosité qui va se manifester en premier.

« Dites-moi mon cher...  vous n'êtes pas un humain. »

Cela le démangeait, il fallait bien que quelqu'un finisse par relever cette évidence !

« Vous êtes le premier que je rencontre ici-haut à présenter des caractéristiques si singulières... J'adorerais que vous me parliez un petit peu de vous ! Votre espèce, votre vie ici... Vos relations avec Opale ! Comment vous êtes vous retrouvé ici, seul parmi ces millions d'humains ? »

Fascinant, admirable, encourageant, des flatteries continuaient à s'amonceler dans sa moelle cérébrale : car Opale lui faisait là une fantastique surprise en lui montrant cet exemple d'assimilation non-humaine parmi les leurs ! Était-il un ennemi vaincu, un barbare civilisé, ou un sage aux compétences insoupçonnables ? Un Ambassadeur inhumain, comme lui ? Quel est donc ce nouveau peuple dont il reste tout à découvrir, et la reine Mère pondra-t-elle un autre Ambassadeur spécialisé pour venir à sa rencontre ?

Excité qu'il est, à triturer toutes ces questions dans sa moelle, Zvintoch s'apprête une nouvelle fois à inviter des couleurs à dégouliner dans sa gorge, mais il est interrompu par Glsasn la 55ème, assise à sa droite, qui pose une palme inquiète sur son bras, et se permet un regard interrogateur ! Dans les yeux de Zvintoch une pointe d'ennui émerge, et c'est bien normal. Dans sa sagesse, il rappelle sa place à sa petite soeur, qui est également sa subordonnée.

« Trs'n isk vurg ul R ch't zvo uin » tonne dans une intonation stridente, entrecoupée de claquements menaçants. Glsasn gémit, s'écarte, et laisse Zvintoch profiter d'une nouvelle rasade. L'incident ne se prolonge pas plus longtemps, et déjà le sourire réapparaît à travers ce magnifique visage triton !

« Excusez nous. Je suis tout ouïe, mon ami ! Mais n'hésitez pas à me faire savoir si vous me trouvez intrusif ! »
Jeu 20 Oct 2022 - 14:09
La chose était fascinante. Elle lui faisait penser à un enfant. Pas franchement à un enfant autochtone, petit et braillard et amorphe et répugnant d’incapacité, présageant par son manque d’autonomie la fin de sa phase larvaire, mais au rejeton de deux saraphs bien campés. Brillant par sa curiosité, éclatant par sa franchise. Et si au début il lui sembla manquer de la méchanceté et l’esprit naturellement violent de ses congénères, qui seul permettait au petites-cornes de réellement déployer son potentiel, il eut l’espace d’un instant l’agréable surprise de voir que ce dernier était sans doute, comme le sien, masqué. Masqué, mais pas enfoui. Il reprit avec fermeté l’une de ses sœurs – Tlaxlheel doutait que le terme ait pour la créature le même sens que pour lui – quand cette dernière osa sortir du rang, et manifester un peu d’attention. Le saraph ne réagit pas, et se contenta de claquer des doigts, une fois, puis deux, et enfin trois. Un autre serveur, bien empressé, se dépêcha de venir amener de quoi s’assurer que l’air sec de la surface ne viendrait pas irriter un gosier mal humidifié, et pendant ce temps, le saraph lui répondit, toujours sur le même ton badin et enjoué :

« C’est un vaste sujet, et ne vous inquiétez pas. Je vous l’ai exprimé : je suis à votre entière disposition. Cependant, imaginez que l’on vous demande de résumer votre espèce et votre culture en l’espace d’une soirée ! Impossible, mais je peux tout de même m’atteler à ce défi et apporter quelques éléments éclaircissants, aussi imparfaits soient-ils. »

Le plateau arriva, chargé de liquides nouveaux. Des reflets arc-en-ciel du premier breuvage, il passe à des teintes chatoyantes, qui évoquaient dans leur réceptacle aux formes élancées et arrondies les couleurs d’un incendie. Il en proposa un à l’ambassadeur, et deux autres à chacune de ses compagnes.

