Jeu 5 Déc - 14:07
Au fond, est-ce que tout ça avait vraiment servi à quelque chose ? Le reflet que le miroir lui renvoie est fatigué, balafré. Son poing a brisé la glace en deux. La fissure est nette, profonde. Elle court d'une mèche de cheveux délavée jusqu'au bas de sa mâchoire, traversant son iris. La nuit est retenue à l'extérieur par les persiennes. Le noir et le violet sont les seules couleurs qui ont survécu à sa colère. L'air est lourd, humide, comme trop souvent à Xandrie. Elle est en nage, à bout de nerfs. Les murmures de la rue se sont tus il y a longtemps déjà. Elle est seule, comme toujours.
Personne ne connaît l'adresse exacte de ce taudis, pas même ses lieutenants les plus fidèles, d'ordinaire dans la confidence. L'imminence d'une action groupée l'a poussée à prendre plus de précautions encore. Les Guildes en savent maintenant beaucoup sur elle. Il y a fort à parier que le Roi aussi entend les bruits de couloir. Elle est seule, comme elle l'a toujours été. Et elle devra probablement le rester longtemps après l'épilogue. Elle n'a que son reflet et les Douze savent à quel point elle ne l'aime pas.
Elle aurait pu être une jolie fille, sans doute. Elle en avait croisé des tas, lors de son dernier voyage à Opale. Des femmes apprêtées, couvertes de bijoux rutilants, avançant comme des nuages dans des robes de velours. Elle aurait pu, comme elles, sourire aux bras d'un homme intelligent, feindre elle-même la bêtise pour ne pas se soucier du monde autour d'elle. Elle aurait dû avoir le choix de vivre comme une imbécile heureuse. Mais tout avait joué contre elle. La Brume, Lester, et même Elsbeth. Elle s'était inventé un destin, comme on le fait souvent à ces âges là, alors qu'elle ne rêvait encore que de monter dans un zeppelin. Mais qui était-elle au fond, sinon un enfant dont les convictions avaient fanées ? Rien, personne. Elle ne savait rien faire de ses dix doigts, c'est tout juste si elle savait manger seule. Elle n'avait jamais appris qu'à tenir fermement son revolver, comme si le pouvoir de tuer suffisait à la faire vivre. Elle espérait le tenir aussi fermement quand elle le tournerait contre sa propre tempe. Il était là, à sa ceinture. Elle le sentait peser sur la boucle de son pantalon. Elle l'attrapa et finit de détruire la glace en hurlant.
Elle était seule et cette simple pensée suffisait maintenant à la rendre folle. Elsbeth ne s'était plus jamais montrée et ne le ferrait sans doute que pour ramasser la couronne. Des années de rigueur, d'austérité, une vie dévouée à la cause, à une princesse peut-être morte, et pour quoi ? Pour la promesse d'un avenir radieux ? Il n'y a vraiment qu'une orpheline épuisée par un exil forcé pour croire à de telles sottises. La brume, le treizième cercle, la mort... Rien de tout ça ne disparaîtrait avec le Roi. Les Astras et le pouvoir resteraient au centre de tout, et elle resterait la main armée de ces forces invisibles.
Un peu de sang perlait au bout de son index. Un éclat de verre avait dû s'y loger. Le jour perçait enfin au travers des persiennes. Demain, tout serait derrière elle. La violence, la solitude, les promesses de changement. Xandrie en fête pansera ses plaies, et elle sera enfin libre. Libre de ses propres engagements, de ses rêves d'enfant, de ses convictions émoussées. Rien ne sauverait Uhr de ses habitants. Ni elle, ni la jolie princesse des contes de maman. Et ils vécurent heureux, car imbéciles.
Personne ne connaît l'adresse exacte de ce taudis, pas même ses lieutenants les plus fidèles, d'ordinaire dans la confidence. L'imminence d'une action groupée l'a poussée à prendre plus de précautions encore. Les Guildes en savent maintenant beaucoup sur elle. Il y a fort à parier que le Roi aussi entend les bruits de couloir. Elle est seule, comme elle l'a toujours été. Et elle devra probablement le rester longtemps après l'épilogue. Elle n'a que son reflet et les Douze savent à quel point elle ne l'aime pas.
