Le combat avait été aussi violent que rapide. Entre les explosions et les coups, Ryker avait vu passer le monde à un cheveux de sa fin plus d’une fois et n’avait dû qu’à son expérience de ne pas finir comme la malheureuse Lue. Ofskir était un adversaire redoutable, et il prit petit à petit l’ascendant sur le groupe. Vif, implacable. Il semblait danser au milieu d’eux, se gausser de leurs gestes désespérés et riait lorsqu’il relâchait ses boules explosives. Mais il ne faisait pas le poids. Contre eux, contre leur complémentarité. Contre la rage qu’ils avaient au ventre. Il hurla à Artémis de venir l’aider, chargea le Dieu pour tenter de lui rendre la pareille. Puis encore une fois, il se joua d’eux, et le monde se teinta de dizaines de points lumineux. Le bois contre son dos, la terre qui crissait sous ses dents. Un goût de fer, de sang. Par le feu et la douleur, la biosphère s’était changée en une forêt décharnée. Le Patrouilleur se releva tant bien que mal, tituba pour reprendre son épée à deux mains mais face à Ofskir se tenait la Banshee. Ses ailes déployées, elle le toisait tandis que Maël courait vers eux, fer au poing. Panoptès achevait d’enserrer le Dieu dans sa poigne démesurée. Ryker s’appuya contre ce qu’il restait d’un arbre pour encaisser la vague de souffrance qui vint après l’usage du cristal d’hypervélocité. Ses muscles avaient été soumis à un régime inhumain, son corps était contorsionné dans des espaces improbables. La langueur faillit le cueillir, mais il sentait encore les relents du breuvage qui lui avait permis de tenir suite à ses blessures dans le bus.
- Je m’en occupe, Chancelier. répondit le Patrouilleur en tirant une corde de son sac, puis il s’affaire à attacher le Dieu sans lui adresser la moindre parole.
Il cherchait les replis dans sa chair inhumaine, la contorsion de ses articulations improbables. Cette chose était … était. Il écouta d’une oreille attentive Maël qui parlait de choses qu’il ne connaissait que de loin, comme lorsqu’ils avaient exploré le fort ensemble. Il laissa le Chancelier menacer l’être séculaire, le cours des choses se faire. Il ne pipa mot lorsqu’Ofskir souleva le cristal divin du Chancelier, mais glissa en silence sa main sous son gambison. Ces cristaux divins étaient … Le Patrouilleur soupira. Cela ne les rapprochait pas de leur objectif : le Réplicateur.
- Je prendrais mon tour quand nécessaire, il me faut juste le temps de me remettre un peu du combat. Ce n’est pas le premier cristal divin que je croise, et je sais que leur usage prélève un coût … immense. répondit-il lorsqu’il suivi Panoptès dans le monte-charge.
Il fit avancer Ofskir avec eux et adressa un regard à Jessamy et Artémis. Ils avaient eu tous les trois la même lettre, assez éloignée de ce que Lewën aurait pu faire. Avec ce qui venait de se passer durant le combat, il y avait fort à parier que Jessamy cesserait de leur cacher ses talents et son cristal … Ce qui faisait la modique somme de trois cristaux assemblés ici, en un espace restreint. Ryker regarda l’étrange objet glisser entre les mains des autres membres du groupe. Tant de pouvoirs … et le Magistère avec sa sale main dans tout ça. Il frémit lorsqu’il pensa à nouveau à ce lien maudit entre Panoptès et Higgs, à ce qui était arrivé à Duscisio. A la tentative d’assassinat dont le Patrouilleur portait encore les séquelles. Ils descendirent ainsi par l’ascenseur, dans les vestiges antiques de cette cité oubliée. Un temps qui leur permis de souffler, pendant que Lue s’accommodait d’être la première à user du cristal. Ryker eut un léger réflexe vers son arme mais il se ravisa lorsqu’il mira ses jambes nues, et les traces de sang qui la maculaient encore. Elle n’était peut-être pas comme Jeremiah … peut-être pas … mais au moindre faux pas …
Ils arrivèrent dans une zone un peu délabrée, engoncé dans un métal gris et des murs tout aussi sinistres. Quelque chose qui rappelait Epistopoli aux souvenirs de Ryker, mais surtout les ruines. Pourtant, cet endroit était comme figé dans le temps. Il continua de faire avancer Ofskir d’un geste brusque, son épée toujours à la main. Il laissait ses oreilles le guider et prendre les devants, tandis que le groupe avançait. Ce fut au tour de Maël de prendre le cristal. Il s’avança et parvint à créer des dépressions similaires à celles de Lue, dans lesquelles des bulles de Brume s’engouffraient pour disparaître. Il ne comprenait pas trop ce qui se passait, mais c’était comme un trou qui aspirait la Brume. Cela lui suffisait. Un léger bruit attira son ouïe, quelque chose qui bourdonnait au loin. Le Réplicateur ? Ryker transmit ce qu’il percevait, mais les yeux de ses alliés étaient rivés au plafond : quelque chose en dépassait. Une silhouette. Grotesque, déformée. Qui s’engouffra dans le plafond pour y disparaître. Il opina du chef lorsque Jessamy en révéla le nom. La banshee avait pris le relais du cristal. Ils avançaient, se rapprochaient de leur but. Ils suivaient une piste de sang.