« Je suis un saraph, et il est de coutume pour les jeunes gens de mon peuple de quitter notre foyer pour entamer un périple dans le monde. Ce dernier doit nous former. Nous éprouver, et nous solidifier. J’ai pour ma part choisi de prendre mes quartiers ici. La situation de cet endroit me semble particulièrement propice à cela. Opale m’a accueilli les bras ouverts, bien qu’avec au début une certaine crainte. Oh, je ne leur en veux pas : les humains et le reste des races qui grouillent ici sont naturellement timorés. »

Il prit une rasade dans son propre verre, faisant de grands efforts pour ne pas le vider totalement. Le faible taux d’alcool du breuvage, couplé à son habitude des conteneurs plus grands rendait l’expérience légèrement frustrante. Il trouverait sans doute de quoi passer ses nerfs plus tard.

« J’ai donc employé mes moyens pour monter une compagnie dont le rôle est de régler certains problèmes, la plupart du temps par la violence. Et mon efficacité dans ce domaine m’a rapidement permis d’assoir ma position. »

Tout en parlant, il avait étudié la relation entre les trois individus. Il y avait beaucoup à apprendre en décodant les manières dont pouvait fonctionner une unité familiale. Ces espèces d’hybrides semblaient différents des zoanthropes. Plus solides. Ayant hérité de caractéristiques plus fortes, plus harmonieuses. Et de certains schémas mentaux, qui l’éloignaient de ces ersatz chétifs et rapides à la mort. Il se fit une note mentale de cataloguer les points communs entre les différentes espèces de poisson, ou en tout cas d’employer un expert dans le domaine pour le faire à sa place. Sans doute aurait-il alors beaucoup à comprendre. En attendant, il pouvait déjà dresser un constat évident : l’individu se comportait comme quelqu’un pour qui la hiérarchie était une chose évidente. Son comportement rappelait par certains points les familles dirigeantes d’Opale ou les nobles d’ailleurs, mais il y avait quelque chose d’autres. Quelque chose qui relevait presque de l’instinct, et non pas du comportement soigneusement cultivé. Sans doute aurait-il été plus simple pour tirer des conclusions définitives d’avoir d’autres exemples sous la main, mais il devait faire avec ce qu’il avait.

« Je vous propose de jouer à un petit jeu ! ajouta-t-il, suivant un éclair d’inspiration soudain. Il est très populaire ici, et porte un nom amusant de simplicité. Les vingt questions, et en voici les règles : chacun notre tour, nous allons nous poser une question, à laquelle l’autre devra répondre honnêtement, ou se voir infliger un petit gage amusant ! Qu’en dites-vous, mon cher ? Et je vous laisserai même poser la première. »

Il était déjà à peu près sûr de la réponse, mais donner à la suite des évènements l’apparence d’un jeu lui permettrait de vérifier certaines de ses théories. On lui avait demandé de se faire plaisant, mais il entrevoyait déjà, et malgré la brièveté de leurs échanges, de grandes possibilités. Tempérer son naturel enthousiaste serait sans doute particulièrement difficile, mais il pourrait le faire. La chose qu’il avait en face de lui avait au moins le bon gout de se parer des atours de la nouveauté.
Jeu 20 Oct 2022 - 17:38
"Saraph", ce terme n'était pas étranger à Zvintoch le 19ème ; c'est un terme qu'il a déjà entendu associé à des insultes, à de la peur, à de la haine ou à du mépris de la part des humains, sans comprendre ce qu'il désignait réellement. Voilà donc ce qu'est un saraph ! Un immense animal terrestre humanoïde, au teint rouge vif, semble-t-il optimisé pour la prédation de par l'architecture de son corps, ayant atteint le pallier d'intelligence critique qui permet l'émergence de sociétés complexes et de traditions associées.

Et ce Tlaxheel Azcalxotil en est un représentant issu de leur caste dirigeante. Magnifique, oui, car Zvintoch le 19ème avait anticipé qu'il devait être un guerrier, qu'il était enclin à la violence, mais suffisamment rationnel pour pouvoir mettre cette inclinaison au service d'une très riche cité ! Il est magnifique de pouvoir, du premier coup d'oeil, deviner la raison d'être d'une espèce ou d'une créature, simplement en observant son anatomie et son comportement. Appliqué aux humains, cet exercice est ardu, les Forces Évolutives ne les ont conduit vers aucunes prédispositions, à part éventuellement celles de la course à pied et de l'instinct de conservation... Ils ont su s'imposer aussi largement à la Surface parce qu'ils sont dotés d'une formidable polyvalence, mais derrière la polyvalence se cache l'incompétence, l'envie, la passion, ... le chaos.

