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[Requête] Un Grand Soir, et des petits secrets

[Requête] Un Grand Soir, et des petits secrets Brandw10
Sam 9 Nov - 18:51

Ouverture

A tous ceux qui brillent


Sous la nuit encore jeune, dans son habit de lumière, la mégalopole resplendissait.

Finies les routes de terre, finies les pagodes discrètes et usées, finies les chandelles et les lanternes pour éclairer difficilement le coin des rues. Les pierres polies et usées par le temps et les souliers des travailleurs étaient noyés par le bitume. A la place des comptoirs et des petites maisons s’alignaient des immeubles à n’en plus finir, des tours immenses qui grattaient le bout du ciel, parées de plaques de verre qui leur donnait des airs d’étoiles. La cité entière était un diamant - la belle ville, en tout cas. Ses bas-fonds, condamnés à l’obscurité, restaient nappés de ténèbres.
On y respirait bien, étrangement bien - les lampes éclairaient seules les coins des rues sans qu’on ne vienne vérifier l’état de la chandelle. Une magie epistote - sans aucun doute. Mais sous des cils courbes, un regard n’était pas dupe : la vraie magie venait de la main attentive qui veille à sa flamme, pas d’un cristal antique qui se suffit à lui-même. Passéiste? Peut-être. Mais devant cette débauche de moyens, elle admettait que l’humain lui manquait.

Il régnait une ambiance électrique devant le Marquis - une foule s’était massée devant ses portes pour fumer quelques substances alors que se pressait à son entrée une petite rivière qui n’avait pour but que de se faire une place dans la salle de concert. Chacun resplendissait comme un diamant, véritable dandy ou splendide muse - même si la musique amassait les foules, on se demandait rapidement si on n’était pas là pour être vue plus que pour écouter la dernière pièce.

Petite souris discrète, une spinelle solitaire se faisait une place dans ce torrent humain. On ne la reconnaissait qu’à ses tresses grenat, elle qui avait troquée son kimono et ses sandales xandriennes pour une longue robe noire de velours qui ne laissait apparaître que son dos par une large découpe - capter le regard de ceux qu’on a derrière soi protège aussi bien ses arrières que de révéler trop de clavicule. Le noir pour seule couleur? Heureusement non - il en fallait bien pour atténuer pareille crinière, et tous ces bijoux qui ornaient chaque phalange, son cou, ses poignés. Et autour de son cou jusqu’à sa taille, c’était un long dragon d’or qui finissait par achever ce tableau. Cobra de Xandrie, de la tête au pied - mais son parfum n’était pas celui des écailles et du sang, à la place, elle laissait derrière elle une traînée de camélia, de jasmin et de fleur d’oranger.

Rapidement, elle s’était frayée un chemin jusque dans le hall, distillant des sourires autour d’elle et feignant la solitude avec des œillades désolées. Gente dame, seule, ici? Certainement pas. Mais de la même façon qu’on remportait une partie de janggi, il fallait savoir placer chaque pion avec délicatesse. Surtout quand on avance dans le palais adverse…

Mais pour quel objectif? Depuis les salons monétaristes et les tables de taverne moins recommandables, l’eau avait coulé sous les ponts, les indices remontés aux oreilles. Le portrait de l’ancien ministre commençait à prendre forme, à chaque nouvelle journée s’ajoutait un coup de pinceau, une nouvelle couleur, une nouvelle lueur. Trio infernal envoyé en mission… Non, pas tout à fait. Plutôt en chasse. Si ils voulaient ramener au Guet et à Chaya de quoi aiguiser leurs crocs sur du cuir strigoi, il leur fallait d’abord localiser le dit fugitif. Le ministre aurait eu des liens avec Epistopoli - avec Seraphah Von Arendt, pour être précis. Le propriétaire du Marquis était un homme convoité, riche de ses rapports avec l’Alliance et avec le pouvoir en place. Un homme de goût à en juger le luxe de l’endroit - féline, Lan-Lan tenait fermement une invitation qu’elle présenta à un portier qui lui indiqua d’une main un escalier recouvert de velours rouge. Tout sentait le raffinement. Mais sous les diamants, elle espérait surtout trouver de quoi faire avancer leur route.