Des traces qui pouvaient ressembler à des pas, qui suivaient un chemin comme si plusieurs individus aux pas maculés s’étaient rués dans leur direction. Artémis semblait perturbé. Ryker retint la corde du Dieu, le ramena devant lui sans douceur. Ce dernier le mira d’un air goguenard, tandis que la petite troupe continuait d’avancer. Au fond de la pièce, d’où la Brume venait d’être chassée par une Jessamy qui passait déjà le cristal au cobaye suivant. Ryker confia la corde à Olaf et s’avança pour prendre à son tour le fardeau, un peu rasséréné par les quelques minutes de répit. Ils se dirigeaient vers une porte elle aussi teintée de sang. Mais il n’y avait pas de cadavres. Panoptès s’avança, les épaules lourdes. Il inspira.
- La voici. Le premier portail vers les Limbes. Celui ouvert par le Mandebrume il y a plus de 2000 ans. C’est aussi par-là que le Mandebrume et ses hommes sont passés. murmura-t-il avant de s’emparer de la poignée.
Le Patrouilleur laissa sa main en suspens vers celle de Jessamy, pris d’un frisson dans le dos. Le sang, la Brume. Artémis semblait … perdu.
- Chancelier ?La Brume commençait à déjà à refluer derrière eux, à envahir le couloir que la Banshee s’était donné du mal à vider. Ryker s’avança vers Panoptès, fit signe à Jessamy d’attendre. Toujours ce bruit étrange de l’autre côté de l’aile dans laquelle ils étaient, qu’il percevait à l’aide de son ouïe surdéveloppée. Un bruit sourd, régulier. Continu.
- Chancelier, j’entends du bruit là-bas. Quelque chose de fort. Panoptès ferma ses doigts sur la poignée. Commença à la baisser. Il ne semblait pas entendre, pas prêter attention à Ryker. Dans un sursaut inquiet, ce dernier posa sa main sur la porte pour l’empêcher de coulisser. Il affronta du regard le Chancelier.
- Écoutez votre équipe, Chancelier : il nous faut un front uni face au Mandebrume et nous ne pouvons surveiller à la fois nos arrières et le chemin qui nous attend... surtout si nous allons bien dans les Limbes. Ne refaites pas la même erreur qu'Alexander. Le pouvoir du Hulule nous a guidé vers le Réplicateur. Ne nous précipitons pas dans un endroit pire encore, j'aimerai avoir l'expertise de ceux qui sont là depuis le tout début si vous le permettez. Artémis et Jessamy vos pourriez …Le loup blanc surgit alors derrière eux et attrapa le Chancelier par l’épaule en lui hurlant dessus. Ryker sursauta et faillit marcher sur Olaf qui venait de se relever à côté d’eux, porté depuis le début par ceux qui n’avaient pas le cristal. Il se massait la tête, ses dents semblaient avoir subi du dégât suite à leur combat, à moins que ce ne fut que la première fois que Ryker prenait le temps de le dévisager sans s’offusquer de l’odeur. L’homme-taupe pointa les conduits qui couraient en haut de la pièce, une sorte de tuyau.
- Il y a de la Brume, là. Je peux la sentir dans les conduits. leur révéla-t-il de sa voix rocailleuse et caverneuse.
Il indiqua le faux-plafond qu’il venait de déchausser et le tuyau dont s’échappait quelques filins de Brume.
- C’était un piège … marmonna Aigrette, le cristal de Jessamy entre les mains.
Le gobelin s’était substitué au Patrouilleur pour faire refluer la Brume pendant qu’il tenait le Chancelier avec Artémis. Le bourdonnement était toujours présent. Ryker soupira, relâcha Panoptès. Il révéla sa main gantée, d’un étrange objet. Un gant de Lustra, pour ceux qui en avaient l’habitude. Il était un habitué des petits grigris en tout genre, mais celui-ci devait faire écho à merveilles pour le loup blanc avec leurs dernières aventures.