Les Humains ne sont même pas capables de s'accoupler sans devoir prévoir en amont des dizaines de rituels... L'une des pires maladresses diplomatiques de Zvintoch fut ce jour où il voulut offrir une femelle humaine au patrimoine génétique très avantageux à un dévot aramilien désireux d'avoir des enfants : quel embarras ! Quelle honte ça a été ! Le malheureux Zvintoch s'est senti obligé de s'excuser durant des semaines suite à cet incident !

Imaginez donc comme Zvintoch est ravi d'avoir affaire à un spécialiste direct, qui sait ce qu'il veut ! Ce saraph a des méthodes bien rôdées, des ressources variées mais toutes orientées vers la domination, qu'elle soit physique ou sociale... Un animal à la conception charmante ! Et il existerait une espèce entière de spécimens similaires ? La Nature réserve parfois quelques ravissantes surprises !

« Un jeu ! J'adore les jeux. »

Que Zvintoch dit, charmé par la perspective d'apprendre en s'amusant, en lapant une micro dose de la nouvelle chimie gustative offerte par ce serveur humain. Sa moelle cérébrale se colore de teintes irréelles, l'Ambassadeur est happé durant plusieurs secondes par un immense brasier électrique, son visage se déformant en une grimace d'extase. Puis, comme si de rien n'était, il reprend sagement la parole :

« Je suis très joueur, car c'est dans ma nature. »

Les jeux sont efficaces. En matière de diplomatie, les jeux sont une arme de destruction massive. La reine Mère en avait conscience lorsqu'elle a conçu Zvintoch en ses sombres Entrailles.

« Une question et un gage. Laissez moi réfléchir... »

Bien malavisé fut Tlaxheel Azcalxotil, s'il croyait trouver une occasion dans ce jeu de gager Zvintoch le 19ème. Doté d'une implacable franchise, dénicher une question à laquelle il refuserait de répondre relèverait de l'exploit -bien qu'il ait tout de même quelques tabous ! Mais gager Zvintoch n'était surement pas l'intention de son hôte, car la curiosité les anime tout autant l'un que l'autre.

« J'ai une question intéressante ! Ressentez vous du plaisir lorsque vous exercez cette fameuse violence dans le cadre de votre profession, ou n'est-ce qu'un outil ? »

C'est bien entendu une curieuse question à poser à un hôte aussi charmant ! Mais déterminer quel rapport à la violence entretient l'interlocuteur, surtout lorsque celui-ci se définit comme pratiquant régulier de violence, c'est un point de départ tout à fait pertinent ! A quel point aime-t-il le combat, le conflit, la domination ? Où s'arrête le guerrier, et où démarre le sage ?

Quant aux deux soeurs de Zvintoch le 19ème, elles n'osent guère boire la boisson offerte, de peur qu'elle n'altère leur vigilance ne serait-ce qu'une fraction de seconde ; mais elles savent que refuser une boisson déjà servie est un mauvais pas social... Confuses mais toujours aux aguets, elles se contentent alors de se faire aussi discrètes qu'elles le peuvent du haut de leurs cent soixante six kilos, afin de pas déranger le dialogue entre leur grand frère et son dangereux hôte...

... heureusement, Zvintoch le 19ème vient les tirer de leur embarras !

« Si vous ne voulez pas répondre, votre gage sera de consommer d'un trait les potions qui ont été servies à mes soeurs ! »

Manifestement, la soirée est lancée, car l'Ambassadeur s'amuse déjà beaucoup !
Ven 21 Oct 2022 - 13:33
Sans la moindre surprise, le triton continuait de se montrer particulièrement enthousiaste, et de coopérer avec la plus grande bonhommie. C’était une bonne chose, et même une très bonne chose. Il n’avait que faire d’un énième bouffre aux paroles lentes et à l’esprit d’abruti. Les attardés convaincus de leur propre génie étaient certes particulièrement utiles, surtout quand ils étaient encrassés dans des mannes issues de plusieurs générations de gens infiniment plus méritants, mais leur compagnie était pesante. Et en face de lui se dessinait un individu aussi léger que l’air, avec la consistance du sucre gonflé. Il le sentit se questionner, chercher à comprendre tout ce que le saraph était en train de lui proposer. Les règles énoncées étaient après tout très simples, et laissaient beaucoup de place à l’imagination et à l’interprétation. Il fut donc intéressant de voir que ce dernier ne sembla pas trop décontenancé par celles-ci ; jusqu’à présent, le triton s’était contenté d’un rôle très passif. Il avait posé quelques questions, mais s’était docilement laissé guider. Lui redonner une mesure d’initiative permettait de voir ce qu’il en faisait, et sa candeur rendait facile l’exercice.