Alors qu’elle grimpait les marches, elle refusa son plan. Ce n’était guère plus qu’un squelette, une ébauche de plan plus qu’un véritable tableau. Elle aimait se laisser la marge de l'imprévu, ce qui n'était pas le cas de ses compagnons de route. L’Aramilan était aussi dur à lire que son jeu était parfait, et Gerald, lui, faisait route avec la légèreté des princes en camouflant un professionnalisme certain. Un sourire éclairait sans cesse la commissure de ses lèvres. Avec un rien d’épice et ce qu’il fallait d’étincelles, ils feraient des merveilles…

Ces quelques jours lui avaient permis de faire quelques achats, assez pour renforcer ces quelques possessions - exposées à tous, encerclées d’or. De quoi faire s’assurer quelques secrets, par substance ou par choix. Rapidement, l’escalier débouchait sur un balcon où s’alignaient trois rangées de chaises finement décorées. Une loge pour les invités privilégiés, assez grande pour accueillir une quinzaine de personnes et leur permettre d’apprécier l’opéra en toute discrétion. Oh, elle n’était pas là par hasard. Non seulement elle pourrait apprécier la pièce, mais également les autres spectateurs. En se concentrant discrètement, son esprit en chercha un autre… tout proche.

°Je suis en place.° Pense-t-elle dans l’esprit d’Azur. Ou, du moins, elle espérait bien avoir atteint la bonne cible.°Surpris? Ne montre rien.°

Il pourrait sans doute entendre sa voix, mais elle ne serait pas à portée de regard. Et n'importe qui la croiserait des yeux ne verrait pas ses lèvres bouger. Merveille que la télépathie - pouvoir glisser sur les esprits, envahir leur crâne en toute discrétion… Voilà une amusante trouvaille pour orner ses oreilles. D’autant qu’elle avait tout le loisir de s’amuser. °Si tu as besoin d’aide… Penses à moi.°

Confirmation faite, la poupée décrocha ses pensées prestement pour chercher son deuxième interlocuteur. Ils étaient trois loups à avoir envahi l’édifice ce soir-là, divisés, chacun là où il aurait le plus de chance de glaner des informations. Sa mission, à elle, se résumait à un nom: Rufus Garibaldi. Il était toujours compliqué de savoir comment cet éminent scientifique était relié à Ekiel, mais celui-ci avait définitivement loué ses services pendant son temps à Epistopoli. Et quelle aubaine : il avait le siège à côté du sien.

°Prêt à négocier quelques œuvres d’art?°  comme une colombe sur un arbre trop haut, sa voix s’était manifestée dans l’esprit d’Arno sans plus de cérémonie - à quoi bon? L’effet de surprise était plus délicieux. °J’ai trouvé ma place - bonne chasse, et flairez-nous un bon tuyau.°

Elle rompit le contact avec sa boucle d’oreille presque immédiatement, laissant s’évanouir ses pensées - la salle se remplissait petit à petit, laissant grossir comme une tempête un brouhaha de voix, de diamants, de secrets. La nuit s’annonçait mémorable pour Epistopoli… Et plus encore, pour eux.

Résumons:
Mer 13 Nov - 0:16

Ouverture

Soft power


Oubliez le style industriel post-moderne d’Epistopoli. On ouvre les espaces, on ajoute du détail et du raffinement partout où les yeux se portent : encorbellements, colonnes striées, lourdes tentures savamment froissées. Miroirs, dorures, vases et velours des canapés, le Marquis ouvre sur un monde feutré un peu hors du temps façonné par un démiurge artistique flamboyant.

Le grand hôtel s’est aussi imposé comme scène artistique de référence, avec sa compagnie théâtrale et ses ballets, qui viennent égayer la morosité productiviste de scientifiques sérieux et bien barbants. Si tous ne s’intéressent pas à l’art, il est de bon ton de le laisser penser. Pour bien paraître, pour montrer son bel esprit, porté sur les questions de philosophie. En tout cas, c’est un très bon moyen de divertir les femmes, de conduire sa maîtresse à un spectacle électrisant…

La dernière lubie de Seraphah Von Arendt est la création d’un opéra grandiose. Il n’ambitionne rien de moins que d’arracher le succès de l’année à Opale, anciennement réputée dans cet art. L’Envol de de Sankhir est un opéra composé par Frederico Albergiatti, Opalien de son état… mais son drame social a été mal accueilli par ses pairs. Comme le dit la maxime : nul n’est prophète en son pays. L’Envol de Sankhir offre un voyage allégorique sur les origines du redoutable dragon rouge régnant sans partage sur la mer d’Opale. Car avant d’être un dragon, Sankhir était, selon l’œuvre, un charmant jeune homme.