- Par ici, je prends les devant. J’entends … commença-t-il les yeux fermés,
des bruits de pas ?Il fronça les sourcils, indiqua qu’il passait devant arme au clair et entama de s’avancer dans l’autre aile, suivi du petit groupe. Il prit la tête de l’exploration, laissa aux autres le soin de gérer Ofskir et le cristal. Il s’avança de l’autre côté de la pièce, jusqu’aux abords de la Brume. Le Patrouilleur s’adossa à une cloison. Il y avait là des êtres vivants, en effet. Des bruits de pas qui semblaient les éviter. Même s’en aller alors qu’ils venaient de s’engouffrer dans cette nouvelle aile. Comme s’ils savaient qu’ils étaient là, mais qu’ils cherchaient à les éviter. Ryker fit signe à Olaf de le rejoindre en silence, toucha son nez pour lui faire comprendre qu’il aimerait qu’il use de son flair pour lui en apprendre plus. De même, il fit signe aux autres de se taire, indiqua qu’il y avait du monde devant.
- Des miroitants. Une dizaine, peut-être plus. révéla l’homme-taupe.
Merde. Merde merde. Un miroitant, il pouvait gérer. A peu près. Mais plus de dix ? Bon sang. Il ferma les yeux. A nouveau il eut cette sensation qu’ils cherchaient à les éviter. C’était étrange, trop étrange. Il frissonna. Les Limbes. Un territoire maudit. Il avait entendu dire que ceux qui avaient survécu à l’attentat d’Opale y avaient fait un séjour, dont la plupart étaient revenus fêlés. Tout semblait lié à cet endroit.
- Avançons, les Miroitants semblent nous éviter. trancha le Patrouilleur.
Il tâcha de guider le petit groupe avec l’aide d’Olaf, tandis qu’Aigrette assurait le nettoyage de la Brume. Ils dépassèrent des corps. Des adeptes du XIIIème Cercle. Il y avait eu des combats là, ils étaient dans la bonne direction. Mais pourquoi les Miroitants ne les arrêtaient pas alors ? Il n’allait pas s’en plaindre, mais n’était pas assez fou pour considérer que l’ennemi de son ennemi était son ami. Ils continuèrent d’avancer dans ce décor lugubre, où les rares filets de Brume léchaient les murs et virevoltaient à leur approche. Les rares miroitants qu’ils distinguèrent à l’orée de leur champ de vision semblaient se dissiper comme s’ils n’avaient jamais existé. Ou alors ils n’étaient qu’illusions ? Tours de la Brume. Mieux valait serrer la mâchoire et avancer. Compter sur le cristal stellaire. Il enjamba un corps de soldat du XIIIème Cercle diaphane. Comme celui de Sergeï. Comme si la Brume elle-même les avait attaqués. Il frissonna. Sa combinaison lui manquait presque. Si le Chancelier avait ne serait-ce qu’entrouvert la porte … ils seraient morts. Dissolus dans la Brume. Il risqua un regard arrière sur le vieil homme. Il semblait décidé, impatient. Quelque chose le taraudait mais il n’aurait su dire quoi. Le Patrouilleur se laissait guider à son audition, ainsi que sur la légère traction qu’assurait son gant. Mais la Brume semblait de plus en plus dense. De plus en plus difficile à contenir. Il faudrait prendre le relais avec Aigrette, et vite. Ils étaient à présent dans une grande circulaire où trônait une porte d’où s’échappait des filets de Brume. Epaisse, elle s’écoulait à leurs pieds en une sorte de liquide voluptueux. Au plafond, des dalles avaient été descellées pour révéler le même type de conduit que plus tôt. Tout ceci semblait connecté. De l’autre côté de la pièce circulaire, une porte semblait donner accès à une autre partie des laboratoires. Une sorte de zone avec beaucoup de passages. Des moyens colossaux avaient été mis en place pour établir cet endroit.
- J’entends … comme des vents violents. Ou une tornade à l’intérieur. murmura Ryker lorsqu’il s’approcha du centre de la pièce.
C’était donc ça qui les empêchait d’atteindre le portail vers les Limbes. Le fameux Réplicateur ? Derrière cette porte, mais comment l’atteindre sans se faire dissoudre par la Brume …
- Vous croyiez qu'on vous laisserait faire ? Vous ne parviendrez jamais jusqu'au Mandebrume, à moins de savoir comment arrêter cette chose ! s’exclama Ofskir, d’un ton qui oscillait entre défi et curiosité.
Le Patrouilleur serra les dents. Se tourna vers l’être divin goguenard. Il s’approcha jusqu’à lui, épée au clair et le confronta droit dans les yeux. De l’arrogance des humains, de ceux qui n’avaient rien vu et pensaient pourtant avoir porté le poids du monde sur leurs épaules. De la hargne d’un Portebrume qui sentait sa part de Malice vibrer à l’unisson avec ce qui se trouvait derrière cette porte, porteuse d’un pouvoir si terrible qu’il n’avait jamais osé le dévoiler par peur de l’Errance.