Elle aurait pu être une jolie fille, sans doute. Elle en avait croisé des tas, lors de son dernier voyage à Opale. Des femmes apprêtées, couvertes de bijoux rutilants, avançant comme des nuages dans des robes de velours. Elle aurait pu, comme elles, sourire aux bras d'un homme intelligent, feindre elle-même la bêtise pour ne pas se soucier du monde autour d'elle. Elle aurait dû avoir le choix de vivre comme une imbécile heureuse. Mais tout avait joué contre elle. La Brume, Lester, et même Elsbeth. Elle s'était inventé un destin, comme on le fait souvent à ces âges là, alors qu'elle ne rêvait encore que de monter dans un zeppelin. Mais qui était-elle au fond, sinon un enfant dont les convictions avaient fanées ? Rien, personne. Elle ne savait rien faire de ses dix doigts, c'est tout juste si elle savait manger seule. Elle n'avait jamais appris qu'à tenir fermement son revolver, comme si le pouvoir de tuer suffisait à la faire vivre. Elle espérait le tenir aussi fermement quand elle le tournerait contre sa propre tempe. Il était là, à sa ceinture. Elle le sentait peser sur la boucle de son pantalon. Elle l'attrapa et finit de détruire la glace en hurlant.
Elle était seule et cette simple pensée suffisait maintenant à la rendre folle. Elsbeth ne s'était plus jamais montrée et ne le ferrait sans doute que pour ramasser la couronne. Des années de rigueur, d'austérité, une vie dévouée à la cause, à une princesse peut-être morte, et pour quoi ? Pour la promesse d'un avenir radieux ? Il n'y a vraiment qu'une orpheline épuisée par un exil forcé pour croire à de telles sottises. La brume, le treizième cercle, la mort... Rien de tout ça ne disparaîtrait avec le Roi. Les Astras et le pouvoir resteraient au centre de tout, et elle resterait la main armée de ces forces invisibles.
Un peu de sang perlait au bout de son index. Un éclat de verre avait dû s'y loger. Le jour perçait enfin au travers des persiennes. Demain, tout serait derrière elle. La violence, la solitude, les promesses de changement. Xandrie en fête pansera ses plaies, et elle sera enfin libre. Libre de ses propres engagements, de ses rêves d'enfant, de ses convictions émoussées. Rien ne sauverait Uhr de ses habitants. Ni elle, ni la jolie princesse des contes de maman. Et ils vécurent heureux, car imbéciles.
Lun 6 Jan - 18:08
Elle n'avait que très peu de souvenirs heureux de sa mère, mais un en particulier ne l'avait jamais quitté. C'était peu de temps avant le confinement de Louise dans sa propre chambre. Lillie ne pouvait alors imaginer le mal qui rongeait sa mère. C'était un soir chaud et pesant comme seule Opale sait en produire. Lillie ne trouvait pas le sommeil, malgré la couette repoussée à ses pieds et la fenêtre ouverte. Sa mère était entrée, un livre à la main, et s'était assise auprès d'elle. Elle ne lui avait encore jamais lu d'histoire, aussi Lillie avait-elle eu bien du mal à comprendre la situation. Les moments d'intimité comme celui-ci, elle les partageait d'ordinaire avec sa nourrice, Lacinda. Pourtant, c'était bien sa mère qui se tenait là, à son chevet.
"Il était une fois, dans un lointain royaume enneigé, une princesse aux cheveux blancs. Du sommet de la montagne, d'où elle voyait toute l'étendue de son royaume, elle faisait de son mieux pour que personne ne souffre du froid. Chez elle, le feu n'existait pas, mais les gens pouvaient se réchauffer en se parlant. Il était donc de son devoir de toujours offrir à ses sujets de passionnants sujets de conversation. Elle décidait donc souvent d'organiser de grandes réunions pour discuter de tout et de rien. Les gens qui y participaient se réchauffaient assez pour des semaines entières, et puisqu'ils devaient ensuite tout raconter aux autres, personne ne souffrait jamais du froid. Mais un beau matin, la princesse se réveilla sans voix. Elle eut beau essayer de crier, de chuchoter, de chanter, aucun son ne sortir de sa gorge. Prise de panique, elle alla trouver son frère, qui vivait lui aussi au palais. Comment allait-elle faire, maintenant qu'elle ne pouvait plus réchauffer personne ?
Attentif, son frère lui parla nuit et jour pour la maintenir en vie. Il lui raconta des histoires de royaumes lointains, de spectacles de musique si bruyants qu'ils suffisaient à réchauffer le cœur des gens. La dévotion de son frère n'empêchait pas la princesse de dépérir. Fut alors organisée une grande procession jusqu'au palais, pendant laquelle chaque habitant du Royaume pouvait dire quelques mots à la princesse. Tous le firent, maintenant la princesse en vie de longues années durant. Mais les histoires vinrent finalement à manquer, et l'hiver éternel se faisait plus rude.