Fils de bonne famille, il n’en était pas noble pour autant. Sa famille bourgeoise avait fait fortune en important des gemmes de Lapis et convoitait l’ascension. Sankhir, lui, était innocent. Au détour d’un jardin, il tombe fou amoureux à la vue de Philoména Ozwinfeld. Les flèches de l’amour opèrent, percent les cœurs de la prime jeunesse dès l’acte I. A l’acte II, les tourteraux se voient en secret en esquivant leurs responsabilités, évitant de justesse d’être surpris par Arturio, le frère aîné de Philoména dans un amour encore chaste. A l’acte III, les choses se corsent. Sankhir prend son courage à deux mains pour demander la main de son aimée au chef de famille, Arturio, qui la lui refuse et l’humilie publiquement. Une Philoména éperdue essayera d’amadouer son frère pour bénir cette union roturière. On pense alors que les deux amants alliés jusqu’au bout vogueront sur les ailes de l’amour pour dépasser leur condition à tout prix. L’acte IV met en scène la tentative de fuite des amoureux au port d’Opale. Philoména est rattrapée par sa femme de chambre qui tente de la dissuader de s’enfuir, ce qui causerait sa ruine et celle de l’honneur des Ozwinfeld. Elle n’y entend rien, mais Arturio arrive et la capture avant de l’enfermer dans la tour familiale à Opale, d’où elle voit le navire de Sankhir partir sans elle. L’acte final est un désespoir poétique. Sankhir part seul sur l’île aux Dragons, dont il gravira la plus haute falaise, avant de se jeter dans la mer. Son suicide est interrompu par la brume, qui le rattrape et le transcende par sa métamorphose en puissant dragon. A l’annonce du suicide de Sankhir, Philoména deviendra folle, mais sera tout de même mariée contre son gré à l’un des enfants des Sept par intérêt économique. Sous forme d'épilogue, on comprend que dans l’interprétation de cet opéra, Sankhir rôde en quête de sa flamme perdue...

A l’affiche, Keshâ’rem dans le rôle de Sankhir, partage l’avant-scène avec Rodriguo Salvini, un Opalien dans le rôle d’Arturio Ozwinfled et de Lycia Cassandre – amie de Keshâ – dans le rôle de Philoména Ozwinfeld. Les amants sont séparés par une barrière esthétique infranchissable, deux univers différents. N’est pas membre du sérail qui veut. Malgré le titre éponyme, Philoména est le personnage central de la tragédie, aux prises avec des choix moraux impossibles.

Depuis plus de deux mois, Keshâ’rem est dans une bulle hermétique au monde extérieur. Les choses s’accélèrent avec la préparation des décors, les répétitions générales. Les distractions sont évacuées sous l’emprise implacable de son maître de musique : Jacob Herd, dictateur tout puissant au perfectionnisme tortionnaire. Sa baguette rigide s’abat quand sa concentration flanche. Il ne vit plus que part elle. Au nom de l’Art, ses problèmes rétrécissent jusqu’à l’insignifiance. Ses doutes, ses peurs, ses craintes et son désespoir, même sa nébula, il les jette dans le feu du dragon naissant qu’il doit interpréter. En cette soirée de première, un trac abominable l’étreint. Le poids de la foule rassemblée.

Seraphah a fait un ramdam médiatique en mettant en avant la touche artistique unique de la compagnie, sur les effets spéciaux, les décors, les jeux d’acteurs et les tableaux dansés venant rehausser la performance musicale aux moments charnières. Dans l'esprit de l'ambassadeur, la culture est un instrument d'influence douce pour amadouer les cœurs. Maints industriels, savants, diplomates sont réunis en une fourmilière grouillante d’opulence, tout le gratin bedonnant, les critiques d’arts vicieux, pariant à pile ou face le succès ou la décadence. Et tout ce beau monde a fort besoin de divertissement pour échapper à une réalité de plus en plus angoissante, après les attentats. Soyez sûr que la sécurité est à son plus haut niveau. Armes et artefacts sont interdits, sauf pour ceux ayant adopté des cachettes audacieuces au moment des fouilles.