- Et comment on arrête cette Chose ? lui demanda-t-il, toujours un œil sur Panoptès qui semblait considérer cela comme une perte de temps.
- Comme si je le savais ! s’exclama-t-il à l’étroit dans ses liens.
Vous autres humains, vous avez créé ce que même Orzad n'aurait pas su créer. Une hérésie au-delà de toute imagination.Orzad ? Un rapide coup d’œil vers Maël. Hérésie ? Bon sang, quelle plaie ces cul-bénis … mais il semblait prêt à parler. A se livrer. Ryker n’était pas le plus diplomate des Morts Gris, mais il savait au moins une chose : il fallait toujours laisser les gens prétentieux parler. Les conforter jusqu’à ce qu’ils se trahissent d’eux-mêmes.
- C'est à dire ? Éclairez-nous donc de votre sagesse, Dieu. lâcha-t-il comme si ces quelques mots déférents ne lui avaient pas coûté grand-chose.
Ses yeux pétillèrent de malice, sa langue passa sur ses lèvres comme s'il choisissait ses mots.
- Votre machine n'est pas une simple machine. C'est une fracture dans la réalité de votre monde et celle d'Yphnos. Pas plus qu'elle n'aurait pu la créer, la Lueur n'aurait pu la combler. Cela n'appartient pas à ce monde.L’air de Ryker dû être particulier, pour que le Chancelier lui-même daigne perdre du temps à compléter.
- Nikolaï voulait répliquer les cristaux divins, notamment celui de Runologie. C'était sa promesse de créer une technologie suprême, divine, grâce aux capacités d'imitation des Limbes. Mais sa seule tentative a créé la Brume...C'était donc l'avarice humaine au centre de tout ... Comme d'habitude, c'en était presque triste.
- C'est l'hybridation de deux mondes ! Une abomination, une pure hérésie. La Brume ne devrait pas exister ici ou dans le Monde des Rêves et pourtant c'est le cas. Même nous autres, entités créatrices, ne savons pas ce qu'elle est car sa nature même défie la logique runique. poursuivit Ofskir, comme emporté dans un élan lyrique.
Le Portebrume haussa les sourcils. C’était normal s’il n’y comprenait pas grand-chose ? Il comprenait les mots, oui, et leur sens. Ainsi que les phrases. Mais …
- Le monde des rêves ? Le monde d'Yphnos ? Et les Limbes ? Et ... entités créatrices ? La Brume serait sortie de nulle part selon vos dires ? Je suppose donc que détruire le Replicateur ne suffirait pas à la dissiper : ce serait trop simple et vous auriez déjà essayé... essaya-t-il de se reprendre, comme s’il savait de quoi il parlait.
- Ce n'est pas le moment de ça ! Le temps file et nous ne pourrons pas tenir infiniment, il faut entrer dans cette pièce ! l’interrompit Panoptès avant de prendre le cristal qu’Aigrette avait déjà confié à quelqu’un d’autre.
Il s’avança vers la porte et inspira. Sa main sur la poignée. Un dernier regard vers le groupe. Le message semblait clair. La Brume frémit à l’unisson de ses mots, qui seraient peut-être les derniers. Ryker adressa un regard vers Artémis, afin de déterminer si ce dernier validait. Il avait l’oreille de la Brume, il saurait quoi faire.
- Je vous garde à l’œil, Ofskir. murmura-t-il.
Vous m’expliquerez pourquoi et en quoi c'est une hérésie d'avoir fait ça à Yphnos …Il espérait avoir placé les mots dans le bon ordre.
- HRP:
Ryker attache Ofskir et entreprend de le mener avec eux et de le surveiller, tout en utilisant son écholocalisation pour guetter les bruits étranges.
Ryker empêche Panoptès d’ouvrir la porte avec l’aide in extremis d’Artémis (ça rime)
Il prend la tête de l’exploration de l’autre aile avec Olaf pendant qu’Aigrette utilise le cristal avant de le passer à quelqu’un d’autre (à vous de définir, pas Olaf, Aigrette ou Ryker du coup … ou je m’échappe
Ils croisent sur la route plein de Miroitants qui les évitent, et le Patrouilleur les guide à l’aide du bourdonnement qu’il entend et du gant de Lustra qu’il espère le voir mener jusqu’au Réplicateur.
Devant la porte où le Réplicateur semble être, Ryker questionne Ofskir jusqu’à ce que Panoptès ne s’impatiente et entreprenne de prendre le cristal stellaire et ne s’avance pour ouvrir la porte.