Un matin qu'il se promenait dans le château, le frère de la princesse entendit sa voix résonner. Fou de joie, il s'approcha de la porte, seulement pour découvrir son père porter à ses oreilles une drôle de petite sphère bleutée. Il avait volé la voix de sa fille, la plus belle, la plus douce, la plus chaude des voix, pour en profiter seul, quitte à en priver tout le monde. Furieux, le prince confronta son père et récupéra la voix de sa sœur. Mais ce ne fut pas sans conséquences. Assisté d'une terrible sorcière, le Roi fit un pacte avec son fils. Il lui rendrait la voix de la princesse mais prendrait la sienne en échange. Pour sauver sa sœur, et le Royaume, le prince accepta. Il perdit sa voix à son tour et fut enfermé dans un cachot où seules les souris pouvaient lui parler.
La princesse retrouva sa voix et demanda souvent des nouvelles de son frère. On lui dit qu'il était parti loin à l'est, dans l'espoir de trouver un remède. Elle se languissait de lui. Le Royaume était sauvé, mais quelque chose lui manquait. La sorcière, elle, convoitait toujours ce qu'elle avait perdu. Et le Roi était toujours en vie. Qui allait porter secours à la princesse et à son frère maintenant ?" avait demandé Louise à Lillie, les yeux embués de larmes.
"Il était une fois, dans un lointain royaume enneigé, une princesse aux cheveux blancs. Du sommet de la montagne, d'où elle voyait toute l'étendue de son royaume, elle faisait de son mieux pour que personne ne souffre du froid. Chez elle, le feu n'existait pas, mais les gens pouvaient se réchauffer en se parlant. Il était donc de son devoir de toujours offrir à ses sujets de passionnants sujets de conversation. Elle décidait donc souvent d'organiser de grandes réunions pour discuter de tout et de rien. Les gens qui y participaient se réchauffaient assez pour des semaines entières, et puisqu'ils devaient ensuite tout raconter aux autres, personne ne souffrait jamais du froid. Mais un beau matin, la princesse se réveilla sans voix. Elle eut beau essayer de crier, de chuchoter, de chanter, aucun son ne sortir de sa gorge. Prise de panique, elle alla trouver son frère, qui vivait lui aussi au palais. Comment allait-elle faire, maintenant qu'elle ne pouvait plus réchauffer personne ?
Attentif, son frère lui parla nuit et jour pour la maintenir en vie. Il lui raconta des histoires de royaumes lointains, de spectacles de musique si bruyants qu'ils suffisaient à réchauffer le cœur des gens. La dévotion de son frère n'empêchait pas la princesse de dépérir. Fut alors organisée une grande procession jusqu'au palais, pendant laquelle chaque habitant du Royaume pouvait dire quelques mots à la princesse. Tous le firent, maintenant la princesse en vie de longues années durant. Mais les histoires vinrent finalement à manquer, et l'hiver éternel se faisait plus rude.
Un matin qu'il se promenait dans le château, le frère de la princesse entendit sa voix résonner. Fou de joie, il s'approcha de la porte, seulement pour découvrir son père porter à ses oreilles une drôle de petite sphère bleutée. Il avait volé la voix de sa fille, la plus belle, la plus douce, la plus chaude des voix, pour en profiter seul, quitte à en priver tout le monde. Furieux, le prince confronta son père et récupéra la voix de sa sœur. Mais ce ne fut pas sans conséquences. Assisté d'une terrible sorcière, le Roi fit un pacte avec son fils. Il lui rendrait la voix de la princesse mais prendrait la sienne en échange. Pour sauver sa sœur, et le Royaume, le prince accepta. Il perdit sa voix à son tour et fut enfermé dans un cachot où seules les souris pouvaient lui parler.
La princesse retrouva sa voix et demanda souvent des nouvelles de son frère. On lui dit qu'il était parti loin à l'est, dans l'espoir de trouver un remède. Elle se languissait de lui. Le Royaume était sauvé, mais quelque chose lui manquait. La sorcière, elle, convoitait toujours ce qu'elle avait perdu. Et le Roi était toujours en vie. Qui allait porter secours à la princesse et à son frère maintenant ?" avait demandé Louise à Lillie, les yeux embués de larmes.
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