L’heure approche, des hôtesses à la sobriété impeccable accompagnent les invités jusqu’à leurs sièges cauteleux en velours rouge. Certains jouissent d’une vue exclusive depuis les des loges privés. On y arbore jumelles et éventails. D’autres sont assis sur un parterre en forme de U surmonté d’une estrade où autant attendent en cancanant.

Peu à peu, les membres de l’orchestre prennent place dans la fosse, la harpiste s’essaye à quelques accords pour délier ses doigts, alors que les cuivres s’organisent. Bientôt, deux coups retentissent, la lumière s’éteint. Les conversations meurent soudainement, quand le chef d’orchestre rejoint son pupitre, suivi d’un tonnerre d’applaudissement lorsqu’il salue le public.

L’ouverture démarre en trombe sur une mélodie instrumentale. Juste après, le rideau se lèvera, dévoilant la mise en scène.
Parti pour trois heure, l’opéra sera scandé de deux entractes de trente minutes pour permettre à chacun de s’aérer les méninges et de prendre des rafraîchissements au bar et au fumoir.
Résumons:
Sam 16 Nov - 11:40
Epistopoli. Je n’ai pas beaucoup exploité cette contrée. D’une part parce que le temps me manque, d’autre part parce que je crains cet endroit. Déjà, l’air est irrespirable, complètement pollué par leurs foutues usines. Bâtie sur les ruines de Sancta, Epistopoli est devenue une puissance technologique impressionnante, ce qui en fait un réel concurrent pour Opale. Il est d’ailleurs fort à parier qu’on en entende parler d’ici peu, quand une certaine révolution sera mise en marche sur Xandrie. De simples déductions basées sur des logiques institutionnelles et économiques. Ici, la lumière du soleil ne passe que partiellement, obstruée par des nuages grisâtres. Mais personne ne s’offusque, c’est normal. Tout va très vite. Des véhicules déboulent de tous les côtés, des commerces ouverts tous les dix pas, un monde effroyable… Si une missive ne m’amenait pas en ce lieu, je ne me serais jamais risqué d’y mettre les pieds. Mes espions suffisent amplement à remplir mon carnet de notes.

Parait-il que je vais assister à un spectacle dans un théâtre appartenant à l’illustre Seraphah Von Arendt. On le cherche pour obtenir certaines informations, alors quoi de mieux que d’aller dans un lieu qu’il fréquente régulièrement et qui lui appartient. Pour l’occasion, le brave Geralt d’Omanie, riche noble de Xandrie, est de sortie. Vêtu très chiquement, comme à mon habitude, j’arpente les rues bruyantes d’une démarche assurée. Un long manteau noir, laissant apercevoir en-dessous un joli costume trois pièce de la même couleur. Une petite cravate pour se donner un air aristocratique, comme on aime. Je force un regard hautain, supérieur, qui ne reconnaît que ceux de son espèce. Les vauriens autour de moi ne m’intéressent guère. Des fourmis qui grouillent désespérément dans un monde trop dense pour eux.

Geralt d'Omanie:

Face à la somptueuse porte d’entrée de l’établissement, fermement protégée par des hommes de la sécurité, je sors mon invitation grâce à laquelle on devrait me laisser entrer sans encombre, et ce même malgré la condescendance que je dégage. Je ne dois pas être le premier à agir de la sorte. Après quelques pas, un homme me tend la programmation que je lis très brièvement. Aujourd’hui, à l’affiche, L’envol de Sankhir, qui est une histoire extrêmement célèbre, adaptée en pièce de théâtre. Parmi les comédiens, je reconnais Keshâ’rem Evangelisto, avec lequel nous avons partagé quelques aventures à oublier. Mère m’a très souvent lu cette histoire, autrefois, lorsque nous passions notre temps sur les routes, sans but précis si ce n’est survivre. Quelle douce mélancolie qui s’empare de moi.