Le saraph pouvait déjà voir que contrairement à ses deux congénères, l’homme-poisson semblait apprécier cette autonomie. Les deux créatures craignaient à la fois de manquer à leur devoir, mais aussi tout élément perturbateur. Nul doute que l’environnement actuel, saturé d’odeurs, de son et de couleurs devait pour elle être une agression constante. Ca ne semblait pas être le cas du brave ambassadeur, qui commença par une question que la plupart des autochtones aurait trouvé particulièrement impolie, pour ne pas dire gênante, voire dangereuse. Cela aussi était révélateur, mais le saraph se retint de conférer à ces premières conclusions un caractère définitif.

« Indéniablement, répondit-il. Le conflit est pour ma race un besoin aussi vital que l’alimentation ou le sommeil. Certains le voient simplement comme un procédé indispensable pour atteindre divers buts. Je suis d’accord, mais je le trouve en plus particulièrement plaisant. Il n’y a rien qui fouette plus fermement le sang que la violence. Que la lutte contre des adversaires dangereux. La boisson, fit-il en désignant le verre, le sexe, continua-t-il en montrant les convives occupés à danser et à bavarder autour d’eux. L’exercice du pouvoir, la nourriture, et tous les plaisirs inventés par les humains ne sont rien à côté de ce simple fait. »

Il marqua une courte pause, voulant laisser à son ami le temps de digérer ses paroles, et s’intéressa brièvement les deux créatures qui l’épaulaient. Si l’ambassadeur était et devait rester son principal sujet d’étude, elles permettaient malgré tout de le mettre en relief. Elles différaient de lui sur de nombreux aspects, physiques comme comportementaux, et il n’en doutait aucunement, mentaux et moraux. Il caressa pendant une ou deux secondes plusieurs idée pour étendre à elles son influence, mais se ravisa. Il fallait rester calme, et modérer son enthousiasme. La vérité était simple : malgré toutes ses théories et ses capacités d’observations, il aurait péché par orgueil en pensant si rapidement réellement cerner le trio qui s’étalait en ce moment dans ses coussins.

« Je sais ! fit-il sur un ton ravi. Voilà ma question. Ahem. Quel changement justifie d’envoyer un ambassadeur ici ? Si vous ne voulez pas répondre, hm, que faire ? Ah ! Vous aurez à garder vos yeux fermés pendant une minute, et à ne pas questionner ou empêcher ce que je ferai pendant ce temps ! Et ne vous inquiétez pas, je m’engage à ne rien faire de dangereux ou de trop inconvenant ! »

La question était sans doute trop ouverte, et le saraph s’attendait à une demi-réponse. Ce n’était de toute façon pas important. Pour un esprit suffisamment alerte, elle apparaitrait comme évidente dans très peu de temps. Il lui suffisait simplement de comprendre comment fonctionnait l’individu, et il saurait alors pourquoi il avait été sélectionné pour représenter son groupe, et donc quelles caractéristiques correspondaient à quel besoin. C’était là un exercice mental d’une grande trivialité, et Tlaxlheel s’autorisa un léger tremblement de la lèvre, empêchant difficilement son sourire convivial de se métamorphoser en un rictus de jouissance satisfaite. Il doutait simplement que les choses soient au final aussi simples qu’elles apparaissaient.

La bestiole s’était limée les dents. Cela n’était pas la preuve de sa bonhommie ou d’un quelconque effort d’intégration, mais celle de la nature sournoise du danger qu’elle représentait. Seul un esprit qui voulait faire oublier qu’il était foncièrement un prédateur qui se pensait entouré de proies potentielles pouvait penser à une telle chose. Tlaxlheel le savait : il adoptait quotidiennement nombre de stratagèmes similaires.