Ven 3 Jan - 7:06
Putain de vie de merde. Il faut pas grand-chose pour passer de petite enflure qui avoine des types dans des combats illégaux organisés par de riches salopards, à sale enfoiré qui liquide des types parce qu’un riche salopard à la tête d’un gang lui a ordonné de le faire. Il en faut vraiment peu, du genre, frapper à mort son adversaire.
Les petits génies l’auront compris, c’est bien de moi que je parle. Six ans après, la trogne de ce type me hante encore quand je dors. Du moins, quand j’essaie de dormir. Je peux pas vraiment dire que je pionce beaucoup la nuit, je suis plutôt du genre à vivre une fois l’obscurité tombée sur la ville. J’aime pas la lumière, l’impression d’être un foutu vampire exposé au soleil, le moindre rayon m’agresse la rétine et me donne l’impression de brûler ma peau blanchâtre. Eh, si j’étais pas convaincu d’avoir un putain de loup en moi, je pourrais vraiment croire que je suis un suceur de sang.
Mais je le suis pas, c’est une certitude. Ce que je suis en revanche, c’est un putain de meurtrier, un foutu boucher. Depuis que j’ai éteint cette première vie de mes propres mains, arrachée à ce monde de mes propres poings, j’ai pas arrêté de faire couler l’hémoglobine. Je compte déjà plus le nombre de fois où je me suis salopé les fringues, les phalanges rougies, ensanglantées. C’est quand même dingue ce que les remords et la culpabilité peuvent vous pousser à faire, dingue ce que le cerveau humain peut devenir quand il est terrassé par la honte et le chagrin, quand un homme plein de valeurs se fait totalement brisé par la vie.
Juste un énorme salopard de plus, c’est comme ça que je me décrirais si j’avais à le faire. Mais là où je m’en sors bien, c’est que je suis un foutu clébard enragé, en plus d’être un énorme salopard. J’ai la rage au ventre et aucune envie de crever, contrairement à bon nombre de zigues aussi dépressifs que moi. J’ai ce brasier en moi qui refuse de s'essouffler, qui me brûle les tripes chaque fois que j’envisage de me coller une bastos dans le crâne ou de me laisser planter par le pauvre gars qui se ramène avec sa lame rouillée, l’esprit vengeur. J’y arrive pas. Je ne veux pas. Je veux me venger. Je veux prendre ma revanche sur ce putain de karma qui me lâche pas les miches, sur ce putain de monstre en moi qui m’a pourri de l’intérieur, sur cette putain de mère qui m’a niqué la vie.
Sur tous ces putains d’enfoirés que je hais.
Je traverse un épais nuage de merde brouillardeux depuis trop longtemps pour simplement accepter de crever en silence, sans rien avoir prouvé aux autres, sans rien avoir accompli ici, sans rien avoir obtenu. Et j’ai pas de limite croyez-moi, toutes ces barrières morales qui peuvent retenir un bras gars de tomber dans l’illégalité, de devenir un foutu criminel qui répond plus que par lui-même, ces foutues barrières à la con je les ai enjambées après avoir assassiné ce pauvre gars des années plus tôt.
Et c’est pas évident tous les jours, y’a des moments de lucidité qui vous transpercent le cœur et vous irradie la gueule à vous donner envie de crever, dégoûté et blasé de ce monstre que vous êtes devenu. Dans ces moments-là, je sors toujours une bonne bouteille de whisky et mon paquet de clopes et je noie toutes ces petites pensées moralisatrices que je ne veux surtout plus écouter. Parce que le faire reviendrait à m’avouer vaincu, le faire me pousserait à renoncer et je suis allé trop loin dans les ténèbres pour vouloir abandonner maintenant. Une fois que t’as accepté d’être une pourriture, c’est plus si pénible. Le plus dur, c’est de l’accepter sans vouloir se faire sauter la cervelle.
Moi à la place, je fais sauter la cervelle des autres.
Ce soir, je suis encore de sortie dans les ruelles sombres et dangereuses d’Opale. Celles où les plus riches et puissants nobles ne traînent pas, de peur de ne jamais rentrer chez eux. Celles que les malheureux condamnés à vivre ici s’empressent de traverser à des heures trop avancées de la nuit, craignant qu’une lame sorte de la pénombre pour tailler un douloureux chemin dans leur chair, entre les côtes. Celles où les pires animaux attirés par le sang et le pognon facile se rassemblent, les crocs aiguisés, une lueur malveillante dans les yeux. Du pognon facile, c’est ce qu’on m’a glissé entre les pognes pour refroidir un type qui répond au nom de Domhlaic.
Une espèce de saloperie de vicelard un peu trop attiré par les jeunes filles, qui aurait posé ses sales pattes sur la fille d’un ami proche à mon patron. Je sais pas si ce Domhlaic connaissait bien le père de la gosse, mais j’aime à croire que non. J’aime à penser qu’il ne se doute de rien, qu’il pense s’en être sorti comme un prince, après avoir abusé de cette pauvre gamine pendant des heures. J’aime me dire qu’il ne s’attend pas à ce que je vienne le cueillir ce soir, alors qu’il rentre tranquillement chez lui, retrouver les bras de sa femme. Parce que oui, ce gros porc a une famille. Une femme, trois foutus gosses. Je ne sais pas s’il a pensé à les embrasser ce matin avant d’aller bosser, mais c’est la dernière fois qu’il aurait pu le faire.
Domhlaic est du genre poivrot, souvent à se mettre une sacrée race entre collègues après le boulot. Toujours la même heure, toujours le même bar, toujours le même chemin emprunté pour rentrer. Pas chancelant, vue à moitié brouillée par l’alcool ingurgité, l’esprit aussi embrumé qu’une petite excursion dans la Mer de Brume. Normalement, cette énorme chiasse ambulante rentre seule, mais cette fois il semble accompagné. Silhouette et voix masculine, probablement un collègue à lui. Je me demande si ce type sait aux côtés de qui il marche ? Je me demande si ce type à des filles, est-ce qui lui a déjà présenté ? Et s’il connaissait sa vraie nature, marcherait-il encore à ses côtés ? J’ose espérer que non. Malheureusement pour lui, je ne vais pas lui laisser l’occasion de s’expliquer. Les consignes ont été claires pour ce soir.
Pas de témoin.