Lorsque j’entre dans la salle de théâtre, tandis que les spectateurs prennent place, j’avoue reste un long moment dans une sorte de transe contemplative. Je n’ai jamais caché mon amour pour les belles choses et cette salle était absolument magnifique. Dans cette ambiance tamisée, je perçois de beaux reliefs dorés qui décorent toute la salle. Après m’être imprégné de l’ambiance, je retourne dans le hall d’entrée pour emprunter les escaliers menant au balcon d’apparat dans lequel se trouve ma place. Même si les spectateurs sont issus d’un certain milieu, pas question pour Monsieur d’Omanie de se mélanger avec les nouveaux petits riches du coin. Ma place, n’en déplaise à certains, se trouve dans le haut du panier. Une fois sur place, je constate que la vue sera absolument parfaite. Je ne manquerai rien de ce spectacle tant attendu. J’en oublie presque la raison de ma venue. Et comme si elle lisait dans mes pensée, Lan-Lan me parle dans ma tête. N’occupe-t-elle pas déjà suffisamment de place dedans ?

Surpris ? Tu serais surprise de savoir sur quel piédestal je te place avant d’être moi-même surpris par tes atouts. *, ai-je pensé à l’adresse de ma camarade qui était en train de s’installer à sa place. * Bon courage, Lan-Lan. Ne prends aucun risque inconsidéré. Une pensée, j’interviens. *

Cela peut sembler chevaleresque, mais elle sait très bien que je peux être à ses côtés en une fraction de seconde. Cet échange a eu le mérite de me remettre dans le grand bain. Une jolie jeune femme s’installe au siège à côté du mien. Marguerite Delaunay. Non, je ne la connais pas personnellement. Et pourtant, je sais absolument tout d’elle. Pensez-vous réellement que je choisirais une place hasardeuse ? Non. Riche étrangère, elle se plait à venir régulièrement sur Epistopoli. Elle connait toutes les grandes pontes de la cité, les côtoie plus ou moins directement et détient certainement quelques informations qui pourront m’être utiles. Le travail est en moi, à chaque instant de ma vie. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai réellement été moi-même.

« Bonsoir, Madame. Je me nomme Geralt. Geralt d’Omanie. », fis-je en baisant délicatement la main qu’elle me tend.
« Oh. D’Omanie, me dites-vous ? Cela m’évoque quelque chose. Ne seriez-vous pas ce noble courageux de Xandrie ?
- Votre perspicacité m’impressionne, madame.
- Marguerite Delaunay, enchantée, Geralt. »


Les présentations sont faites. La chasse peut maintenant commencer, à l'instant même où les rideaux s'ouvrent pour annoncer le début de la représentation.

Résumé:
Sam 23 Nov - 13:56

Levée de rideau

Une petite fête n’a jamais tué personne


J’avais déjà du mal avec Xandrie, mais au moins ça permettait de se mouiller la nuque avant de plonger dans le grand bain de smog épistote. C’était toujours une épreuve. Autant on s’est acoquiné du faste opalin, vieille branche autant ici… Qu’est-ce que c’est froid. Ils y mettent des turbines. Ils brassent l’air vicié au loin. Ils ont des tronches  grises de morts en sursis. Oui, malheureusement pour moi, c’est aussi ici, dans cette cité qu’on honnit, qu’ils veulent le plus parler, ceux-là. Il me fallait un nouveau rôle de composition. Pour le coup, notre alliée de circonstance avait bien aidé, après tout, je faisais aussi un peu ça pour ces nordiques non ?

Le mot était passé, la trainée de poudre placée, la rumeur lancée. Un riche mécène venu d’on ne sait où, qui avait posé ses bagages à Xandrie, cherchant le beau dans cette culture hétéroclite et que d’aucuns auraient qualifiée d’arriéré. Des financements qui semblaient illimités pour créer la pièce, le chef-d’œuvre d’une vie. Ce chef-d’œuvre avait besoin d’une troupe, il avait besoin de vedettes pour briller et éclipser tout ce qui s’était fait avant.

Ainsi naquit Clovis Desmont-Depale messieurs, dames. Et le voilà qui se prépare lui aussi, qu’il se pomponne et se poudre, qu’il ajuste ses froufrous et ses rubans excentriques, se regarde dans le miroir sale de cette chambre de bonne qui jouxte les bas quartiers. Ne ressemble-t-il pas un peu à un marchand aramilan que vous avez déjà croisé ? Ou une version encore plus fabuleuse d’un domestique opalin ? Non, y a aussi le côté sauvage qu’on pourrait penser reclus d’un réunioniste. C’est un peu tout et rien à la fois. Tu vas être parfait vieille branche, je t’envie tellement.

