Sam 11 Jan 2025 - 20:37
Le voici maintenant Amiral, commandeur suprême des armées epistopolitaines. De fait, il devenait l’un des hommes les plus puissants du continent d’Uhr. Objectif maintenant atteint, la suite lui appartenait. La paix régnante pour le moment, sa priorité était de travailler au maintien de la tranquilité – inexistante – dans le Renon. Absolument rien ne serait possible si cette région n’était pas sienne. Le chantier serait absolument colossal et il se demandait comment y parvenir, comment procéder. Habiter une telle région lui était insupportable. La nature autrefois florissante, riche, épanouie, n’était plus que désastre écologique. Ce désarroi, il le ressentait profondément dans sa chair. Si les aramilans en souffraient, Lucius restait probablement le plus à plaindre dans cette histoire. Le pouvoir qu’il détenait à présent ne résultait pas du fruit du hasard. Il souhaitait changer les choses. La colonisation n’avait jamais rien donné de bon et la preuve s’illuminait sous ses yeux impuissants. Les vaincus voudraient toujours récupérer leurs terres perdues, tandis que les vainqueurs se battraient toujours pour des terres qu’ils avaient gagnées. L’histoire se répétait sans arrêt.
Lorsqu’on lui fit la visite de la région, l’Amiral dut faire montre d’un contrôle remarquable. Détruit de l’intérieur par ce désastre, il devait cependant féliciter son guide, fier de présenter le grand travail réalisé par son équipe et ses prédécesseurs depuis plusieurs décennies. Si l’Hespéride devait laisser ses sentiments parler, il tuerait son guide et tous les tire-au-flanc qui l’accompagnaient. Devoir de réserve obligeait, servitude envers la nation indispensable, il se contrôla et continua la visite en jouant la comédie. Une funeste comédie tant le spectacle ne représentait qu’une triste désolation. Au-delà des destructions physiques, des constructions abominables d’usines, de la pollution excessive du Renon, ce fut l’extrême pauvreté des ressortissants aramilans qui interloqua le commandeur suprême. Tout autour de lui, des aristocrates, de riches investisseurs et nobles epistopolitains, qui se plaisaient à investir les lieux sous les pauvres yeux des vaincus. Des yeux pour pleurer, c’était tout ce qu’il leur restait à présent. Toujours la même chose.
Confortablement installé sur son siège, accoudé à l’accoudoir, la tête posée sur son poing, il observait le Renon à travers la belle vue d’ensemble dont il jouissait. De temps en temps, il buvait une gorgée de sa tasse de thé qu’il tenait de sa main libre. Voilà de longues minutes que l’homme le plus redouté du coin réfléchissait. Peut-être l’un des rares moments de tranquillité depuis la prise de ses fonctions, l’un des seuls où il n’avait pas à subir le flux émotionnel autour de lui. A l’instar du Régent, l’Amiral s’était montré relativement discret, presque inactif aux yeux de tous. En réalité, tous ceux qui se présentaient à lui voyaient qu’il consultait les dossiers sensibles, visitait son archevêché et faisait connaissance avec les grands noms. Ce que tout le monde ignorait, c’était qu’il utilisait ses « missi dominici », des soldats sélectionnés pour des tâches spécifiques, notamment la collecte d’informations. Ces derniers lui rapportaient les derniers ragots, les faits politiques ou peoples provenant de la capitale, voire des récits compromettants au sujet de certaines personnes. Pendant de longs mois, Vidocq rassembla bon nombre d’informations sur un bon nombre de personnes, le tout soigneusement rédigé dans plusieurs calepins. Prise de ses fonctions le 30 Bahlam 1899, les choses sérieuses commencèrent le 15 Pthelior 1900.
Si cela avait déjà eu lieu pour de simples formalités, l’Amiral souhaitait maintenant rencontrer l’Archevêque pour discuter, puis le sonder accessoirement. De tous, il était probablement celui qui avait le plus de pouvoir. Les ressortissants l’écoutaient, tandis que les epistopolitains se confiaient à lui, notamment les amiraux. Était-ce une bonne idée ? Difficile de l’évaluer à l’heure actuelle. Lucius n’avait pas pour habitude de se confier aux premiers venus. Une missive fut envoyée plus tôt dans la journée. Il l’invita après le repas pour ne pas avoir à partager un trop long moment avec ce dernier. Ses fonctions l’obligeaient à côtoyer ce type d’individus méprisables, mais il ne les appréciait pas pour autant. D’ailleurs, ils devaient certainement se sentir mal à l’aise à ses côtés.
