Sam 30 Nov - 11:05
Jonas Steiner hors du paysage, disparu dans la brume et très probablement mort à l’intérieur, ce fameux soir où Zane a failli y passer aussi, c’était naturellement qu’on allait chercher à s’approprier son bout de territoire et ce qu’il reste de son business. Dans un milieu aussi impitoyable, pas ou peu de temps pour pleurer les morts, surtout ceux qui dirigent un gang. Et même si Jonas contrôlait pas une part importante au sein d’Opale, il n’empêche que c’est toujours plus que ce que moi j’avais, plus que beaucoup de truands répondant aux ordres d’un autre. Au sein de ce qu’il reste du clan de Steiner, il s’attendait sans doute à une lutte en interne, qu’un ou deux gros bras gonflent les pecs, montrent les crocs et qu’ils se foutent sur la gueule pour savoir lequel était le plus apte d’entre eux à reprendre l’affaire. Alors quand l’autre soir, deux types masqués leur sont tombés dessus, la surprise et l’incompréhension s'étalaient allègrement sur leurs trognes.
Avec Alex, on est allé s’approprier ce qui servait de quartier opératoire à cet enfoiré de Jonas. Sans avoir les clés ni le consentement du défunt propriétaire, sans même recevoir la bénédiction de sa mère et encore moins de son épouse. Je crois pas qu’il avait de femme de toute façon, de ce que je sais il était plus du genre à tremper sa guiche dans plusieurs trous en soirée que de s’embêter à faire preuve de fidélité pour une gonzesse. Je juge pas, moi-même je suis célibataire et pas mal endurci dans le domaine.
Trois jours que cette baraque sur deux étages nous appartient, y’a du sang séché qui habille les murs et le sol un peu partout, mais c’est le temps qu’on emploi quelqu’un pour nettoyer toute la merde qu’on a causé en réclamant l’acte de propriété aux hommes de Steiner. Hors de question que je me fasse chier à le faire par moi-même, et je préfère éviter à Alex de s’emmerder avec une tâche aussi ingrate. C’est pas ce que je lui réserve comme place au sein de mon organisation, j’ai pas envie qu’il se fasse de mauvaise idée ou de foutre en l’air le début de confiance mutuelle acquis. J’oublie pas que s’il m’a suivi à la base, c’est un peu malgré lui, pour payer sa dette envers moi. On apprend encore à se connaître, voir si ça peut le faire, alors autant pas tout gâcher bêtement. — Demain, t’iras recruter deux ou trois types pour faire le ménage. Que je lâche à son attention tout en posant mon derche sur un fauteuil en cuir, déposé dans une large pièce au premier étage. Une salle dédiée à la relaxation et aux discussions légères pour les hommes de mains de Steiner, du moins c’est ce que j’imagine à en juger l’aménagement des lieux.
Par faire le ménage, mon interlocuteur aura aucun problème à savoir où je veux en venir, alors inutile de m’attarder sur des précisions inutiles. Si on s’est tout de suite débarrassé des quelques corps semés lors de notre prise, le reste pouvait attendre. Le sang séché c’est chiant à nettoyer, certes, mais comme dit, c’est pas nous qui allons nous faire chier à le faire partir. Contre quelques astras, on aura aucun de mal à trouver des malheureux désespérés qui seront ravis de se ruiner les mains en nettoyage. C'est toujours mieux que de crever de faim.
Dans la poche intérieure de mon long manteau en laine, j’extrais une flasque dont je dévisse le bouchon et porte le contenant à mes lèvres, buvant une grosse gorgée du whisky à l’intérieur. L’alcool me brûle délicatement la gorge, me réchauffe l’âme en même temps que mes entrailles. Mon regard se pose sur mon homme de main, une expression froide, presque morte. — Pas trop chamboulé de te retrouver dans l’ancienne baraque de ton ancien patron ? Y’a des zigues que ça pourrait retourner psychologiquement, question de loyauté et autres conneries, même si je doute que ce soit son cas. Non pas parce qu’il est le genre de salopard à ne donner sa loyauté qu’à sa poire, mais surtout parce qu’il ne m’a jamais donné l’impression d’apprécier son ancien boss. C’est souvent comme ça quand tu te retrouves forcé par le destin à devoir faire le sale boulot de quelqu’un, bosser pour lui malgré toi, un peu comme ce qui est en train de se passer ici, entre lui et moi. Alors ça m’intéresse d’avoir une réponse orale, de l’observer droit dans les yeux pendant qu’il me la délivre, surtout. Tenter de percer ce qu’il en pense réellement, en gros.
Pas une question piège, y’a pas de mauvaise réponse à mes yeux. Je m’attends absolument pas à ce qu’il me devienne aussi loyal qu’un clébard du jour au lendemain, sous prétexte que je lui ai sauvé la peau. La confiance, je l’ai toujours dit, ça se gagne avec le temps, les paroles mais surtout les actes. Que ce soit dans un sens comme dans l’autre.
Calme, je range la flasque pour m’emparer du paquet de clopes améliorées à l’opium, puis du zippo. La flamme du briquet embrase l’extrémité de la cigarette coincée entre mes lèvres, j’en tire une bouffée et en savoure les effets.