L’excentrique chapeau posé sur la tête, celui dont on ne devine que le visage ajuste ses lunettes sur son nez. Ne pas être connu, mais être reconnu, voilà ce que tu dois faire Clovis. Il brille dans la foule formatée d’Epistopoli, ode à la couleur et au faste, la figure cachée, les têtes se tournent, les mots s’échangent. Il arrive, le voilà, ça doit être lui le sieur Desmont-Depale. Quelle chance on a de l’avoir parmi nous, certainement qu’il cherche la touche finale pour sa prochaine pièce ? Dire qu’il a fait toute cette route, sans doute qu’il en attend beaucoup de cette première.

Silencieux dans la foule, telle une étoile filante, il se fait attendre. Il sait qu’il n’est pas discret, il sait qu’on le remarque. Sa réputation le précède et il n’est pas anonyme. Sans doute même que cela ravit les autres invités, s’il est là, c’est que le spectacle organisé au Marquis devrait vraiment valoir la peine non ? S’il est l, c’est aussi que la rumeur doit se répandre dans les coulisses, ajoutant au stress de la première pour nos acteurs et chanteurs. Si les yeux étaient des projecteurs, beaucoup seraient tournés vers cet étonnant personnage, presque autant que vers la scène alors qu’il s’assoit au milieu de la foule. Quand les lumières s’éteindront, il redeviendra sans doute un anonyme, un spectateur parmi tant d’autres. Il ne voulait pas des loges, il avait demandé à être dans le parterre, au centre, ainsi disait-il, il prendrait de plein fouet l’Envol de Sankhir.

Mes lunettes chaussées sur le nez, la salle richement décorée m’apparait dans son entièreté. Il fallait reconnaitre l’effort fait par le propriétaire des lieux pour nous sortir d’Epistopoli, au moins le temps d’une soirée. Dans la foule, je devine plus que je ne vois dans les loges et ailleurs, mes complices s’installer à leurs places par un heureux hasard choisi.

J’entends la voix de l’intrigante dans ma tête, je pense que je ne me ferai jamais à ces intrusions. Le réflexe de repousser revient à chaque fois, avant de comprendre et de caresser l’intrusion. J’espère simplement qu’elle ne voit pas plus loin que ce nouveau vernis. J'inondais ma tête de pensée parasite, je parlais aussi sans savoir si elle m'entendait en retour.°Magnifique salle n’est-il pas ? Voyons ce qu’on peut attendre de la part de notre hôte, je préfère quand la proie résiste vous savez…° Le fil semble se couper enfin. Je rajuste le chapeau sur ma tête, pose mes mains pâles sur les accoudoirs.

Que le spectacle commence.
Jeu 28 Nov - 3:57

Entracte

Concert de manigances


L’opéra démarra par un levé de rideau, découvrant un somptueux décor censé reproduire l’âge d’or Opalien. Il était derrière nous, c’était entendu. Les Ozwinfeld sont les premiers à faire leur entrée en scène. Philomena, la sœur cadette, de sa voix de mezzo-soprano. Et Arturio, l’aîné, de sa voix de baryton. Il lui fait la leçon, la famille est cernée de rivaux et d’ennemis. Il n'est plus temps pour la jeune femme d'écrire des poésies. Le thème du devoir et de l’obéissance prévaut déjà au milieu de magouilles qui n’ont rien à envier à celles de bon nombre des convives du Marquis.

Oui, on voit voit ! Tous ! Et vous n’êtes pas les seules intriguants à être venus fomenter ce soir pour diverses raisons. Ni même les pires. Il y a toi, la perle faussement candide aux lèvres ourlées de mille poisons, toi, le grand bellâtre à l’ombre assassine, et puis enfin, toi, le grain de sable taciturne avec un peu trop de buée dans la théière. Chacun avec une place de choix selon ses objectifs et voisins convoités. L’heure n’est pas à la conversation maintenant que le rideau est levé. Pas encore. Mais dans le public, on s’échange des œillades. Seraphah est lui aussi bien entouré de quelque Opalien renommé et d’une figure de proue nobiliaire de Xandrie. Il est posé sur un trône de bois sculpté. La mine grave, il étudie les moindres détails de la représentation et du parterre sous un visage placide. C’est à se demander s’il trouvera la légèreté de s’adonner à un émoi esthétique en dépassant la technique.