Hier à 0:29
Quatorze heure pétante, pas une minute de plus, on frappa à sa porte. Un soldat annonça la présence de l’archevêque. Un homme d’une quarantaine d’années, peut-être un peu plus, entra lentement dans la pièce. De prime abord, son physique est plutôt bien conservé pour un homme de sa fonction. Lucius les imaginait en surpoids, omnipotents, le visage blafard. Celui-ci semblait s’entretenir ou tenir une alimentation stricte et rigoureuse. Pour le reste, il tenait un regard coquin, malicieux. La grande surprise fut le second personnage qui entra dans la pièce. Ce dernier ressemblait farouchement à la description imaginée initialement pour l’archevêque. Cela aurait pu être un apprenti, un futur successeur, mais l’Amiral le connaissait. De nom et de réputation, du moins. Pyros Borges. Un ancien soldat de l’armée aramilane aux faits d'arme remarquables. Ce fut de cette manière que Vidocq avait pu obtenir des informations sur cet homme. Il est donc devenu un des sbires de l’archevêque, pensa-t-il en le toisant du regard. Quant à savoir s’il pouvait se confier à l’homme de foi, la réponse était maintenant évidente.
« Archevêque Blathazar, Conseiller Borges, je vous souhaite la bienvenue dans mes quartiers. Je n’attendais personne d’autre que vous, Votre Sainteté. », débuta l’Amiral en invitant les deux hommes à s’installer sur les sièges face à son bureau. Lui, se trouvait de l’autre côté. « Désirez-vous boire un verre de thé ? », demanda-t-il en sortant une tasse supplémentaire pour Pyros. Il ne leur laissa pas vraiment le choix et commença à remplir les tasses. A cette distance, leurs émotions se déversaient en lui comme le thé dans les tasses. Ils n’étaient pas à leur aise, mais ces deux-là semblaient habitués à ces situations. Les coquins, s’amusa intérieurement le grand commandeur. Des rumeurs, des « bruits qui courent », semblaient converger et sous-entendre une relation charnelle entre ces deux hommes. Ils s’adonnaient à quelques plaisirs. Pouvait-on le leur reprocher ? Certainement pas. Cela serait mal perçu, mais l’Amiral se moquait foutrement de savoir avec qui les uns et les autres couchaient. Sauf peut-être quand des secrets étaient susceptibles d’être partagés sous la couette.
« Si je vous ai fait venir ici, autre que pour partager un thé ensemble, c’est pour évoquer l’avenir de cette région. Je ne parlerai pas de mes prédécesseurs. Néanmoins, j’évoquerai tout de même le manque d’efficacité opéré au sein de l’archevêché. Durant le temps de mon mandat, je compte bien agir en faveur du bien-être commun. Et vous, Balthazar, êtes une pièce-maitresse dans les desseins que je compte bien mener à leur terme. Vous êtes la seule personne que les ressortissants écoutent. ». Il sentit de la crainte chez l’Archevêque qui ne savait probablement à quelle sauce il serait mangé, mais plutôt de la curiosité chez Borges qui attendait d’en savoir davantage sur ses « desseins ». Cet homme œuvrait pour le bien d’Aramila et c’était tout à son honneur. Lucius ne pouvait néanmoins pas se permettre de révéler ses ambitions à cet homme, qui s’empressera de tout répéter aux dirigeants aramilans.
« Les ressortissants sont malheureux. Ils vivent dans la misère, chez eux, dans leur propre terre, alors même que les citoyens epistopolitains investissent sans compte dans la région. Je ne pourrais pas permettre à mes… concitoyens ? Oui, concitoyens, que je sers par mes fonctions, de s’appauvrir. Je pourrais tout de même rendre la vie plus agréable pour les habitants de l’archevêché, de leur trouver de l’emploi, par exemple. Ce ne sont pas les usines et entreprises qui manquent. »
Une utopie ? Qu’ils se moquent après leur chevauchée, ils me remercieront. Pyros Borges me remerciera et s’agenouillera devant moi. Enfin, s’il en est encore capable, pensa-t-il en observant sa mine maladive. Il ne jugea pas nécessaire de leur en dire davantage. Une entrevue relativement courte, mais Vidocq souhaitait réellement ce face à face avec ses collaborateurs. Il devrait analyser les émotions ressenties. Balthazar, conscient de son pouvoir, semblait tout de même dépendant de son Conseiller. Pyros Borges. Il lui faudrait prendre cet élément en compte.
« Puis-je compter sur votre soutien, Balthazar ? », demanda Lucius. L’homme de dieu se sentit heureux de pouvoir donner son avis.
« Naturellement, Amiral Vidocq. Par ailleurs, en attendant d’avoir un nouveau Régent, c’est le Comité d’Instruction qui gouverne. Et vous en faites partie. Il est de l’intérêt de tous que notre coopération soit la plus solide possible. »
« Nous sommes bien d’accord. »
La suite concerna des banalités pour combler les vides, rendre leur relation plus agréable. Lucius dut prendre sur lui pour supporter toutes ces sottises politiques.
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