Texte:

Vient le tour de Sankhir d’entrer en scène. Mortifié, Keshâ’rem regarde ébloui la masse noire dans laquelle se tapie le public. Des centaines et des centaines de convives dont il ne sait rien mais qui voient et entendent tout. Pris par l’emballement de l’orchestre et des chœurs, son être suit les rails de dizaines et de dizaines de répétitions. Premier envol sur scène dans la catégorie prestige, en dehors des salons privés de Seraphah pour chanter accompagner au piano par l’esthète. Les critiques sont penchés, tout ouïe, guettant la fausse note. Seraphah a pris des risques en confiant les rôles phares à deux « enfants », étant entendu qu’aucun n’atteint l’âge de 25 ans, chiffre consensuel que l’on juge nécessaire pour former à pleine maturité une voix d’opéra.

Pour l’instant, rien à redire. L’œuvre est rythmée et s’entend bien. Rien d’extraordinaire non plus. Cela reste les prémisses, toute la tension dramatique et l’alchimie entre les protagonistes restent à venir. Les costumes sont fins. On se demande, la voix du jeune homme est-elle ténor… ou, curieusement, contre-ténor ? Haute-contre ? On ne sait pas encore, entre la résonance de tête et de poitrine avec des pianissimo très aigus. Un choix intéressant, pour décrire un optimisme de cette jeunesse candide et presque angélique face au cynisme de sa société. Le contraste sera d’autant plus grand lors de sa transfiguration en monstre sanglant.

Certains s’ennuient déjà et partent pour un interminable calvaire. Une amourette ronflante avec des gens qui crient comme si on les plumait. Ils sont venus pour faire plaisir à quelqu’un. Ou pour se cultiver. Leur tête pend immanquablement toutes les deux ou trois minutes, avant de se redresser vivement dans un brusque sursaut. Le supplice du réveil multiple châtiera leur insensibilité artistique. D’autres sont en émoi jusqu’à la chair de poule. En tout cas, tous les moyens ont été déployé pour assurer le spectacle.

Le premier entracte survient à la fin de l’acte II, qui vous laisse sur un Sankhir et une Philomène se voyant en secret sur des notes guillerettes et enamourées. Rien n’est trop grand pour eux. Pour vous aussi ? Rien ne sera trop grand dans la poursuite de vos rêves durant cet entracte ? Attention d’être bien retournés à votre siège avant la fin officielle de la pause qui est de trente minutes, sans quoi, vous finirez porte au menton. La foule se presse dans les allées en direction des salles de bain et des bars de l'hôtel.

-« On dirait qu’ils se sont connus toute leur vie. » s’enthousiasme une dame blonde au front ceint d’un bandeau et de plumes noires dressées.
-« J’ai entendu dire qu’ils étaient amis avant de travailler sur l’opéra… peut-être se cache-t-il quelques détails croustillants sous cette apparence trop innocente. » murmure sa compagne d’un ton conspirateur abritée derrière un éventail en plumes d'autruche.

Circulez. Boissons. Tabac. Menaces politiques. Manipulation. C’est votre tour de jouer votre partition et de divertir un public invisible par votre maestria.

Des rires veloutés s'élèvent, on trinque avec élégance et l'on avise son plus joli sourire sournois à ses ennamis. Il y a de tout par ici. Du Sapiarque, du mafieux, de l'industriel, de l'artiste, de l'aventurier... L'espace d'une soirée, on oublie que tout ce beau monde est au bord du gouffre et pourrait vivre ses derniers instants avant l'anéantissement total.

Du côté des artistes, on disparaît aux yeux de tous. On se replie comme un bigorneau dans sa coquille, exténué. On prend sa tisane au miel et on s’allonge, jambes levées sur un canapé… et surtout, surtout, on ne se déconcentre pas. On reste dans le personnage. La roue de hamster qui tourne dans leurs esprits tourmentés reprendra seulement une fois la représentation finie. Pour l’heure, place au néant et à l’émotion pure. Maëlstrom respecte le choix de Keshâ de garder tout le monde à distance, même lui. Il fait le cerbère devant sa loge, y comprit et surtout pour éloigner Frederico Albergiatti.

Résumé: